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L'histoire de la pharmacie |
La
pharmacie
est la science des remèdes. Recueillir, choisir, conserver les matières
premières ou drogues simples, leur donner les formes nécessaires, les
mélanger ensuite de façon à en composer le remède prescrit par le médecin,
tel est le but du pharmacien.
Pharmacie des anciens peuples de l'OrientLa Chine et le Japon.L'étude des médicaments remonte à des époques fort reculées. La Chine nous offre ainsi toute une série de traités de matière médicale, portant le nom commun de Pentsao king (Bencao Jing, en transcription pinyin), qui, d'après la tradition, auraient tous pour point de départ les recherches faites ou ordonnées par l'empereur (légendaire) Shénnóng. On a conservé la liste de ces traités, renouvelée d'âge en âge dans les diverses dynasties, et dont les documents condensés et résumés par Li-Shi-Chers dans la seconde moitié du XVIe siècle de notre ère forment le fonds du Pentsao-Kang-mu, devenu depuis lors le Pentsao classique, auquel se rapportent tous les commentateurs. Les drogues simples ne sont pas les seuls éléments de ces anciennes recherches. On retrouve dans ces vieux livres des essais d'analyse, des préparations d'extrait; la pharmacie pratique s'y joint à la matière médicale. (La médecine chinoise). Le Japon a subi l'action du voisinage de la Chine à partir des Ve et VIe siècles de notre ère. La foule bizarre de médicaments qui fait le fond de la matière médicale chinoise, se retrouve dans les deux pays. Tout est créé pour
servir à l'humain, tel est l'adage accepté; et il n'est pas de substance
répugnante, sécrétions, excréments, dépouilles d'animaux les plus
divers qui ne se rencontre dans l'arsenal pharmaceutique de ces pays d'extrême
Orient. Mais au milieu de ces substances étranges, nous pouvons noter
des produits d'une incontestable valeur, mentionnés déjà dans les anciennes
listes, où, suivant leurs puissances respectives, ils étaient classés
en empereurs, ministres, assistants ou agents.
Ils appartiennent aux trois règnes de la nature; au règne
minéral :
le nitre, le borax, l'alun, les sels de cuivre
et de mercure; aux végétaux et aux animaux : la masse énorme de médicaments
dont les pharmacologistes, tels que D. Hanbury, en particulier, ont travaillé
à l'identification.
L'empereur Shénnóng testant une plante médicinale. (Estampe japonaise du XIXe s.) Les formes les plus usitées pour leur administration étaient les poudres, les pilules, les pommades et onguents, les conserves; les vins, les infusions et décoctions, les sucs de plantes; ni mellites ni sirops. Au début du XXe siècle, peu de choses avaient changé. Mais, tandis que la Chine était restée attachée à ses vieilles formules, le Japon, s'émancipant peu à peu de ses anciens maîtres en science, est entré dès cette époque dans le mouvement des pays occidentaux et s'est associé par les recherches personnelles de plusieurs de ses savants à la pharmacologie moderne. L'Inde.
Les Brahmanes d'abord, les prêtres de Bouddha ensuite exerçaient à la fois la médecine et la pharmacie et ajoutaient à l'action des remèdes l'intervention de procédés magiques. Les derniers s'établirent au Tibet, y portèrent les traditions de l'Inde; les lamaseries, si importantes dans le pays, au voisinage de Lhassa, ont continué jusqu'à nos jours à mêler à l'administration des médicaments les incantations et les mystères religieux (La médecine tibétaine). L'Égypte.
