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La
science médicale grecque, qui s'était réfugiée à Alexandrie,
devait subir encore une fois le contre-coup des événements politiques;
elle revint à Rome, à la suite des armées victorieuses. On ne connaît
qu'incomplètement l'histoire antérieure de la médecine des Romains,
surtout pendant les premiers siècles de la République. Il y eut, en Italie
comme partout, une médecine populaire; elle était faite de grossier empirisme
et de superstitions
empruntées, en partie, aux peuples voisins, surtout aux Étrusques. Mais,
ce qui étonne, c'est que ces pratiques primitives durèrent une série
de siècles, sans que, à côté d'elles, se soient formés les éléments
d'une médecine scientifique. Les recherches de ce genre n'étaient pas
du goût des Romains qui voulaient, en toutes choses, entrer d'emblée
dans la pratique. Ils eurent une foule de divinités médicales ( La
religion romaine ),
auxquelles ils adjoignirent ensuite celles des Égyptiens
et même des Grecs .
Pourtant le temple d'Esculape ,
dans l'île du Tibre, ne paraît pas avoir eu une grande fortune. Quelques-unes
de ces divinités, comme la Fièvre, avaient une analogie marquée avec
les démons-maladies des Orientaux.
Le représentant,
par excellence, de la médecine populaire fut Caton
l'Ancien, esprit étroit et routinier, ennemi acharné des Grecs, et
à plus forte raison des médecins grecs. Quelques chapitres de son livre
de l'Agriculture donnent une idée peu flatteuse des pratiques dont
il usait, en soignant lui et toute sa maison, les bestiaux compris. Si
l'on en croyait Pline, qui, dans son Histoire
naturelle, s'est fait l'historien patient de cette médecine, qui nous
a conservé d'innombrables fragments des vieux auteurs perdus, et dont
le livre fut une des grandes sources où puisèrent les premiers auteurs
du Moyen âge ,
Rome, pendant six siècles, n'aurait pas eu de médecins. Mais il existe
des preuves du contraire; plusieurs documents parlent formellement de médecins,
dès le IVe
siècle et même plus tôt. Néanmoins
il n'y avait pas à proprement parler de corps médical. C'était l'empirisme
populaire qui était passé à l'état de métier. Bien longtemps encore
après l'arrivée des médecins grecs, et sans doute jusqu'aux derniers
jours, il y eut dans les familles des esclaves
ou des affranchis, analogues à ceux
qui étaient attachés aux diverses institutions, faisant office de médecins
et fort au courant, par routine, des pratiques et des formules populaires.
La médecine scientifique
fut introduite par les médecins grecs, mais ceux-ci avaient contre eux
des préjugés enracinés, et ils eurent de la peine à se faire accepter.
Pourtant le premier dont on connaisse le nom, Archagathus, fils de Lysanias,
qui vint à Rome en 535 (219 av. J.-C),
fut bien accueilli; on lui donna le droit de cité
et l'installation nécessaire; mais, plus tard, certaines de ses pratiques
chirurgicales ayant déplu, il tomba en disgrâce. Mais il en revint d'autres
après lui, qui surent s'imposer. C'est même à Rome que prit naissance
une secte dont la grande réputation et l'influence se maintinrent jusqu'au
cours du Moyen âge .
