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Patritius ou
Patrizzi (Francesco), philosophe né à Clissa (Dalmatie)
en 1529, mort à Rome en 1597. Il fut un des derniers représentants
de la lutte du néoplatonisme contre l'aristotélisme au temps
de la Renaissance. Les dédicaces de se ouvrages nous apprennent
que sa vie fut agitée et pénible; sa première enfance
se passa dans une profonde misère; au service de différents
seigneurs, il visita les îles de l'Archipel, la Grèce, les
côtes d'Asie, puis l'Espagne et la France. A Chypre,
où il séjourna sept ans, il se concilia la protection de
l'évêque, qui l'amena à Venise.
Une fois en Italie, il obtint la Chaire de philosophie
à Ferrare et l'occupa dix-sept ans;
selon quelques-uns, il enseigna aussi à Padoue;
enfin, il fut appelé à Rome par le pape Clément
VIII.
Ses années d'enseignement furent
remplies de polémiques acharnées contre les aristotéliciens,
surtout contre le médecin philosophe Teodoro Angelucci, ainsi qu'en
témoigne son apologie adressée à Cremonini (1584);
et, dans sa violence d'érudit, il alla jusqu'à demander au
pape Grégoire XIV de proscrire et
de condamner tout enseignement du péripatétisme.
Cette grande lutte, qui fait l'unité
de sa vie, ne l'absorba pourtant pas tout entier : nous avons de lui des
traités sur toutes les sciences ou les arts en honneur de son temps
: 15 livres sur la Géométrie nouvelle, en italien
(Ferrare, 1587), des livres d'histoire et d'art militaire, Della storia,
dieci dialoghi (Venise, 1560); la Milizia romona (d'après
Polybe, Denys d'Halicarnasse
et Tite-Live), (Ferrare,1583), et une Rhétorique
(Venise, 1562), où se rencontre (liv. 1er)
l'hypothèse cosmographique reprise plus tard par Burnet,
d'après laquelle la Terre aurait été une sphère
parfaite à l'origine, dont tous les accidents ou les inégalités
seraient dus à des cataclysmes antérieurs, tels que le déluge.
On lui attribue encore l'idée première d'une nouvelle coupe
poétique, le vers de 13 syllabes, adoptée plus tard dans
la prosodie italienne sous le nom de versi martelliani; et il fut
l'un des premiers à s'occuper de la question de la musique dans
l'Antiquité. Par cette abondance et cette universalité, il
continue la tradition des grands érudits de la Renaissance.
Il la continue encore par sa philosophie.
Elle tient tout entière dans deux grands ouvrages, dont l'un en
représente la partie négative, et l'autre la partie dogmatique.
Les Discussionum peripateticorum (ou Discussiones
peripateticæ), lib. XV (Bâle, 1571, in-fol.) sont
moins une réfutation de l'aristotélisme qu'un réquisitoire
contre Aristote: dans le livre premier, il s'attaque
à sa vie et à ses moeurs et discute l'authenticité
de ses divers écrits : il conclut qu'à l'exception de trois,
tous sont apocryphes ou altérés; le second livre nous représente
Aristote comme plagiaire de Platon; dans le troisième
et le quatrième, c'est le fond de la doctrine qui est discuté,
mais à un point de vue, tout scolastique
et théologique : les formes substantielles, l'éternité
du monde, et la plupart des principes du péripatétisme sont,
d'après lui, en contradiction avec les dogmes chrétiens;
Platon, au contraire, devance et prépare le Christ;
et dans le petit traité intitulé Aristoteles exotericus
sont énumérées 43 thèses communes au catholicisme
et au platonisme, relatives surtout à la Trinité et à
la création
Mais la grande oeuvre de Patrizzi, si
rare, qu'au XVIIe siècle déjà
on disait qu'elle «coûte autant qu'une bibliothèque»,
est le Nova de universis philosophia, lib. IV (Bâle, 1591,
in-8), auquel font suite un recueil complet et une traduction latine nouvelle
(Marcile Ficin en avait fait une déjà)
du Trésor des apocryphes et des mystiques Zoroastre,
Hermès,
Asclépiade,
les mystiques égyptiens et chaldéens,
recueil qu'il attribue à Platon par l'intermédiaire d'Aristote.
Ici encore, il se propose de montrer Plato consors, Aristoteles
vero catholicae fidei adversarius. Son système est une philosophie
de l'émanation divisée on quatre parties : panaugie, panarchie,
pampsychie, pancosmie, où les spéculations abstraites se
mêlent aux hypothèses cosmogoniques et hylozoïques. Par
delà Aristote et Platon même, comme Telesio
et Campanella à la même époque,
il revient aux théories des Ioniens et des Présocratiques.
Dieu,
un et triple à la fois, crée la lumière, qui seule
dérive directement de lui. C'est par la lumière, et non par
le mouvement des aristotéliciens, qu'il faut expliquer l'univers
: elle se répand dans l'espace, qui est une réalité
sans être pourtant matériel, et se définit corpus
incorporeum, ou mieux non corporeum; là elle se dédouble
par sa vertu propre, puis, s'unissant à son propre produit, devient
une trinité; et ainsi de la lumière, de la chaleur et du
fluor, qui, avec l'espace, constituent les quatre éléments
des choses, dérive toute la multiplicité des natures, des
âmes, des formes individuelles. Car l'univers est tout entier animé,
rempli d'âmes sentantes et voulantes, il est une pampsychie, et ainsi
peuvent naître l'accord et l'harmonie des volontés, il peut
y avoir pancosmie.
Par ces doctrines Patrizzi se rattache
à tant le mouvement d'idées de son temps, et, dans son syncrétisme
confus, il peut à la fois se dire fidèle au catholicisme
et toucher d'un côté au panthéisme de Bruno,
de l'autre au monadisme de Campanella. (D. P.).
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En
Bibliothèque - Brucker,
Historia critica philosophiae, IV. - Tiraboschi, Storia della
lett. ital. VII, 448, 524. - Ginguené, Hist. litt. d'italie,
VII, 465, 477. - Renouvier, Phylos. analyt. de l'histoire, t. III,
etc. En plus de ouvrages de Patrizzi déjà cités, mentionnons
: Thesaurus de Grævius; Paralleli militares, Rome, 1594-95;
Procli elementa theologica et physica latine reddita, Ferrare, 1583. |
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