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Les papes
Le Pape est le chef de l'Eglise catholique romaine. Il est revêtu de cinq caractères : il est évêque de Rome, métropolitain des églises suburbicaires, primat d'Italie, patriarche d'Occident, et souverain pontife. Pour le gouvernement de l'Eglise catholique, et pour l'administration de l'Etat pontifical, aujourd'hui réduit à la seule Cité du Vatican, le Pape se fait assister par les cardinaux, dont la réunion forme le sacré Collège, et il emploie des ambassadeurs, appelés nonces et légats, dans les relations qu'il entretient avec les différents pays. On nomme bulles, brefs et encycliques les actes par lesquels il pourvoit au maintien des dogmes et de la discipline. 
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Le patrimoine de saint Pierre

Saint Grégoire le Grand, à la fin du VIe siècle, possédait déjà vingt-trois patrimoines en Italie, dans les îles de la Méditerranée, en Illyrie, en Dalmatie, en Allemagne et dans les Gaules. Plusieurs de ces patrimoines étaient considérables. La souveraineté des papes avait prévalu à Rome dès l'an 730. Les Papes étaient donc souverains de fait avant les donations de Pépin et de Charlemagne. Leur autorité s'était établie insensiblement, pacifiquement, sans aucune effusion de sang, par la disparition de la souveraineté des empereurs grecs. La force des choses avait ainsi commencé l'établissement de la souveraineté temporelle des Papes lorsque Pépin, roi de France, la constitua définitivement, en 755, par la donation qu'il fit au Saint-Siège de l'exarchat de Ravenne et de la Pentapole. Cette donation fut confirmée en 774 par Charlemagne, qui y ajouta plusieurs provinces, et ensuite par Louis le Débonnaire, et par les empereurs Othon le Grand et saint Henri. L'illustre comtesse Mathilde, par ses donations de 1077 et de 1102, accrut le domaine du Saint-siège de la partie du territoire qui fut appelée le Patrimoine de saint Pierre. Au Moyen âge et encore jusqu'au XIXe siècle, l'Etat pontifical a joué dans l'histoire et la politique de l'Europe un rôle analogue à celui des autres Etats. Supprimé avec l'achèvement de l'unité italienne en 1870, il est réapparu en 1929 à la suite des accords de Latran signés entre le pape Pie XI et Benito Mussolini, sous la forme de cette petite enclave de 44 hectares dans Rome qu'est la Cité du Vatican, et dont dépendent aussi la résidence d'été des papes à Castel Gandolfo, près de Rome, et quelques immeubles disséminés dans la capitale italienne. Cet Etat anachronique est une monarchie théocratique de quelque 800 habitants, où les quelques femmes sont reléguées dans des fonctions ancillaires et où l'on continue de s'habiller comme au Moyen âge ou à la Renaissance, et à vivre selon des règles sur lesquelles le temps n'a pas eu non plus beaucoup de prise.

Presque tous les écrivains ecclésiastiques rapportent l'origine du titre de Pape (Papa) au mot grec 'pappas ou Papas. On dit que dans l'Eglise primitive, les chrétiens appelaient ainsi ceux qui, les ayant convertis, étaient devenus leurs pères spirituels. Vers le même temps, et par une extension fort naturelle, ce nom fut donné à tous les clercs. Les Grecs le donnent encore indistinctement à tous leurs prêtres; mais il appartenait, avec un caractère spécial et un génitif différent (pappa au lieu de pappatos) aux patriarches d'Alexandrie, d'Antioche, de Jérusalem et de Constantinople (Istanbul). Saint Avitus, évéque de Vienne (490-525), le reconnaissait au patriarche de Jérusalem, en des termes qu'il serait fort difficile d'accommoder avec les définitions du concile du Vatican I (1864) sur la primauté et I'épiscopat universel de l'évêque de Rome. II s'adresse au patriarche de Jérusalem, comme au pape, à l'apôtre et au prince de l'Eglise universelle : 

Papae Hierosolymato. Exercet apostolatus vester concessos a Divinitate primatus, et quod locum principem in universeli Ecclesia teneat, non privilegiis solum, studet monstrare, sed meritis (Epist. 23, Migne, Patrol., LIX, 239). 
Pareille constatation pourrait être faite à propos d'une lettre du même évêque au pape de Constantinople, Papa Constantinopolitanus, comparant cet évêque et celui de Rome à une double constellation du ciel ecclésiastique.
Velut geninos apostolorum principes [...] velut in caelo positum religionis signum pro gemino sidere.
Dans l'Eglise d'Occident, ce titre paraît avoir été réservé très anciennement aux évêques et aux abbés, mais il était commun à tous. Saint Augustin, écrivant à Aurèle, un évêque d'Afrique, le salue comme très saint pape et honoré seigneur; de même saint Jérôme, écrivant à saint Augustin; Fortunatus, évêque de Poitiers (VIe siècle) écrivant à Félix, évêque de Nantes, et à Euphronius, évêque de Tours (Migne, Misc. III, 4 ; Migne, LXXXVIII, 119; III, 1 ; Migne, LXXXVIII, 115).
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Chartres (église saint-Pierre) : le Premier des papes.
"Le premier des papes". Statue, à l'église Saint-Pierre, de Chartres.

