 |
Baruch Spinoza
est un philosophe, né à Amsterdam le
24 novembre 1632, mort à la Haye le 23 février
1677. Appartenant à une famille juive d'origine méridionale (Portugal ),
il fut élevé par les rabbins dans l'étude
de l'Ancien Testament
et du Talmud .
D'assez bonne heure son esprit secoua le joug de la scolastique
juive, et, pour avoir émis des doutes sur l'authenticité
des textes consacrés, il fut solennellement excommunié de la synagogue.
Il avait vingt-quatre ans, il était initié aux idées de son temps, en
particulier à la
philosophie de Descartes
( Cartésianisme),
mais
bientôt il pensa par lui-même, et imagina un système qui lui est propre;
il se retira pour méditer, d'abord aux environs de La Haye (Rhinsburg,
de 1656 à 1663 Voorburg, de 1663 à 1669), puis à La Haye, gagnant le
peu qui lui suffisait à vivre en préparant des verres pour les microscopes;
il y mourut de la tuberculose, à peine âgé de
45 ans. Il avait refusé la chaire de philosophie de Heidelberg pour conserver
toute son indépendance.
Bouillet
décrit ainsi sa philosophie :
Il n'admet
qu'une substance unique, infinie,
Dieu;
il lui donne deux attributs essentiels, l'étendue
et la pensée; tous les êtres finis ne sont que
des parties ou des manifestations de cette seule substance les corps
n'étant que des modes de l'étendue infinie,
et les esprits des modes de la pensée
divine tout est l'effet d'une nécessité
absolue; il n'y a de liberté ni dans l'humain, ni même dans Dieu. Spinoza
expose ce système avec tout l'appareil géométrique,
commençant par définir la substance, la cause,
termes abstraits sur lesquels tout repose,
puis avançant ses axiomes, proposant ses postulats,
et donnant enfin ses
démonstrations.
Le système de Spinoza est exposé dans plusieurs
ouvrages. Il a écrit un Court Traité de Dieu, de l'Homme et de sa
Béatitude, première esquisse de sa « philosophie», qu'il rédigea
plus tard sous forme géométrique et à laquelle il donna le nom définitif
de morale : Ethica; ces deux ouvrages furent
communiqués en manuscrit à de rares initiés qui formèrent autour de
Spinoza un collège de disciples fidèles. Spinoza ne publia lui-même
que deux ouvrages :
1° un écrit de circonstance,
composé en quinze jours pour l'éducation d'un jeune homme (les deux premières
parties des Principes de Descartes démontrées géométriquement)
paru en 1663, par les soins de Louis Meyer, qui fit à Spinoza une solide
réputation dans le monde des philosophes, et lui valut en 1673 l'offre
d'une chaire à l'Université de Heidelberg, qu'il déclina pour ne pas
compromettre la tranquillité de sa vie et le progrès de sa méditation
solitaire;
-
Baruch
Spinoza.
2° en 1670, le Traité de théologie
et de politique, ou il expose les principes d'un christianisme
rationnel et du libéralisme politique, qui suscita dans les diverses Églises
chrétiennes des attaques de la dernière violence et lui fit ajourner
la publication de l'Éthique .
Au moment de sa mort, il travaillait à une traduction hollandaise de l'Ancien
Testament, à une Grammaire de l'hébreu, à un Traité politique,
à un écrit sur la Réforme de l'Entendement; il songeait à un
ouvrage sur le mouvement qui devait contenir une réfutation de la physique
cartésienne. Sa vie fut celle d'un philosophe : il l'a définie lui-même
dans une lettre de 1665 sur la guerre d'Angleterre :
« Si le
célèbre railleur (Démocrite) vivait de notre
temps, il en mourrait de rire. Moi, pourtant, ces troubles ne me poussent
ni à rire ni à pleurer, mais à philosopher et à mieux observer la nature
humaine. Que ceux qui le veulent meurent pour leur bien, pourvu qu'il me
soit permis de vivre pour la vérité ».
