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L'Éthique, de Spinoza

L'Éthique ou la Morale démontrée par la méthode géométrique (Ethica ordine geometrico demonstrata) est un  traité philosophique de Spinoza. Cet ouvrage, où se trouve exposée la philosophie de l'auteur, fut écrit d'abord en hollandais; l'auteur l'écrivit ensuite en latin, très probablement à l'époque où il voulut la publier; mais il renonça à son projet, et l'ouvrage ne parut, qu'après sa mort, en 1677, à Amsterdam, par les soins de l'imprimeur Tieuwertz.

L'ouvrage est divisé en cinq parties : la première traite de Dieu, la seconde de la nature et de l'origine de l'âme, la troisième de la nature et de l'origine des passions, la quatrième de la servitude humaine, et la cinquième de la liberté humaine ou de la puissance de l'intelligence. Une substance unique; deux attributs, la pensée et l'étendue; les modes divins de ces deux attributs formant toutes les existences indépendantes; la source unique de l'étendue et de la pensée inconnue en elle-même et dépouillée d'un entendement déterminé et d'une volonté personnelle; l'âme humaine considérée comme une collection d'idées, le corps humain comme une collection de propriétés, la liberté comme une illusion de la conscience le vice comme une simple privation (defectus) : voilà en quelques mots la doctrine de Spinoza. 

" Elle inaugurait dans la métaphysique, dit Scherer, une révolution analogue à celle que Copernic avait introduite dans la cosmologie, en nous apprenant que la terre n'est pas le centre du système dont elle fait partie. La personnalité, au lieu d'être le centre du monde intellectuel et moral, en devenait un élément subordonné. La ressemblance ne s'arrêtait pas là. De même que, pour comprendre l'astronomie moderne, il faut surmonter le témoignage trompeur des sens et croire au mouvement de la Terre malgré son immobilité apparente, de même Spinoza s'efforçait de nous élever au-dessus du sentiment opiniâtre qui fait que nous croyons à la forme personnelle de la vie comme à la réalité par excellence." 
Il semble que les conséquences de cette doctrine devraient être la négation absolue du bien et du mal, l'entière indifférence, l'entier abandon à la fatalité, pendant l'illusion que nous nommons la vie, et, après la mort, la résorption de l'individu dans l'unité. Il n'en est rien. Il n'existe, à la vérité, ni bien ni mal, ni récompense ni punition, dans le sens positif et direct qu'entendent les religions; mais il y a chez l'individu plus ou moins de joie (de bonheur), de perfectionnement et d'être, selon qu'il se rapproche plus ou moins de la raison pure et infinie, c'est-à-dire de sa vraie nature. Il n'y a pas de coupables, de pécheurs; mais il y a des malheureux et des insensés : ce sont ceux qui vivent plongés dans les sens, dans les apparences, dans la séparation d'avec leur être véritable, dans un quasi-néant.
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L'immortalité de la raison

« PROPOSITION 32. L'âme humaine ne peut entièrement périr avec le corps; il reste quelque chose d'elle, quelque chose d'éternel.

DEMONSTRATION. Il y a nécessairement en Dieu un concept ou
une idée qui exprime l'essence du corps humain, et cette idée, par conséquent, est nécessairement quelque chose qui se rapporte à l'essence de l'âme. Or, nous n'attribuons à l'âme humaine aucune durée qui se puisse déterminer dans le temps, si ce n'est en tant qu'elle exprime l'existence actuelle du corps, làquelle se développe dans la durée et peut se déterminer dans le temps; en d'autres termes nous n'attribuons à l'âme une durée que pendant la durée du corps. Toutefois, comme ce qui est conçu par l'essence de Dieu avec une éternelle nécessité est quelque chose, ce quelque chose, qui se rapporte à l'essence de l'âme, est nécessairement éternel (par la Propos. précéd.). C. Q. F. D.
 
SCOLIE. Cette idée qui exprime l'essence du corps sous le caractère de l'éternité est, comme nous l'avons dit, un mode déterminé de la pensée, qui se rapporte à l'essence de l'âme et qui est nécessairement éternel. Et cependant il est impossible que nous nous souvenions d'avoir existé avant le corps, puisque aucune trace de cette existence ne se peut rencontrer dans le corps, et que l'éternité ne peut se mesurer par le temps, ni avoir avec le temps aucune relation. Et cependant nous sentons, nous éprouvons que nous sommes éternels. L'âme, en effet, ne sent pas moins les choses qu'elle conçoit par l'entendement que celles qu'elle a dans la mémoire. Les yeux de l'âme, ces yeux qui lui font voir et observer les choses, ce sont les démonstrations. Aussi, quoique nous ne nous souvenions pas d'avoir existé avant le corps, nous sentons cependant que notre âme, en tant qu'elle enveloppe l'essence du corps sous le caractère de l'éternité, est éternelle, et que cette existence éternelle ne peut se mesurer par le temps ou s'étendre dans la durée. Ainsi donc, on ne peut dire que notre âme dure, et son existence ne peut être enfermée dans les limites d'un temps déterminé qu'en taut qu'elle enveloppe l'existence actuelle du corps; et c'est aussi à cette condition seulement qu'elle a le pouvoir de déterminer dans le temps l'existence des choses, et de les concevoir sous la notion de durée.  »
 

(Spinoza. Ethique, VI).

L'homme retrouve la seule vraie liberté quand il se détache des phénomènes pour s'attacher à ce qui est réellement et qui ne passe point. Avec la liberté, il retrouve l'immortalité. L'âme raisonnable et philosophique meurt dans la nature extérieure, mais pour revivre en Dieu. Elle perd, à la mort, les sens, la mémoire, l'imagination, tout ce qui tient aux phénomènes, et garde la raison éternelle, ne concevant plus que l'étendue infinie et la pensée infinie; elle vit, non comme un être réel, mais comme une idée éternelle en Dieu. Telle elle était avant sa vie terrestre, telle elle subsiste après : ce n'est qu'un mode de la pensée divine; mais ce mode est impérissable. C'est là le souverain bien. Ce bien, le philosophe le désire pour les autres comme pour lui-même, d'autant plus qu'il connaît Dieu davantage, c'est-à-dire qu'il cornaît mieux l'unité de tous les êtres apparents dans l'être réel. Arrivé à cette hauteur, Spinoza retrouve donc dans l'unité le droit, la charité, la morale commune.

Une rumeur terrible s'éleva à l'apparition de l'Ethique. On cria de toute part à l'impie, à l'athée, contre cet homme, dont la seule erreur avait été de ne croire qu'en Dieu et de tout anéantir en Dieu. Et pourtant l'instinct de la foule ne la trompait pas essentiellement; car, si l'on anéantit l'univers en Dieu, Dieu lui-même s'anéantit dans l'impersonnalité; le Dieu vivant s'abîme après l'homme réel, le Créateur après la création. (PL).

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