« Les médicaments préconisés comprennent, nous dit Maspéro (Histoire ancienne des peuples de l'Orient, I, 219), à peu près tout ce qui dans la nature est susceptible de s'avaler sous une forme quelconque, solide, pâteuse ou liquide. Les espèces végétales s'y comptent à la vingtaine, depuis les herbes les plus humbles jusqu'aux arbres les plus élevés, le sycomore, les palmiers, les acacias, le cèdre dont la sciure et les copeaux passaient pour posséder des propriétés à la fois antiseptiques et lénitives. On remarque, parmi les substances minérales, le sel marin, l'alun, le nitre, le sulfate de cuivre, vingt sortes de pierres entre lesquelles la pierre memphite se distinguait par ses vertus : appliquée sur des parties du corps lacérées on malades, elle les rendait insensibles à la douleur et facilitait le succès des opérations chirurgicales. La chair vive, le coeur, le foie, le fiel, le sang frais ou desséché des animaux, le poil ou la corne de cerf s'employaient couramment dans bien des cas où nous ne comprenons plus la motif qui les avait fait choisir de préférence à d'autres matières. Nombre de recettes déroutent par l'originalité et par l'insolite des ingrédients préconisés : le lait d'une femme accouchée d'un garçon, la fiente d'un lion, la cervelle d'une tortue, un vieux bouquin bouilli dans l'huile. Les médicaments qu'on fabriquait avec ces substances fort disparates étaient souvent fort compliqués. On croyait multiplier la vertu curative en multipliant les éléments de guérison; chaque matière agissait sur une région déterminée du corps et se séparant des autres après l'absorption, allait porter son action au point qu'elle influait. Pilules ou potions, cataplasmes ou onguents, tisanes ou clystères, le médecin disposait de tous les moyens dont nous nous servons pour introduire les remèdes dans l'organisme. Comme il avait prescrit le traitement, il le préparait et ne séparait pas son art de celui du pharmacien. Il dosait les ingrédients, les pilait ensemble on séparément, les laissait macérer selon l'art, les bouillait, les réduisait par la cuisson, les filtrait au linge. La graisse lui servait de véhicule ordinaire pour les onguents, et l'eau pure pour les potions, mais il ne dédaignait pas les autres liquides, le vin, le bière douce ou fermentée, le vinaigre, le lait, l'huile d'olive, l'huile de ben verte ou épurée, même l'urine de l'humain et des autres animaux : le tout édulcoré de miel se prenait chaud, matin et soir. »Tous ces médicaments étaient préparés par les mains d'une classe particulière de prêtres (La religion égyptienne), très ingénieux et très habiles dans leurs manipulations : il y en avait pour toutes les parties du corps, particulièrement pour les yeux si exposés dans ces contrées à de fréquentes ophtalmies. Les cosmétiques étaient aussi très nombreux. Enfin on sait combien les Égyptiens étaient habiles dans l'art des embaumements où les drogues antiseptiques et conservatrices arrivaient aux résultats étonnants que nous pouvons le constater par la découverte de leurs momies. La Mésopotamie.
Les Hébreux.
« Les fruits serviront pour nourrir les peuples et leurs feuilles les guériront ».Les résines, la myrrhe, le baume de Judée, les mandragores, etc., sont cités dans la Bible comme des médicaments. La conception thérapeutique changea d'ailleurs après le retour de la captivité. La science pénétra dans le pays, et le courant grec y introduisit des données plus scientifiques et des médicaments nouveaux. Iran.
Les mélanges étaient bizarres, les excipients variés, vin, urine de l'humain ou des autres animaux, particulièrement de la vache. Tel fut la pharmacopée des premiers âges. La Perse fut, au temps de Cyrus, dans une période de prospérité qui y attira force étrangers, Grecs, Indiens, et qui mêla aux données primitives beaucoup de notions scientifiques et des éléments de développement. Les médicaments chez les Grecs et les RomainsGrèce.C'est en Grèce que nous verrons s'épanouir la science dans toute sa liberté. Cependant, ici comme au début de toutes les civilisations, la religion joue tout d'abord le rôle prépondérant, la thérapeutique est un mélange d'incantations, de prières, d'hymnes et de remèdes parfois très efficaces. Orphée est à la fois musicien, poète et médecin; Galien lui attribue un livre sur la préparation des médicaments; Mélampe, qui jouit dans l'Argolide de la même réputation qu'Orphée en Thrace, guérit Iphicus avec des médicaments, et la folie des filles de Prétus avec l'hellébore. Ce sont les dieux qui, dans les sanctuaires mystérieux, rendent les oracles, et, par la bouche de la prêtresse inspirée, indiquent les remèdes à employer; les temples sont le théâtre des guérisons, et le malade témoigne par des sortes d'ex-voto sa reconnaissance envers les dieux, mais en même temps son désir d'être utile à ses concitoyens en transcrivant le remède qui l'a délivré de ses maux. Un grand nombre d'inscriptions nous sont ainsi parvenues. Elles ont été des documents précieux pour les médecins des diverses écoles (La médecine antique). Puis des applications plus directes à l'art de guérir sans intervention de formules magiques nous sont indiquées; des personnalités à demi légendaires, telles que le centaure Chiron, forment