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Histoire de la philosophie
Les Présocratiques
[La philosophie]
La philosophie grecque se partage en plusieurs grandes périodes. La première est celle représentée par les philosophes qui ont précédé Socrate, et que l'on qualifie donc de Présocratiques. Cette première période embrasse environ deux siècles, depuis Thalès jusqu'à Socrate, soit à peu près depuis 600 ans jusqu'à 400 ans avant notre ère. 

Les philosophes présocratiques peuvent être regroupés en plusieurs écoles presque isolées, dans les différentes colonies de la Grèce, qui n'interagissent que faiblement les unes avec les autres, et qui ont cela de commun, que, suivant la voie de l'analogie, elles s'efforcent d'indiquer la nature et de remonter à l'origine des choses et qu'ainsi elles n'embrassent qu'un côté due la problématique qu'elles visent, c'est-à-dire en définitive de la constitution d'une science universelle. Ce sont l'école ionienne (ou milésienne), l'école pythagoricienne (ou italique), l'école éléatique, l'école atomistique (parfois dite improprement école abdéritaine). Aucune de ces écoles ne s'est demandé auparavant quelles sont les forces, quelles sont les lois de l'esprit humain, quelle méthode il faut suivre pour atteindre la vérité recherchée. Chacune a donc suivi sa propre direction, et cela a fini par susciter une forme de scepticisme et de relativisme représenté par les Sophistes, qui établirent leur centre d'action à Athènes

Tous les efforts de ces penseurs ont servi à préparer une philosophie qui se posa désormais le problème de ramener chaque pensée à l'idée de la science, tant sous le point de vue de la forme que sous celui de la matière. Tous les philosophes antérieurs, fortement frappés d'une idée s'étaient efforcés de la développer exclusivement et de la poursuivre avec enthousiasme. Mais plus tard, fixant l'attention sur le but général de la science et sur les moyens par lesquels elle peut être acquise, on dut arriver à ce calme qui, en fait de science, ne résulte que de l'idée même de la science, de l'appréciation de tout savoir spécial par la science universelle et de la manière dont la raison se rapporte aux principes de nos spéculations. 

L'école Ionienne

Sous le nom commun d'Ioniens, l'histoire a réuni plusieurs philosophes qui ne sont nullement liés par l'unité de la doctrine, par la filiation d'une même école et par l'hérédité des croyances et des affirmations; ce qu'ils ont de commun est indiqué par cette simple introduction d'Aristote
« Parmi les premiers qui philosophèrent la plupart pensèrent que c'est dans un élément matériel que se trouvent les principes de toutes choses. En effet, ce dont sont formés tous les êtres, ce qui est le principe de leur naissance et ce en quoi ils se dissolvent à la fin, l'essence persistant et ne changeant que de modes, ils disent que c'est là l'élément et le principe des êtres [...]. Quant au nombre, quant à la nature de ce principe, ils ont des doctrines différentes. »
L'école ionienne se partage elle-même en deux fractions :
Les Dynamistes. - Ceux-ci considérent le monde sous le point de vue dynamique, c'est-à-dire de la vie et de la force qui se manifestent dans son sein, regarde tous les êtres et tous les phénomènes comme les effets de la contraction ou de la dilatation, en un mot, comme les formes diverses d'un seul élément, doué naturellement des propriétés de la vie et même de la raison. Thalès, Anaximène, Diogène d'Apollonie, Héraclite marquent les différents progrès de la doctrine dynamiste.

Les Mécanistes. - Ceux-là, se plaçant au point de vue mécanique, expliquent tous les phénomènes de l'univers et l'univers lui-même par la réunion, la séparation et les combinaisons diverses d'un nombre infini d'éléments matériels mis en mouvement naturellement, ou par une impulsion étrangère. Anaximandre est le fondateur de cette approche, Empédocle en est le plus illustre propagateur. On peut aussi ranger parmi les Mécanistes  : Archélaüs le physicien, et, jusqu'à une certaine mesure, Anaxagore, car, comme Platon et Aristote lui en font justement le reproche, l'intelligence, qu'il admet comme l'un des principes du monde, ne joue dans son système que le rôle d'une machine destinée à mettre en mouvement la matière inerte.