Thomassin, répété par Phillips (Kirchenrecht, V, 603) prétend que la qualification de Pape fut exclusivement attribuée à l'évêque de Rome, vers la fin du VIe siècle; mais dans les actes du VI concile général (Constantinople, 680), Honorius est désigné comme papa antiquae Romae, et Cyrus comme papa Alexandriae  (Mansi, Conc. XI, 214).

Il est vraisemblable que l'usage resta incertain jusqu'au XIe siècle, quoique se développant de plus en plus dans le sens d'une limitation du titre en faveur des évêques de Rome. Dans un concile tenu en cette ville (1073), Grégoire VII défendit formellement de le donner à d'autres, afin qu'il restât unique dans tout le monde chrétien :

Ut papae nomen unicumn sit in toto orbe christiano, nec liceat alicui se ipsum vel alium eo nomine appellare.
Il ne serait peut-être pas exagéré de dire que l'affirmation du privilège réclamé par cette interdiction, marque un des points les plus saillants des ascensions de la papauté. 

Léon Ier paraît être le premier qui prit le nom de Souverain pontife. Dès 722, Boniface appelait le pape Vicaire de Saint-Pierre. Grégoire VII et Alexandre III se contentèrent de ce titre; Innocent III se donna celui de Vicaire de Jésus-Christ ou de Dieu. Depuis Jean XII (956), le pape élu change de nom avant d'entrer en fonctions.

Série chronologique des Papes

Anastase le Bibliothécaire et Baronius indiquent la succession des premiers papes dans l'ordre suivant : Saint Pierre, saint Lin; saint Clet, saint Clément, saint, Anaclet; et saint Evariste. Le cardinal Orsi et l'abbé Rohrbacher (Histoire universelle de l'Eglise catholique) suivent le calendrier dressé sous le pape saint Libère, vers l'an 354; où la chronologie de ces mêmes papes est ainsi indiquée :

Saint Pierre, martyrisé en 65
Saint Lin, 65-67
Saint Clément Ier, 68-76
Saint Clet; 76-83
Saint Anaclet, 84-95
Saint Evariste, 96-108. 

L'Art de vérifier les dates prétend que saint Clet est le même que saint- Anaclet, et classe ainsi les premiers papes : 

Saint Pierre, 42-66
Saint Lin, 66-78
Saint Anaclet, 78 ou 79-91
Saint Clément, 91-100
Saint Evariste, 100-109.

Liste chronologique des papes
postérieurs à saint Evariste
(avec l'indication des antipapes)

