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La Cabale

La Cabale, Cabbale ou Kabbale est le mysticisme et le gnosticisme des Juifs, dans lequel on trouve : 
1° une théologie mystique dont le fond était le dogme de l'émanation divine et une explication allégorique des Écritures

2° une théurgie par laquelle on prétendait soumettre à la volonté humaine les puissances surnaturelles en prononçant certains mots, et opérer avec leur secours toutes sortes de miracles.

La Cabala (Cabbala = tradition) est en quelque sorte l'antithèse de la philosophie rationaliste: autant celle-ci tend à diminuer la part du surnaturel, autant celle-là tend à l'exagérer, à en scruter les profondeurs et à l'introduire partout, même dans la pratique journalière. Les origines lointaines de cette théosophie mystique se relient en philosophie aux spéculations de l'école d'Alexandrie; dans la Bible elle a pour points d'attache le tableau de la création et la vision d'Ezéchiel (Merkaba). Le Livre de la création (Sefer Yézira) existait déjà au temps de Saadia; on connut aussi de bonne heure la Cabbale notarique, fondée sur la manipulation des caractères hébraïques et l'équivalence de mots ayant la même valeur numérique (gematria). (Séphiroth).

La nouvelle Cabale prend naissance au XIIIe siècle dans le midi de la France (autour d'Abraham de Posquières) par réaction contre les tendances ultra-rationalistes; de là elle gagne l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne, etc. Son bréviaire est le Zohar, ouvrage faussement attribué à un ancien tana (Siméon ben Yokhaï), et qui fut lancé dans le public rabbinique par le charlatan Moïse de Léon.

Au XVIe siècle, les études cabalistiques ont leur siège principal en Palestine (école de Safed) où Isaac Louria, Moïse Cordovero, Hayim Vital dépassent les divagations du Zohar.

Au XVIIe, la Porte du ciel de Alonso de Herrera (mort en 1639) vulgarise « les sottises de ces charlatans » suivant l'expression de Spinoza, et le mouvement messianique de Sabbataï Zevi est imprégné d'idées cabalistiques. Au XVIIe siècle, l'hérésiarque Frank, en Pologne, veut substituer le Zohar au Talmud comme code du judaïsme (vers 1756). Un synode de rabbins polonais dut interdire l'étude des livres cabalistiques avant l'âge de trente ans. 

Dès la Renaissance, le goût de la Cabale s'est aussi répandu non seulement parmi les plus doctes rabbins, mais parmi les savants chrétiens (Pic de Ia Mirandole, Reuchlin). Une cabale "moderne", aussi dite grande cabale, s'est constituée, mais avec des rapports de plus en plus lointains avec le thèmes de la cabale juive. Une technique divinatoire, la numérologie est issue de l'association de ces spéculations à certaines conceptions pythagoriciennes. On range aussi parmi les pratiques cabalistiques l'art des Orientaux de commercer avec les génies, qu'on évoque par des mots barbares. Au reste, toutes les cabales sont différentes pour les détails. (A19).

La cabale juive.
Le nom de la cabale n'est peut-être pas antérieur au Xe siècle; il signifie, en hébreu, « tradition »; en l'adoptant, les cabalistes juifs ont voulu dire que la cabale était une science ancienne, transmise oralement, et expliquer par là comment, malgré la haute antiquité qu'ils lui attribuent, elle ne peut prouver son authenticité par aucun monument écrit. Les adeptes de la cabale et la superstition populaire ont fait de cette science, plus ou moins mystérieuse et secrète, une science divine, merveilleuse, par laquelle on opère des miracles, et qu'on fait remonter, par les artifices connus de la pseudépigraphie, à Abraham, à Moïse, aux docteurs les plus célèbres du Talmud (Ier et IIe siècles de l'ère chrétienne). En réalité, la vraie cabale est un système de philosophie et de métaphysique mystique, que les adeptes distinguent soigneusement, sous le nom de cabale théorique, de la thaumaturgie grossière des cabalistes de bas étage, c.-à-d. de ce qu'on appelle la cabale pratique. 

Les gnosticismes païen et chrétien ont aussi produit ces superstitions, qui sont le fruit naturel et la plaie de toute philosophie mystique. La vraie cabale ne date, en réalité, comme nous le verrons plus loin, que du XIIe ou du XIIIe siècle, mais ses origines sont très anciennes. Il n'y a, en réalité, qu'une chose dans la cabale comme dans la gnose, c'est le problème de la création du monde imparfait, limité et fini, par une puissance parfaite et infinie. C'est aussi le problème qui a si vivement préoccupé l'école néo-platonicienne d'Alexandrie, et entre autres le philosophe juif Philon. Toutes les écoles et toutes les doctrines mystiques ont cru résoudre la difficulté en plaçant entre le Dieu infini et le monde fini une série plus ou moins longue d'êtres ou de créations intermédiaires à travers lesquels la puissance divine descend, échelon par échelon, jusqu'au monde créé, en perdant, à chaque degré et à mesure qu'elle s'éloigne de sa source, quelque chose de sa nature spirituelle, pour devenir de plus en plus imparfaite, grossière et matérielle. Ces intermédiaires portent des noms divers : Anges, Eons, Puissances, Perfections, Sphères, etc. Ils sont tantôt une émanation naturelle, tantôt une création libre de Dieu, tantôt une simple hypostase des attributs de Dieu, tantôt enfin, comme dans le démiurge des gnostiques, indépendants de Dieu et éternels comme lui. De pareils systèmes ouvrent une large carrière à la fantaisie; ils surexcitent l'imagination, qui s'échauffe dans la contemplation du monde surnaturel.

Les descriptions imagées de Dieu, du ciel, des régions supra-terrestres, des manoeuvres qu'accomplissent les légions célestes, ont naturellement leur place dans toute philosophie gnostique. Le gnosticisme juif a trouvé déjà dans l'Ancien Testament et le fond de sa théorie métaphysique et les couleurs dont il l'a habillé. Tout le monde sait quelle importance joue la Sagesse dans divers livres de la Bible, dans les Proverbes, le Livre de Job, dans la Sagesse de Jésus, fils de Sirach, dans la Sagesse de Salomon. Sans qu'on puisse la considérer absolument comme indépendante de Dieu, elle est cependant une sorte de personne ou d'hypostase dont la situation n'est pas bien définie, mais dont le rôle est considérable et qui est au moins l'auxiliaire, plus ou moins indépendant, de Dieu dans l'organisation et le gouvernement du monde. D'autre part, les anges de l'Ancien Testament, les chérubins du récit de la création ou ceux de l'arche d'alliance, la vision d'Isaïe (chap.VI), le char céleste d'Ezéchiel (ch. I et X) avec ses quatre figures grandioses, fournissent déjà le personnel d'une cour céleste. La peinture est complétée par Daniel (au temps de Judas Maccabée), chez lequel Dieu est déjà, comme chez les cabalistes, l'Ancien des jours, où l'on trouve des anges qui président aux destinées des nations, les anges Gabriel et Michael avec des fonctions déterminées, le fleuve de feu d'où sortent les anges, le vêtement de Dieu, blanc comme neige, ses cheveux comme de la laine blanche, le trône de Dieu avec ses roues flamboyantes, le livre secret scellé du sceau, tout un matériel pour une mise en scène du mysticisme.