Cette classification avait déjà été mise en proposée par Aristote :
« Comme disent les physiciens, il y a deux doctrines. En effet, les uns établissent l'unité de l'être, du corps ou de la matière, c'est l'un ou l'autre des trois éléments [...]. Ils produisent  les autres corps en tirant de la condensation ou de la dilatation leur diversité [...]. Mais le autres disent que c'est de l'unité dans laquelle elles existaient que toutes les diversités se dégagent : ainsi pensent Anaximandre et tous ceux qui admettent l'un et le multiple comme Empédocle et Anaxagore, car c'est du mélange que ces philosophes aussi dégagent toutes chose. »
La curiosité des lois de la nature sensible inspira donc les premières recherches des philosophes qu'Aristote a justement, nommés des physiciens. Mais dès le début, la divergence des opinions manifeste la difficulté du problème, et l'opposition entre les deux sectes de philosophes Ioniens est d'autant plus intéressante à noter qu'elle se reproduit sous des formes diverses, à travers les temps, dans l'histoire entière de la philosophie.

Quant à la méthode des Ioniens, elle est très clairement exposée dans ces lignes qui forment le début du Traité De la nature, écrit vers 472 (av. J.-C.) par Diogène d'Apollonie lui-même qu'un continuateur de Thalès :
« Au début de toute exposition, il me semble nécessaire d'établir le principe d'une façon incontestable, puis d'en faire une interprétation simple et sérieuse »
Thalès.
Thalès de Milet (640-560), est le premier des Sept sages. L'objet de sa recherche est la connaissance de l'élément premier (stoicheion) dont les transformations produisent tous les objets du monde. Ces transformations, changements ou mouvements (kinèsis) sont l'effet d'une force (psychè) répandue dans toute la nature et qu'il désignait sans doute par les termes consacrés et métaphoriques de dieux ou démons (theos, daimôn). Sa doctrine est une philosophie de la nature qui a pour caractère le dynamisme on l'admission d'une force, force physique à laquelle il attribue toutes les transformations de l'élément premier de la nature. Ce dynamisme le distingue profondément de Démocrite, dont la physique est toute mécanique; il le rapproche de Pythagore; mais Thalès se distingue de Pythagore en ce que la force admise par Thalès est toute physique, tandis que la force admise par Pythagore est toute idéale.

Quant au rôle d'élément ou de matière première assigné à l'eau, il est impossible de n'y pas voir un souvenir des traditions religieuses qui donnent pour premiers principes au monde l'Océan et Téthys. Homère a été l'interprète de ces croyances populaires, quand il a dit au IVe chant de l'Iliade

« L'Océan est le père des dieux et Thétys est leur mère. » 
Pour ce qui est des sentences morales attribuées à Thalès (Connais-toi toi-même., C'est un lourd fardeau que l'ignorance, Aime la paix, etc.), on doit en porter le même jugement que des apophtegmes prêtés aux sept sages de la Grèce; ce sont des principes de sens commun dont il est difficile d'attribuer l'invention à un penseur quelconque.

Anaximandre.
Anaximandre de Milet (640-546 av. J.-C.), était ami de Thalès. Comme philosophe, cependant, il se sépare et se distingue tout à fait de Thalès en ce qu'il donne à l'origine du monde un caractère tout mécanique, expliquant la formation des choses et des êtres par la séparation successive des éléments engagés de toute éternité dans un chaos primitif (apeirôn). 

Cette explication très simple de sa philosophie de la nature est fournie par Aristote; elle peut être contredite par d'autres témoignages moins importants, mais qui semblent indiquer que peut-être Anaximandre a hésité entre cette doctrine et l'opinion de Thalès. Il faut bien entendre par apeirôn ce qui n'a ni forme ni essence déterminées en quantité, nombre ou qualité, ce qui contient et renferme tous les contraires qui se détachent sans cesse de lui pour y retourner sans cesse. Y a-t-il une force distincte qui produise ces changements? Anaximandre ne se pose pas même cette question; mais c'est en se la posant comme complément des doctrines d'Anaximandre que plus tard Anaxagore fut amené à admettre l'existence d'une cause intelligente des phénomènes du monde, le Noûs.