des élèves dont les poèmes du temps et particulièrement les chants homériques nous disent toute habileté à soigner les blessés de leurs armées. Quels sont exactement les remèdes calmant la douleur, les vulnéraires fermant les plaies qu'employaient Machaon, Podalyre, Achille et Patrocle? Il est bien difficile de le dire. Sprengel et bien d'autres après lui ont dressé le catalogue des plantes citées par Homère, la Flora Homeria, mais dans cette liste il se trouve bien peu de plantes réellement officinales et il est difficile de les identifier exactement. Deux espèces en particulier, le Moly et le Nepenthes ont été l'objet de discussions nombreuses. Le Moly est-il un Allium, le Nepenthes, l'opium que connaissaient déjà les Égyptiens? Rien n'est plus problématique. D'autre part, les sectes philosophiques qui ont précédé Socrate (Les Présocratiques) se sont plus ou moins occupées de médecine : Thalès, Démocrite, Empédocle, Pythagore, etc., ne négligent ni l'étude des maladies, ni celle des remèdes; il reste cependant bien peu de notions pharmacologiques de ces recherches spéculatives plus qu'expérimentales. Pythagore connaissait l'usage d'un certain nombre de médicaments; il connaissait la seille et les propriétés de plusieurs des remèdes dans la composition desquels entrait cette plante; il vantait le chou, la moutarde, etc. Les Pythagoriciens employaient les remèdes externes sous des formes variées : lotions, fomentations, onguents. Les philosophes eurent donc une influence marquée sur la médecine et la pharmacologie; ils eurent surtout le mérite de la faire sortir de l'intérieur des temples et des lieux de mystère. Hippocrate et
ses successeurs en Grèce.
Quant aux formes d'administration, c'étaient pour les médicaments externes les fomentations, les fumigations humides ou sèches, les gargarismes, les huiles et les onguents, les huiles composées par infusion de plantes, les cérats faits d'huile et de cire, les cataplasmes; pour les médicaments internes, les décoctions et les infusions de plantes végétales dans lesquelles on délayait des poudres, les jus de plantes, les mélanges de vin, d'huile, de miel, de vinaigre ou d'autres liquides simples et composés. On employait aussi des préparations solides, extraits, gommes, résines, poudres, le tout mêlé avec du miel et d'autres ingrédients; on leur donnait des formes variées : celle de collyres, masses longues, analogues aux suppositoires et aux pessaires; celle des trochisques; enfin des éclegmes, médicaments mous que l'on suçait et avalait lentement; on employait aussi les mellites, les oxymels, enfin, les condits, mais non les sirops, qui ne furent apportés que par les Arabes. Toutes ces préparations étaient faites par le médecin ou ses aides; la pharmacie était encore confondue avec le médecine. Après Hippocrate, des philosophes de premier ordre, Platon et Aristote, comprirent la médecine dans le cercle de leurs études; Aristote avait même au commencement de sa carrière vendu des médicaments comme rhizotome, mais ses efforts se portèrent surtout sur l'histoire des animaux et il fut plus naturaliste que médecin. Théophraste, son disciple, étudia les plantes, mais lui aussi fut surtout botaniste et très peu pharmacologue; aussi la matière médicale n'a-t-elle pas grand profit à tirer de la liste de plantes, données par Sprengel, d'après ses ouvrages. C'est dans l'école médicale d'Alexandrie, à la cour des Plolémées et aussi à celle des rois de Syrie et de Perse, qu'il nous faut transporter pour recueillir désormais un certain nombre de renseignements. École d'Alexandrie.
C'est à ce moment que se fait une séparation entre les diverses branches de la médecine : chirurgie, pharmaceutique et médecine proprement dite. Cette division du travail donna aux diverses branches, et en particulier à la pharmacologie, une nouvelle impulsion qu'accrut encore l'influence de l'école empirique. Cette école proposait de s'en tenir à l'expérience; Serapion posait comme base de la nouvelle méthode l'étude expérimentale des médicaments; mais il eut la fâcheuse idée d'associer plusieurs de ces substances, comptant très naïvement que chaque symptôme de la maladie trouverait dans la masse son médicament approprié. Tel fut le point de départ de la polypharmacie et des remèdes compliqués, antidotes et électuaires qui envahirent la médecine. Apollonios d'Antioche, Héraclide de Tarente, Zopyre à la cour des Ptolémées composèrent de pareilles formules; à ces auteurs se joignent les souverains amateurs de pharmacologie : Antiochus Philometor; Nicomède; Cléopâtre, d'Egypte; Artémise, reine de Carie; Agrippine, de Judée, et surtout Mithridate, le roi du Pont, l'illustre adversaire des Romains. Il composa un électuaire célèbre, qui est resté longtemps dans les pharmacopées. Dans ce groupe d'auteurs, inventeurs d'électuaires, le poète, médecin et naturaliste Nicandre (138 av. J.-C.) est surtout remarquable. Ses poèmes sur la Thériaque et les Alexipharmaques (Ophiaca et Alexipharmaca) sont curieux en renseignements sur les poisons, sur les venins des serpents et de divers animaux. Quand l'Orient devint la conquête de Rome, les antidotes de ses rois excitèrent la curiosité des vainqueurs, qui en rapportèrent les formules avec eux. Rome.