Une seule fois, on le vit se départir de
ce calme; le massacre des Witt le fit pleurer,
et il racontait plus tard à Leibniz
« qu'il
avait été porté de sortir la nuit et d'afficher quelque part proche
du lieu (des massacres) un papier où il y aurait : ultimi barbarorum!
Mais son hôte lui avait, fermé la porte pour l'empêcher de sortir, car
il se serait exposé à être déchiré ».
Quant à l'impression produite par Spinoza
sur ses contemporains, elle est notée avec exactitude par Saint-Evremond
:
« Il avait,
dit-il à Des Maizeaux, la taille médiocre et la physionomie agréable.
Son savoir, sa modestie et son désintéressement le faisaient estimer
et rechercher de toutes les personnes d'esprit qui se trouvaient à La
Haye. Il ne paraissait point dans ses conversations qu'il eût les sentiments
qu'on a ensuite trouvés dans ses Oeuvres posthumes. Il admettait
un être distinct de la matière
qui, avait opéré les miracles par des voies naturelles, et qui avait
ordonné la Religion pour faire observer la justice et la charité; et
pour exiger l'obéissance ».
On trouvera dans les
pages qui suivent (sommaire en haut de page), un exposé la pensé de Spinoza
dû à Léon Brunschvicg (1894). Ce philosophe était un trop excellent
spécialiste de Spinoza pour que nous nous soyions risqué à altérer
en quoi que ce soit son texte. On devra simplement remarquer qu'il a été
écrit il y a un peu plus d'un siècle, et qu'il est parfois porteur des
préjugés de son temps. En particulier, comme le remarque très justement
Guy Treister, un visiteur de ce site, ce n'est pas parce qu'il a été
excommunié par la communauté juive, qu'il a « rejoint la pensée du
Christ ». Et de fait, Spinoza, nourri à la fois de culture juive et chrétienne,
a rejeté aussi bien les dogmes juifs que les dogmes chrétiens. C'était
d'abord un penseur qui pensait par lui-même.
-
Le souverain
bien. De la réforme de l'entendement
« L'expérience
m'ayant appris à reconnaître que tous les événements ordinaires de
la vie commune sont choses vaines et futiles et que tous les objets de
nos craintes n'ont rien en soi de bon ni de mauvais et ne prennent ce caractère
qu'autant que l'âme en est touchée, j'ai pris enfin la résolution de
rechercher s'il existe un bien véritable et capable de se communiquer
aux hommes, un bien qui puisse remplir seul l'âme tout entière, après
qu'elle a rejeté tous les autres biens, en un mot, un bien qui donne Ã
l'âme, quand elle le trouve et le possède, l'éternel et suprême bonheur.
Notre bonheur et
notre malheur dépendent uniquement de la nature de l'objet que nous aimons,
car les choses qui ne nous inspirent point d'amour n'excitent ni discordes
ni douleur quand elles nous échappent, ni jalousie quand elles sont au
pouvoir d'autrui, ni crainte, ni haine, en un
mot aucune passion; au lieu que tous ces maux sont la suite inévitable
de notre attachement aux choses périssables, comme sont celles dont nous
avons parlé tout à l'heure.
Au contraire, l'amour
qui a pour objet quelque chose d'éternel et d'infini nourrit notre âme
d'une joie pure et sans aucun mélange de tristesse, et c'est vers ce bien
si digne d'envie que doivent tendre tous nos efforts. Mais ce n'est pas
sans raison que je me suis servi de ces paroles : à considérer les choses
sérieuse-ment; car, bien que j'eusse une idée claire de tout ce que je
viens de dire, je ne pouvais cependant bannir complèternent de mon, coeur
l'amour de l'or, des plaisirs et de la gloire.