Anaximène.
Anaximène de Milet (fl. ca. 550 av. J.-C.) semple avoir été le disciple d'Anaximandre dont il abandonna la doctrine pour se rattacher plutôt à la recherche d'une explication dynamiste du monde; voilà pourquoi il est le vrai continuateur de Thalès.

Il fit jouer à l'air, comme principe du monde, le rôle que Thalès et Anaximandre donnaient, le premier à l'eau, le second à l'infini ou à l'indéfini (apeiron). L'air, disait-il, est l'origine de toutes choses, et toutes choses retournent à lui après certaines évolutions. Comprimé, contracté en lui-même, l'air se fait terre; dilaté, il se change en feu et donne naissance aux astres; il est l'être unique qui compose tout de soi et par soi; il est la substance des dieux et des âmes humaines. 

Anaxagore
Anaxagore de Clazomène (500-428), supérieur à tout désir de fortune et à toute ambition politique, professa que la véritable fin de la vie humaine est d'appliquer son esprit à la contemplation de l'ordre de la nature.

Cet aphorisme de physique générale que « rien ne se produit, rien ne s'anéantit », Anaxagore l'accepte comme tous les sages de l'Antiquité grecque; l'éternité de la matière et de ses transformations est le point de départ commun à tous les penseurs du VIe et du Ve siècle. Mais cette transformation éternelle des choses est attribuée par Anaxagore à une force intelligente (noûs), une pensée, une âme qui meut le monde. Cependant l'esprit n'est pas créateur, il n'est qu'ordonnateur des parties équivalentes de la matière qu'Aristote appelle homéoméries, en se servant pour exprimer l'idée d'Anaxagore d'un terme que celui-ci ne semble pas avoir employé de la même façon. Les conséquences de cette doctrine, par rapport à la nature, à l'humain et au divin sont moins considérables et moins précises qu'on ne s'y attendrait-: la doctrine d'Anaxagore sur l'homme semble sensualiste et sceptique, et nous n'avons rien de précis sur les conceptions qu'il attachait à l'idée du divin, ni sur les conséquences morales qu'il en tirait.

Le rôle attribué à un principe pensant (noûs) dans les mouvements de la nature a tellement frappé les philosophes anciens qu'on a salué dans Anaxagore le père d'une doctrine spiritualiste. Cependant Sextus Empiricus le nomme le plus physicien de tous. Il est en effet le continuateur des Ioniens, bien que Platon le range au nombre des mathématiciens. Il résume, coordonne et complète les doctrines des deux écoles Ioniques : comme le physicien mécaniste Anaximandre, il admet la masse confuse des éléments matériels, comme les dynamistes Thalès et Anaximène, il admet une force qui est le principe de l'ordre et de la vie. Mais ce qui lui mérita cet éloge d'Aristote qu'il semble « un homme à jeun au milieu de gens qui parlent au hasard, » c'est sa théorie de l'intervention de l'esprit dans les mouvements du monde. Cependant cette doctrine était moins nouvelle à cette époque qu'on ne croit d'ordinaire puisque Héraclite et Xénophane avaient déjà cherché l'origine des choses dans un principe intelligent.

D'ailleurs ses contemporains eux-mêmes ont reconnu que ce spiritualisme n'est qu'un élan passager et suivant l'expression d'Aristote, Anaxagore se sert de l'intelligence comme d'une machine pour expliquer le monde; mais n'y a recours que dans les cas où il désespère de trouver dans les choses mêmes la cause des phénomènes. De plus, ce principe n'est pas une cause toute puissante; sa seule fonction est d'introduire l'ordre dans le monde des éléments qui existent par eux-mêmes de toute éternité. La différence entre les êtres vient seulement de la différence même entre les éléments qui les constituent. Quant à la doctrine sensualiste d'Anaxagore sur l'humain, Aristote en a déjà fait justice en renversant la proposition et en disant que c'est parce qu'il a la raison que l'homme fait de ses mains un usage qui le met au-dessus des animaux. Enfin les traces de scepticisme qu'on peut signaler dans Anaxagore et la théorie par laquelle il ramène tous les jugements aux impressions mêmes de l'homme sont un acheminement au principe du sophiste Protagoras, « l'homme est la mesure de tout. »