Saint Alexandre Ier 109
Saint Sixte Ier 119 
Saint Télesphore 127
Saint Hygin  139
Saint Pie Ier 142
Saint Anicet 157 
Saint Soter 168 
Saint Eleuthère 177
Saint Victor Ier 193
Saint Zéphyrin 202
Saint Calliste Ier  219
Saint Urbain Ier 223
Saint Pontien 230
Saint Antère 235
Saint Fabien 236
Saint Corneille 251
Novatien, Ier antipape 251
Saint Lucius ler 252
Saint Etienne ler 253 
Saint Sixte II 257 
Saint Denys 259
Saint Félix Ier  269
Saint Eutychien 275
Saint Caius 283
Saint Marcellin 296
Saint Marcel Ier 308
Saint Eusèbe 310
Saint Melchiade ou Miltiade 311
Saint Sylvestre I 314
Saint Marc 336
Saint Jules Ier 337
Saint Libère 352
Félix II 355
Saint Damase Ier 366
Ursin, antipape 366
Saint Sirice  384
Saint Anastase Ier 398
Saint Innocent ler  401
Saint Zosime 417
Saint Boniface ler  418
Eulalius, antipape 418
Saint Célestin ler  422
Saint Sixte III 432
Saint Léon Ier le Grand 440
Saint Hilaire 461
Saint Simplicius 468
Saint Félix III 483
Saint Gélase Ier 492
Saint Anastase Il  496
Saint Symmaque 498
Laurent, antipape 498
Hormisdas 514
Saint Jean ler 523
Félix IV 526
Boniface II 530
Jean II 533
Agapet Ier 533
Silvère 536
Vigile  537
Pélage Ier  555
Jean III 560
Benoît Ier  574
Pélage ll 578
Saint Grégoire ler le Grand 590
Sabinien 604
Boniface III 606 ou 607
Boniface IV  607 ou 608
Saint Deusdedit 614 ou 615
Boniface V  617 ou 618
Honorius Ier  625 ou 626
Séverin 640
Jean IV 640
Théodore ler 642
Saint Martin Ier 649
Saint Eugène Ier  654
Vitalien 657
Adéodat 672
Donus Ier 676
Saint Agathon 678 ou 679 
Saint Léon Il 682
Saint Benoît II 684 
Jean V 685 ou 686
Pierre et Théodore, antipapes 685
Conon 686
Sergius Ier  687 
Théodore et Pascal, antipapes 687 
Jean VI 701
Jean VII 705
Sisinnius 708
Constantin 708
Saint Grégoire Il 715
Saint Grégoire III 731
Saint Zacharie 741
Etienne Il 752 
Saint Paul Ier
Théophilacte, Constantin et Philippe, antipapes 757
Etienne III 768
Adrien ler  772
Saint Léon III 795
Etienne IV 816
Saint Pascal Ier 817
Eugène II 824
Sisinnius, antipape 824
Valentin 827
Grégoire IV  827
Sergius II 844
Saint Léon IV 847
Benoît III 855
Saint Nicolas Ier 858
Adrien Il 867
Jean VIII 872
Marin ou Martin Il 882
Adrien III 884
Etienne V 885
Anastase, antipape 885
Formose 891
Sergius, antipape 891
Boniface VI 896
Etienne VI 896
Romain 897
Théodore II 898
Jean IX 898
Benoît IV 900
Léon V 903
Christophe 903
Sergius III 904
Anastase III 911
Landon 913 ou 914
Jean X  914
Léon VI 928

Etienne VII  929
Jean XI 931
Léon VII 936
Etienne VIII 939
Marin ou Martin III 942
Agapet II  946
Jean XII 956
Léon VIII, pape intrus  963
Benoît V 964
Jean XIII 965
Benoît VI  972
Boniface VII, Francon, antipape 974
Donus II  974
Benoît VII 974 ou 975 
Jean XIV 983
Jean XV, mort avant d'être sacré 985
Jean XVI 985
Grégoire V 996
Jean Philagathe, antipape 999
Sylvestre II 999
Jean XVII 1003
Jean XVIII 1003
Sergius IV 1009
Benoît VIII 1012
Grégoire, antipape 1012
Jean XIX 1024 
Benoît IX 1033
Grégoire VI 1044
Clément II  1046
Damase II 1048
Saint Léon IX 1048
Victor II 1655
Etienne IX 1057
Benoît X, illégitimement élu 1058
Nicolas Il 1058
Alexandre II 1061 
Cadalous, Honorius II, antipape 1061
Saint Grégoire VII  1073
Guibert, Clément III, antipape 1080
Victor III 1086
Urbain Il 1088
Pascal II 1099
Albert et Théodore, antipapes 1111
Gélase II  1118
Maurice Bourdin, antipape 1118
Calliste II 1119
Honorius Il 1124
Calliste, antipape  1124
Innocent ll 1130
Pierre de Léon (Anaclet), et Victor, antipapes 1143 
Célestin II 1143
Lucius Il  1144
Eugène III  1145
Anastase IV  1153
Adrien IV  1154
Alexandre III 1159 
Victor IV, Pascal III, Calliste III, et Innocent III, antipapes 1181
Lucius III 1181
Urbain III 1185
Grégoire VIII 1187
Clément III 1187
Célestin III  1191
Innocent III 1198
Honorius III  1216
Grégoire IX  1227
Célestin IV  1241
Innocent IV  1243
Alexandre IV 1254
Urbain IV 1261
Clément IV 1265
Grégoire X  1271
Innocent V 1276
Adrien V 1276
Jean XX 1276
Nicolas III 1277
Martin IV 1281
Honorius IV 1285
Nicolas IV 1288
Saint Célestin V 1294
Boniface VIII 1294
Benoît XI 1305
Clément V 1305
Jean XXI 1316
Pierre de Corbière, antipape 1328
Benoît XII 1334
Clément VI 1342
Innocent VI 1352
Urbain V  1362
Grégoire XI 1370
Urbain VI 1378
Robert, dit Clément VII, antipape 1378 
Boniface IX 1389 
Pierre de Luna, dit Benoit XIII, antipape 1394
Innocent VII 1404
Grégoire XII 1406
Alexandre V 1409
Jean XXII 1410
Martin V  1417
Muñoz, dit Clément VIII, antipape 1424 
Eugène IV 1431
Amédée de Savoie, dit Félix V, antipape 1439
Nicolas V 1447
Calliste III 1455
Pie II 1458
Paul II  1464
Sixte IV 1471
Innocent VIII 1484
Alexandre VI 1492
Pie III 1503
Jules II 1503
Léon X 1513
Adrien VI 1522
Clément VII 1523
Paul III 1534
Jules III  1550
Marcel II 1555
Paul IV 1555
Pie IV 1559
Saint Pie V  1566
Grégoire XIII 1572
Sixte V  1585
Urbain VII 1590
Grégoire XIV 1590
Innocent IX 1591
Clément VIII 1592
Léon XI 1605
Paul V 1605
Grégoire XV 1621
Urbain VIII 1623
Innocent X 1644
Alexandre VII 1655
Clément IX 1667
Clément X1670
Innocent XI  1676
Alexandre VIII 1689
Innocent XII 1691
Clément XI 1700
Innocent XIII 1721
Benoît XIII 1724
Clément XII 1730
Benoît XIV  1740
Clément XIII 1758
Clément XIV 1769
Pie VI 1775
Pie VII 1800
Léon XII 1823
Pie VIII 1829
Grégoire XVI 1831
Pie IX 1846
Léon XIII 1878
Pie X 1903
Benoît XV 1914
Pie XI  1922
Pie XII 1939
Jean XXIII 1958
Paul VI 1963
Jean-Paul Ier 1978
Jean-Paul II 1978
Benoît XVI 2005
François 2013