Asclépiade;
le Méthodisme
Le fondateur de ce
système fut Asclépiade de Bithynie ,
disciple de l'auteur pharmacologique, Cléophantus, qui, né vers 124
av. J.-C., vint à Rome peu après la
réduction de la Grèce. Il quitta la carrière de l'éloquence pour celle
de la médecine, mû par le désir de mettre en pratique un système médical
basé sur les idées stoïciennes. Ami de Cicéron,
de Marc-Antoine, de Crassus, inspirateur de Lucrèce,
recherché par Mithridate, il eut bien vite
une grande renommée. Séparé des dogmatiques
et des empiriques, il faisait reposer sa doctrine sur l'état des tissus ,
comptant pour rien celui des humeurs; la perméabilité des pores
donnait à ses yeux
la mesure de l'état de santé; les maladies ont, d'après lui, pour effet
de les dilater ou de les resserrer et de troubler les évacuations (sécrétions,
excrétions, etc.); c'est au rétablissement de la condition moyenne que
la thérapeutique doit veiller. Son principal disciple fut Thémison de
Laodicée, qui dénomma et formula scientifiquement
la théorie du strictum, du laxum et de l'état mixte, mais
à la fin de sa vie seulement; aussi ceux qui vinrent après lui, Thessalus
de Tralles surtout, n'hésitèrent pas à la compléter, en admettant les
communautés médicales, espèces d'indications générales, dont il y
eut plusieurs genres et sous-genres, de sorte qu'une certaine complication
s'introduisit dans ce système, en apparence d'une simplicité absolue.
Thessalus néanmoins
se vantait de pouvoir enseigner toute la médecine en six mois. On fut
obligé d'admettre jusqu'à des communautés prophylactiques. Comme Thémison,
Thessalus avait beaucoup négligé les atomes
( La matière antique ),
pour porter toute son attention sur l'état les pores, des trois états
desquels se déduisaient les communautés, koïnotêtes. Les méthodistes
étaient forcément tentés d'abuser des médicaments, mais ils surent
conserver une place prépondérante, surtout dans le traitement des maladies
aiguës, au régime et aux soins hygiéniques; leur thérapeutique restait
souvent expectante. La grande réputation des méthodistes n'eut pas seulement
pour cause leur originalité et l'indépendance dont ils firent preuve
en se séparant avec éclat des anciens et des hippocratistes en particulier,
mais parce que leur système, sous des dehors fantaisistes, contenait un
grand nombre de réalités scientifiques et d'observations
exactes.
Nos sources pour
l'étude du méthodisme sont d'abord Celse (25-30
av. J.-C. Ã 45-50
ap. J.-C.), puis un peu plus tard Soranus
d'Ephèse, qu'on retrouve dans Caelius
Aurelianus, et Galien, un peu plus jeune que
Soranus, et qui dans sa violente et injuste diatribe contre les méthodistes
fournit des renseignements nouveaux. Il a été dit déjà quelques mots
de Pline. C'est en effet dans les écrits encyclopédiques
de cette époque qu'il faut chercher les documents de l'histoire médicale;
Pline est l'historien de la médecine populaire, Celse celui de la médecine
scientifique et des sectes. Il est douteux que Celse ait été un praticien
de profession, malgré toutes les connaissances dont il fait preuve, et
tous les détails relatifs à l'exercice de l'art contenus dans son beau
livre De Re medica. Il est probable que, sans s'adonner à la pratique
journalière, il n'hésitait pas, quand l'occasion s'en présentait, Ã
faire application de son savoir auprès des malades. Dans son ouvrage,
qui est un résumé des auteurs hippocratistes et alexandrins, il traite
d'abord de l'hygiène, qu'il connaissait bien, puis des maladies en général,
des affections internes et de la chirurgie; c'est dans ses derniers livres
que sont exposées la matière médicale et la pharmacologie. Sans se déclarer
partisan exclusif d'aucune secte, il se rapproche parfois des méthodistes,
avec quelques tendances vers l'empirisme; il expose d'ailleurs beaucoup
plus qu'il ne discute, dans un style dont l'élégance est remarquable.
Celse fut peu utilisé au Moyen âge ;
sa vogue ne commença guère qu'au .XVe
siècle; on lui préférait Caelius Aurelianus.
