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La Joconde,
de Léonard de Vinci est un tableau conservé
au Louvre, peint sur panneau de bois
de 77 centimètres de hauteur sur 53 centimètres de largeur,
est le portrait de Mona ( = Madonna)
Lisa, probablement femme de Francesco del Giocondo (1465-1528) citoyen
de Florence. Léonard de Vinci y travailla quatre années de
suite, vers l'an 1500. François Ier
l'acheta 12000 livres. Léonard de Vinci avait, dit Vasari,
entouré son modèle de musiciens, de chanteurs et de bouffons,
pour maintenir sur ses lèvres ce sourire qui a fait couler tant
d'encre. Les études pour la Joconde ont dû être nombreuses.
Il n'en reste qu'un petit nombre, dont la principale est la sanguine de
la bibliothèque de Windsor.
La Joconde, de Léonard de Vinci. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir). Quant au tableau, joyau inestimable du Louvre, il a moins souffert du temps que des restaurateurs. La couleur de son ciel a verdi; le visage, Jadis éblouissant de fraîcheur, a jauni sous le vernis, et certains détails, comme ceux des cils, ont disparu. Cette toile a inspiré des pages enthousiastes à Michelet, Théophile Gautier, Gustave Planche, à George Sand, etc. Les pages de Vasari sont peut-être aussi les plus simples et les plus éloquentes. C'est sans doute vers la fin de l'année 1501 que la Napolitaine Monna (ou Mona) Lisa, fille d'Antonio di Noldo Gherardini, vint poser dans l'atelier du peintre. Elle était, depuis 1591, mariée à un gentilhomme florentin, Francesco Zanobi del Giocondo, dont le nom, grâce à l'oeuvre de Léonard, allait devenir universellement célèbre. La Joconde ne devait pas encore avoir atteint la trentaine, quand les séances commencèrent; elles s'espacèrent pendant quatre ans. Pour ne pas laisser gagner son modèle par l'ennui, on assure que Léonard, grand amateur de musique lui-même, lui faisait donner des concerts; en tout cas, il n'épargna rien pour parfaire la peinture. Ainsi qu'il l'a noté dans ses manuscrits, il voulut lutter avec la vie et donner l'illusion d'une créature douée de tous les sens : non seulement capable de voir et de toucher, mais encore d'entendre. Par là, d'ailleurs, se vérifie la subtilité d'esprit de léonard de Vinci, en même temps que le récit des intermèdes de musique de chambre prend aspect de vérité. Tous les contemporains vinrent admirer la Joconde dans l'atelier de Florence, où Léonard était rentré depuis 1500. On y pouvait voir en même temps le carton définitif de la Sainte Anne, aujourd'hui disparu, et probablement même la peinture qui est maintenant au Louvre. Le portrait n'était pas achevé que le maître s'occupait déjà du carton de la Bataille d'Anghiari. Vasari s'est fait l'écho des contemporains : « Qui veut savoir, dit-il, à quel point l'art peut imiter la nature, peut s'en rendre compte en examinant cette tête où Léonard a représenté les moindres détails avec une extrême finesse. Les yeux ont ce brillant, cette humidité que l'on observe vendant la vie; ils sont cernés de teintes rougeâtres et plombées, d'une vérité parfaite; les cils qui les bordent sont exécutés avec une extrême délicatesse. Les sourcils, ces passages si délicats par lesquels ils s'harmonisent avec la chair, leur épaisseur plus ou moins prononcée, leur courbure suivant les pores de la peau ne sauraient être rendus d'une manière plus naturelle. La bouche, sa fente, ses extrémités, qui se lient par le vermillon des lèvres à l'incarnat du visage, ce n'est plus la couleur : c'est vraiment de la chair. »L'admiration qu'avaient eue pour la Joconde les Florentins du cinquecinto est encore durable : les artistes sont frappés par la perfection technique du portrait; le public est touché par l'intensité de l'expression, et c'est la réunion de ces deux qualités qui fait de la Joconde un chef-d'oeuvre. Mais elle est par surcroît le chef-d'oeuvre
de Vinci. Avec la Sainte Anne, elle compte, du reste, parmi les
très rares peintures exécutées entièrement
par l'artiste. Il ne faut pas oublier, en effet, que la collaboration des
élèves était alors chose coutumière. Léonard
lui-même avait peint l'ange de gauche, dans le Baptême du
Christ, de son maître Verrocchio;
Ambrogio de Predis donna la réplique de la Vierge aux Rochers,
qui est à la National Gallery de Londres,
et peut-être travailla aux parties accessoires du tableau primitif;
et à Florence, le Vinci avait avec lui deux « garçons»,
chargés de brosser des portraits auxquels il se contentait de mettre
la main de temps à autre. L'inconnue cachée sous le nom de
la Belle Ferronnière, où certains critiques croient
reconnaître le faire de Boltraffio, est peut-être une de ces
oeuvres d'atelier; on n'y sent guère, en tout cas, le fondu, le
« sfumato » si cher au maître.
