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Les amulettes

Une amulette est un préservatif imaginaire auquel la crédulité et la superstition attribuent la vertu d'écarter des personnes ou des animaux auxquels il est attaché les influences malfaisantes, les sortilèges, les dangers; les événements fâcheux, les maladies, la mort elle-même, ou de les délivrer des douleurs physiques et des souffrances morales. 

Ce mot, féminin au XVIe siècle (d'Aubigné), masculin au XVIIe (Académie), redevenu féminin depuis Châteaubriand, vient du bas-latin- amuletum, que Vossius considère comme une abréviation d'amolimentum et fait dériver d'amoliri, écarter, repousser, chasser, mais qui parait plutôt tirer son origine de l'arabe- hamâlet, de hamala, porter. C'est, en effet, de l'Orient, de la Mésopotamie et peut-être de l'Inde, que l'usage des amulettes se répandit d'abord en Grèce où on leur donnait les noms de perlammata, periapta, phylakteria, et de là en Italie où on les appelait ligatura, alligatura

Il faut se garder de confondre l'amulette avec le talisman. Elle s'en distingue par son caractère général, indéterminé, bien qu'il puisse y avoir des amulettes douées d'une vertu particulière; le talisman exerce une action positive et restreinte aux objets auxquels on l'applique. Ils ont cependant un point de ressemblance; tous deux sont impersonnels, inconscients. C'est ce qui les différencie du fétiche, bien que le mot fétiche vienne du portugais- feitiço, qui a le sens vague d'amulette et de talisman, et qui souvent est assimilé à l'un ou à l'autre. 

La croyance aux amulettes existe surtout chez les populations où le sentiment de la causalité et des rapports des choses, bien que présent, n'est encore éclairé par aucune expérience. Innombrables sont les amulettes recherchées par les populations traditionnelles de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Océanie. A dire vrai, on les retrouve encore en grand nombre au sein des sociétés les plus développées. La nature humaine semble se prêter facilement en tous pays à la confiance dans ces objets de culte ou de vénération. Il n'est donné qu'à un petit nombre de fermes intelligences de se dégager d'une pareille faiblesse. Mais ceux en qui le tour d'esprit scientifique n'est pas suffisamment cultivé ne peuvent se défendre d'ajouter foi à l'intervention de puissances occultes. A leurs yeux, par exemple, le fait qu'un paratonnerre guide et détourne la foudre n'a rien de plus on moins extraordinaire que le pouvoir, attribué a la lumière d'un flambeau, d'écarter les mauvais esprits. Au lieu de reporter à leurs véritables causes, à l'enchaînement des circonstances, au concours d'événements ordinaires, à des coïncidences fortuites, à l'action des lois physiques ou physiologiques, tel changement imprévu qui s'est produit dans leur fortune, telle réaction qui s'est opérée brusquement dans leur organisme, ils y voient l'influence miraculeuse d'un objet qui leur est complètement étranger. Si cet objet, par surcroît, rappelle certaines croyances religieuses, la foi en sa vertu s'enracine, se propage, s'étend aux objets de même nature et finit par dégénérer en grossières superstitions. A ces considérations viennent s'en ajouter d'autres, d'un ordre inférieur. Il est à supposer que, dès les âges les plus reculés, les humains, voyant que les moyens naturels de conserver leur santé et leur vie étaient souvent inutiles, s'attachèrent à tout ce qui se présenta et crurent le premier fourbe qui essaya de leur en imposer. Ils se laissèrent d'autant plus aisément persuader, qu'ils s'imaginèrent que, si les remèdes offerts ne leur faisaient pas de bien, ils ne leur feraient pas de mal. La force de l'imagination suppléant à celle qui manquait auxdits remèdes, plusieurs furent convaincus qu'ils en avaient reçu du soulagement. Si l'on ajoute à cela que ces remèdes n'étaient ni rebutants, ni douloureux, comme ceux dont faisait usage la médecine ordinaire, et que la religion les autorisait, on conviendra qu'il n'en fallait pas davantage pour décider le peuple à les employer.