Deux hommes de grand
mérite apportèrent leur contingent à la science des médicaments : Pline,
qui consacra plusieurs livres de son Histoire naturelle
à des renseignements cités sans beaucoup de critique; Dioscoride,
surtout, qui apporta à la matière médicale et aussi à la pharmacologie
proprement dite un appoint considérable. Son livre est resté jusqu'Ã
la Renaissance le véritable code de
matière médicale, commenté par les plus grands naturalistes de cette
époque. Mais celui qui domine toute cette période est le grand médecin
Galien (131-200). Ses vues générales sur la
médecine l'amènent à une étude attentive des médicaments. Le corps
humain est formé des quatre éléments
: le feu, l'eau, l'air et la terre, dont les qualités sont le chaud, le
froid, le sec et l'humide. Ces mêmes qualités existent dans les médicaments,
et c'est pourquoi leur emploi peut ramener l'équilibre rompu dans le corps
par la maladie. Ces qualités premières ont plusieurs degrés : ainsi
la chicorée est froide au premier degré, le poivre chaud au quatrième.
Sans entrer dans des détails qui nous entraîneraient trop loin, il est
facile de reconnaître dans cette classification celle qui a dominé la
pharmacologie jusqu'au XVIIIe siècle,
persistant après même que les théories médicales de l'auteur étaient
abandonnés. Galien était très amateur de pharmacologie; il réunissait
tout ce que ses prédécesseurs avaient écrit; il recueillait en outre
et achetait souvent fort cher des recettes de préparations pharmaceutiques.
Quoiqu'il simplifiât souvent les médicaments composés empruntés Ã
d'autres auteurs, il lui arrivait d'user lui-même de médicaments fort
complexes, et il contribua certainement à la polypharmacie qui se développera
plus tard de plus en plus sous l'influence des
médecins
arabes.
Le Traité de la matière médicale de Dioscoride dans une traduction arabe. Période du Moyen âge et de la RenaissanceGalien représente l'apogée de la pharmacologie romaine. Après lui, des écrits de grande importance méritent l'attention; ils appartiennent à l'école d'Alexandrie qui se perpétuait. Oribase (360) fut un des auteurs les plus célèbres. Son oeuvre consiste en livres d'érudition; il résuma ce qu'on savait à son époque, soit en médecine, soit en pharmacologie. Plus tard (543), Aétius d'Amide, auteur d'un Tetrabilos; Alexandre de Tralles, au dire de Sprengel, l'un des esprits les plus estimables de son siècle; Paul d'Egine (634) produisirent aussi des ouvrages intéressants, mais dont nous n'avons rien de très spécial à tirer pour cette étude.Les Nestoriens
et les Arabes.