L'élection des papes

Primitivement, l'élection des évêques de Rome était faite par le clergé et les fidèles de la ville, avec le concours des évêques voisins, universae fraternitatis suffragio, episcoporurn judicio, conformément à ce qui se pratiquait ordinairement ailleurs. Depuis le Ve siècle jusqu'au VIIIe, il semble qu'elle fut réservée à un corps électoral composé de tout le clergé, des magistrats (judices) comme représentant les plus hautes classes (optimates) et de la milice (schola, generalitas militiae) représentant les citoyens proprement dits; tandis que la multitude des simples habitants étaient réduits au rôle de spectateurs ou d'acclamateurs (Liber diurnus, II, 1-7). Dans un synode présidé en 769 par Etienne III, il est mentionné que l'élection du pape doit être faite par les principaux dignitaires du clergé (proceres et optimates Ecclesiae). Thomassin voit dans cette mention l'indication du collège des cardinaux; mais son hypothèse est contredite par les faits, le privilège des cardinaux n'ayant été formellement établi qu'en 1059.

L'approbation de l'empereur.
D'autre part, dès le règne de Constantin, il dut être sursis à la consécration de l'évêque de Rome, jusqu'à ce que son élection eût été approuvée par l'empereur ou par l'exarque de Ravenne. Cette disposition permettait au pouvoir civil d'intervenir dans les élections, au moins pour en examiner la valeur. Ce pouvoir, même lorsqu'il était représenté par des princes barbares et hérétiques, fut plus d'une fois invité à le faire, par les partis rivaux qui se disputaient le siège pontifical, ordinairement avec des manoeuvres et parfois avec des violences qui auraient déshonoré les comices les plus païens. Après l'élection de Grégoire II (731-741) l'on cessa de demander la sanction impériale. Les rois lombards ne paraissent pas s'être mêlés du choix des papes. Les successeurs de Charlemagne prétendirent obliger les évêques de Rome à n'exercer leur autorité qu'après avoir prêté serment de fidélité à l'empereur. 

De leur côté, les papes et le peuple, ou plutôt les factions qu'ils représentaient, s'efforcèrent d'éluder cette obligation; ils ne l'observaient guère que lorsqu'ils y étaient contraints. En 816, Etienne IV succéda à Léon III, qui avait couronné Charlemagne. Il fut élu et consacré avant que les officiers impériaux, présents à Rome, eussent eu le temps de recevoir les instructions de Louis le Débonnaire. Après l'élection d'Eugène Il (824), cet empereur envoya à Rome son fils Lothaire, qui fit jurer par les Romains de ne jamais permettre qu'un pape fût consacré avant d'avoir prêté hommage en présence des envoyés impériaux. Ce serment leur fut rappelé en 844, après l'élection de Sergius Il. Néanmoins, Léon IV fut consacré (847) sans qu'on attendit le consentement de l'empereur.