C'est en Orient, nous l'avons dit, que  prit naissance la croyance aux amulettes telles qu'elle a été connue en Europe. Les anciens Persans, pour chasser les mauvais esprits et se préserver de différents maux, appliquaient sur diverses parties du corps des tahvids ou toavids, espèce de bandelettes, ornées des sentences d'un certain roi Féridoun. Pline parle d'un Zachalias de Babylone qui avait dédié à Mithridate un livre dans lequel il démontrait l'action des pierres précieuses sur la destinée des humains. Les cylindres persépolitains, les abraxas que les Gnostiques introduisirent plus tard en Occident, n'étaient autre chose que des amulettes empruntées à la Syrie et à L'Egypte. Ephèse était renommée pour la rédaction de formules mystérieuses, dont il n'était pas nécessaire de comprendre le sens, mais dont les syllabes devaient être exactement reproduites dans les invocations. Nous citerons comme exemple les cinq mots cabalistiques qu'Hésychius nous a conservés : Aski, Kataski, Lix, Tetrax, Damnameneus. Les quatre premiers, s'ils ont une signification, appartiennent à quelque langue inconnue; le cinquième désigne un des trois Dactyles, inventeurs de la métallurgie et fondateurs des initiations de Samothrace. Le plus usité de ces termes magiques fut abracadabra, recommandé par Serenus Samonicus comme remède souverain contre les hémorragies. 

Les Hébreux possédaient de nombreuses amulettes nommées tothaphoth. S'autorisant de la lettre même des déclarations du Pentateuque, où, dans un but purement moral, il est recommandé aux fidèles d'observer les commandements de Dieu, de « les lier comme un signe sur leurs mains, comme un bandeau sur leur front, de les écrire sur les poutres et les portes de leurs demeures », ils avaient pris l'habitude d'attacher à leur bras gauche ou de mettre autour de leur tête de larges philactères, ou bandes de cuir sur lesquelles étaient écrits des passages du Pentateuque; ils les considéraient comme des préservatifs contre les maladies, et, en voyage, contre les voleurs. Les femmes juives portaient également en forme de bijoux, et surtout de boucles d'oreilles, des figures de serpents, lekachim, qui, à l'exemple du serpent d'airain élevé par Moïse dans le désert, étaient censées écarter les esprits malins et les animaux venimeux. C'était déjà l'application du principe similia similibus curantur. Les Hébreux avaient encore d'autres amulettes. Ils prétendaient tenir les plus efficaces de Salomon. Le Talmud défend seulement de les porter le jour du Sabbat. Ils attribuaient une vertu merveilleuse au mot abracalan prononcé selon les règles, et principalement aux noms de Sabbaoth et d'Adonaï, faits non pour des êtres créés, mais pour le Créateur seul.

L'Egypte avait ses anneaux magiques, ses feuilles de papyrus, couvertes d'inscriptions, roulées et cousues dans du linge, ses animaux sacrés, mille préservatifs que les amateurs collectionnent aujourd'hui à prix d'or. Certaines pierres enfilées au milieu de colliers d'enfants étaient les emblèmes de diverses divinités ou les symboles de la vérité et de la justice (Thmei). Le premier juge du pays portait, à ce qu'affirme Diodore de Sicile, un collier de saphirs au centre duquel brillait une pierre de cette espèce. On en a trouvé une semblable sur une statue représentant le jeune dieu Harpocrate. L'image de Sérapis, enfermée dans le chaton d'une bague, servait d'amulette contre l'envie. Amulettes encore les innombrables figurines déposées dans les tombeaux égyptiens, les scarabées, les basilics gravés sur des pierres ou des métaux précieux.

Les religions de l'extrême Orient, le brahmanisme, le bouddhisme, le taoïsme, etc. ont à l'envi développé en Inde, au Tibet, en Chine, au Japon, la foi aux charmes destinés à éloigner les maléfices et à mettre les humains à l'abri des maux sans nombre auxquels ils sont exposés. 

Les papiers d'or et d'argent des Chinois, les maximes de Confucius et de Mencius, dont ils couvrent leurs monuments publics et privés, n'ont pas d'autre but. Le Dalaï- lama envoyait autrefois des sachets de ses déjections aux souverains asiatiques qui les gardaient toujours sur eux en guise de porte-bonheur. Les bouddhistes de Sri-Lanka s'appliquent sur leurs membres malades des images de démons qui doivent les guérir infailliblement. 