La cabale ne s'y est pas trompée, elle a reconnu son ancêtre dans Daniel, et le plus célèbre livre cabalistique, le Zohar (éclat, splendeur), emprunte son nom à un verset de Daniel (ch. XII, v. 3). Des traits analogues auraient pu être empruntés au prophète Zacharie, qui est encore des premiers temps du second temple. En général, toute la littérature apocalyptique, dont Daniel est le modèle, et la littérature messianique sont plus ou moins mystiques et apparentées avec la cabale; il serait fastidieux de poursuivre la comparaison à travers tous ces ouvrages qui commencent par le livre d'Hénoch (contemporain de Jean Hyrcan), dans le livre des Jubilés et le IV livre d'Ezra (qui sont du Ier siècle de l'ère chrétienne) et tant d'autres, et, en général, dans la littérature primitive du christianisme. L'Apocalypse de saint Jean, en l'an 68 de l'ère chrétienne, emploie déjà un des procédés chers à la cabale, l'explication symbolique des mots au moyen de la guématria. Son chiffre 666 est l'Antéchrist représenté par Néron, parce que la valeur numérique des lettres des mots « Néron Caesar », écrits en hébreu, est 666. Il semble bien, en réalité, que le procédé appelé temura et consistant à permuter certaines lettres de l'alphabet suivant une clé (ordinairement la première lettre permute avec la dernière, la seconde avec l'avant-dernière, etc.) soit déjà employé par Jérémie (Munk, Palestine, pp. 520-21); c'est une simple cryptographie, mais dont la cabale symbolique a fait un grand usage, comme aussi des notaricon (jeu d'acrostiches ou autres analogues) dont il est difficile d'indiquer l'âge, mais qui il se trouve déjà dans le Talmud (p. ex. Hagiga, f. 77b ) et dans le Llivre de la Création dont nous parlerons plus loin. Ce sont, du reste, des parties accessoires de la cabale.

Une des preuves les plus frappantes de l'influence qu'exerçaient sur les juifs de Palestine, vers la fin du second temple, les doctrines secrètes et les idées mystiques, est fournie par cette secte singulière des Esséniens. Toute leur vie et leur doctrine avaient une tournure mystique, et on nous informe spécialement que chaque Essénien devait retenir avec soin les noms des anges, parce qu'ils attachaient de l'importance à l'angélologie symbolique. Mais c'est surtout chez les Juifs d'Alexandrie que se rencontrent les théories qui sont le germe du mysticisme cabalistique. Les habitudes philosophiques qu'ils avaient contractées dans le commerce des Grecs, le désir qu'ils avaient de concilier la philosophie grecque et la Bible, qu'ils admiraient également, les amenèrent à corriger tous les anthbropomorphismes de l'Ancien Testament, en remplaçant Dieu, chaque fois qu'il paraît sous des traits matériels ou qu'il accomplit un acte matériel, par une sorte de divinité secondaire qui émane de lui, qui est sa « Gloire » ou sa « Parole », et qui, sous l'influence de Platon et des stoïciens, devient, chez Philon, le fameux Logos ou Verbe. 

La traduction grecque des Septante applique consciencieusement ces idées, et elles triomphent dans la traduction chaldéenne, qui est cependant plus jeune et rédigée en Babylonie, où Dieu est également remplacé souvent par la mêmra (Parole). Chez les rabbins palestiniens, ces idées paraissent avoir eu moins de succès d'abord. Il est probable que la destruction du temple de Jérusalem (an 70 après l'ère chrétienne), en exaltant leurs sentiments patriotiques, les éloigna pour longtemps de toute doctrine qui pouvait paraître étrangère ou opposée à la Bible. Malgré les assertions contraires du Talmud, nous refusons de croire que Iohanan ben Zaccaï ou ses contemporains se soient livrés à des doctrines mystiques ou secrètes (il faut lire, sur tout ce qui va suivre, le second chapitre de Hagiga); ils avaient bien autre chose à faire, mais ce qui est certain, c'est qu'au IIe siècle, du temps d'Akiba (vers 130), le gnosticisme commençait à faire des ravages parmi les Juifs de Palestine. 

Les principaux sujets de la spéculation mystique du temps s'appellent oeuvre du char (maassé mercaba), par allusion au char d'Ezéchiel, et oeuvre de la création (maassé beréschit). L'oeuvre du char, qui est aussi le Grand-Oeuvre (dabar gadol), comprend les êtres du monde supra-naturel, Dieu, les Puissances, les idées premières, « la famille céleste », comme on l'appelle quelquefois; l'oeuvre de la création comprend la génération et la nature du monde terrestre. A l'étude de cette dernière question, il faut rattacher la question de la préexistence ou éternité de la matière première. Elle préoccupait beaucoup les esprits, parce que l'existence d'une matière première est la négation du dogme de la création ex nihilo, qui ressort ou semble ressortir si clairement du récit de la création du monde dans la Genèse, et auquel le judaïsme a toujours été profondément attaché. Enfin, les idées messianiques, auxquelles la situation politique des Juifs donnait une nouvelle faveur, semblent avoir été un dernier sujet de méditations et de rêves. 

Cette science mystérieuse des causes et des origines était renfermée dans le « Paradis » sacré, et il n'y a pas de doute que beaucoup de doctrines étrangères et contraires au judaïsme, venues des Grecs, des gnostiques païens et chrétiens, avaient pénétré dans le jardin enchanté. Aussi n'était-il pas sans danger d'y entrer. Quatre docteurs y sont entrés, dit une relation : Ben Azzaï, Ben Zoma, Elisa ben Abuia et Akiba; Ben Azzaï regarda et en mourut; Ben Zoma regarda et devint fou; Elisa ben Abuia fit des ravages dans les plantations (tourna mal), Akiba seul entra en paix et sortit en paix. Ben Azaï, nous le savons, admettait l'existence, à côté de Dieu, d'une espèce de vicaire ou de Logos très connu dans la cabale sous le nom de Métatron (mot qui signifie probablement : qui est après le trône de Dieu), mais qui est encore une créature subordonnée à Dieu, Ben Azaï niait la création ex nihilo, Dieu était pour lui le formateur, non le créateur du monde, et probablement il croyait que la matière première dont le monde est fait était l'eau, comme l'ont cru beaucoup d'autres docteurs, et comme on le trouve aussi dans la deuxième épître de Pierre, III, 5. Elisa s'écria : « Il y a deux Puissances là-haut » et renia le judaïsme. Cette « eau » vient de l'eau sur laquelle plane, dans le récit de la Genèse, l'esprit de Dieu. Ce même récit a suggéré plus tard à d'autres docteurs juifs, moins hérétiques cependant qu'Elisa, l'idée des diverses autres matières premières, le souffle ou esprit, tohu et bohu et les ténèbres, la lumière. Akiba lui-même place, à côté du trône de Dieu, le trône du Messie comme celui d'une seconde puissance, et l'esprit de Dieu qui plane sur les eaux devient, pour un docteur postérieur, l'esprit du Messie.

