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Représentation

Le mot représentation, inconnu il y a deux siècles dans la langue de la philosophie française, y joue maintenant un rôle très considérable. Ce terme vise à désigner en son sens le plus large, ce qui est présent à l'esprit, ou "ce qui forme le contenu concret d'un acte de pensée" (Lalande). Autant dire que sa signification première est suffisamment floue, pour expliquer qu'on puisse le voir utilisé dans des sens assez divers selon les auteurs. 

L'héritage de la philosophie allemande. La représentation selon Kant.
Représentation, mot présent en français depuis le milieu du XIIIe siècle, est d'abord apparu en philosophie  tout simplement traduction du mot allemand Vorstellung, qui est lui-même comme le type et la souche de toute une famille de dérivés. L'idée qu'il exprime est très simple, très naturelle, et on s'étonne qu'elle n'ait pas trouvé plus tôt, dans la langue française classique, une expression précise, plus précise même que ce long mot à la physionomie germanique. 

L'humain, mis en face de la nature, traduit en son esprit les choses qu'il voit, les images qu'il perçoit. Quelle que soit la manière dont il se représente à lui-même les phénomènes qui l'entourent, que ce soit par les sens, par l'imagination, par la mémoire, par la réflexion a priori, avec ou sans émotion, avec ou sans le concours de sa volonté, nettement ou confusément, toutes les fois que le phénomène extérieur et objectif, comme disent les philosophes allemands, se transforme en un phénomène spirituel (subjectif), il y a ce qu'on nomme une représentation, le fait est devenu idée ou sentiment, ou volonté; le phénomène physique et sensible est devenu phénomène suprasensible et spirituel. C'est ce grand mystère devant lequel s'étonnaient et s'effrayaient à bon droit les Anciens. Comment, dans un cadre dualiste, expliquer le passage de la matière à l'esprit, du dehors au dedans?

Toutes les anciennes philosophies ne l'expliquent que par une métaphore : l'esprit humain, disent-elles, reçoit comme l'empreinte de tous les objets et de tous les phénomènes externes. Ainsi se forment dans le cerveau de petites images ou tableaux en miniature des objets perçus par les sens : eidôlon, petite image; c'est le mot qu'emploient Empédocle et Epicure, et l'on peut voir qu'après quelques milliers d'années la philosophie n'a guère fait que changer de métaphore; représentation ne signifie pas autre chose que eidôlon, et, ce qui est plus remarquable, idée, à son tour, signifie précisément la même chose. Ainsi, à toutes les époques, les philosophes n'ont pu faire entendre comment l'esprit établit un rapport entre le monde et lui-même que par cette analogie de la pensée avec la vue, de l'esprit avec l'oeil.

Notons cependant une nuance qui n'est pus sans importance : le mot représentation implique, de plus que les mots idée et image, quelque chose d'actif et de spontané de la part de l'esprit humain; il ne subit plus seulement le contact et l'impression des effluves ou émanations des objets; c'est lui-même qui se pose pour ainsi dire devant les yeux use image qu'il se crée des objets. La représentation n'est pas l'effet produit nécessairement par les choses, elle suppose aussi des personnes qui se les représentent.

La classification des représentations a été faite par Kant dans sa Critique de la raison pure. On la peut faire, du reste, à différents points de vue, d'après la classification des facultés qu'on admet. Kant laisse d'abord au plus bas de l'échelle les représentations telles qu'on peut les supposer chez les animaux, accompagnées de peu ou point de conscience. Puis viennent celles que fournissent les sens exclusivement, et qu'on peut nommer perceptions, plutôt que représentations sensibles ou sensations représentatives. Au-dessus, et comme pour coordonner ces représentations élémentaires du premier degré, on peut mentionner les représentations de l'entendement, les concepts (Begriff), c'est-à-dire toutes les idées abstraites et générales qui servent à constituer une hiérarchie logique des représentations sous les trois chefs superposés: individu, espèce et genre. Enfin, et sans sortir de I'intelligence, au-dessus des catégories elles-mêmes qui, selon Kant, sont des représentations de représentations, on trouve les représentations des idées transcendantales, des principes a priori, des jugements absolus de la raison. Ici, la représentation n'a plus d'objet, de matière empruntée à l'expérience; elle est purement formelle et ne représente plus rien qu'une loi ou règle subjective nécessaire de la pensée humaine. 

Avec ces trois grandes classes de représentations intellectuelles, on peut considérer comme épuisées toutes les formes d'activité pensante que nous possédons. Mais ce ne sont là que les représentations théoriques, celles qui se rapportent à la connaissance, non à l'action; celles qui guident nos investigations dans le domaine du monde expérimental des phénomènes. 

Mais Kant ne s'arrête pas là : il lui reste à sonder un autre univers, celui des noumènes, dans lequel les représentations ont un tout autre caractère. Ce sont des représentations pratiques, c'est-à-dire des pensées qui tendent à l'action, qui ont pour but et pour effet, non seulement l'affirmation de telle ou telle vérité, mais la réalisation de telle ou telle volonté. Ces représentations sont produites, soit à l'occasion de quelque objet extérieur, soit tout à fait spontanément par la raison, considérée alors comme pratique, et elles s'adressent, non à la pensée ou à l'entendement, mais à la faculté d'agir, qu'elles ont la propriété de déterminer. Le sont des représentations propres à avoir un effet sur notre liberté. Parmi ces représentations, Kant signale comme ayant une importance capitale l'idée du devoir ou la représentation de la loi morale, qui seule a la propriété de s'imposer absolument, sans relation et sans égard à aucune condition c'est l'impératif catégorique, représentation pratique, à la fois subjective et inconditionnelle, qui tire de soi toute sa force et toute Son autorité.