Pendant la période
impériale, et surtout pendant le Ier
siècle de notre ère, le niveau de l'esprit
scientifique baissa sensiblement; la science médicale en souffrit; cet
abaissement eut, comme d'ordinaire, pour signe principal le goût exagéré
pour les drogues et les recettes. Des pharmacologues de l'époque, on ne
sait plus guère que les noms : Niceratus, connu de Pline, Ménécrate,
médecin de Tibère, inventeur présumé du diachylon,
etc. Plusieurs furent en même temps poètes : Andromaque,
médecin de Néron, qui mit en vers sa recette
de la thériaque ;
Servilius Damocrates, son contemporain, qui
versifia toute la pharmacologie.
Parmi eux, on est
heureux de rencontrer, hors de pair, Dioscoride,
qui écrit, en 77 ou 78, un livre célèbre, qui sera longtemps un classique.
Dans ses lointains voyages, il étudia de nombreuses plantes ,
parmi lesquelles une centaine de nouvelles, et à l'aide des auteurs anciens
ou contemporains, dont il connaissait les mérites et les défauts, il
rédigea, dans un grec médiocre (il était d'Anazarba ,
en Cilicie), l'ouvrage important qui porte son nom.
Le méthodisme eut
encore des représentants assez nombreux au IIe
siècle, en concurrence avec les empiriques
et d'autres sectes qui s'étaient élevées contre lui. Le plus important
de ces méthodistes fut Soranus d'Ephèse, dont
il ne nous reste, sous la forme originale, qu'un traité sur les Maladies
des femmes. Mais un médecin, qui ne vécut qu'à la fin du IIIe
ou au commencement du IVe
siècle, Caelius
Aurelianus, dont les nombreux ouvrages étaient encore les plus répandus
au commencement du Moyen âge ,
a publié un traité Des Maladies aiguës et des maladies chroniques
qui n'est qu'une transcription d'un traité de Soranus qui avait le même
titre. La ressemblance est telle que c'est normalement à l'occasion de
Soranus qu'il faut parler de son imitateur. Une partie des autres oeuvres
de Caelius Aurelianus a été aussi empruntée, en totalité ou en abrégé,
au même auteur. Soranus, élève probablement de l'école d'Alexandrie,
pratiqua et professa la médecine à Rome sous Hadrien
et sous Trajan. C'était un médecin et un maître
de grand mérite, fort apprécié de ses contemporains. Galien
lui-même, l'ennemi des méthodistes, lui rendit justice. Parmi les auteurs
byzantins ,
Oribase et Aétius le
citent à plusieurs reprises; ses connaissances chirurgicales étaient
remarquables, et Paul d'Egine invoque souvent
son opinion. Son traité sur les maladies des femmes, destiné spécialement
aux sages-femmes, touche à toutes les parties du sujet. Après avoir indiqué
en détails les règles qui doivent guider les sages-femmes dans leur pratique,
il traite de la conception, de la grossesse normale, de l'accouchement,
des soins à donner aux nouveau-nés, de leurs maladies, des suites de
couches, de la dystocie, etc. Le livre qui porte le nom de Caelius Aurelianus
est surtout important au point de vue historique, parce qu'il nous initie
suffisamment à la pratique des méthodistes, et à la manière dont, Ã
leur point de vue, s'expliquaient et se traitaient les maladies internes.
Caelius Aurelianus est le dernier méthodiste de marque dont l'histoire
ait gardé la mémoire.
Pneumatisme;
Éclectisme ou Episynthétisme
Si la simplicité
du système du méthodisme et, par suite, la facilité
de sa mise en pratique lui avaient promptement fait gagner la faveur du
public médical, ses imperfections et ses lacunes, son matérialisme,
son mépris du naturalisme, l'abus qu'on y faisait des drogues, etc., ne
pouvaient manquer de provoquer une réaction, qui fut prompte, plus prompte
que profonde. Le méthodisme, qui eut toujours devant lui les empiriques,
maîtres souvent des bonnes grâces des grands et même des empereurs,
eut à lutter contre deux genres d'adversaires modérés dans leurs revendications;
on ne pourrait pas dire s'ils furent plutôt des antagonistes que des réformateurs.