Il est évident qu'il y avait, dans ces doctrines, un danger pour le monothéisme juif. Leur éclosion, au IIe siècle, du temps d'Akiba, coïncide avec la naissance des systèmes gnostiques des païens et des chrétiens de Syrie. Saturnin et Basilide sont de cette époque, ce sont eux qui ont perdu Elisa ben Abuia. Il n'est pas étonnant que les théories juives de Palestine aient pris des précautions contre des doctrines aussi équivoques. Sans oser condamner absolument les spéculations mystiques, qui exerçaient sur tous une espèce de fascination, ils défendirent de les enseigner en public on de les enseigner à des personnes dont le caractère n'inspirait pas pleine confiance, et ces recommandations, qui datent déjà du IIe siècle, en Palestine, se répètent encore plus tard, sans grand succès, à ce qu'il semble. 

L'attrait que la gnose exerce sur les juifs est trop fort, les docteurs les plus célèbres y cèdent plus ou moins. L'un (R. Méir, milieu du IIe siècle) explique allégoriquement des passages de la Bible; l'autre (R. José, même époque) donne si loin dans le docétisme que la révélation de la Loi sur le Sinaï n'est pour lui qu'une image ou apparence; un autre, au commencement du IIIe siècle, croit sans doute se faire pardonner les témérités du gnosticisme en déclarant que le vrai instrument et auxiliaire de Dieu, dans l'œuvre de la création, ce fut la Loi (la loi du Pentateuque); pour un autre, c'est la parole de Dieu, c.-à-d. le Verbe ou Logos philonien. 

Lorsque, aux IIIe et IVe siècles, les écoles juives de Palestine tombèrent en décadence et que le judaïsme babylonien, au contraire, fonda des écoles nombreuses et prospères, les juifs de cette région, qui est le pays traditionnel et classique de la magie, se livrèrent sans contrainte aux spéculations mystiques, mais en s'efforçant, comme l'avaient fait aussi tous les docteurs de Palestine, de les accorder avec l'esprit du judaïsme. Ceux mêmes qui les proscrivent s'y livrent sans le savoir. Rab (IIIe siècle, en Babylonie) soutient, d'un côté, que Dieu créa le premier jour toutes ces choses qui, chez les gnostiques juifs, passaient tour à tour pour matière première et éternelle (ciel, terre, lumière, ténèbres, vent, eau, jour, nuit) et, d'autre côté, il énonce lui-même une pensée qui rappelle les idées des gnostiques les plus déterminés : 

« Avec dix choses Dieu créa le monde, avec sagesse, intelligence, connaissance, force, énergie, puissance, justice, droit, grâce et miséricorde. » 
Cela sent déjà la cabale du Moyen âge.

Le IVe et le Ve siècle, paraissent avoir été, pour la gnose juive, une époque de déclin et de dépérissement. Les écoles de Palestine étaient atteintes de langueur, et, en Babylonie, on était trop loin de la philosophie grecque, source directe ou indirecte du gnosticisme juif. Les juifs de Babylonie abandonnèrent peu à peu ces hautes spéculations, mêlées de grandeur et d'extravagances, pour la magie vulgaire des peuples de ces régions, enchantements, incantations, formules de conjuration, croyances aux mauvais esprits et autres superstitions de tout genre. Cet affaissement de l'esprit philosophique, qui fut en partie, ici comme en Palestine, la suite de l'oppression politique, dura probablement jusqu'à la conquête des Arabes (milieu du VIIe siècle). Sous leur gouvernement, les Juifs se relevèrent : c'est probablement à leur politique moins malveillante et à l'influence de leurs écoles de philosophie et de théologie qu'est due la renaissance de la littérature mystique, messianique et philosophique, chez les juifs de cette époque. Ils durent plus ou moins prendre parti et position entre l'école rationaliste et philosophique des Motazabs (dont les origines remontent au VIIIe siècle) et les muschabbiha et autres écoles semblables qui, par opposition aux rationalistes, considéraient Dieu et le monde supra-naturel sous les formes du plus grossier anthropomorphisme. 

La naissance de la secte juive des Caraïtes, au milieu du VIIIe siècle, contribua évidemment aussi à stimuler l'activité des écoles juives, les Caraïtes étaient portés vers la philosophie rationaliste des Motazales, d'autres sectes plus ou moins juives ( Graetz, V, 2e éd., p. 202 et note 18 à la fin du vol.) penchaient également de ce côté, et le gros des écoles juives se rejetait naturellement de l'autre côté, dans le camp des anthropomorphistes ou des mystiques. La discipline intellectuelle à laquelle les juifs s'étaient habitués depuis plusieurs siècles, par l'étude du Talmud et du Midrasch, jointe à la fièvre de production due à l'influence et à l'exemple des Arabes, suffirait d'ailleurs à expliquer les origines et la nature de la nouvelle littérature mystique qui se produit chez les juifs et se continue, avec une étonnante activité, jusqu'au XIIe siècle. 

On possède une foule de petits traités, des plus intéressants, dont il est le plus souvent fort difficile de déterminer la date ou l'origine géographique mais qui sont nés la plupart entre les VIIIe ou IXe siècles jusqu'au XIIe siècle. Il est certain que quelques-uns d'entre eux existaient déjà au commencement du IXe siècle, entre autres le Schiur Koma (mesure de la Stature de Dieu), originaire de Babylonie, et où sont décrits, avec une minutie et une précision ridicules, la mesure et la forme du corps de Dieu, son front, ses yeux, son nez, sa bouche, ses cheveux, sa barbe et ainsi de suite. Cet ouvrage fut vite connu des juifs d'Europe et déjà signalé par Agobard, évêque de Lyon (814-840). Il n'est pas impossible que les Tentes (hékhalot) et l'Alphabet d'Akiba soient également de cette époque, au moins dans leur forme primitive. Le premier de ces ouvrages décrit les tentes et habitations du ciel et des légions célestes; le second contient, dans une explication symbolique des lettres de l'alphabet, des sentences morales, des idées sur Dieu, les noms de Dieu, les anges, l'homme, la rémunération, la résurrection et autres sujets de ce genre.