Ni les Grecs ni les Romains n'échappèrent à la contagion. La théogonie d'Hésiode et d'Homère en porte témoignage. Le poète de l'Odyssée met son héros à l'abri des enchantements de Circé au moyen d'une plante appelée môlu. Pour éloigner des temples les influences malignes, on plaçait devant leurs portes du laurier, de l'aubépine, du nerprun. La fleur de l'ellébore avait raison des maladies les plus incurables. 

« Si on la répand avec des paroles consacrées, écrit Pline, elle purifie le bétail. » 
Au moment de partir pour un voyage, beaucoup de personnes mettaient une feuille de laurier dans leur bouche en vue de prévenir les accidents. Des herbes réputées magiques et dont on se ceignait quelquefois le front, comme le rappelle Virgile dans sa septième églogue, le corail, l'ambre, divers coquillages rendaient la santé aux malades, ou détournaient l'envie et le mauvais oeil (fascinum, la jettatura des Italiens modernes). Les métaux, l'or notamment, avaient une vertu phylactérique. Pour éloigner d'un enfant tout maléfice, il suffisait de tracer avec des instruments de fer trois cercles sur la terre, ou de les figurer autour de sa tête. La famille Servilia croyait sa fortune liée à un trépied de cuivre. Le scholiaste de Théocrite vante le son des métaux, celui du cuivre en particulier, comme souverain pour faire évanouir les apparitions funestes et effacer du coeur toute trace de souillures. Cette action du son des métaux s'accroissait en raison de son intensité. C'est à cette croyance qu'est due l'invention des cloches. On les employa d'abord pour calmer les vents et les tempêtes, écarter la grêle et mettre en fuite les démons. Puis on s'en servit pour le culte divin. L'idée vint naturellement d'en faire de minuscules réductions; on commença par les adapter à la main des enfants; peu à peu on les transforma en ornements, en pendants d'oreilles; on en enchâssa dans des bracelets et dans des bagues. Toutes portaient des inscriptions telles que : 
« Je détourne le mauvais oeil »; ou : « Je chasse les apparitions »; ou « Je dissipe l'envie-». 
Une clochette de ce genre, trouvée à Rome sur le mont Esquilin, a pour devise :
« Je suis soumise aux yeux ». 
On fit un tel abus de la cloche-amulette, même dans l'Eglise chrétienne, que Chrysostome dut s'élever avec énergie contre cette superstition. Les dames ne se bornèrent pas à cette parure. Une grande partie des bijoux antiques ont été faits et portés dans une pensée superstitieuse. 

Les pierres servaient aussi d'amulettes. Un poème orphique (Lithika) célébrait les vertus de celles dont on faisait l'usage le plus fréquent. L'agate détruisait l'effet des piqûres d'araignées et de scorpions; le diamant dissipait la mélancolie; le jaspe facilitait l'élocution, attirait la pluie en temps de sécheresse, neutralisait l'action des breuvages enchantés; l'améthyste détournait la grêle et les sauterelles, comme le corail les typhons et la foudre. 

Les animaux entraient pour une large part dans ces croyances. Une simple dent de hyène dirigeait droit au but les flèches des guerriers, un de ses os garantissait les femmes des fausses couches, ses nerfs ou son oeil leur rendaient la fécondité, sa moelle calmait le délire. La graisse du loup, le fiel de la chèvre ou d'un chien noir, les oreilles et le foie du rat, le talon du porc, la langue du caméléon, l'oeuf du serpent, les guêpes, les chenilles, les limaçons, les cloportes, les fourmis, les araignées, produisaient des effets divers, mais déterminés. Un tout petit serpent, l'échénéis, avait le don de maintenir un navire immobile sur les flots en fureur.