Les uns, syncrétistes complaisants, oubliant
les défauts de la secte, et négligeant ses théories
simplistes, firent passer dans leur pratique et encadrèrent dans leurs
croyances scientifiques ce qu'ils crurent trouver de bon dans le méthodisme;
ce furent les éclectiques, nommés aussi épisynthétiques;
les autres, heureux de se rattacher à un principe
unique, capable de dominer et de concilier les humoristes et les solidistes,
suivirent Athénée, qui entreprit de restaurer
le principe du pneuma, qu'on trouve déjà Ã
la base d'un système esquissé dans la période hippocratique, où il
ne tint pas une grande place. Les stoïciens
contribuèrent à le ramener au premier plan.
Athénée
d'Attalia
(Cilicie) considérait le pneuma comme une sorte d'âme
universelle, agent créateur par excellence de tous les êtres organisés,
dominateur de leurs principes élémentaires, moteur de tous les phénomènes
physiologiques et pathologiques. C'était un médecin fort érudit et fort
intelligent, à qui Galien accordait grande considération; mais lui aussi
laissa subsister dans ses doctrines tant de traces du méthodisme que ses
partisans ne le considérèrent pas comme ayant quitté leurs rangs. Oribase
et Galien nous ont conservé quelques fragments de ses oeuvres, dont un
sur la génération. Les autres pneumatistes, Philippe,
antérieur à Galien, Magnus d'Ephèse, archiatre
palatin, etc., sont peu connus. Les éclectiques occupent une meilleure
place dans l'histoire. Parmi eux, après Agathinus
de Lacédémone, disciple d'Athénée, et regardé comme fondateur de cette
secte secondaire, il faut citer d'abord Rufus d'Ephèse.
Ses écrits sur la goutte, le pouls, les purgatifs, les maladies de l'appareil
urinaire sont les plus connus; puis Archigène
d'Apamée ,
disciple d'Agathinus, estimé encore au VIe
siècle par Alexandre
de Tralles; il écrivit aussi sur le pouls; Cassius l'iatrosophiste,
dont il reste un petit traité, les Questions et Problèmes médicaux;
Marcellus Sidetes, dont nous avons quelques
fragments.
Arétée
de Cappadoce
Parmi les médecins
des premiers siècles, qu'il n'est guère possible de rattacher à aucune
secte, est Arétée de Cappadoce ,
malgré le rang très élevé que l'histoire doit lui accorder. D'abord,
on ne sait presque rien de sa vie; on le placé tantôt à la fin du Ier
siècle, tantôt à la fin du IIe,
ou au commencement du IIIe;
puis, dans ses ouvrages, il ne cite absolument que Hippocrate
dont d'ailleurs il se rapproche par les traits les plus saillants. On suppose,
à cause de sa connaissance de la civilisation égyptienne, qu'il a séjourné
en Égypte ,
en raison de ses descriptions des formes de maladies propres à la Syrie,
qu'il a vécu dans ce pays, et aussi en Italie, dont il apprécie les produits,
surtout le vin. L'ouvrage qui nous est parvenu sous son nom, divisé en
deux livres, remarquable compendium de médecine et de thérapeutique,
est écrit dans le dialecte ionien qu'on ne parlait plus; peut-être est-ce
un hommage à la mémoire d'Hippocrate. Il y a lieu de s'étonner qu'Arétée
ait passé presque inaperçu dans les temps anciens, qu'il soit à peine
cité avant Aétius et Paul
d'Egine, et qu'on ne l'ait réellement apprécié que dans les temps
modernes, car ses ouvrages étaient pour l'époque tout à fait hors ligne.
Ennemi des hypothèses et des spéculations doctrinales, il s'attache avant
tout à la description minutieuse des symptômes et des troubles morbides,
qu'il accompagne de considérations anatomiques; il n'est pas douteux qu'il
ait étudié l'anatomie pathologique .