On voit surgir plus tard des apocalypses d'Hénoch, de Noé, de Moïse, de Simon ben lohaï, des voyages de Iosua ben Lévi au jardin de l'Eden et à la Géhenne, une foule de petits ouvrages messianiques, souvent avec calcul de la date du Messie. Saadia (892-942) parle déjà de la croyance à la métempsycose, répandue parmi les juifs d'Orient. L'ouvrage si remarquable des Pirké de R. Eliézer (chapitres de Rabbi Eliézer), où se trouve, à côté d'un système d'astronomie plus ou moins mystique, une angélologie et une démonologie très développées et le mythe de la chute des anges, parait être du VIIIe ou du IXe siècle et né en Palestine ou on Syrie. Nous parlerons tout à l'heure du Livre de la Création, qui est plus ancien, sans doute, et qui mérite d'être examiné à part. Le caractère de toute cette littérature, sauf le Livre de la Création, est d'être principalement mythique et descriptive, faite surtout pour les yeux et l'imagination; c'est une espèce de griserie contemplative, sans système, sans arrière-pensée philosophique et scientifique. Le Métatron ou Démiurge y apparaît souvent, il est vrai, mais on dirait que c'est plutôt par jeu et amusement que pour répondre à quelque haute théorie philosophique. On est déjà loin de la gnose, et encore tout aussi loin de la future cabbale.

Le livre le plus remarquable de cette époque est, sans contredit, le Livre de la Création (en hébreux, Sefer Iecira); c'est aussi le plus célèbre. Déjà au Xe siècle il est commenté, en Orient par Saadia, et en Occident, par Sabbataï Domnulo, d'Oria, en Italie. Il est postérieur au Talmud (qui fut achevé en 499), mais on est tenté de le placer au VIe ou au VIIe siècle. Saadia, évidemment, le considère comme un livre ancien; l'auteur ne connaît probablement pas encore les signes des voyelles et les accents toniques, sans cela il les aurait expliqués comme il explique les lettres de l'alphabet. L'ouvrage contient véritablement une philosophie ou une gnose : c'est par là qu'il se distingue de toute la littérature mystique des juifs de cette époque, et c'est pour cette raison que nous pensons qu'il a été écrit en Palestine ou en Syrie, dans le voisinage et sous l'influence directe de la gnose chrétienne et païenne.

La doctrine métaphysique de ce livre peut s'exposer en quelques mots. Dieu a créé le monde, non pas directement, mais par le moyen et l'intermédiaire de dix Puissances ou Verbes appelées Sefirot (ou Sephiroth) et des 22 lettres de l'alphabet hébreu, ce qui fait ensemble 32 instruments ou, comme dit le texte, 32 voies merveilleuses de la Sagesse. Les sefirot sont infinies (c'est déjà l'En-sof ou infini de la future cabale) : les quatre premières représentent respectivement l'éternité passée, l'éternité future, le principe du bien et celui du mal; les six autres, les six directions de l'espace (haut et bas, droite et gauche, avant et arrière). Les sefirot sont nées l'une de l'autre, par une sorte d'évolution : la première est Souffle (Esprit, Verbe, probablement); la seconde est le souffle venu du souffle précédent (c.-à-d. l'élément air) ou les 22 lettres de l'alphabet (le Verbe en acte, probablement, opposé au Verbe immatériel ou Logos); la troisième est l'eau représentant la matière du monde terrestre; la quatrième est le feu, matière du monde céleste; les six autres sont les six directions de l'espace, représentées chacune par une des six combinaisons des trois lettres I V H, qui sont la racine du nom de Dieu. Les sefitrot 2, 3, 4, font une espèce de triade au-dessus de laquelle est placée la première sefira, source de l'univers. Toutes ces sefirot, du reste, se fondent et se réunissent en Dieu, et c'est Dieu qui les a créées, de sorte que les grands principes du monothéisme et de la création du monde par Dieu sont préservés et intacts. Il n'y a point de démiurge, espèce de second Dieu à côté de Dieu; il n'y a pas non plus de matière première éternelle, le monde a été tiré par Dieu du néant, Dieu a fait « quelque chose de rien ».

A cette théorie est mêlée une symbolique des 22 lettres de l'alphabet hébreu; l'auteur attache aux lettres ou signes de la pensée une importance considérable, comme le font les mystiques juifs en général, et comme l'a fait plus tard la cabbale sur une grande échelle. Les 22 lettres sont divisées en trois classes : une triade importante, d'abord; puis les 7 lettres b g d k f t r, qui ont une prononciation double (aspirée et dure); enfin, les 12 autres lettres. La triade des trois lettres est le symbole de la triade des sefirot signalée plus haut et qui, renfermant les trois éléments, représente l'univers matériel, le monde : cette triade représente aussi les trois températures de l'année (chaud, froid, tempéré), et les trois parties de l'homme (tête, ventre, poitrine; c.-à-d. intelligence, âme physique et âme sensible). Une espèce de trinité est, du reste, établie dans le monde, composée de deux termes contraires (feu et eau, chaud et froid, tête et ventre) et d'un terme conciliateur (respectivement air, tempéré, coeur). Cette trinité forme comme une balance, où chacun des deux plateaux cherche à l'emporter, mais où la langue (le Verbe, Dieu) vient rétablir l'équilibre. L'univers lui-même est une trinité composée du monde, de l'année, de l'homme, lesquels sont gouvernés respectivement par le Dragon, le zodiaque et le coeur. 

A côté de ce principe trinaire, les 7 lettres à prononciation double représentent le principe dualistique qui est dans le monde, et qui forme, comme on l'a vu, un des éléments de la triade. Tout est opposition dans le monde, la vie et la mort, le bien et le mal, la sagesse et la folie, la richesse et la pauvreté, la beauté et la laideur, l'abondance et la disette, la domination et la servitude. A quoi il faut ajouter les deux sexes, dont la mention reparaît souvent dans le Livre et qu'il faut, sans doute, comme dans la cabale, déjà placer en Dieu ou au moins dans les sefirot. Nos 7 lettres représentent, en outre, les sept planètes, les sept jours de la semaine, les sept portes de l'âme (yeux, oreilles, narines, bouche), les sept cieux et les sept climats terrestres (de l'astronomie et de la géographie arabes et juives). Les 12 autres lettres, de leur côté représentent les 12 frontières de l'espace (les 12 arêtes du cube), les 12 signes du zodiaque, les 12 instruments de l'âme (mains, pieds, reins et autres viscères). Le nombre des combinaisons des lettres entre elles est si grand qu'il effraie l'imagination, elles sont par conséquent la source des innombrables phénomènes de ce monde. Elles se résolvent toutes néanmoins dans l'Unité, rien n'est indépendant dans le système, tout y vient de Dieu, comme créateur suprême et unique.

Il serait évidemment exagéré de ne voir dans le Livre de la Création qu'un simple symbolisme des 10 nombres de 1 à 10 et des 22 lettres de l'alphabet. Il est possible que le mot sefirot signifie Nombres ou Sphères célestes, mais il est certain que les sefirot représentent les Logoi ou Puissances de la philosophie néo-platonicienne et du gnosticisme. Le Livre de la Création n'est pas une simple homélie, mais un système de philosophie. Il a eu la plus grande influence sur la cabale postérieure, où on retrouve les 10 sefirot, les triades, la balance des principes contraires, le dualisme et les sexes en Dieu (se rappeler les syzygies du système de Valentinien). Ce qui est vrai, c'est que ce gnosticisme du Livre de la Création est très innocent, il ne compromet aucun dogme religieux ou philosophique et il se garde suffisamment de toutes les extravagances.