Le bien et le mal
ne se disent que d'une façon relative, en sorte qu'un seul et même objet
peut être appelé bon ou mauvais, selon qu'on le considère sous tel ou
tel rapport ; et de même pour la perrection et l'imperfection, Nulle chose,
considérée en elle-même, ne peut être dite parfaite ou imparfaite,
et c'est ce que nous comprendrons surtout quand nous saurons que tout ce
qui ar rive, arrive selon l'ordre éternel et les lois fixes de la nature.
Mais L'humaine faiblesse ne saurait atteindre par la pensée à cet ordre
éternel; l'homme conçoit une nature humaine de beaucoup supérieure Ã
la sienne, où rien, à ce qu'il lui semble, ne l'empêche de s'élever;
il recherche tous les moyens qui peuvent le conduire à cette perfection
nouvelle; tout ce qui lui semble un moyen d'y parvenir, il l'appelle le
vrai bien; et ce qui serait le souverain bien, ce serait d'entrer en possession,
avec d'autres êtres, s'il était possible, de cette nature supérieure.
Or, quelle est cette
nature? nous montrerons, quand il en sera temps, que ce qui la constitue,
c'est la connaissance de l'union de l'âme humaine avec la nature tout
entière.
Voilà donc la fin
à laquelle je dois tendre : acquérir cette nature humaine supérieure,
et faire tous mes efforts pour que beaucoup d'autres l'acquièrent avec
moi; en d'autres termes, il importe à mon bonheur que beaucoup d'autres
s'élèvent aux mêmes pensées que moi, afin que leur entendement et leurs
désirs soient en accord avec les miens; pour cela, il suffit de deux choses,
d'abord de comprendre la nature universelle autant qu'il est nécessaire
pour acquérir cette nature humaine supérieure; ensuite d'établir une
société telle que le plus grand nombre puisse parvenir facilement et
sûrement à ce degré de perfection. On devra veiller avec soin aux doctrines
morales ainsi qu'à l'éducation des enfants; et comme la médecine n'est
pas un moyen de peu d'importance pour atteindre la fin que nous nous proposons,
il faudra mettre l'ordre et l'harmonie dans toutes les parties de la médecine.
Et comme l'art rend faciles bien des choses difficiles et nous profite
en épargnant notre temps et notre peine, on se gardera de négliger la
mécanique. Mais, avant tout, il faut chercher le moyen de guérir l'entendement,
de le corriger autant qu'il est possible dès le principe, afin que, prémuni
contre l'erreur, il ait de toute chose une parfaite intelligence. On peut
déjà voir par là que je veux ramener toutes les sciences à une seule
fin, qui est de nous conduire à cette souveraine perfection de la nature
humaine dont nous avons parlé; en sorte que tout ce qui, dans les sciences,
n'est pas capable de nous faire avancer vers notre fin doit être rejeté
comme inutile; c'est-Ã -dire, d'un seul mot, que toutes nos actions, toutes
nos pensées doivent être dirigées vers cette fin. »
(Spinoza.
Ethique).
|
 |
En
librairie - Baruch Spinoza, Oeuvres,
Flammarion (GF), 1993, 4 vol. : I - Traité de la réforme de l'entendement,
II - Traité théologico-politique, III -Ethique, IV -Traité
politique, lettres. - Oeuvres complètes, Gallimard (La Pléiade),
1955. - Traité de la réforme de l'entendement, Flammarion (GF),
2003. - Traité politique, Le Livre de Poche, 2002. - Ethique
(édition bilingue), Le Seuil, 1999. - Sur la liberté politique,
Hachette, 1996.
Collectif,
Spinoza
et les sciences sociales, Editions Amsterdam, 2010.
Pierre-François
Moreau, Spinoza et le spinozisme, PUF (QSJ?), 2009. - Spinoza
fut attaqué sur tous les fronts mais ses positions marquèrent les controverses
sur la Bible, le droit naturel et la
liberté de conscience. On retrouve sa trace
dans les Lumières, l'idéalisme allemand,
le marxisme et la psychanalyse,
ce que montre cet ouvrage en faisant découvrir sa vie, son oeuvre et son
rayonnement. (couv.).