Comme Soranus et son traducteur Caelius,
ainsi que les successeurs de Soranus, il sépare les maladies aiguës des
maladies chroniques. Sa thérapeutique était simple et rationnelle; il
employait peu de remèdes, utilisait les émissions sanguines, et accordait
à la diététique et à l'hygiène un rôle important dans ses conseils
pratiques.
Galien
La plus grande personnalité
médicale, non seulement du IIe
siècle, mais de toute l'Antiquité ,
au point de vue de l'étendue des connaissances, et de l'influence exercée
sur les destinées de la médecine est certainement Galien.
Il résume et il concentre en lui toute la fortune scientifique des siècles
qui l'ont précédé; englobant trop souvent le mauvais grain avec le bon,
il va dominer en maître pendant quinze siècles, à côté d'Aristote,
à travers les bouleversements, qui ne l'ébranleront pas, et des défaillances
de la civilisation qui ne le feront pas oublier. Les particularités de
sa vie sont assez bien connues on sait qu'il naquit en 131
ap. J.-C., Ã Pergame,
en Asie, sous Hadrien, et qu'après y avoir reçu
de son père, Nicon, architecte instruit et riche, une forte éducation
première, il fréquenta, sous la même surveillance, les principales écoles
philosophiques, se pénétra de la connaissance des ouvrages d'Aristote,
et commença à l'âge de dix-sept ans l'étude de la médecine qu'il continua
à Smyrne ,
où il s'adonna surtout à l'anatomie ,
puis à Corinthe et à Alexandrie, après
quoi il retourna pour quelque temps à Pergame, où il exerça comme médecin
officiel de l'école des gladiateurs. Ce fut peu d'années après, il avait
alors trente-deux ans, qu'il vint à Rome où il passa la plus grande partie
de sa vie. Son séjour à Rome fut interrompu, à la suite de difficultés
avec ses confrères; il regagna sa ville natale, d'où l'empereur Marc-Aurèle
le rappela bientôt; il mourut entre 201
et 240, sous
Septime Sévère, à Rome ou à Pergame.
Les oeuvres de Galien
constituent à elles seules une vaste encyclopédie ;
il composa peut-être 500 ouvrages dont 115 sur les sciences philosophiques,
et une dizaine relatifs aux mathématiques,
à la grammaire, au droit.
Près de cinquante de ses compositions médicales sont perdues; il nous
reste encore 82 traités authentiques, 15 douteux, 45 apocryphes, de nombreux
fragments, une quinzaine de commentaires, sans compter les nombreux débris
enfouis dans les manuscrits des bibliothèques. Son érudition était immense;
il savait absolument tout ce qu'on pouvait savoir à son époque; il jugeait
tout ce qu'il apprenait et rejetait sans pitié ce qui lui semblait douteux
ou faux.
Galien fit surtout
faire à l'anatomie
des progrès sérieux, et pourtant, il ne connut guère de l'humain, directement,
que le squelette ,
car il paraît certain qu'il ne disséqua pas de cadavres humains; autant
que possible, il disséquait des singes, auxquelles ses descriptions de
muscles ,
de nerfs ,
de vaisseaux ,
etc., s'appliquent avec exactitude; les nerfs et les vaisseaux sont ce
qu'il a le mieux étudié; ses opinions fausses relativement à certaines
particularités des viscères
tiennent à ce qu'il confondait ses observations faites sur les ruminants
et les porcs avec les autres. Il lui est même arrivé de taxer d'erreur
et à tort les enseignements des Alexandrins, parce que, sans s'en douter,
il leur reprochait abusivement de n'avoir pas constaté chez l'humain ce
que lui-même constatait chez les animaux .
Son livre sur les Administrations anatomiques et ses traités de
dissection des muscles, des nerfs et des vaisseaux, comptaient néanmoins
parmi ses meilleures oeuvres.