Ce mysticisme primitif des juifs, mythique, symbolique, anthropomorphique et plus ou moins philosophique, mêlé aussi, en Babylonie, aux pratiques magiques, occupa et préoccupa les hommes qui furent, aux Xe et XIe siècles, à la tête du Judaïsme babylonien (Saadia, Seherira, Haïa), qui le combattirent ou l'acceptèrent en partie. Il avait déjà pénétré en Europe au IXe siècle, on le trouve au nord et au sud de l'Italie (Oria, Apulie, et Lucques, à ce qu'il semble); c'est de Lucques qu'il aura pénétré dans le Nord de la France (avec Juda de Corbeil) et de là en Allemagne (par Eléazar de Worms, commencement du XIIIe siècle, élève de Juda de Corbeil), à moins qu'il ne soit venu en Allemagne par un transfuge de Babylonie (Abu Harun, de qui procéderaient Eléazar de Spire, Juda le Pieux, descendant d'Eléazar de Spire, vers 1200; Eléazar de Worms, élève de Juda le Pieux). En Espagne, au commencement du XIe, siècle, le célèbre philosophe et poète Salomon ibn Gabirol est très fortement imprégné des doctrines mystiques. Il paraît avoir été plus ou moins directement en relations avec la famille de Haïa, de Babylonie, dans laquelle le mysticisme était cultivé avec prédilection.

En Allemagne, le siège du mysticisme juif était alors sur les bords du Rhin, dans ces régions qui se distinguent encore aujourd'hui, même dans le christianisme, par une foi ardente et naïve. Les mystiques juifs de Spire et de Worms se traînent dans l'ornière du mysticisme babylonien, en y joignant une dévotion outrée et une foule de superstitions grossières, empruntées ou imitées en grande partie des chrétiens. En Espagne, le mysticisme juif reste tout spéculatif, et s'inspire du néoplatonisme ou s'y accommode. Ce n'est pas encore, ni d'un côté ni de l'autre, la nouvelle et vraie cabale. Celle-ci naît à la fin du XIIe siècle et tout le monde s'accorde à placer son berceau dans le Sud-Est de la France. Le Père de la cabale, de l'aveu unanime des cabalistes, est Isaac l'Aveugle, fils d'Abraham ben David, de Posquières (mort en 1198), et de là elle passa probablement en Espagne, où elle fut cultivée d'abord par Ezra, Azriel et Moïse ben Nahman, à Girone et à Barcelone. La cabale paraît devoir son origine à une réaction violente contre la théologie philosophique de Maïmonide (1135-1204) et les, abus que cette philosophie engendra chez les juifs de Provence. Déjà le père d'Isaac l'Aveugle avait été un adversaire déterminé de Maïmonide et plus, ou moins imprégné de doctrines cabalistiques, mais on ne comprendrait gu'imparfaitement l'histoire et le sens de la cabale, si ou ne lui attribuait que cette direction unique.

Les faits qui la produisirent furent, en réalité, plus compliqués. Il y avait alors, dans le Nord de la France, à côté de l'école si sensée des talmudistes purs, un grand nombre, de rabbins adonnés à un mysticisme tout particulier, qui consistait principalement à prendre an sérieux tous les anthropomorphismes et toutes les légendes de la littérature talmudique, rabbinique, homélitique. Ces braves gens croyaient à la lettre que Dieu mettait des phylactères, étudiait le Talmud, discutait dans le ciel avec Moïse et les anges, tenait en réserve le Léviatan pour la table du Paradis, et mille autres folies de ce genre, qui n'avaient peut-être été, à l'époque de leur invention, que de simples jeux d'imagination. Les témoignages qu'on a du milieu et surtout de la fin du XIIIe siècle ne laissent aucun doute sur l'épaisse superstition de ces talmudistes. C'était tout le contraire de ce qui se produisait dans le Midi, sous l'influence de Maïmonide, de la philosophie arabe, et aussi, en une mesure assez grande, de la théologie chrétienne. Ici, on tombait dans l'excès opposé. 

Une typologie, effréné, empruntée en partie à la typologie chrétienne, qui l'avait empruntée à son tour, par l'intermédiaire des Pères de l'Eglise, aux néo-platoniciens et même à Philon, avait transformé toute la Bible en allégories et s'était jetée à corps perdu dans le docétisme. D'Abrabam et de Sara on avait fait la matière et la forme; de Loth et de sa femme, l'intelligence et la matière; des quatre femmes des Patriarches, les quatre éléments; des douze fils de Jacob, les douze signes du Zodiaque, et ainsi de suite. C'est contre ces deux écoles, celles du mysticisme anthropomorphique da Nord et celle de l'allégorie en honneur dans le Sud, que se dressa la cabale. Ce n'est pas tout, la cabale visait également les talmudistes purs, qui tenaient en somme le gouvernement du judaïsme en France, en Allemagne et en Espagne. Dans le Nord de la France, le Talmud pouvait à la rigueur suffire aux besoins intellectuels des juifs, mais dans le Midi et en Espagne, ou la philosophie arabe avait fait invasion et régnait en maîtresse, le talmudisme pur, sans doctrine philosophique, sans perspective, paraissait plat et fade. La cabale vint, pour combattre et pour concilier, dans une synthèse supérieure, toutes ces tendances du judaïsme. Elle complétait le talmudisée par une philosophie, corrigeait la philosophie par sa théosophie, le mysticisme anthropomorphique, par son mysticisme philosophique. Elle était à la fois l'adversaire et la conciliatrice de toutes les écoles.

La nouvelle cabale retourna à l'ancien gnosticisme et au néo-platonicisme. Elle remit en honneur les sefirot du Livre de la Création. Les deux ouvrages les plus anciens de la cabbale moderne sont un commentaire des dix sefirot attribué à Azriel et un autre ouvrage appelé le Livre de l'Éclat (Bahir), attribué à un ancien rabbin, Nehunia ben Haccana, et où les sefirot jouent également un grand rôle. Une foule d'ouvrages pseudépigrapbiques, attribués à Moïse, à Elie, à Simon ben lohaï ou autres docteurs du Ier et du IIe siècle, virent le jour. Ils furent tous éclipsés et absorbés par le Livre de la Splendeur (Zohar), qui est devenu comme la bible de la cabale. Le Zohar était considéré autrefois comme un livre très ancien, on l'attribuait volontiers à Simon ben lohaï (IIe siècle); mais il n'y a plus de doute aujourd'hui qu'il est né en Espagne, tout à la fin du XIIIesiècle, et s'il n'est pas certain qu'il soit de Moïse ben Semtob, de Léon, il a dû au moins naître dans son voisinage, aux environs des villes de Léon, Avila, Arévalo, puisque Moïse de Léon paraît être le premier qui le connaisse. Son contemporain, Menahem Reconati, en Italie, utilise déjà, ce livre à la fin du XIIIe siècle. Le Zohar est un commentaire cabalistique du Pentateuque, il n'est pas sûr que nous l'ayons dans sa forme primitive et il est possible que plusieurs personnes y aient travaillé. C'est une vaste compilation où sont entrés, avec les idées du rédacteur ou des rédacteurs, d'autres ouvrages, plus ou moins anciens, comme le Livre du Secret, la Grande-Assemblée, la Petite-Assemblée, le Livre des Tentes célestes, le Pasteur fidèle, le Discours du jeune homme, et d'autres. Ses théories fondamentales sont déjà, en grande partie, dans le livre d'Azriel. Nous en donnons ici une analyse, elle suffira pour faire connaître en gros toute la cabale.

