Jalons |
La Chimie
est une science toute moderne : elle ne s'est véritablement constituée
que depuis la fin du XVIIe siècle.
Mais si l'on considère la chimie dans les applications pratiques
qui en ont été faites, on voit que son origine est des plus
anciennes. Son histoire peut être divisée en quatre grandes
époques : la première va des temps les plus reculés
,jusqu'au Moyen âge ;
la deuxième, qui correspond au Moyen âge, est la période
des alchimistes; la troisième époque,
qui va du XVIe
siècle à la fin du XIXe
siècle, comprend les débuts de la chimie scientifique,
la recherche et l'établissement d'un certain nombre lois fondamentales
énoncées et des progrès rapides qui ont suivi; enfin
la quatrième, qui mène jusqu'à nos jours, repose sur
les théories atomiques modernes de la matière (structure
des atomes) et sur les principes de la physique quantique, qui a été
forgée dans les premières décennies du XXe
siècle.
La chimie antique
: principes premiers et art sacré.
Longtemps avant notre ère, les Chinois
connaissaient la poudre à canon; ils savaient faire l'encre, travailler
les métaux, produire le verre et les objets céramiques.
Les Egyptiens n'étaient pas
moins avancés dans les pratiques chimiques : ils préparaient,
purifiaient et alliaient l'or, l'argent et d'autres métaux; ils
pratiquaient l'art du boulanger, du verrier, du peintre, du doreur, du
sculpteur, du teinturier, etc.; enfin, ils appliquaient leurs connaissances
chimiques à l'embaumement des momies ,
dont quelques-unes datent de 3000 av. J.-C.
L'industrie chimique fut aussi très
avancée chez les Grecs et les
Romains,
qui exploitaient les mines d'or, d'argent, de cuivre, de fer, etc., et
fabriquaient les monnaies. Ils utilisaient un grand nombre de sels métalliques,
fabriquaient les savons, les poteries, les verres, etc.; les marbres antiques,
les stucs, les mortiers découverts dans les constructions sont des
indications de leur connaissances.
La
recherche de l'archè.
Au point de vue théorique, les
Indiens
admettaient cinq éléments constitutifs de la nature : l'air,
le feu, l'eau, la terre et l'éther. Le philosophe grec Empédocle,
vers 460 av. J.-C., énonça
la même hypothèse, tout en supprimant l'un de ces éléments,
l'éther; avant lui, Anaximandre avait
admis dans la nature l'existence d'un principe indéfini différent
de l'eau, de l'air et du feu, tandis qu'Anaximène,
Pythagore,
Héraclite
firent de l'air et du feu l'archè, c'est-à-dire le
principe de toutes choses. Plus tard, Anaxagore,
Platon
et surtout Aristote et Théophraste
adoptèrent plus ou moins la conception d'Empédocle.
Quant à la théorie
atomique, le philosophe Leucippe (500
av. J.-C.) en est considéré comme le créateur;
son disciple et ami Démocrite perfectionna
cette théorie qui fut reprise plus tard par Epicure,
et que Lucrèce développa dans son
poème De natura rerum.
L'art
sacré.
C'est seulement au IIIe
siècle de notre ère que la chimie cessa d'être
confondue avec les autres philosophies ;
on l'appela science sacrée, art
sacré, art hermétique. C'est vers cette époque
que l'on voit apparaître le mot chemia ou chemeia.
Mais, en même temps, des idées plus ou moins mystiques
se développent (Gnosticisme, Néoplatonisme);
les savants s'entourent de mystères; ils empruntent aux Egyptiens
certains signes cabalistiques ou hiéroglyphes que ceux-ci utilisaient
et en inventent d'autres : ce sont les précurseurs des alchimistes
du Moyen âge .
Le Moyen âge
: le temps des alchimistes.
Les
alchimistes arabes.
Le premier savant qui ouvre l'histoire
médiévale de l'alchimie est Abou-Moussah
Djafar-al-Soli, si connu sous le nom de Geber.
Il vivait au VIIIe
siècle. Ou trouve dans les ouvrages qui portent son nom
de nombreuses préparations de métaux pour les approprier
à l'oeuvre. On y remarque aussi l'indication de la médecine
universelle. Geber présente son elixir rouge, qui n'est autre
chose qu'une dissolution d'or, comme une panacée universelle ,
comme un moyen de prolonger la vie indéfiniment et de rajeunir la
vieillesse.