Partisan décidé
de la doctrine des causes finales, persuadé
que la nature, comme il l'affirme, n'agit jamais
sans but, il a perdu beaucoup de temps et de peine à montrer qu'une parfaite
concordance existant entre l'organe et la fonction, la connaissance du
premier révèle tous les secrets de l'autre; par l'application de cette
doctrine, il a, en concluant des parties des animaux
qu'il disséquait aux fonctions de l'humain, récolté plus d'une grave
erreur; il est responsable, dans une grande mesure,
de la stagnation dans laquelle, après lui, resta la physiologie,
en raison de la confiance aveugle qu'on eut en sa parole. Il n'eut pas
l'idée des types sur lesquels sont construites les séries des êtres
vivants, quoique cette idée ne soit tout à fait étrangère ni à Platon
ni à Aristote qu'il connaissait bien.
Ses nombreux labeurs
de physiologie, expérimentale, extrêmement remarquables et ingénieux
pour l'époque, lui avaient donné beaucoup d'idées saines sur le rôle
du système nerveux. Il savait que le cerveau
est le point de départ de toute sensation
et de tout mouvement, et que la moelle épinière
n'est que la continuation du cerveau, une sorte de cerveau complémentaire.
Il savait aussi que les nerfs
ne sont que les conducteurs de l'action des centres; cette action, d'après
lui, c'est celle d'une force, d'un esprit,
élaboré dans le cerveau, qui agit comme moteur sur les parties dures
des centres et comme producteur de sentiment sur les portions molles; il
connaissait des nerfs mixtes, par mélanges, ou mixtes parce que leur consistance
changeait sur leur trajet; ils avaient des sections dures (motrices) et
des sections molles (sensibles).
Tout imbu des idées
d'Aristote sur les catégories, il divise
et subdivise à l'infini les qualités,
les facultés, les esprits,
etc. Il admet, bien entendu, la singulière théorie des trois âmes
: l'âme du cerveau, siège de l'intelligence,
qui préside aux fonctions animales, et dont les agents sont les nerfs;
celle du coeur ,
siège des passions, qui agit par les artères ;
celle du foie ,
qui préside à la nutrition
par les veines
: il admet, en outre, l'âme proprement dite, synthèse des précédentes,
à laquelle le corps doit ses formes, et que, après bien des tergiversations,
relativement à sa nature, il paraît avoir fini par considérer comme
matérielle. Par des expériences multiples, et surtout par des sections
faites à toutes les hauteurs de la moelle, et sur certains nerfs, il était
arrivé à discerner assez bien l'innervation du diaphragme ,
des parois pectorales ,
des organes de la voix ,
à distinguer le rôle du pneumogastrique ,
du nerf phrénique ,
du récurrent ,
etc. En somme, si sa physiologie est remarquable,
ses dogmes physiologiques le sont beaucoup moins.
La doctrine pathogénique
de Galien, c'est la pleine efflorescence des doctrines humorales hippocratiques,
reposant sur des données cosmologiques :
d'abord les quatre substances élémentaires,
primordiales, les quatre corps simples des philosophes physiologistes,
le feu, l'air, l'eau, la terre, dont tous les corps sont formés ( La
matière antique ),
puis les quatre qualités élémentaires, le chaud, le froid, le sec et
l'humide, puis les quatre humeurs fondamentales, le sang, le phlegme, la
bile jaune et l'atrabile. L'état de santé, c'est l'équilibre parfait
de ces quatre humeurs, en proportion, en force, en qualité; cet équilibre
se nomme la crase, et comme celle-ci n'est pas le même chez tous
les humains, celle qui est le propre de chacun constitue son idiosyncrasie.
La maladie c'est la rupture de l'équilibre; le rôle de la thérapeutique
est de le rétablir. Ce dogmatisme fondamental de la doctrine est bien
celui que nous avons vu chez Hippocrate
et qui se retrouve chez plusieurs peuples orientaux, avec quelques différences.