Dieu est la source de la vie et le créateur de l'univers, mais il est infini (en sof), inaccessible, incompréhensible, il est l'inconnu (aïn, rien, néant, pour notre intelligence), il est le grand problème (mi, qui ?), il serait profané s'il était en relation directe avec le monde; entre lui et le monde se placent les dix sefirot, au moyen desquelles il a créé le monde, qui sont ses instruments (kélim), les canaux (çinnorot) par lesquels son action se transmet au monde des Faces. L'ensemble des dix sefirot forme l'homme prototype, Adam supérieur ou Adam éternel (ou encore Pré-Adam), qui est le macrocosme, le type intellectuel du monde matériel. Les sefirot sont généralement représentées, chez les cabalistes, par le dessin ci-après, qui est l'arbre des sefirot.

Leurs noms, en suivant les numéros d'ordre de ce dessin, sont : 1, couronne (kéter); 2, sagesse (hokhma); 3, in telligence (bina); 4, grâce (hésed); 5, justice (din); 6, beauté (tiféret); 7, triomphe (néçah); 8, gloire (hod); 9, base (iesod); 20, royauté ou royaume (malkhut). Les neuf premières sefirot se divisent en triades, contenant chacune deux principes opposés et un principe de conciliation. C'est la Balance du Livre de la Création. La première triade (n° 1, 2, 3) représente les attributs métaphysiques de Dieu, ou, si l'on veut, le monde intelligible; la seconde (n° 4, 5, 6), le monde moral; la troisième (n° 7, 8, 9), le monde physique; la dernière (n° 10) n'est que le résumé et l'ensemble de toutes les autres, elle est l'harmonie du monde. Le rôle le plus important, dans ce monde des sefirot, est joué par la première sefira (n° 1), la Couronne, qui a créé les autres sefirot et, par suite, le monde entier. Elle est donc le Métatron de l'ancienne cabale, une espèce de démiurge. Comme elle est presque aussi insaisissable et immatérielle que Dieu lui-même, elle est aussi appelée quelquefois infini ou néant (en sof, aïn); elle est dans tous les cas le point premier (sans dimensions ni rien de matériel), la matière première, la Face sainte, la longue Face, et toutes les autres sefirot ensemble, ne sont que la petite Face. Elle est aussi la Volonté de Dieu, à moins que la Volonté ne soit en Dieu lui-même et identique avec lui. La triade dont la première serra tient la tête est le plan de l'univers, la triade du monde, les sept sefirot suivantes sont inférieures à ces trois, elles ne sont que les sefirot de l'exécution (de la construction, comme disent les cabalistes). 
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Arbre séphirotique.
L'arbre séphirotique.

Considérées à un autre point de vue, les sefirot se divisent en sefirot de droite (n° 2, 4, 7), de gauche (n° 3, 5, 8) et du milieu (n° 1, 6, 9). Celles de droite représentent l'élément masculin, lequel est considéré comme supérieur à l'autre, meilleur; il est principe actif, ayant les attributs de la bonté et de la miséricorde; celles de gauche représentent l'élément féminin, qui est le principe passif et qui a les attributs de la réflexion concentrée, de la justice stricte; le groupe du milieu est le groupe de la conciliation des principes opposés. Les trois unités qui le comsent représentent respectivement, en partant d'en haut, monde intelligible, le monde moral, le monde sensible ou matériel. Dans d'autres écrits cabalistiques, ce sont les trois triades des n° 1 à 9 qui représentent respectivement ces trois mondes, lesquels correspondent aux trois parties de l'âme humaine, comme on les trouve chez les néo-platoniciens l'intelligence (nous), le coeur (psychè), l'âme végétative (physis). L'introduction des sexes en Dieu est un des traits les plus remarquables de la cabale. Dans cette division des sefirot en triades parallèles, allant de haut en bas, on distingue aussi les triades par les couleurs, ce qui est également digne de remarque : le groupe de droite est blanc, le groupe de gauche est rouge, le groupe du milieu a une couleur intermédiaire (bleu, jaune ou vert). Enfin la sefira n° 6 est reliée d'une certaine façon aux sefirot latérales, ce qui forme des combinaisons diverses.

Les dix sefirot sont comme les Logoi ou idées mères du monde. Elles composent ensemble un monde qui vient directement de Dieu et qui, par opposition aux mondes inférieurs qui en procèdent, s'appelle le monde de l'émanation (acilut). Par des évolutions successives, trois autres mondes sont formés, pourvus chacun de dix sefirot aussi : 1, le monde de la création (beria), qui est aussi le monde des sphères célestes; 2, le monde de la formation (iecira), qui est aussi le monde des anges ou esprits qui animent les sphères; 3, le monde de la terminaison (açigya), qui est le monde matériel, l'univers visible, l'écorce des autres mondes. Dieu a essayé beaucoup de mondes avant le monde actuel, déjà le Talmud connaît les mondes créés et détruits avant le monde actuel; ce mythe représente ou bien l'activité perpétuelle de la force créatrice, qui produit sans cesse et ne se repose jamais, ou bien la théorie de l'optimisme, suivant laquelle ce monde est le meilleur des mondes possible. Ce monde contient cependant le mal qui est inséparable de la matière. Le mal vient de l'affaiblissement successif de la lumière divine qui, par son irradiation ou émanation, a créé le monde; il est une négation ou manque de lumière, ou bien il est le reste et résidu des mondes essayés et trouvés mauvais. Ces restes sont les écorces, le mal est toujours représenté comme une écorce, il y a même un monde du mal, peuplé d'anges déchus, qui sont également des écorces (kelippot).

L'homme terrestre est l'être le plus élevé de la création, l'image de l'Adam prototype, le microcosme. La triade cosmique se retrouve, comme nous l'avons vu, dans les trois âmes qui le composent et dont le siège humaine est le résultat de l'union du roi (n° 6) avec la reine (n° 10), et, par l'un de ses attributs les plus remarquables, la reine peut remonter jusqu'au roi, l'homme peut agir, par ses vertus, sur le monde supérieur et l'amé liorer. De là l'importance de la prière, par laquelle l'homme agit sur les forces supérieures pour se les rendre favorables; par elle, il les met positivement en mouvement et est leur excitateur. L'âme est immortelle, mais elle n'atteint le bonheur céleste que lorsqu'elle est devenue parfaite, et pour le devenir, elle est souvent obligée de vivre dans plusieurs corps ; c'est la théorie de la métempsycose. Il lui arrive même de descendre du ciel pour s'associer à une autre âme dans un même corps (sod ha ibbur), afin de s'améliorer à son contact ou d'aider celle-ci à se perfectionner. Toutes les âmes sont créées depuis l'origine du monde, et lorsque toutes seront dans l'état de perfection, le Messie viendra. Le Zohar, comme beaucoup d'autres ouvrages de la littérature juive, calcule même la date à laquelle viendra le Messie.