Les écrits de Geber répondirent
tellement chez les Arabes le goût de l'alchimie
que la plupart des savants qui ont illustré sa nation ont cultivé
cette science avec ardeur. Parmi les plus illustres d'entre eux, nous nous
contenterons de citer Mohammed Abou-Bekr Ibn Zacaria (Rhazès)
aux IXe
et Xe siècles,
Abou-Ali Hossein Ibn Sina (Avicenne), Xe
et XIe siècles,
lbn-Rochd (Averroès), XIIe
siècle. Ils s'occupaient particulièrement
de la préparation des remèdes et de la recherche d'une substance
(pierre philosophale) qui aurait la vertu d'enlever aux métaux vils
leurs imperfections pour les transformer en métaux nobles, de guérir
les malades et même de les rendre immortels. Des mots tels que alcali,
alcohol, aludel, etc., sont d'origine arabe. Les Arabes ont puissamment
contribué à la propagation de l'alchimie.
Les
alchimistes latins .
Au XIIIe
siècle, l'alchimie pénétra
dans Europe
chrétienne à la suite du mouvement produit par les Croisades .
A cette science, mère de notre chimie, les alchimistes du Moyen
âge associèrent la cabale ,
la chiromancie, la nécromancie, l'astrologie
( Divination )
et la magie .
Le principal objet que se proposaient les
alchimistes
du Moyen âge
était de chercher la pierre philosophale (ou major magisterium)
qui devait transformer tous les métaux en or, guérir toutes
les maladies et prolonger indéfiniment la vie. On recherchait aussi
une autre pierre (minor magisterium) pour changer les métaux
en argent. Plusieurs souverains entretinrent des alchimistes dans leurs
palais, avec l'espoir de se procurer ce brillant métal qui donnerait
l'empire du monde à qui pourrait le fabriquer.
Nous trouvons à la tête des
alchimistes de cette époque le moine Roger
Bacon, en Angleterre ;
l'évêque de Ratisbonne Albert
de Bollstadt, si célèbre sous le nom d'Albert-le-Grand,
en Allemagne ;
Thomas
d'Aquin, en Italie ;
le médecin Arnaud de Villeneuve, en
France ,
et son élève Raymond Lulle, en Espagne .
Ce dernier qui rechercha la pierre philosophale par la voie humide, fit
école.
Le
XIVe siècle.
Au XIVe
siècle, on remarque parmi ceux qui s'intéressent
à la pierre philosophale le célèbre auteur du Roman
de la Rose ,
Jean
de Meung, qui a composé plusieurs poèmes sur l'alchimie.
On cite aussi le pape Jean XXII, à Avignon,
qui pourtant avait pris des mesures sévères contre les alchimistes,
Daustin, Pierre de Tolède, John Cremer, Pierre le Bon de Lombardie,
Richard ou Robert l'Anglais, Guillaume de Paris, Ortholain, etc.
Mais de tous les alchimistes réels ou supposés de cette époque,
celui dont le nom est le plus populaire est Nicolas
Flamel, écrivain-libraire de l'Université de Paris ;
cependant les légendes dont il fut l'objet ne sont fondées
sur aucun fait réel.
Le
XVe siècle.
Le XVe
siècle compta encore un plus grand nombre d'adeptes que
le précédent. Les plus illustres furent Isaac Hollandais,
George Ripley, Bernard le Trévisan et celui qui se fait appeler
Basile
Valentin, si célèbre par ses travaux sur l'antimoine.
Cette époque vit l'alchimie prendre
en quelque sorte une direction nouvelle; elle enrichit la thérapeutique
d'un grand nombre de préparations chimiques.
Temps modernes
: le développement de la chimie.
Le
XVIe siècle.
A partir du XVIe
siècle, l'application de l'alchimie
à la médecine reçut un prodigieux accroissement, grâce
aux efforts de Paracelse, qui nomma cette nouvelle
approche la spagirie. Cet homme extraordinaire, qui popularisa l'usage
des préparations opiacées, fut appelé, en 1527,
par la ville de Bâle ,
pour occuper la première chaire de chimie qui ait été
fondée dans le monde. Il s'occupa presque exclusivement de l'application
de la science à la thérapeutique.