Galien, tout en restant fidèle, au fond, à ces données hypothétiques
traditionnelles, applique toute sa finesse et son habileté dialectique
à les combiner, à les fondre ou à les subordonner, à l'occasion, les
unes aux autres. Il s'était fait ainsi une pathologie générale dont
certains de ses traités permettent de se faire une assez juste idée.
Il avait adopté, assez heureusement, une classification sommaire des maladies
empruntée aux méthodistes, pour lesquelles, d'ailleurs, il n'avait aucune
estime. En étudiant le malade, il se montre aussi empressé à rechercher
la diathèse, c.-à -d. l'affection prise d'ensemble, que le trouble
local, c.-à -d. le lieu affecté; il ne néglige pas d'établir les rapports
qui relient ce trouble local à l'ensemble symptomatique superficiel, aux
manifestations présentes, à celles qui ont dû précéder, c.-à -d. qu'il
établit une sorte de prognose, dans le sens hippocratique.
Ce en quoi Galien
mérite tout éloge, c'est d'avoir, en opposition formelle avec les méthodistes
et les empiriques, fait tourner, au profit de la science théorique et
pratique, les connaissances anatomiques ou physiologiques, mais anatomiques
surtout, qu'il avait acquises et celles qui venaient de l'école d'Alexandrie.
Ce qui est exact, dans ses descriptions nosographiques, c'est ce dont ses
notions d'anatomie et ses expérimentations
physiologiques lui fournissaient la garantie. Il n'admettait pas qu'il
pût y avoir de trouble fonctionnel sans lésion d'organe, et souvent il
remontait du trouble à la lésion, tout en reconnaissant que, dans bien
des cas, cela était difficile, en raison de l'éloignement de la lésion;
prenons pour exemple les paralysies de la main ayant pour cause des lésions
des troncs nerveux ou de la moelle.
La thérapeutique
de Galien repose d'abord sur sa foi aux efforts
de la nature poussés dans le sens de la guérison, efforts dont il faut
bien saisir la direction, pour ne pas s'exposer à les contrecarrer; ensuite,
elle a aussi pour base le précepte de combattre la maladie par ses contraires,
en cherchant des indications jusque dans les circonstances extérieures.
Pour donner satisfaction à ces indications, les moyens ne pouvaient lui
faire défaut. Galien avait déjà , en suivant ses études, trouvé une
matière médicale d'une richesse luxuriante; il l'enrichit encore, et
encombra la pharmacie
d'une foule de recettes et de mixtures. Mais il faut lui tenir compte de
ce qu'il accordait la première place au régime, et aux exercices du corps,
lorsque l'état du malade le permettait, et qu'il consacra une partie de
ses veilles à tracer les règles de l'hygiène, et à commenter celles
que renferme la collection hippocratique.
On est fort embarrassé
lorsqu'on veut tenter de donner, en un court aperçu, la caractéristique
de cet auteur, prodigieux sous tous les rapports; il apparaît, en effet,
sous un aspect bien différent, selon qu'on considère en lui le dogmatiste
ou l'observateur et l'expérimentateur. Arrivé à Rome au moment où dans
des luttes incessantes se débattaient des sectes antagonistes, et des
doctrines allant du scepticisme des empiriques jusqu'aux rêveries des
pneumatistes, il ne recula pas devant la tâche hardie d'entreprendre la
grande réforme qui devait mettre fin à toutes ces dissidences. On peut
dire qu'il y réussit, puisque, après lui, on ne vit plus de secte nouvelle.
Mais comme, d'autre part, il ne pouvait pas faire table rase, il édifia
un système en mettant en oeuvre tout ce qu'il trouva de bon, à son gré,
de sorte que, comme on l'a dit, son édifice fut construit avec des matériaux
d'emprunt. Il eut le grand mérite de consolider ses fondements avec les
connaissances positives de l'anatomie et
de la physiologie expérimentale; il a eu le grand tort de lier ses matériaux
et de combler tous les vides avec des produits de mauvais aloi. Amoureux
passionné de la vérité, il prétendait pouvoir
la découvrir toujours; plutôt que de consentir à paraître l'ignorer,
il se laissa aller à tous les emportements de son imagination.