A ces théories sont mêlées, dans le Zohar et dans d'autres livres cabalistiques, toutes sortes de descriptions du monde céleste, des Tentes célestes, du ciel, de l'enfer, des temps messianiques; des calculs et combinaisons de chiffres, de lettres, noms magiques ou mystiques de Dieu, des anges, des démons; de l'astronomie, astrologie, phrénologie, chiromancie et autres folies. Dans ce qu'on appelle la cabale pratique, on va même jusqu'à faire des miracles au moyen des noms des anges et de formules magiques, cela sert à guérir les malades, découvrir les secrets, conjurer les dangers.

Nous n'avons pas l'intention de faire ici l'histoire de la littérature cabalistique postérieure au Zohar, ni de donner la liste des principaux auteurs de cette école. D'Espagne, le Zohar s'est répandu dans le monde entier, principalement en Allemagne, en Pologne, en Orient. Les cabalistes des siècles suivants y ont peu ajouté. Celui qui paraît avoir le plus contribué à transformer la cabale et à la jeter dans une voie nouvelle, c'est Isaac Loria, né à Jérusalem en 1534, avec son élève Hayyim Vital de Calabre. Loria, outre diverses théories qu'il a mises en circulation ou inventées et qui ne sont pas de grande importance, a créé un certain rituel cabalistique. Déjà les premiers cabalistes avaient attaché une grande importance aux rites et pratiques religieuses, tous et toutes reposaient sur un mystère (sod; voir seulement les titres des ouvrages de Moïse de Léon), on les ennoblissait en les commentant symboliquement. La cabale moderne, dont Loria est le principal représentant, a ses rites et ses prières à elle (se vêtir de blanc, porter quatre vêtements), des rites spéciaux pour la fête du sabbat, un code (schulhan arukh) à part, des prières adressées aux sefirot et aux anges, enfin souvent des pratiques contraires aux doctrines du judaïsme. Comme toutes les écoles mystiques, la cabale, par excès de piété et de sainteté, tombe dans l'impiété et la débauche. Quand on est saint, on est au-dessus des règles ordinaires de la morale et on peut les braver.
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Kircher : les noms de Dieu d'après la Cabale.
Les 72 noms de Dieu dans 72 langues. Schéma 
basé sur la cabale (A. Kircher, Oedipus Aegyptiacus, XVIIe s.).

Ce sont là les excès et les excroissances de la cabale. Elle a été aussi mêlée toujours aux mouvements messianiques qui se sont produits chez les juifs à diverses époques : en 1295, à Avila; en 1502, en Istrie (Laemlein); en 1530, en Italie et ailleurs (Salomon Molkho); en 1648, à Smyrne (Izmir) et en Turquie d'Europe (Sabbataï Sevi; mouvement cabbalistique qui se répand dans l'Europe entière); à la fin du XVIIIe siècle, en Pologne (les Frankistes). Encore aujourd'hui, il existe des sectes de cabalistes, sous le nom de Hassidim. La vraie cabbale n'est pas là, elle est tout entière dans une théorie philosophique du monde physique et transcendental. Le fond de cette théorie, c'est le néo-platonicisme et le gnosticisme, qui admettent l'existence d'intermédiaires, Verbe, Logos, Démiurge, Logoï, Puissances, entre Dieu et le monde et souvent aussi l'existence d'une matière première. Les sefirot sont quelque chose comme les Logoï ou la matière première, la première sefira est à peu près le Logos ou le démiurge. On n'a jamais pu savoir, ni les cabalistes eux-mêmes n'ont jamais pu dire avec précision s'ils admettent réellement un démiurge indépendant de Dieu, une matière non créée par Dieu, ou le contraire. D'un côté, ils obéissaient à des théories qui les poussaient vers le dualisme gnostique, mais ils étaient maintenus par le monothéisme juif, qu'ils voulaient à toute force maintenir. De là leurs embarras et leurs contradictions.

Il resterait à dire quelles sont au juste les sources de la cabale du XIIIe siècle. Disons seulement que la cabale aurait pu sortir tout entière du Talmud, de la littérature rabbinique primitive, du Livre de la Création, mais, outre que ces ouvrages eux-mêmes ont subi l'influence étrangère, il est impossible de nier l'action exercée sur la cabale par la philosophie grecque, le gnosticisme, le magisme, le soufisme (symbolique des couleurs, de la lumière, théorie de la volonté), les philosophes et sectes arabes et enfin la théologie, la typologie, le mysticisme et même les superstitions des chrétiens parmi lesquels est née et s'est développée la cabale. C'est un enchevêtrement inextricable. C'est pour cela et pour toutes les raisons déjà indiquées que la cabale n'a jamais été, dans le judaïsme, qu'une doctrine secrète, irrégulière, à moitié condamnée comme frisant l'hérésie, et redoutée comme dangereuse. (Isidore Loeb).

La cabale chrétienne.
A partir de la Renaissance, on a donné le nom de cabalistes non seulement à ceux qui étudient la cabale judaïque, mais encore à tous ceux qui ont cru  trouver des mystères dans les nombres, et à ceux qui ont cherché le moyen de communiquer avec ce qu'ils ont appellé les esprits éIémentaires. La cabale chrétienne, comme la cabale juive tire bon parti de certains mots mystérieux. Elle explique les choses les plus obscures par les nombres, par le changement de l'ordre des lettres et par des rapports dont les cabalistes se sont formés des règles.

A l'instar les cabalistes juifs, les cabalistes chrétiens se sont revendiqués de lointains ancêtres. Ainsi, dès les commencements du christianisme, les philosophes platoniciens et pythagoriciens cherchèrent à allier les nouveaux dogmes avec le système des émanations et des nombres, tels furent les gnostiques, Basilide, Valentin,  Marc, Euphrate, qu'on ne peut considérer véritablement comme les premiers cabalistes, mais du moins comme les initiateurs de ce qu'on nommera plus tard la grande cabale. 