Il resterait un dernier groupe de représentations à distinguer : ce sont celles qui tiennent, pour ainsi dire, le milieu entre les représentalions théoriques et les représentations pratiques. Nous voulons parler des représentations esthétiques ou relatives à ce que Kant a nommé " jugements de goût sur le beau ou sur le sublime ". Là, en effet, la représentation se fait sans notion, sans concept, et elle s'impose néanmoins à l'esprit, quoique inexposable, et à plus forte raison indémontrable. C'est un genre de représentation qui, selon Kant, ne correspond ni à le volonté ni à l'intelligence proprement dite, mais à une faculté esthétique qui participe à la fois des caractères de l'une et de l'autre. (PL).

La représentation selon Ferrater Mora.
Envisagée d'un point de vue psychologique selon ce que l'on a appelé sa qualité, la représentation, en suivant ici les distinctions faites par Ferrater Mora, peut correspondre à : 

1°) L'appréhension d'un objet effectivement présent. Ce peut être alors une forme de la perception, comme dans les cas où l'on considère les représentations des sens (représentations visuelles, auditives, etc.). La représentation entendue en ce sens peut également ne concerner que des formes (idées, conceptions, volitions, etc.).

2°) La reproduction par la conscience de perceptions anciennes, aussi appelées représentations de la mémoire ou souvenirs, 

3°) L'anticipation dévénements possibles dans le futur. 

4°) Le rapprochement dans la conscience de perceptions qui ne sont ni passées, ni présentes ni admissibles comme futures. On parlera dans ce cas, comme dans le précédent d'imagination



Pierre Guenancia, Le regard de la pensée. Philosophie de la représentation, Presses Universitaires de France - PUF, 2009.  - Le terme de représentation est tombé dans un discrédit à peu près général. Synonyme de remplacement d'une chose ou d'une personne par une autre, utilisé aussi comme équivalent d'image ou de copie mentale d'une chose réelle, il serait l'obstacle qu'il faut contourner pour rendre compte de l'appartenance de l'homme à l'Être qui ne se laisse pas représenter mais penser. Prenant le contre-pied de cette interprétation, ce livre s'emploie à montrer que l'acte de représenter une chose par une autre (un événement ou une situation par une figure, par un récit, par un tableau, une carte, etc.) est toujours un acte de se représenter par lequel la pensée s'approprie un donné extérieur à elle et en fait un objet pour l'entendement. Ainsi la possibilité de regarder une chose autrement que comme elle se donne dans l'expérience directe est-elle la condition de la liberté de l'esprit, aussi bien vis-à-vis des choses qu'il perçoit comme extérieures à lui que vis-à-vis des autres hommes sur la scène sociale et surtout vis-à-vis de lui-même. Le but du livre est de montrer que seule la représentation de soi, seul cet éloignement du soi réalisé par le regard de la pensée, institue un rapport réglé et libre de soi avec soi-même comme avec les autres. (couv.).

Pierre Mannoni, Les représentations sociales, Presses Universitaires de France - PUF, 2010. - Les représentations sociales sont à la base de notre vie psychique. C'est à elles que nous faisons le plus facilement et le plus spontanément appel pour nous repérer dans notre environnement physique et humain. Situées à l'interface du psychologique et du sociologique, elles sont enracinées au cœur du dispositif social. Quelles représentations de l'autre et des relations sociales englobent-elles? En quoi constituent-elles des éléments fondamentaux de notre épistémologie, et notamment de l'élaboration du sens commun? (couv.).

Représentation (mathématiques). - Considérons une figure f tracée sur une surface S, soit S' une seconde surface, à chaque point de S on peut faire correspondre un point de S', à la figure f correspondra une figure f sur S' qui en est une sorte d'image et l'on dit que f est la représentation de f sur S'. Le mode de correspondance dont il s'agit peut s'obtenir comme il suit Soient l, m les coordonnées curvilignes d'un point de S ; l', m' les coordonnées curvilignes d'un point de S'; si l'on assujettit l, m, l',m' à satisfaire à deux équations :

c(l, m, l', m') = 0, y = 0,

à chaque point l, m de la première surface correspondra un point l',m' de la seconde; à une figure c(l, m) = 0 de la première surface correspondra une figurer (l',m') = 0 de la seconde, obtenue en éliminant l, m entre c = 0, y = 0, f= 0. 

Quelques modes particuliers de représentation sont célèbres, la construction d'une carte géographique est la représentation sur un plan d'une figure tracée sur la sphère ou, plus exactement, sur un ellipsoïde. Quand on représente une figure, on peut se proposer de le faire en conservant certains éléments de la figure primitive, on peut se proposer de conserver les longueurs, ou les angles ou les aires, etc., par exemple dans la projection stéréographique on conserve les angles, etc. 

Au point de vue analytique, la représentation conforme qui fait correspondre à une figure plane une autre figure plane a joué un rôle extrêmement important dans la théorie des fonctions d'une variable imaginaire; nous allons en dire quelques mots. Si l'on considère une fonction monogène X+iY de la variable x+iy, on sait que quand le point x+iy décrit une figure, le point X+iY en décrit une autre dans laquelle les angles sont conservés; on est alors conduit à se poser cette question : étant données deux aires planes A et A', existe-t-il une fonction x'=f(z) telle que le point z décrivant l'aire, A, le point z' décrive l'aire A', un point de l'aire A n'ayant qu'un seul correspondant dans l'aire A' et vice versa? La réponse à cette question est affirmative, et la solution de ce problème date seulement de la fin du XIXe siècle. Il  était considéré à l'époque comme l'un des chapitres les plus intéressants de l'analyse. (H. Laurent).

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