Mais ce sont les peuples soumis à l'islam qui ont toujours eu et ont encore la foi la plus ferme dans la vertu des amulettes contre les influences occultes. Ils possèdent sur la matière plusieurs traités dont le plus célèbre est celui d'Albouni. Celles qui ont à leurs yeux le plus de valeur sont les phylactères dont ils se couvrent le corps, et sur lesquels figurent des versets du Coran, et principalement les deux derniers chapitres appelés al-mouawwidatâni, c.-à-d. les chapitres préservatifs, parce qu'ils commencent par ces mots : "Je cherche un préservatif, je me réfugie", et dont l'un est destiné à prémunir contre les malheurs qui peuvent atteindre le corps, l'autre contre les dangers qui menacent l'âme. Les musulmans qui ne les mettent pas sur leurs vêtements les renferment dans des sachets de soie ou de brocard, de minimes dimensions, qu'ils attachent avec des rubans à leur cou, à leurs bras, à leur ceinture, ou dans des boîtes et des étuis d'or et d'argent dont ils ne se séparent ni jour ni nuit, pas même pour se mettre au bain. Ils ont encore des anneaux magiques, des pierres précieuses, une foule d'objets divers, bulles, disques, croissants, mains représentant le nombre 5, feuilles où sont gravées des conjurations contre les démons, destinés à préserver de toutes sortes de maux et à procurer toutes sortes de biens, et qui doivent leur merveilleuse puissance autant à leurs propriétés naturelles qu'à leurs formes symboliques. Ces amulettes portent le nom de douaa, voeux et prières. Leurs possesseurs en mettent partout, au cou des bêtes, aux cages des oiseaux; ils en suspendent aux boutiques dans l'espoir d'attirer les clients. Les derviches, les marabouts leur en délivrent, contre espèces sonnantes, pour amener le succès de leurs entreprises : s'ils échouent, c'est leur faute, ils ont négligé quelque cérémonie, oublié ou mal prononcé quelques formules; s'ils réussissent, il faut en rendre grâce à la relique, elle est toujours infaillible.

Les sociétés de l'Occident se laissèrent de bonne heure envahir par ces superstitions. Le développement en fut surtout favorisé au Moyen âge par la décadence complète où était tombé l'art médical. Les empiriques, trop ignorants pour opposer un traitement rationnel à certaines maladies, engagèrent ceux qui en étaient atteints à porter sur eux des substances auxquelles on supposait des vertus prophylactiques. Les remèdes étaient partagés en deux classes : les physiques, ceux qui étaient doués de propriétés occultes; et les rationnels, eaux qui permettaient de se rendre compte de l'effet médical, tels que l'opium, le camphre, l'assa-foetida, l'iris de Florence, la valériane, Ces agents, échauffés par la chaleur du corps, produisaient des émanations qui pouvaient dans quelques cas exercer une influence salutaire, mais n'avaient pas les propriétés miraculeuses que leur attribuait le charlatanisme. 
 

Amulettes chrétiennes

L'usage des amulettes existant à la fois chez les juifs et chez les païens, les chrétiens devaient être naturellement amenés à l'adopter.

Bien des superstitions antiques ont même persisté. Dans les Lapidaires du Moyen âge on trouve enregistrées toutes les vertus qu'on prêtait soit, comme autrefois, à certaines pierres, soit aux intailles antiques. Mais il ne sera ici question que des amulettes d'un caractère nettement chrétien. On a trouvé dans les plus anciens cimetières chrétiens des objets qui ont incontestablement ce caractère. Tels sont ces poissons d'ivoire, de verre ou de bronze qui, percés d'un trou, se portaient au cou et, en vertu d'un symbolisme bien connu, rappelaient le Christ. Ces petits objets partent des inscriptions telles que SOSAIS "sauve", qui ne laissent aucun doute sur l'idée qu'on y attachait.

Une même signification s'attachait aux images symboliques gravées souvent sur les anneaux chrétiens. Plus tard se répandit l'usage des médailles de dévotion. Sur ces médailles, ordinairement en bronze, on plaçait fréquemment la croix ou le monogramme du Christ. Très souvent encore on se contentait de percer d'un trou quelque monnaie d'un empereur chrétien ainsi décorée. C'est une médaille de ce genre que, d'après un hagiographe, saint Germain d'Auxerre suspend au cou de sainte Geneviève. On y représentait aussi des épisodes sacrés tels que l'adoration des Mages, le sacrifice d'Isaac, le martyre de saint Laurent, etc., avec des légendes exprimant de pieux souhaits. Cette coutume ne fit que se développer au Moyen âge; on possède de cette époque une foule de médailles en plomb qui ont ce caractère; beaucoup se vendaient dans les lieux de pèlerinage célèbres ainsi la vente des médailles en plomb de saint Pierre et de saint Paul était un des revenus des chanoines de la basilique vaticane. Antérieurement au Moyen âge on gravait quelquefois aussi sur un objet destiné à être porté des formules auxquelles on attribuait une influence salutaire: telle est une feuille d'or où se lit un exorcisme contre Satan, qui a été trouvée en Syrie et peut remonter au IIe siècle, L'idée de protection attachée à tous ces objets leur faisait souvent donner le nom de phylacteria