Mais la consécration de Benoît III (855) eut lieu en présence des officiers de l'empereur, et celle de Nicolas Ier (858) en présence de Louis II. En 962, Othon ler, fit reconnaître par Jean XII que l'élection des papes restait soumise à la confirmation impériale; en 963, il fit déposer Jean XII par un concile, et nommer Léon VIII pour le remplacer. Les Romains renouvelèrent alors le serment de ne jamais laisser consacrer un pape sans l'approbation de l'empereur. En 965, Jean XIII fut élu en présence des envoyés impériaux. En 999. Othon III fit donner la papauté à son précepteur Gerbert, qui prit le nom de Sylvestre II. Ce fut le moment de l'union la plus intime entre le pouvoir pontifical et le pouvoir impérial. Mais après la mort d'Othon (1002) et de Sylvestre (1003) le parti toscan se releva et parvint à rendre pendant quelque temps la papauté héréditaire dans la maison de Toscane

En 1046, le patriciat romain fut dévolu à Henri III. Le clergé, le peuple et les barons jurèrent; une fois de plus, qu'ils ne laisseraient jamais sacrer un pape sans l'aveu de leur patrice, qui, désormais, était l'empereur germanique.

De 867 à 1048, on compte quarante-quatre papes. La plupart étaient des hommes souillés de vices et ne reculant devant aucun crime. Il serait difficile de trouver dans l'histoire des dynasties séculières une pareille série de princes vicieux et criminels. En 1048, dans une diète à Worms, Henri III fit proclamer pape Brunon, évêque de Toul. Brunon, dirigé par Hildebrand (le futur Grégoire VII), se rendit à Rome comme pèlerin, fit renouveler son élection par le clergé et par le peuple, et prit le nom de Léon IX

Après sa mort (1054), Hildebrand demanda à l'empereur et obtint l'autorisation d'emmener comme pape celui qu'il désignerait au nom des Romains qui lui avaient confié ce mandat; il choisit Gebhard, évêque d'Eichstaedt, qui devint Victor III et mourut en 1057. Etienne IX, qui lui succéda, ne régna que neuf mois. Il avait envoyé Hildebrand en Allemagne, et statué que, s'il mourait pendant l'absence de son légat, le Saint-Siège resterait vacant jusqu'au retour de celui-ci. Mais après sa mort, un parti romain, hostile aux réformes, se hâta d'élire un des siens, Benoît X

En revenant d'Allemagne, Hildebrand s'arrêta à Florence, réunit quelques évêques et quelques nobles, et fit nommer pape l'archevêque de cette ville, Gérard (Nicolas II); puis rentra à Rome et le fit reconnaître par le clergé et par le peuple (1058). Profitant de la minorité de Henri IV, Nicolas II prit une mesure décisive pour soustraire les élections pontificales à l'intervention des empereurs et aux entreprises des factions romaines. Dans un concile assemblé à Rome (1059), il fit adopter un décret que nous avons relaté dans notre notice sur ce pape. 

D'après ce décret, l'oeuvre des cardinaux-évêques précède et domine celle des cardinaux-clercs. Ils sont les promoteurs de l'élection, les autres doivent les suivre. La part du reste du clergé, de la noblesse et du.peuple est réduite à un assentiment dont le refus est dépourvu de sanction. Quant à l'intervention de l'empereur, elle est limitée à une sorte de formalité honorifique, dont le privilège est conféré, non à la couronne, mais à la personne de Henri IV et éventuellement à ses successeurs auxquels le Saint-Siège accorderait personnellement (?) le même droit. Dans la prévision de troubles, toujours possibles à Rome, et de la difficulté de trouver des candidats qualifiés parmi le clergé de la ville, le décret ajoutait que l'élection pourrait se faire ailleurs, et qu'il n'était pas indispensable que l'élu fût un Romain. A la mort de Nicolas ll (1061), Hildebrand, pour prévenir les factions romaines, s'empressa de faire élire par les cardinaux Anselme de Lucques (Alexandre II). A cause de la minorité de Henri IV, on ne demanda pas la confirmation impériale. Quand Alexandre mourut (1073). Hildebrand lui-même fut élu, précipitamment sans qu'on attendit le consentement de l'empereur; mais afin d'éviter la nomination d'un antipape, il demanda la confirmation de Henri IV, avant de se faire consacrer. 

La confirmation impériale aurait trouvé fort difficilement place dans la lutte acharnée qui s'engagea entre la papauté et l'empire. En fait, après l'élection de Grégoire VII, on ne la voit plus guère demandée et reçue que par des antipapes. La différence établie par Nicolas II entre la fonction électorale des cardinaux-évêques et celle des cardinaux-clercs paraît aussi être tombée rapidement en désuétude. Elle est complètement omise dans un décret qu'Alexandre III porta en 1179 au concile de Latran, exigeant, à défaut de l'unanimité, les deux tiers des voix. on a vu précédemment que Nicolas II avait réduit la part du clergé et de la noblesse à un simple assentiment, dont le refus était dépourvu de sanction. D'autres papes leur interdirent toute espèce d'immixtion, à cause des agitations et des troubles qui en résultaient, et ils prescrivirent de les tenir rigoureusement à l'écart du lieu où l'élection se faisait.