Quand les califes arabes s'avancèrent du côté de la Perse, ils trouvèrent là des documents tout préparés, qu'ils firent traduire dans leur langue. Bagdad, fondée par le calife Almanzor, Le Caire, Cordoue, Séville, devinrent successivement des écoles civilisatrices, à mesure que l'invasion arabe s'étendit des bords da Tigre en Asie, jusqu'à -ceux de l'Ebre en Espagne. Mesué l'Ancien, Jean Sérapion étaient issus de parents nestoriens; Avicenne et Rhazès en Orient, Avenzoar, Averroès, Albucasis en Occident furent les principaux représentants des écoles arabes depuis le VIIIe siècle jusqu'à la fin du XIVe. La pharmacologie fut une des branches à laquelle ils s'appliquèrent de préférence. Ils firent surtout oeuvre d'érudition, commentèrent beaucoup les anciens, Dioscoride pour la matière médicale, Galien pour la pharmacologie. Mais en même temps, ils imprimèrent une direction particulière à la thérapeutique. Ils substituèrent, d'une manière générale, de nouveaux médicaments relativement doux aux violents remèdes de l'ancienne médecine. La rhubarbe, rare à cette époque, le séné et le tamarin, qui font leur première apparition dans la matière médicale, une sorte de manne, qui n'était pas celle du frêne de Sicile ou de Calabre, prennent la place des hellébore, euphorbe, thapsia jadis employés. Ils introduisent aussi dans la pratique médicale le sucre, base de toute une série nouvelle de formes pharmaceutiques, des sirops en particulier. Ce corps n'avait pas été absolument inconnu des Anciens, qui parlaient d'un miel de canne, d'un miel fait par la main des humains, mais ce ne fut qu'aux Xe et XIe siècles que Rhazès, Haly Albas et Avicenne s'en servirent en médecine. Un grand nombre de mots employés en pharmacie proviennent à cette époque de la langue arabe : alcool, alambic, julep, etc., et montrent l'influence qu'ont exercée sur l'art pharmaceutique les médecins de cette école. Malheureusement, il faut ajouter qu'ils poussèrent toujours plus vers une polypharmacie excessive, qui n'était pas nouvelle mais qui ce développa plus que jamais à partir de cette époque pour arriver à son plein épanouissement au XVIe siècle. On admettait dans la secte, que Guy Patin appelait plus tard arabique, que le remède contenait : 1° la base (basis); 2° les éléments nécessaires à la base, les sine quibus; 3° les éléments qui ajoutent à l'action de la base, les per quae melius; 4° les éléments qui, lorsqu'ils manquent, peuvent être remplacés par d'autres, les quid pro quo. Un exemple nous montrera la complication qui en résultait pour les formules. Bauderon, qui vivait en 1610, nous dit dans son Commentaire sur l'Aurea Alexandrina, composition de l'antidotaire de Nicolas, le livre officiel de l'époque : « L'opium est la base de cet électuaire; mais on y fait entrer d'autres médicaments pour augmenter son action, et comme ces médicaments sont de mauvaise qualité, on en ajoute d'autres pour les corriger. Ce n'est pas tout encore : on entasse une quantité énorme de drogues, dont les unes sont chargées de diriger l'action de ce médicament vers la tête; les autres vers la poitrine, d'autres vers le coeur, l'estomac, la rate, le foie, les reins et plusieurs autres parties... Ainsi la vertu rafraîchissante et narcotique de l'opium est augmentée par la jusquiame et l'écorce de mandragore, tandis que la qualité nuisible de ces dernières est corrigée par la myrrhe, l'euphorbe, le castor et les anacardes; leur action est déterminée vers le cerveau par le moyen des clous de girofle, de la sauge, de la pivoine, du bois d'aloès et de l'encens; ils pénètrent dans la poitrine et dans les poumons, par le moyen du soufre, du thym, du pouillot et de la gomme adragante. Enfin, ils vont au coeur par l'addition des perles, du blatta byzantia (opercule d'une coquille appelée unguis odoratus), de l'or, de l'argent, de l'os du coeur de cerf et de l'ivoire; à l'estomac par le mastic, etc. »On ne s'étonnera pas après avoir lu de pareilles étrangetés, des diatribes lancées contre elles par Paracelse et les iatrochimistes. Nous ne pouvons entrer dans l'étude particulière des oeuvres de chacun des auteurs de la période arabe. Nous signalerons seulement quelques faits saillants. Rhazès, mort en 923, avait le premier parlé dans un livre de médecine de l'eau-de-vie et en particulier de l'arack obtenu avec le riz ; il avait aussi indiqué diverses espèces de bières faites avec l'orge, le riz et le seigle. Jean Mesué avait au Xe siècle donné une Pharmacopée, qui fut longtemps une sorte de codex pour la pharmacie européenne. Avicenne (978 à 1036) avait, dans son Canon, consacré son deuxième livre aux médicaments simples et le cinquième aux médicaments composés; c'était un polypharmaque excessif; Avenzoar, dans la première moitié du XIIe siècle, s'était beaucoup occupé de médicaments; il en étudiait volontiers le composition, qui restait toujours fort compliquée; Averroès, mort en 1206, avait fait dans son livre nommé Colliget l'histoire de la thériaque et des plantes médicinales; enfin Ehn Beithar, mort en 1248, composa sur les médicaments simples un ouvrage fort remarquable comprenant bon nombre d'observations personnelles. L'école arabe s'éteignit assez vite en Asie; mais elle continua longtemps à prospérer dans l'Europe occidentale par les écoles d'Espagne et à exercer son influence sur certaines écoles spéciales, celles de Salerne et de Montpellier. École de Salerne.