Savario
Ansadi, Spinoza et la Renaissance, PUPS, 2007.
P.
Kerszberg, Spinoza et les philosophies de la vie, Presses
universitaires du Mirail, 2007.
A.
Damasio, Spinoza avait raison, Odile jacob, 2005.
Ferdinand
Alquié, Servitude et liberté selon Spinoza, La Table Ronde, 2003.
- Gilles Deleuze, Spinoza, philosophie pratique, Minuit, 2003. -
Leibniz, Réfutation inédite de Spinoza,
Actes Sud, 1999.
Chantal
Jaquet, L'unité du corps et de l'esprit chez Spinoza, PUF, 2004.
- De la même, Les pensées métaphysiques de Spinoza, Publications
de la Sorbonne, 2004. Michel Henry, Le bonheur de Spinoza, suivi
de Etude sur le spinozisme, PUF, 2004. - Bertrand Dejardin, Pouvoir
et impuissance, philosophie et politique chez Spinoza, L'Harmattan,
2003. - Antonio Damasio, Spinoza avait raison, joie et tristesse, le
cerveau des émotions, 2003. - Salomon Ofman, Pensée et rationnel
: Spinoza, L'Harmattan, 2003. - Pierre-François Moreau, Spinoza
et le spinozisme, PUF (QSJ), 2003. - François Zourabichvili, Spinoza,
une physique de la pensée, PUF, 2002. - Du même, Le conservatisme
paradoxal de Spinoza, PUF, 2002. - Roger Scruton, Spinoza, Le Seuil,
2000. - Pierre Macherey, Introduction à l'Éthique de Spinoza,
PUF 1998-2000, 5 vol.. - Henry Méchoulan, Amsterdam au temps de Spinoza,
argent et liberté, PUF, 2000. - Philippe Cassuto, Spinoza et les
commentateurs juifs, Publications de l'université de Provence, 2000.
- Harry Austryn-Wolfson,
La philosophie de Spinoza, Gallimard Editions,
1999. - Richard Popkin,
Histoire du scepticisme,
d'Erasme à Spinoza,
PUF, 1995.
Principaux
ouvrages - 1° une Exposition du
système de Descartes démontré géométriquement (Renati Descartes
principia philosophiæ more geométrico demonstrata, Amst., 1663).
- 2° Tractatus theologicus Amst., 1670 (il y établit la liberté
de pensée). - 3°
Opera posthuma, Amst., 1677. Ils contiennent
: Ethica, traité de morale, où se trouve aussi exposé son système
de panthéisme; Tractatus politicus; De intellectus emendatione;
Epistolæ : ces lettres sont adressées à L. Mayer, à Leibniz,
à Fabricius, etc.
Editions
anciennes - De nouvelles édit. de
ses oeuvres complètes ont été données par H. E. G. Paulus (Iéna, 1802-3),
et par Gfroener (Stuttgart, 1830).
E. Saisset
a donné une traduction estimée des oeuvres philosophiques, 1843 et 1861;
Prat a trad. le traité de politique, 1860. La doctrine de ce philosophe
a été réfutée par un grand nombre d'écrivains qui n'y on vu qu'un
panthéisme, notamment par Fénelon, le P. Lami,
Boulainvilliers,
Leibniz (dans un écrit inédit retrouvé en 1857 par M. Foucher de Careil),
et par Saisset (dans l'introduction de l'éd. de 1861 de sa traduction).
Un recueil des Réfutations de Spinoza avait été publié à Bruxelles
dès 1731. Cette doctrine a été ressuscitée pour un moment par
Schelling.
Amand Saintes a donné en 1844 l'Hist. de la vie et des ouvrages de
Spinoza, 4 vol. in-8. |
|
|