«
Beaucoup de gens, dit-il, se sont enquis de savoir si l'alchimie, était
vraiment capable de faire de l'or; mais cela importe peu. Elle est le fondement
et la colonne de toute la médecine; et sans elle, il faut bien le
savoir, personne n'a le droit de se dire médecin. »
Mais s'il renonça à la recherche
de la pierre philosophale, Paracelse poursuivit
avec ardeur celle de la panacée universelle ,
c.-à-d. d'un moyen propre à prolonger indéfiniment
la vie. Pour cela, il avait des essences, des quintessences, des arcanes,
des spécifiques, des élixirs, et l'on trouvera encore longtemps
dans les pharmacopées l'élixir de propriété
de Paracelse. Il s'efforca de renverser la science établie par les
scolastiques
et par les Arabes, pour laquelle il professait un profond mépris.
Il brûla publiquement à l'université de Bâle
les ouvrages d'Avicenne et de Galien.
Par suite de la nouvelle impulsion qu'il communiqua à la science.
Vers la même époque que Paracelse,
d'autres noms contribuèrent à faire franchir le pas entre
l'alchimie et la chimie. Il convient de citer en premier lieu Georges
Agricola, qui publia un traité de métallurgie et Bernard
Palissy, qui créa une industrie, celle des émaux. A partir
de ce moment, la chimie se sépara définitivement de la médecine
et se constitua en science tout à fait indépendante. La question
de la transmutation devint désormais tout à fait secondaire,
et les alchimistes purs passèrent presque
inaperçus. Cependant, on citera encore les noms de Zécaire
et de Philalèthe, et, parmi les chimistes qui croyaient possible
la transmutation, de Becher et de Glauber,
le premier en Angleterre ,
les deux autres en Allemagne .
Becher doit sa célébrité à un récipient
aujourd'hui commun dans les laboratoires de chimie; Glauber doit la sienne
à la découverte d'un sel non moins usité dans la médecine
que dans les arts, le sulfate de soude.
Le
XVIIe siècle.
Au XVIIe
siècle, Galilée, Francis
Bacon, Descartes et Boyle
poursuivirent l'oeuvre commencée au siècle précédent;
Van
Helmont étudia la constitution des gaz; Kunckel
découvrit le phosphore; John Rey constata que les métaux
augmentent de poids quand on les calcine. Citons encore les noms de Lemery,
Boerhaave,
Hales, Rouelle, etc.
Le
XVIIIe siècle.
Dans le courant du XVIIIe
siècle, la chimie scientifique fut commencée par
les travaux de Joseph Black, qui découvrit
l'acide carbonique; de Margraff, qui imagina
la fabrication du sucre de betterave; de Bergmann,
qui fit connaître la constitution des carbonates; de Scheele,
dont les recherches sur le chlore, le manganèse, la baryte, les
acides citrique, gallique et urique, firent autorité; de Priestley,
qui découvrit successivement l'oxygène, l'acide chlorhydrique,
le protoxyde et le bioxyde d'azote; elle fut définitivement édifiée
par Lavoisier.
-
Quelques-uns
des instruments de chimie utilisés par Lavoisier.
Le mérite principal de Lavoisier
est d'avoir détruit la théorie célèbre du phlogistique,
émise par Stahl dans les dernières
années du XVIIe
siècle. Lavoisier établit nettement la nature
élémentaire des métaux, qu'il range parmi les corps
simples; il fait connaître ensuite le rôle important de l'oxygène
dans la formation des oxydes, des acides et des bases.
A côté de Lavoisier, citons
: Cavendish, à qui l'on doit la composition
de l'acide nitrique et du gaz ammoniac; Berthollet,
dont les lois sur les sels sont bien connues, mais qui combattit la loi
des proportions multiples brillamment défendue par Proust;
Guyton
de Morveau, à qui l'on doit la nomenclature chimique; Wenzel
et Richter, qui établirent la loi de proportionnalité.
Le
XIXe siècle.
L'impulsion donnée par Lavoisier
fut le point de départ d'une ère tout à fait nouvelle
pour la chimie. Dès le début du
XIXe siècle, Dalton,
professeur à Manchester ,
formula, le premier, la loi des proportions multiples et reprit l'ancienne
hypothèse atomique de Leucippe et Epicure.
A Dalton il faut associer Gay-Lussac, dont
les recherches sur les gaz et les combinaisons gazeuses fournirent un argument
nouveau et décisif en faveur des proportions définies; elles
furent aussi le point de départ de l'hypothèse d'Avogadro
et d'Ampère, qui est comme la base de la
théorie atomique.