Une classe différente est celle des petits reliquaires portatifs destinés également à être pendus au cou et qui contenaient soit des sentences de livrés saints, soit des fragments de la croix du Christ, soit des reliques des martyrs. On les trouve désignés tantôt sous le même nom que les précédents, phylacteria, tantôt sous le nom d'encolpia. Divers textes de saint Jérôme, de saint Chrysostome, etc., signalent la coutume de porter ainsi au cou de petits exemplaires des livres sacrés ou de parties de ces livres auxquels on attribuait une vertu matérielle. Au VIIe siècle le pape Grégoire Ier envoyait à la reine lombarde Théodelinde deux « phylactères » contre les maléfices : un exemplaire des évangiles dans une petite botte, une croix contenant un fragment de la vraie croix (Greg. epistol., XII, p. 7). Les encolpia appartenant à cette dernière classe étaient très répandus à partir du IVe siècle et on en possède encore des spécimens anciens. Quant aux reliques des saints, ce n'est pas ici le lieu de rechercher comment s'en introduisit le culte. En tout cas l'habitude d'en porter dans de petites boîtes, capsae, analogues à nos médaillons, s'est promptement répandue. Saint Amateur, évêque d'Auxerre à la fin du IVe siècle et au commencement du Ve siècle, aurait été reconnu comme un fidèle par des personnes étrangères parce qu'il avait au cou une capsa de ce genre (Acta Sanct., mai, t. I, p. 57). L'Eglise, si elle n'a pas toujours considéré sans défiance ces divers usages (V. par ex. saint Jérôme, Comment. in Matth., V, 23), a fini par les admettre et les consacrer. Au contraire elle a vivement prohibé les amulettes qui se rattachaient à des croyances profanes ou hérétiques. A cette catégorie appartenaient les amulettes gnostiques qui nous sont parvenues en si grand nombre (Abraxas). Saint Augustin (Sermons, CLXIII), saint Jérôme (Epist., LXXXV, 3), etc., les condamnent formellement comme superstitions diaboliques. Il en était de même de celles ou se mêlaient dans des formules obscures les idées chrétiennes et les idées judaïques. (B.).

L'astrologie, renchérissant à la même époque sur la médecine, multiplia le nombre et l'usage des amulettes. On recherchait de préférence les objets présentant certains signes ou figures dans lesquelles on faisait résider leur efficacité. Leur valeur dépendait des conditions astronomiques dans lesquelles elles avaient été préparées. Avec les progrès des sciences et la diffusion de l'instruction, elles ont perdu de leur importance. Si forte cependant est la tendance qui pousse l'esprit vers le merveilleux et le surnaturel, que des hommes remarquables n'ont pu s'empêcher d'y croire. On sait que le grand Pascal avait cousu de ses propres mains dans la doublure de son vêtement un papier et un parchemin couverts d'inscriptions mystiques, qu'il portait comme une égide contre les attaques du doute et le retour de ces incertitudes désespérées qui l'avaient poursuivi à certaines époques de sa vie. Le célèbre Robert Boyle, pour arrêter les fréquents saignements de nez auxquels il était sujet, avait recours à la poudre de crâne humain. Van Helmont, esprit vraiment supérieur, et Zwelfer, savant médecin, prétendaient que les trochisques de crapaud préservaient de la peste. Aujourd'hui encore, des gens fort instruits portent dans leurs poches des marrons pour être guéris des hémorroïdes, ou des sachets anti-aploplectiques. Telle tireuse de cartes, telle diseuse de bonne aventure, s'enrichit par la vente, à des prix très élevés, de sachets de soie renfermant de prétendues amulettes. Que de gens croient à l'influence d'un collier d'ambre sur la santé d'un enfant! Combien s'imaginent que des morceaux de liège au cou des femelles des animaux domestiques peuvent leur faire passer le lait! 