La boutique d'une apothicaire au XIVe siècle. (Miniature extraite du Theatrum sanitatis). École de Montpellier.
Mais avant d'y arriver nous devons traverser des siècles d'incertitudes et d'agitations. En dehors des foyers méridionaux où s'était manifestée, l'influence arabe, on ne peut indiquer que quelques centres isolés. Charlemagne avait dans ses Capitulaires poussé à l'étude des simples en prescrivant la liste des plantes médicinales à cultiver dans les couvents. Dans les monastères, des religieuses, comme Hildegarde de Bingen (1098-1180), transmettaient la liste de leurs recettes et préparaient une sorte de matière médicale indigène; dans le peuple, des formules plus ou moins empiriques étaient employées et faisaient fortune; mais il n'y avait dans tout cela que des expériences isolées, sans méthode et sans direction générale. Ce qui dans ces temps obscurs prend racine et devient à un moment prépondérant, c'est l'alchimie, qui mérite toute notre attention. Les alchimistes.
Geber, né en 702, l'auteur du Summa perfectionis, fut, au VIIIe siècle, le premier de cette école de chimistes arabes; il donna son élixir rouge, qui n'est qu'une dissolution d'or, comme un remède à tous les maux, Rhazès, Avicenne, Albucasis, etc., poursuivirent des recherches semblables. Leurs efforts n'aboutirent naturellement pas au but chimérique qu'ils poursuivaient; mais ils trouvèrent sur la route bien des faits intéressants pour la matière médicale. Geber signale l'oxyde rouge et le deutochlorure de mercure, l'acide nitrique, l'acide chlorhydrique, le nitrate d'argent; Rhazès parle de l'orpiment, du réalgar, du borax, des combinaisons du mercure avec les acides; Albucasis s'occupe de la distillation qu'il perfectionne. Toutes ces idées passèrent en Europe vers le XIIIe siècle, elles furent dans l'ensemble adoptées par des hommes de grand mérite, qui jetèrent un grand éclat dans ces siècles de crédulité naïve. Albert le Grand (1193-1282), naturaliste éminent, ne participa que peu à la recherche du grand oeuvre, mais ses grandes connaissances le rendirent légendaire et lui firent attribuer les livres apocryphes publiés après lui sous les noms de Secrets du Petit Albert et du Grand Albert. Roger Bacon, d'Angleterre (1224-1295), Arnaud de Villeneuve, du midi de la France (1285-1312), Raymond Lulle d'Espagne (mort en 1315) sont les grands hommes du XIIIe siècle qui découvrent des faits nombreux et intéressants, mais que les profanes connaissent surtout par leurs tendances à l'alchimisme. Pendant le XIVe siècle, nombre de disciples de mauvais aloi prétendent se rattacher à ces noms célèbres, mais leurs exagérations font perdre du terrain aux théories mystiques et suscitent, par réaction, des esprits plus sages comme Gentilis de Foligno (mort en 1349) et plus tard Saladin d'Asculo et Ardinino de Pesaro, qui notent dans la matière médicale les substances actives sorties du creuset des alchimistes. Basile Valentin et les ouvrages qui lui sont avec plus ou moins de raison attribués caractérisent le XVe siècle; magie, astrologie, mysticisme, recettes bizarres, parmi lesquelles quelques-unes utiles. C'est l'invasion de l'antimoine et des préparations dont il est la base. Currus triomphalis antimoni : tel est le titre de l'ouvrage où sont décrites les principales préparations de ce corps. On rapporte à l'auteur la préparation de l'acide chlorhydrique, des notions sur l'or fulminant, sur le bismuth, regardé comme une altération de l'étain, l'action des acides sur l'alcool produisant une odeur éthérée. La Renaissance.