Sainte-Anne, par Léonard de Vinci. Il est certain que Léonard, pour consacrer tant d'heures à Mona Lisa, dut être très fortement impressionné par son modèle. Dessinateur merveilleux, il était moins attiré par la peinture. Souvent, il laissait ses oeuvres inachevées. Malgré l'émulation d'une lutte avec Michel-Ange, il s'en tient au carton de la Bataille d'Anghiari et se contente ensuite de peindre la partie centrale. La duchesse Isabelle d'Este, dont il à dessiné l'exquis profil qu'on admire au Louvre, a beau lui envoyer messages sur messages pour obtenir une peinture : l'artiste s'excuse toujours. Robertet, le favori du roi de France, n'est pas plus heureux dans sa demande d'une Madone. Vinci est plongé dans les mathématiques, et, s'il fait le portrait de Ginevra Benci, c'est sans doute parce qu'elle est la soeur de son ami Giovanni di Amerigo Benci, comme lui occupé de sciences et de cosmographie. Ce n'est que pour la Sainte Anne et la Joconde que Léonard trouve le temps de prendre les pinceaux. Là, il se donne tout entier. La Sainte Anne ne précéda le portrait que de peu. Les dessins préparatoires et le carton de Londres montrent les variations de la composition. Mais, en 1501, l'arrangement définitif était trouvé, et le carmélite qui servait de correspondant à Isabelle d'Este put voir, dans l'atelier de Florence, esquisse sur carton. On vint bientôt en foule admirer le dessin terminé. La peinture dut être entreprise sans trop de retard, malgré l'habituelle lenteur de Léonard. Elle contient déjà tout ce qu'on trouvera dans la Joconde : le charme des figures et la poésie du paysage. Cependant, si la Sainte Anne est
d'une séduction incomparable, la présence de plusieurs personnages
disperse fatalement l'intérêt. Dans la Joconde, les
qualités du Vinci sont plus ramassées, et le relief de la
figure est plus puissant. L'artiste en poursuit le modelé avec une
insistance sans pareille. Et il arrive à s'emparer des formes avec
une telle précision, que le visage devient aussi sculptural que
le plus pur ivoire. Car il ne s'agit pas simplement de cette apparence
de fini si facile à obtenir par le travail des glacis, mais qui
ne correspond, chez beaucoup de peintres
italiens, à aucun plan précis; il s'agit d'une traduction
serrée, où chaque nuance a sa signification exacte. Pour
le maître, du reste, le modelé constituait la partie la plus
difficile du métier du peintre, et celui qui surpassait les autres
en ce point méritait à son gré d'être tenu pour
le plus habile. En ce sens, Léonard dépasse tous les peintres.
Nul n'a déterminé si nettement la forme, et il semblerait
que cette précision extrême doive enlever tout mystère
à une oeuvre où rien ne reste plus à dire.
Le visage de la Joconde. Et pourtant, il n'en est rien. Par l'expression déjà, le visage incite à la songerie. Ce sourire inquiétant, qui a troublé tant d'écrivains, n'est peut-être que le sourire presque inconscient d'une jeune femme écoutant les joueurs de viole ou de luth engagés par le peintre. Il suffit, en tout cas, à créer le mystère. A vrai dire, ce singulier sourire n'est pas particulier à la Joconde. On le retrouve dans la plupart des visages du Vinci : de la Vierge aux Rochers à la Sainte Anne et au Jean-Baptiste. Il appartient donc moins au modèle qu'au peintre. Il marque la manière de voir et de sentir de l'artiste; ce sourire est le sien. Car, en peignant les portraits des autres hommes, tout artiste peint son propre portrait. Aussi bien, était-ce là l'opinion du grand maître florentin : « Dans les figures d'un peintre, écrit-il, on reconnaît les attitudes et les manières de l'auteur [...]. Et même celui qui aura les mains lourdes les fera ainsi dans ses oeuvres et reproduira le défaut de son corps, s'il ne s'en garde par une longue étude. »Ce qu'il peint encore plus à sa ressemblance, c'est son esprit. Celui du Vinci, curieux de tout, raisonneur, bienveillant et subtil, transparaît dans les figures que sa main a brossées; le sourire de la Joconde, de la Sainte Anne ou du Baptiste, c'est le sourire de Léonard. Mais c'est encore par la technique et par la disposition du fond de paysage que l'artiste a renforcé l'impression de mystère qui se dégage de la Joconde. Les dessinateurs florentins eurent pour les lignes une prédilection incontestée, mais les courbes du visage ne vont pas sans une certaine sécheresse. Leur art tient de celui de l'orfèvre. Léonard trouve le moyen de fondre cette netteté du trait par l'emploi d'un procédé nouveau, celui du clair-obscur. Il dispose les lumières et les ombres avec une sûreté admirable; à plusieurs reprises, il remarque dans ses notes. L'imprécision de leur contour, et, par l'équilibre entre la beauté des lignes et la douceur des passages, la Joconde est encore une oeuvre unique. Personne, auparavant, n'est arrivé
à envelopper aussi harmonieusement les formes; et quand, un peu
plus tard, Giorgione et les Vénitiens
révolutionnent l'art de peindre, la pureté du trait est perdue.