Le conclave.
Ce qu'il était plus nécessaire encore de discipliner, c'était la conduite des cardinaux. Clément IV étant mort à Viterbe le 29 novembre1268, les cardinaux restèrent dix-sept mois sans pouvoir s'accorder sur le choix de son successeur. Ils se disposaient à se séparer sans avoir rien conclu. Saint Bonaventure, un des membres du Sacré-Collège, révéla ce dessein aux habitants de Viterbe, et les détermina à tenir les cardinaux enfermés dans le palais pontifical, jusqu'à ce qu'ils eussent consommé l'élection. Au bout d'un an entier de séquestration, les cardinaux, réduits de dix-huit à quinze, ne s'étaient pas encore entendus. On imagina d'enlever la toiture de l'édifice; et le jour même, sous des torrents de pluie, Grégoire X fut élu (1er septembre 1271).

Telle fut l'origine du Conclave, dont Grégoire imposa l'institution au concile général de Lyon (1274). Le décret qui coutient cette institution peut être ainsi résumé . 

« Après la mort du pape, les cardinaux s'assembleront dans le palais où il logeait, se contentant d'un seul serviteur. Ils logeront tous dans la même chambre, sans aucune séparation de muraille ou de rideau, ni autre issue que pour le lieu secret. Cette chambre aura néanmoins une fenêtre permettant de fournir commodément aux cardinaux la nourriture nécessaire, mais sans qu'on puisse entrer par cette fenêtra que si, ce qu'à Dieu ne plaise, trois jours après leur entrée dans le conclave, ils n'ont point encore élu de pape, les cinq jours suivants ils seront, réduits à lui seul plat, tant à diner qu'à souper. Après ces cinq jours, on ne leur donnera plus que du pain, du vin et de l'eau. Pendant le conclave, les cardinaux ne recevront rien de la Chambre apostolique, ni des autres revenus de l'Eglise romaine. Ils ne se mêleront d'aucune autre affaire que de l'élection, sinon en cas de péril ou d'autres nécessités évidentes. Ils ne feront entre eux aucune convention, ni serment; mais ils procéderont à l'élection de bonne foi, n'ayant en vue que l'utilité de l'Eglise. »
Ce règlement déplut aux cardinaux et fut l'objet d'une vive contestation. Un décret du concile général de Vienne, assemblé sous Clément V (1312) ajouta que lorsque le pape serait décédé hors de la ville de Rome, on procéderait à l'élection de son successeur, non à l'endroit même où le pape serait décédé, mais à celui du diocèse où était le siège de la justice : Ubi erat causarum audientia. Il renouvela et aggrava les injonctions adressées par le décret de Lyon aux seigneurs et magistrats de la ville où se tiendrait le conclave, pour contraindre les cardinaux à donner an plus tôt un pape à l'Eglise.

Plusieurs papes ont modifié les décrets de ces deux conciles généraux. Les principales dispositions qui réglementent encore aujourd'hui la tenue des conclaves et les formes de l'élection résultent de la bulle Aeterni Pastoris de Grégoire XV (15 novembre 1621). Elle fut étendue par une autre bulle du 15 mars 1622. Urbain VIII confirma ces deux bulles (27 janvier 1626) et en fit jurer l'observation par trente-sept cardinaux qui se trouvaient alors à Rome. 

Grégoire X et Clément V avaient ordonné que le conclave se tint toujours dans le lieu où le dernier pape serait décédé. Mais depuis longtemps l'usage a prévalu de ne le tenir qu'à Rome. Voici comment, pendant plusieurs siècles (et encore de nos jours pour l'essentiel) s'est déroulée l'élection : 

C'est dans une des galeries du Vatican, que, dix jours après la mort du pape, les cardinaux entrent dans le conclave, dont l'enceinte comprend tout le premier étage depuis la tribune des bénédictions sur le péristyle de Saint-Pierre; et depuis la salle royale et la salle ducale jusqu'à celle des parements et des Congrégations. Des ouvriers spécialisés, les Sanpietrini, y ont construit, avec des planches, autant de cellules qu'il doit y avoir de cardinaux. Chacune de ces cellules doit avoir douze pieds et demi de longueur sur dix de largeur. Cet espace est partagé en différentes petites pièces destinées au cardinal et à ses conclavistes. Toutes les issues du conclave sont condamnées, ainsi que les arcades du portique; de sorte qu'il ne reste que la porte conduisant du grand escalier à la salle royale. Cette porte sa ferme avec quatre serrures : deux en dedans, dont le cardinal Camerlingue et le Premier Maître des cérémonies ont les clefs; deux en dehors, dont les clefs restent au Maréchal du conclave. On introduit le dîner et le souper des cardinaux et toutes les choses nécessaires, par huit tours semblables à ceux des couvents. Dans la grande porte, il y a une fenêtre, par laquelle on donne audience aux ambassadeurs à travers un rideau toujours fermé. 