Van Helmont, qui vient après lui (1577-1644), fait la transition entre les chimistes mystiques et les chimistes rationnels; il clôt la série de la période alchimique et commence celle de la chimie scientifique. Il est le représentant le plus brillant de la chemiatrie. Il rend des services à la pharmacie moins par l'introduction de certains remèdes que par la proscription des médicaments qui contiennent peu de matière active. Esprit remarquable, il eut le tort, commun à son époque, de croire encore aux influences magiques et astrologiques. Ce sera le travail de la seconde moitié du XVIIe siècle de réduire à néant toutes ces idées en appliquant les méthodes d'expérimentation. En dehors des substances
chimiques dont nous avons parlé, de nouveaux médicaments avaient été
introduits en Europe. Les produits de l'Orient qui venaient difficilement,
apportés par des marchands juifs
ou arabes, faisaient depuis le XIIIe
siècle
l'objet d'un trafic considérable par les républiques italiennes,
Venise,
Gênes,
Pise,
que les croisades avaient habituées
à transporter hommes et choses de l'Europe en Asie et vice versa. Plus
tard, les Portugais avaient ouvert la voie des Indes
par le cap de Bonne-Espérance, et fait connaître les épices et les médicaments
de l'extrême Orient; enfin l'Amérique
découverte offrait au XVIe et au XVIIe
siècle de véritables trésors pour la matière médicale, et parmi eux
l'ipécacuanha et le quinquina.
« Armoiries des marchands espiciers et appoticaires de Paris ». (1629) La pharmacie des Temps modernesDe la fin du XVIe au XVIIIe siècle.Sous ces influences, les études pharmaceutiques avaient pris un essor remarquable. Déjà au XVe siècle, Saladin d'Asculo avait publié (1488) le premier traité de pharmacologie paru en Europe, le Compendium aromatorum, et Barthélemy Montagnana avait fait paraître (1487) son Antidotaire. « Les manuels dont les apothicaires se servaient dans la seconde moitié du XVe siècle étaient; les Antidotaires latins de Nicolas et de Mesué, l'Expositio super antidoteriis Mesue de Christophorus Georgius de Honestis, le Liber servitoris d'Albucasis et le Compendium Aromatariorum de Saladinus de Asculo, imprimés avec quelques autres petits traités pharmaceutiques, à la fin du XVe siècle et pendant tout le XVIe, à la suite des oeuvres de Mesué (Mesuua opera); le Lumen Apothecariorum de Quiricus de Augustis, le Luminare majus de Johannes Jacobus, de Manliis de Bosco, et le Thesaurus aromatariorum de Paulus Suardus (c'est le premier apothicaire qui ait écrit un livre de pharmacie), réunis en un volume par les typographes du XVIe siècle; les dictionnaires de Simon Januensis (Clavis sanationis) et de Mattheus Sylvaticus (Pandectae medicinae), le traité de Matière médicale de Dioscoride; le Circa instans de Platearius et sa traduction française, dont les manuscrits sont intitulés Secrets de Salerne, et les imprimés, Arbolayre etGrant herbier en françois; l'Hortus sanitatis; l'Herbarius seu de virtutibus herbarum, appelé encore Herbolarium; le De virtutibus herbarum de Macer; le Liber aggregatus in medicinis simplicibus de Sérapion le Jeune; » etc. (note de Dorveaux, dans Notice sur Les Pleigny, p. 35).Giorgio Valla, au XVIe siècle, composait son De simplicium natura (1528); Bassavola, l'Examen simplicium medicamentorum (Rome, 1530). En 1541, Sylvius publiait son Methodus medicamenta componendi; en 1559, Matthiole, les Commentaires de Dioscoride; à Montpellier, des professeurs de l'Université, Rondelet et Joubert, ne dédaignaient pas de donner leurs soins à des ouvrages de pharmacologie et de matière médicale. Au XVIIe siècle, les pharmacopées abondent, et, parmi les plus remarquables : celles de Joseph Duchesne (Quercetanus) en 1603; de Jean de Renou (1608); de Brice Bauderon (1630); de Jean Swelfer (Pharmacopaia Augustana reformata, 1652); de Moïse Charas (Pharmacie royale galénique et chimique, 1676); de Nicolas Lemery (Pharmacopée universelle, 1697). En somme, la Renaissance avec laquelle s'était réveillée la méthode d'observation portait ses fruits. Les savants de la Royal Society de Londres et de l'Académie des sciences de Paris se livraient à l'expérimentation, et parmi les plus distingués se trouvaient en France des pharmaciens, les Geoffroy, les Boulduc, les Lemery, etc. La Faculté de médecine résistait bien quelque peu à la marche en avant; la plume caustique de Guy Patin attaquait à la fois la polypharmacie de la secte arabique et les nouveaux et puissants spécifiques : mercure, antimoine et quinquina; mais elle ne pouvait empêcher les drogues nouvelles de pénétrer dans les officines et d'y prendre leur place légitime. XVIIIe
et XIXe siècles.