Au Moyen âge, plusieurs savants chrétiens étudièrent la cabale des Juifs et les commentaires orientaux sur la philosophie de Platon, d'Aristote et de Pythagore, et adoptèrent plus ou moins les idées cabalistiques de l'Orient. De ce nombre furent Reuchlin, Georges de Venise, Agrippa et plusieurs autres, en particulier le  fameux Pic de la Mirandole, qui a composé un livre tout exprès pour en faire sentir l'importance. Il y dit sérieusement que celui qui connaît la vertu du nombre 10 et la nature du premier nombre sphérique, qui est 5, aura le secret des 50 portes d'intelligence, du grand jubilé de 50 ans des Juifs, de la millième génération de l'Apocalypse, et du règne de tous les siècles dont il est parlé dans la Bible. Il enseignait en outre que, pour son compte, il y avait trouvé toute la doctrine de Moïse, la religion chrétienne, les mystères de la Trinité et de la Rédemption, les hiérarchies des anges, la chute des démons, les peines de l'enfer, etc. Toutes ces assertions forment les soixante-douze dernières propositions des neuf cents qu'il soutint à Rome, avec l'admiration générale, à l'âge de 24 ans. 

Au le XVIIe siècle, on se remit avec ardeur à l'étude de la cabale, surtout en AIlemagne et en Angleterre; on prétendit y trouver tous les dogmes de la religion chrétienne; plusieurs ouvrages composés alors furent le fruit d'une érudition immense, tels sont ceux de Marc, de More de Cudworth, de Knorius et le livre intitulé Cabala denudata.  Jonas Scharnius, écrivit au commencement du XVIIe, siècle en faveur de la cabale, et prétendit trouver une conformité parfaite entre la cabale, la philosophie péripatéticienne et le christianisme. Parmi les modernes, on peut aussi noter que Leibniz, Malebranche, se sont occupés de la science occulte des nombres. Plus tard encore, Etchegoyen et de Louidoueix ont recherché et prétendu avoir trouvé quelques-uns de ces rapports qui forment selon eux la grande harmonie de toute la création. Mais ces travaux ont été faits en dehors des traditions juives ou grecques, et rentrent dans la classe des conceptions philosophiques.

Quand aux principes de cette cabale moderne, on est allé les chercher dans quelques-unes des idées émises par plusieurs hérétiques des premiers siècles du christianisme qui avaient mêlé la cabale juive aux idées du christianisme, et qui avaient admis entre Dieu et l'humain quatre sortes d'êtres intermédiaires, dont les modernes on fait les salamandres, les sylphes, les ondins et les gnomes

Selon ces conceptions, les quatre éléments sont habités chacun par des créatures particulières, beaucoup plus parfaites que l'humain, mais soumises comme lui aux lois de la mort. L'air, cet espace immense qui est entre la terre et les cieux, a des hôtes plus nobles que les oiseaux et les moucherons. Ces mers si vastes ont d'autres habitants que les dauphins et les baleines. La profondeur de la terre n'est pas pour les taupes seulement; et l'élément du feu, plus sublime encore que les trois autres, n'a pas été fait pour demeurer inutile et vide.

Les salamandres habitent donc la région du feu; les sylphes, le vague de l'air; les gnomes, l'intérieur de la terre; et les ondins ou nymphes, le fond des eaux. Ces êtres sont composés des plus pures parties des éléments qu'ils habitent. Adam, plus parfait qu'eux tous, était leur roi naturel; mais depuis sa faute, étant devenu impur et grossier, il n'eut plus de proportion avec ces substances, il perdit tout l'empire qu'il avait sur elles, et en ôta la connaissance à sa postérité.

Que l'on se console pourtant; on a trouvé dans la nature les moyens de ressaisir ce pouvoir perdu. Pour recouvrer la souveraineté sur les salamandres, et les avoir à ses ordres, on attire le feu du soleil, par des miroirs concaves, dans un globe de verre; il s'y forme une poudre solaire qui se purifie elle-même. des autres éléments, et qui, avalée , est souverainement propre à exhaler le feu qui est en nous, et à nous faire devenir pour ainsi dire, de matière ignée. Dès lors, les habitants de la sphère du feu deviennent nos inférieurs, et ont pour nous toute l'amitié qu'ils ont pour leurs semblables, tout le respect qu'ils doivent au lieutenant de leur créateur.

De même, pour commander aux sylphes, aux gnomes, aux nymphes, on emplit d'air, de terre ou d'eau, un globe de verre; on le laisse, bien fermé, exposé au soleil pendant un mois. Chacun de ces éléments, ainsi purifié, est un aimant qui attire les esprits qui lui sont propres.

Si ou prend tous les jours, durant quelques mois, de la drogue élémentaire formée ainsi qu'on vient de le dire dans le bocal ou globe de verre, on voit bientôt dans les airs la république volante des sylphes, les nymphes venir en foule au rivage, les gnômes, gardiens des trésors et des mines, étaler leurs richesses. On ne risque rien à entrer en commerce avec eux, on les trouvera honnêtes, savants, bienfaisants et craignant Dieu. Leur âme est mortelle, et ils n'ont pas l'espérance de jouir un jour de l'Etre suprême, qu'ils connaissent et qu'ils adorent. Ils vivent fort longtemps, et ne meurent qu'après plusieurs siècles. Mais qu'est-ce que le temps auprès de l'éternité?... Ils gémissent donc de leur condition. Mais il n'est pas impossible de trouver du remède à ce mal; car, de même que l'humain, par l'alliance qu'il a contractée avec Dieu, a été fait participant de la divinité, les sylphes, les gnomes, les ondins et les salamandres, deviennent participants de l'immortalité, en contractant alliance avec l'humain. (Nous transcrivons toujours les docteurs cabalistes). Ainsi, une nymphe ou une sylphide devient immortelle, quand elle est assez heureuse pour se marier à un sage; et un gnome ou un sylphe cesse d'être mortel, du moment qu'il épouse une fille des humains. On conçoit par la que ces êtres se plaisent avec nous quand nous les appelons. Les cabalistes assurent que les déesses de l'Antiquité, et ces nymphes qui prenaient des époux parmi les mortels, et ces démons incubes et succubes des temps barbares, et ces fées qui, au  Moyen âge, se montraient au clair de la lune, ne sont que des sylphes, ou des salamandres, ou des ondines.

Il y a pourtant des gnomes qui aiment mieux mourir que risquer, en devenant immortels, d'être aussi malheureux que les démons. C'est le Diable (disent toujours nos auteurs) qui leur inspire ces sentiments; il ne néglige rien pour empêcher ces pauvres créatures d'immortaliser leur âme par notre alliance.

Les cabalistes sont obligés de renoncer à tout commerce avec l'espèce humaine, s'ils veulent ne pas offenser les sylphes et les nymphes dont ils recherchent l'alliance. Cependant, comme le nombre des sages cabalistes est fort petit, les nymphes et les sylphides se montrent quelquefois moins délicates, et emploient toutes sortes d'artifices pour les retenir. (A19).



Cette doctrine, que l'on fait remonter à l'époque de la captivité des Juifs à Babylone, se trouve principalement exposée dans l'Yetzira, attribué au rabbin Akiba, et dans le Zohar, attribué à son disciple Ben-Yokaï. On peut consulter la philosophia Cabbalistica de Freys, Kœnigsbe., 1838, et la Kabbale ou philosophie religieuse des Hébreux, de M. A. Franck, Paris, 1843.
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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