Nature ardente, intelligence aiguisée, esprit ingénieux et pénétrant,
tempérament de fer, il a eu tout ce qu'il faut pour arriver au premier
rang; mais il lui a manqué la pondération. Sa violence, sa vanité, son
entêtement furent des obstacles au plein usage de ses grandes qualités.
Il en est résulté que, s'il a beaucoup détruit d'erreurs, il en a intronisé
de nouvelles, et que la domination qu'il exerça pendant tant de siècles,
tyrannique pour la science et pour la pensée, ne fut pas toujours salutaire.
Médecine
grecque à Rome après Galien
La transplantation
de la médecine grecque à Rome ne fut pas une opération suivie d'un succès
complet. Le sol était insuffisamment préparé pour lui permettre d'y
enfoncer de profondes racines; le tronc lui-même eut peine à se développer,
et commença bientôt à languir; entra les rejetons qu'il produisit ne
furent pas tous bien vigoureux. Ce n'est pas que Celse
ait manqué complètement d'imitateurs ni Galien
de successeurs; mais beaucoup jetèrent un médiocre éclat, sans qu'il
soit possible d'en attribuer la pâleur uniquement à la perte de leurs
écrits.
Après, comme avant
Galien, la grande majorité des médecins de Rome étaient des Grecs; parmi
les médecins latins d'origine, on ne compte guère que des compilateurs,
des traducteurs et quelques médiocres auteurs originaux; si modestes qu'aient
été leurs travaux, il est fort heureux que leur activité ne se soit
pas éteinte après l'arrivée des barbares qui, dans maintes occasions,
surent apprécier leurs services. Mais, pendant la période de déchéance
inévitable qui précéda la réorganisation, l'abaissement de l'esprit
scientifique, en Occident surtout, marchait de pair avec la dépression
du sentiment politique; l'influence du christianisme
et les luttes dans lesquelles il s'engagea vinrent compliquer encore la
situation déjà bien troublée des savants de cette époque de transition;
certains d'entre eux, restés païens par leurs doctrines scientifiques,
étaient déjà chrétiens par les tendances de leur esprit. L'influence
des néo-platoniciens à l'école d'Alexandrie
devait introduire dans la médecine des éléments hétérogènes mystiques
qui furent accueillis d'autant plus aisément en Europe que les Romains
étaient extraordinairement superstitieux ;
ils s'y maintinrent avec une ténacité incroyable jusqu'aux temps modernes;
ils vivent encore en partie dans la médecine populaire.
Les documents sur
l'histoire de la médecine à Alexandrie après Galien sont tout à fait
frustes et insuffisants. C'est à cette école que se rattachent plus ou
moins directement Zénon de Chypre ,
maître d'Oribase, de Jonipas et de Magnus, et
protégé de Julien. Magnus d'Alexandrie fut un
anatomiste assez distingué; c'était un esprit très fin et mordant, plus
estimé comme savant que comme praticien. Ossaibiah nomme un autre Magnus.
Nous ne pouvons que citer Théon l'archiatre, autre Alexandrin, d'après
Hecber, ainsi que Léonidès, qui vint à Rome;
Anthyllus, cité par divers auteurs, qui le premier ouvrit les sacs anévrismaux
et les extirpa. Ils sont tous du IIIe
et du IVe
siècle. Alexandre
d'Aphrodisie, moins récent, et que rien ne rattache à l'école d'Alexandrie,
fut encore le contemporain de Galien; il vivait à la fin du IIe
siècle et au IIIe,
et fut le favori de Septime Sévère. Il
professa à Athènes où il enseignait aussi la philosophie
péripatéticienne, et commenta Aristote. (Dr. Liétard). |
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