Une pharmacie de la fin du XVIIIe siècle, en Norvège. Mais c'est surtout dans l'étude des produits organiques, que la pharmacologie arrive à de féconds résultats. Il semble que le rêve de Paracelse, à la recherche des quintessences des médicaments, se réalise : le principe actif, sous la forme des alcaloïdes, vient permettre au médecin de simplifier ses formules et de se débarrasser peu à peu de l'ancienne polypharmacie. Derosne découvre la narcotine en 1803; Gomez obtient la cinchonine en 1811; Serturner détermine la constitution de la morphine en 1817; Pelletier et Caventou isolent la strychnine et la brucine en 1818, la quinine en 1820; Giesecke, la conine en 1827; Reimann et Posselt, la nicotine en 1828, l'émétine en 1817; Meissner, la vératrine en 1818; Robiquet, la codéine en 1832; dans l'année 1833, Geiger et Hesse, la daturine; Mein, l'atropine; Hesse, l'aconitine; Henry et Delondre, la quinidine; Vée et Leven, l'ésérine en 1865; Hardi, la pilocarpine en 1875; Tanret, la pellétiérine en 1878; etc. A ces alcaloïdes viennent s'ajouter toute une série de produits organiques, les uns extraits des drogues végétales, d'autres obtenus par la substitution d'éléments ou de radicaux les uns aux autres, ou bien encore par synthèse. Ces nouveaux produits sont innombrables, et si dans le nombre il en est de très intéressants, d'importants pour la thérapeutique, beaucoup, il faut bien le dire, encombrèrent, et même pour quelques-uns continueront jusqu'à nos jours d'encombrer, l'officine du pharmacien. De nouvelles voies s'ouvrent à la science des médicaments; les produits physiologiques, ferments tirés des organes glandulaires, pepsine, pancréatine, étaient déjà utilisés depuis quelque temps comme agents médicamenteux; les célèbres recherches de Pasteur ont introduit dans la thérapeutique des moyens d'action qu'on soupçonnait à peine peu de temps avant; c'est la classe des vaccins, expérimentés depuis Jenner, au siècle précédent, mais qui pénètrent désormais dans l'emploi médical régulier et dont le pharmacien ne pourra plus se désintéresser. A mesure que les connaissances utiles au pharmacien se produisaient dans le domaine scientifique, les pharmacopées étaient tenues au courant de tous ces progrès; en 1803, c'était l'oeuvre de Tromsdorff, surnommé le Nestor des pharmaciens allemands; le Cours théorique et pratique de pharmacie de Simon Morelot; en 1828, la Pharmacopée universelle de Jourdan; le Traité de pharmacie de Soubeiran, modèle du genre, paru en 1836, remis an causant par des éditions successives; enfin, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les traités et manuels de Bourgoin, Andouard, Dupuy, etc. (GE). Depuis 1900
En 1922, la découverte de l'insuline par Frederick Banting et Charles Best, révolutionne le traitement du diabète. La pénicilline premier antibiotique véritablement efficace, ouvrant la voie à la lutte contre les infections bactériennes, est découverte en 1928 par Alexander Fleming. La chlorpromazine, introduite en 1951, est le premier antipsychotique efficace, transformant le traitement des maladies mentales. Offerte pour la première fois en 1960, la pilule contraceptive donne aux femmes un contrôle sans précédent sur leur reproduction. Dans les années 1980, l'introduction des techniques de recombinaison génétique permet la production de médicaments comme l'insuline recombinante et l'hormone de croissance humaine. Parmi les avancées les plus remarquables du début du XXIe siècle, on remarque les avancées dans la compréhension des mécanismes moléculaires des maladies, qui conduisent à des traitements plus ciblés, notamment dans le cancer. Le développement de la technologie CRISPR-Cas9 et d'autres techniques de modification génétique ouvre de nouvelles voies pour traiter des maladies génétiques. Enfin, notons que la pandémie de covid-19 (2020) a accéléré accéléré le développement et l'approbation des vaccins, notamment ceux utilisant des technologies de l'ARNm comme Pfizer-BioNTech et Moderna. |
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