Ce dernier détail nous amène à parler d'un usage des amulettes très répandu dans les campagnes. Jusqu'au XIXe siècle, on les emploie constamment pour préserver et guérir le bétail des maladies contagieuses, qu'elles contribuaient plutôt à propager et à perpétuer. On les divise en trois classes : les profanes, les surnaturelles et les sacrées. Les premières consistent dans l'application de moyens mécaniques. Un cheval s'est-il fourbu? on lui met sur les reins des sachets de sel ou de cendre, et aux quatre jambes des manchettes de paille. Un boeuf a-t-il des coliques? on lui serre la queue avec des liens de foin. Pour l'avertin, on renferme les fleurs, les feuilles et les racines de diverses plantes, des poudres, des sels, du mercure, de l'antimoine, dans des sacs, des bottes, des tubes de verre, et on les suspend au cou, à la queue, à la crinière, aux oreilles, au licol des animaux. Si toutes les formalités ont été observées, si l'on a exclu les femmes indisposées, si l'application en a été faite par des vierges, si la conjonction des planètes ou quelque autre obstacle ne s'opposent pas à l'effet de l'amulette, le mal n'aura aucune suite. Ou bien l'on suspend certaines substances dans les écuries, dans des bouteilles vides et débouchées. 

Les amulettes surnaturelles sont connues sous les noms de charmes, sorts, follets, etc. On prend des poils de l'animal à guérir ou à préserver, coupés à une certaine place et à une heure marquée. On trace au-dessus de lui des lignes droites, des courbes, des signes de croix. Certains le remettent aux soins d'esprits qui ne veulent pas être troublés dans leurs fonctions. 

Les amulettes sacrées n'ont de mérite que lorsque les autres demeurent inefficaces. On fait des octaves, des neuvaines pour les bêtes malades; on prie tel ou tel saint, selon la nature du mal. Saint Martin, saint Georges, saint Eloy ont la charge des chevaux; saint Luc, saint Frambourg, saint Joseph, celle des bêtes à cornes; sainte Geneviève, celle des bêtes à laine; d'autres, celle des ânes, des mulets, des abeilles; un a la clavelée dans ses attributions, un second la gale; celui-ci s'est fait une spécialité de la rage, celui-là de la ladrerie. Ou bien encore on arrose les animaux d'eau bénite, on les exorcise en vers latins, on dit des messes, on fait des processions. Tout est bon pour les paysans crédules, et pour les prêtres qui abusent de leur ignorance.

Les superstitions de même nature répandues parmi les société archaïques de l'Océanie, de l'Afrique et de l'Amérique, pourraient fournir matière à d'interminables développements. Nous n'y insisterons pas. Il importe toutefois de remarquer que dans ces cultures, l'objet auquel est attribuée une puissance mystérieuse, qui doit  procurer des chasses ou des pêches abondantes, préserver d'accidents ou de maladies, se confond facilement avec l'idée même de la divinité : l'amulette est pour le symbole du divin. Il faut observer également qu'elle ne sert pas seulement de préservatif, mais aussi de moyen d'attaque; on en fait autant usage pour nuire aux autres que pour se défendre. On conçoit si la cupidité a le champ libre. Aussi une foule de rusés imposteurs remplissent les fonctions de prêtres, de prophètes, de devins, de sorciers, de médecins. Les chefs les favorisent et trouvent en eux de puissants auxiliaires. Ils ont des remèdes pour tous les maux imaginables, une infinité de moyens de procurer tout ce que le coeur désire. Ainsi dans tous les temps, sous toutes les latitudes, chez tous les peuples, s'est maintenue la croyance aux amulettes. Pour beaucoup d'esprits, elles paraissent nécessaires, ou du moins plus efficaces que tout autre remède. La foi, lit-on dans les Evangiles, transporte les montagnes. Démontrez à tel malade qu'un sachet qu'on lui a prescrit de porter constamment sur lui n'a pas les vertus dont il le supposait doué, la fièvre le reprend, son âme se laisse abattre par la crainte, il s'abandonne au désespoir, il se croit perdu. Que de médecins, pour soutenir l'imagination de leurs patients, et travailler à leur guérison, sont obligés d'avoir recours à des prescriptions sans valeur par elles-mêmes! Ils opèrent avec le prestige de leur situation ou de leur nom. Possunt quia passe videntur. Est-ce un bien, comme on l'a prétendu? Nous n'oserions l'affirmer. Est-ce un mal? Pas davantage. Mais le devoir de quiconque pense, réfléchit et se possède lui-même est de travailler à dissiper ces illusions et à ramener les esprits de ceux qui en sont victimes à la saine appréciation des faits naturels et à la réalité des choses. (Bonhoure).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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