Un grand continuateur de Lavoisier, pour
le système de la chimie dualistique, fut le chimiste suédois
Berzélius;
ses doctrines furent combattues plus tard par Laurent et Gerhardt
qui, à cette théorie dualistique, opposèrent la théorie
unitaire adoptée par la suite.
Nous citerons encore, au commencement du
XIXe
siècle,
Davy, qui introduisit
l'électrolyse dans l'analyse chimique et prépara le sodium,
le potassium, le calcium, le baryum; Balard, qui
découvrit le brome;
Jean-Baptiste
Dumas, l'auteur des Leçons de philosophie chimique; Dulong
et Petit, qui énoncèrent la loi des
chaleurs spécifiques; Mitscherlich,
qui posa la loi de l'isomorphisme; Chevreul, auteur de nombreuses et importantes
recherches en chimie organique ; etc.
Dans la seconde moitié du XIXe
siècle, la chimie a fait des progrès aussi rapides
que dans les cinquante premières années. De nouveaux corps
simples : le gallium, le scandium, le néodymium, le praséodymium,
etc., ont été découverts par la méthode de
l'analyse spectrale. Le fluor a été isolé par Moissan,
en 1887. Quelques années après,
deux savants anglais, lord Rayleigh et sir W.
Ramsay, ont retiré de l'air atmosphérique quatre nouveaux
gaz : l'argon, le néon, le krypton et le métargon; d'un minéral,
la clévéite, ils ont retiré un gaz, l'hélium,
que l'analyse spectrale avait décelé auparavant dans l'atmosphère
du Soleil .
Si nous considérons les questions
de chimie générale, nous trouvons, en première ligne,
les recherches de Henri Sainte-Claire
Deville et ses élèves sur les phénomènes
de dissociation; les travaux de Berthelot sur
les équilibres chimiques, sur la synthèse organique et les
méthodes générales pour réduire et hydrogéner
les composés organiques; les travaux de Raoult
sur la cryoscopie et la tomométrie, ceux d'Ostwald,
de Van't-Hoff et d'Arrhénius
sur la chimie physique, etc. Une étape essentielle est franchie
en 1879, quand Mendeléleiev
publie sa classification périodique des éléments ,
dont la logique ne sera complètement élucidée qu'au
XXe
siècle avec la mise au jour de la structure des atomes.
La chimie organique a fourni de nombreux
travaux se rapportant à la synthèse, à l'isomérie
et aux fonctions chimiques. Sa théorie de la quadrivalente du carbone,
complétée par la considération des formules de structure
dans le plan et dans l'espace, l'hypothèse de la constitution hexagonale
du benzène émise par Kékulé, ont été
la source de nombreuses découvertes, parmi lesquelles nous citerons
: la synthèse du glycol et la théorie de l'aldolisation par
Wurtz; la méthode générale de synthèse des
composés aromatiques de Friedel et Crafts;
la synthèse de l'acide mellique par Baeyer, celle de l'alizarine
par Graebe et Liebermann, celle de l'indol par Baeyer et Emmerling, celle
de l'indigo par Emmerling et Engler, celle de l'acide citrique par Grimaux,
celle des glucoses par
Fischer, etc.
En ce qui concerne la chimie biologique
ou biochimie qui a été créée dans la seconde
moitié du XIXe
siècle, nous citerons simplement les noms de Pasteur,
Raulin, Duclaux, Roux, Metchnikoff, etc.
(NLI).
 |
Bernadette
Bensaude-Vincent, Matière
à penser : Essais d'histoire et de philosophie de la chimie,
Presses Universitaires de Paris 10. - La chimie est
délaissée des philosophes et
historiens
des sciences. Cette discipline ne serait-elle
pas bonne à penser? Qu'est-ce que ce silence, ce mépris ou
cette méconnaissance nous enseignent sur le régime du savoir
en chimie? Inversement, la chimie méprisée, méconnue
ou simplement ignorée ne signalerait-elle pas les travers des philosophes
et les limites de leur pouvoir de conceptualiser et de penser?
Cet
ouvrage donne un aperçu de la complexité de ces questions
en adoptant un point de vue symétrique où se croisent les
regards des chimistes et des philosophes. En abordant les problématiques
posées par les théories de la matière et en étudiant
la question du corps du chimiste et de son statut social, ce volume s'interroge
aussi sur l'image de la chimie et sur le rejet du "chimique" au profit
du "naturel" très en vogue aujourd'hui. (couv.). |
|
|