Avec le métier des anciens, avec ce métier patient
des glacis qui permet, à l'aide des retouches successives, d'atteindre
peu à peu au modelé le plus serré, Vinci fait pressentir
l'art moderne. Et si, là encore, il est plus dessinateur que peintre,
on ne peut guère lui reprocher de n'avoir pas fait ce que nul, à
Florence, ne pouvait avoir fait de son temps,
ce qu'allaient seulement commencer à Venise
Giorgione et Titien, Palma
Vecchio et Lorenzo Lotto, c'est-à-dire peindre directement les
choses avec leur couleur, au lieu de diviser le dessin et le coloris. N'est-ce
pas déjà beaucoup pour Léonard d'avoir été
leur précurseur dans l'emploi de ce moyen d'expression si riche,
le clair-obscur?
Eléments du paysage derrière la Joconde. Le paysage imaginaire de montagne et d'eau qui sert de fond à la Joconde en augmente encore le charme. Là, le maître florentin se révèle poète incomparable. Là, il quitte le réalisme obligatoire du portraitiste pour laisser toute liberté à son esprit. Peu de peintres ont su créer un
paysage aussi merveilleux. De tout temps, Léonard avait été
impressionné par les cimes. Comme ingénieur de Ludovic Sforza,
il dut fréquemment visiter la région novaraise où
se trouvent les carrières de granit de Baveno et Montorfano et les
carrières de marbre de Candoglia. Et, de la villa sforzesque, où
il logeait souvent avec le More, il pouvait contempler la chaîne
des Alpes et ce Mont-Rose dont il fit un jour l'ascension. Il en parle
dans son Traité de peinture, et il explique longuement les
raisons qui font que les montagnes paraissent plus foncées au sommet
qu'à la base. Déjà, dans la Vierge aux Rochers,
la prédilection de Vinci apparaît; elle se marque bien plus
fortement dans la Sainte Anne et la Joconde, où la
disposition des cimes, leur silhouette légère, témoignent
de la délicatesse d'oeil et d'esprit du peintre. Car il n'était
pas simplement capable de suivre la forme d'un visage avec une incomparable
sûreté et d'en donner la traduction la plus lisible qui soit;
son étude passionnée de la nature, sa connaissance profonde
des êtres et des choses étaient pour lui un moyen de construire
des formes nouvelles. Il n'a pas été seulement un réaliste
admirable, il a été un inventeur prodigieux de types et même
d'êtres fantastiques. Ce génie de créateur s'exerça
plus librement encore dans le paysage, et celui de la Joconde n'a
d'égal que le paysage de l'adorable Sainte Anne.
Les mains de la Joconde. A gauche, l'étude conservée à Windsor. La Joconde ne nécessita sans
doute pas autant d'études préparatoires qu'une composition
comme la Sainte Anne. Aussi n'en connaît-on qu'une étude
de mains conservée à Windsor.
Mais elle suscita de nombreuses imitations. Une jolie copie orne le musée
de Quimper. Raphaël
en fit un croquis qu'on peut voir au Louvre. Andrea Solario, Giovanni Boltafilo,
Luini, Ambrogio de Predis, Bernardino de Conti, Marco d'Oggiono, Cesare
da Sesto subirent l'influence léonardesque. L'étonnant dessin
de la Joconde nue et à mi-corps, qui est à Chantilly
soulève l'un des problèmes les plus curieux de cette époque
de l'histoire de l'art. Est-il d'un des élèves du Vinci?
Celui-ci, surtout, était bien jeune lorsque Mona Lisa vint poser.
En tout cas, il semble bien que ce dessin servit de type pour le Bacchus,
dont la peinture doit être enlevée au maître pour être
reportée à l'un des disciples.