Un cardinal qui est sorti du conclave, même pour cause de maladie, n'y rentre plus et n'a pas le droit de concourir à l'élection. Chaque cardinal prend avec lui deux coonclavistes, ou trois, s'il est prince. Ces conclavistes portent officiellemtent le nom de domestiques, parce que légalement on ne doit souffrir auprès des cardinaux en conclave aucune personne, sinon avec cette qualification et pour leurs besoins personnels. Mais des ecclésiastiques, souvent de haute condition, acceptent cette qualification pour suivre les cardinaux à Rome et être conclavistes : ce qui leur vaut plusieurs privilèges. Si le cardinal qu'ils accompagnent meurt, les conclavistes doivent rester jusqu'à la fin de l'élection. On admet, en outre, des maîtres des cérémonies, le secrétaire du Sacré-Collège, le sacristain, le sous-sacristain, un confesseur, deux médecins, un chirurgien, un apothicaire, quatre barbiers, trente-cinq vrais domestiques, un maçon et un menuisier.

Le scrutin commence le lendemain de l'entrée des cardinaux dans le conclave, et se continue tous les jours. Il a lieu dans la chapelle de Sixte IV. Après la messe du Saint-Esprit, on remet à chaque cardinal une cédule sur laquelle il écrit, sous pli cacheté, son nom et sa devise, et sous un autre pli, soit vote, de manière à ce que le vote puisse être lu, sans que le nom le soit. Ces cédules sont déposées dans un calice placé sur l'autel. Quand le dépouillement se fait, chaque cardinal a devant lui une liste sur laquelle il peut marquer les votes, à mesure qu'ils sont annonces. Dès qu'ils ont été annoncés, ils comptent; et si un cardinal a obtenu les deux tiers des voix, il se trouve élu. Le cardinal chargé du secret de sa cour a besoin d'une constante attention et d'une extrême sagacité, pour ne pas être déconcerté par les intrigues coutumières dans les conclaves. Souvent, c'est celui auquel on pensait le moins qui finit par obtenir les deux tiers des suffrages, tandis que celui qui dans les premiers scrutins avait le plus approché du but, en est le plus éloigné dans les derniers. 

Après le scrutin du soir, si aucun des candidats n'a recueilli le nombre de suffrages nécessaire, on essaie d'y suppléer par l'accessit ou l'accès, qui est une suite et une dépendance du scrutin. Dans l'accessit, la forme des bulletins est la même que dans le scrutin, avec la seule différence, qu'on écrit : J'accède, au lieu de j'élis. La voix qu'on donne dans l'accessit doit être différente de celle qu'on a donnée dans le scrutin, sinon on donnerait deux voix à la même personne. Quand un cardinal se tient à son scrutin, il écrit sur son bulletin : A personne. Si, en ajoutant les suffrages de l'accessit à ceux du scrutin, un candidat réunit enfin les deux tiers des voix, il est déclaré élu. 

Au lieu du scrutin, on pourrait procéder à l'élection par compromission ou par acclamation. La compromission est un mandat donné unanimement par le corps électoral à un ou à quelques-uns de ses membres pour élire en son nom. L'acclamation suppose une inspiration du Saint-Esprit; mais les hommes en ont souvent fait un moyen audacieux d'intrigues et de surprises. Les cardinaux d'un même parti crient ensemble : Un tel, pape! Pour peu qu'une faction bruyante paraisse l'emporter, les autres s'empressent de se joindre à elle, de peur de se faire, par une résistance inutile, un ennemi du nouveau pape. 

Par une bulle du 6 février 1807, Pie VII a supprimé, pour le cas de perturbations politiques, les formalités ordinaires, et remplacé la garantie des deux tiers des voix par la moitié plus une. 

Régulièrement, on ne doit élire pour pape qu'un cardinal; mais l'élection d'une autre personne, même d'un laïque, ne serait pas nulle. Le pape doit être âgé au moins de trente ans. Malgré l'institution des conclaves, l'interrègne dura plus de six mois entre Jean XXI et Nicolas Ill (1277) ; vingt-sept mois entre Nicolas IV et Célestin V. Clément V mourut le 20 avril 1314, son successeur ne fut élu que le 7 août 1316. Pour l'élection de Clément XII, les cardinaux restèrent enfermés du 3 mars au 12 juillet 1730.