Trois versions de la Joconde nue. A gauche, au musée de Condé à Chantilly; les deux autres au Louvre. Cependant, l'influence de Léonard
ne pouvait être que locale et brève. Si l'artiste avait créé
l'école du clair-obscur, il s'en était, par tempérament
de dessinateur, tenu, dans l'exécution, aux moyens anciens. La Joconde
marque l'aboutissement de l'art florentin;
elle en est le chef-d'oeuvre et la suprême manifestation. Même
pour un génie égal à Vinci,
il eût été difficile, avec le métier florentin,
d'aller plus loin dans la traduction des volumes et dans le fondu du clair-obscur.
A cette vision nouvelle des formes pressentie par Léonard il fallait
un métier nouveau; il appartenait aux Vénitiens
de le découvrir et d'inaugurer l'ère de la peinture moderne.
C'est par le détail poursuivi d'aussi près que possible,
bien que toujours subordonné aux directions générales
des plans, que Vinci veut s'approcher de la réalité; c'est
par la vue d'ensemble, par le sens du caractère, par l'insistance
sur certains accents et le sacrifice des détails secondaires, qu'un
Giorgione, qu'un Titien, qu'un Tintoret essayent
de donner l'impression de la vie. Cette conception de la peinture s'est
perpétuée. Aussi, ce n'est guère que comme paysagiste
que Léonard eut un écho tardif : le plus sensible et le plus
subtil des peintres français,
Watteau, vint sans doute rêver devant les
oeuvres du plus subtil des Italiens; et il y a dans le décor de
l'Embarquement pour Cythère
un souvenir évident du décor de la Sainte Anne et
de la Joconde.
Copie de la Joconde, par un élève de Vinci, au musée du Prado, à Madrid. Le portrait de femme dont parle le voyageur était-il celui de la Joconde? Plusieurs critiques ont cru qu'il s'agissait plutôt de la Belle Ferronnière. Mais, aujourd'hui que ce tableau ne peut être considéré que comme une oeuvre d'atelier exécutée vers 1495, il est difficile de supposer que Léonard l'ait gardé pendant de longues années. Il ne dut faire transporter à l'étranger que des oeuvres de choix comme la Sainte Anne, ou des oeuvres toutes récentes comme le Saint Jean. Bien que celui-ci n'ait pas le fini de la Joconde, il reste admirable de venue et d'expression. Faut-il attribuer sa moins grande perfection technique à une collaboration de Melzi? on la croirait plus volontiers due à ce que Léonard, atteint par la paralysie, dut l'exécuter de la main gauche. Ainsi, le Jean-Baptiste se trouve par la facture assez voisin d'une oeuvre antérieure comme la Vierge aux Rochers. Quant à la Belle Ferronnière, rien ne nous garantit qu'elle ait été acquise par le roi de France, François Ier. La première mention qu'on en fasse date de 1642. Mais nous sommes assurés que la Joconde et le Baptiste avaient été achetés par lui. Il n'y a guère plus de doute au sujet de la Sainte Anne, puisque Paul Sove, dans sa Vie de Léonard, signale déjà une Sainte Anne dans les collections royales. Comment en sortit-elle pour être retrouvée en Italie par Richelieu, c'est ce qu'on ignore; mais il ne faut pas oublier que pareille aventure advint au Saint Jean-Baptiste. Cédé par Louis XIII à Charles Ier d'Angleterre, il fut racheté par Jabach, qui le vendit à son tour à Mazarin. Si l'on remarque que l'avènement de François Ier ne remonte qu'à 1515, on ne peut plus admettre que le tableau ait été acheté avant l'arrivée imminente de Léonard. On sait, de plus, que celui-ci n'estimait pas avoir complètement terminé sa peinture : il est donc difficile de croire qu'il s'en soit séparé. On inclinerait ainsi à penser que le portrait admiré par le cardinal d'Aragon n'était autre que la Joconde. Elle fut placée à Fontainebleau.
Dès 1625, le commandeur del Pozzo signale les ravages du vernis
sur le vêtement; déjà, les sourcils étaient
effacés. Ils existaient cependant, à en croire Vasari. Mais
la robe verte à manches jaunes avait perdu de son éclat et
le paysage bleuté un peu de sa finesse. Louis
XIV fit mettre le tableau à Versailles;
ce n'est qu'après la Révolution
qu'il fut transporté au Louvre, d'où il disparut en 1911.
Il réapparut en Italie fin 1913, et restitué à la
France quelques mois plus tard.
Après avoir été mis à l'abri à Bordeaux pendant la Grande Guerre puis caché en divers endroits pendant la seconde Guerre mondiale, il a retrouvé sa place au Louvre depuis 1945. (Tristan Leclère). |
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