Quelques aménagements mineurs ont modifié ce dispositif au cours du XXe siècle. De nos jours, le conclave se tient dans la chapelle Sixtine, à laquelle, les cardinaux, venus de la chapelle Pauline, se rendent en traversant la la salle royale. Depuis le pontificat de Jean-Paul II, un hébergement est offert aux cardinaux à proximité (résidence Sainte-Marthe), mais l'isolement reste presque aussi sévère. Il est contrôlé, à l'extérieur, par le préfet de la maison pontificale et, à l'intérieur, par  le cardinal camerlingue. Réduit au minimum également le personnel présent (assistants des cardinaux, cuisiniers, médecins...). Au total, près d'une centaine d'auxilliaires, qui doivent, auparavant, avoir fait serment de garder le secret sur le déroulement du conclave.

Le premier cardinal-évêque déclare, au nom de tout le Sacré-Collège, le résultat de l'élection. Il met au pape élu son rochet, le place sur un siège paré, lui donne l'anneau du pécheur et lui fait dire de quel nom il veut être appelé. Ensuite, le premier cardinal diacre ouvre une petite fenêtre, d'où il peut être vu et entendu par le peuple qui attend, et il proclame l'élection en ces termes :

Je vous annonce une grande joie : Nous avons un pape (Habemus papam). Le révérendissime seigneur et cardinal N... est élu au souverain pontificat, et il a choisi le nom de N... 
Cela fait, on retire au nouveau pape ses vêtements, et on le revêt de tous les habits pontificaux, qui sont alors la robe blanche de laine, les sandales rouges avec la croix d'or par-dessus, la ceinture rouge avec les agrafes d'or et le rochet blanc. On y joint l'amlet, une aube longue avec sa ceinture et l'étole ornée de perles. Après que le pape a signé quelques suppliques, on le revêt du pluvial rouge et de la mitre très précieuse; puis, on le fait asseoir sur l'autel, on tous les cardinaux, selon leur rang, viennent lui baiser les pieds, les mains et la bouche. Du conclave, il est porté dans l'église de Saint-Pierre, accompagné des chanoines et des chantres de cette église, chantant : Ecce Sacerdos magnus. Il se place sur la chaire pontificale, où, en présence de tout le peuple, les cardinaux, les évêques et d'autres personnages éminents viennent lui rendre les hommages Ordinaires.

Après cette cérémonie, qui consomme l'élection, viennent l'ordination du pape, s'il n'est pas dans les ordres, et la consécration, s'il n'est pas évêque. 

Le couronnement.
S'il est évêque, il ne reste plus qu'à procéder au couronnement, acte indépendant de l'élection, qui regarde le pape plutôt comme prince temporel que comme souverain pontife. Cette cérémonie a été fortement simplifiée au cours du XXe siècle, et depuis la suppression de la tiare pontificale par Paul VI, ne se réduit d'ailleurs plus qu'à une simple messe, dite d'installation, qui suit imédiatement la réception par le nouveau pape du pallium et de l'anneau de pêcheur, symboles de l'autorité pontificale. Il en était tout autrement avant la disparition des Etats pontificaux en 1870. Voici comment la décrivent les anciens documents : 

Le couronnement suit immédiatement l'intronisation précédemment mentionnée. La messe finie, le pape, revêtu de tous ses ornements pontificaux, se rend sur les degrés extérieurs de la basilique de Saint-Pierre, où on a préparé un siège noblement décoré. Il s'assied : un cardinal-diacre, placé à gauche, lui ôte la mitre; un cardinal-diacre, placé à droite, lui met la tiare, que les Romains appellent Règne (regnum). Le diacre de droite publie en latin les indulgences plénières; le diacre de gauche les répète en langue vernaculaire. Puis on se dispose (ou disposait) pour la procession qui doit aller au palais de Latran. Cette procession se se faisait avec une extrême magnificence, à cheval, par tous les cardinaux, tous les prélats, tous les officiers du pape et généralement par tous les seigneurs et gentilshommes qui se trouvent à Rome. Le premier d'entre les seigneurs marche au cité droit, tenant les rênes du cheval blanc sur lequel le pape est monté. Un autre seigneur marche au côté gauche. Lorsqu'on arrive à Saint-Jean de Latran, les chanoines sortent et portent le pape sur leurs épaules dans leur église. Ils le placent sur un siège de marbre fort bas, de sorte qu'il semble assis parterre. Les cardinaux le relèvent, en récitant ce verset : 
Suscitat de pulvere egenum et de stercore pauperem, ut sedeat cum principibus et solium gloriae teneat. 
Alors le pape jette au peuple de la monnaie, dans laquelle il n'y a ni or ni argent, en prononçant, au milieu de tant d'opulences, ces paroles de saint Pierre : Je n'ai ni or, ni argent; mais ce que j'ai je te le donne. (E.H. Vollet).
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Dictionnaire biographique
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