Cependant un mérite que la critique ne saurait refuser à la philosophie d'Anaxagore c'est qu'en introduisant un pouvoir intellectuel comme ordonnateur des éléments physiques, Anaxagore rompt avec toutes les traditions de la sagesse antique, il fait une place à la pensée, il prépare le rôle important que Socrate va donner à l'intelligence; il met au sommet de l'édifice du monde l'immatérielle raison, progrès réel et fécond qui élève la science, de la simple observation du dehors à la contemplation plus profonde du dedans et au sentiment plus vif de la réalité immatérielle comme supérieure à la réalité sensible. Ce n'est pas encore le spiritualisme de Socrate; mais c'est l'aurore naissante du jour qui va illuminer la seconde moitié du Ve siècle.

Résumé sur les Ioniens du VIe siècle.
En résumé, ce qui caractérise les philosophes Ioniens du VIe siècle c'est que les premiers ils cherchèrent à donner sous une forme scientifique et en prose la solution des problèmes que les prêtres et d'autres philosophes présentaient sous une forme mystique et en vers.

Avec la confiance d'une science à ses débuts, ils n'analysaient pas les faits de la nature pour les mieux connaître; 

« ils demandaient à la nature tous ses secrets d'un seul coup. Leurs livres étaient intitulés-: Sur le lout. - Sur la nature du tout - Sur l'univers.-» (E. Egger).
Il cherchaient donc l'élément matériel dont tout vient par la naissance et où tout retourne par la mort. Mais s'ils tiennent encore aux préjugés de la fouile qui se renferme dans le monde des sens, les Ioniens sont déjà philosophes, parce que sous les phénomènes, ils cherchent le principe, derrière le devenir ils cherchent l'être. De plus, ils reconnaissent et ils affirment que le mouvement est partout dans le monde.

Héraclite

Héraclite d'Ephèse (ca. 544- 484 av. J.-C), dès sa jeunesse, disait le mot répété depuis par Socrate : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien », et cependant il ne voulait rien devoir qu'à lui-même et ne souffrait pas qu'on le rattachât aux philosophes Ioniens. 

De fait, s'il est ordinairement rangé parmi les dynamistes ioniens, il se distingue des autres philosophes Ioniens qui admettaient les faits et les forces de la nature comme des réalités parmi lesquelles ils cherchaient un élément premier. Héraclite, lui, a, plutôt comme les philosophes Eléates, le sentiment de la variablité des formes et un ardent désir de rattacher ces formes à un principe fixe. C'est par là qu'il est conduit à une doctrine qui est la première expression du panthéisme dans l'histoire de la pensée hellénique.

• L'éternel écoulement des choses est l'effet d'une cause unique le feu qui obéit lui-même à une loi supérieure et stable : par suite le monde est un feu éternellement vivant qui s'allume et s'éteint à propos. Il est probable que le mot feu est pris par Héraclite dans un sens métaphorique pour représenter une force divine portant partout le mouvement et la vie, principe duquel tout émane, auquel tout retourne par l'embrasement final.

• L'harmonie est l'oeuvre de Zeus qui a sagesse et toute-puissance; les Erinyes sont les gardiennes de la justice.

• Être imparfait l'homme porte en lui un principe incorporel et toujours actif, destiné à survivre au corps.

• L'homme a pour premier devoir de s'étudier lui-même, puis de respecter la vérité dans ses actes et dans ses paroles, enfin d'écouter le divin comme l'écolier écoute le maître; se souvenant qu'il est sous la surveillance d'un juge qui ne s'endort jamais et dont la loi divine domine et éclaire toutes les lois humaines.

Avant même que ses contradicteurs ne lui eussent infligé les surnoms d'obscur et d'énigmatique, Héraclite déplorait lui-même de ne pouvoir fournir une définition claire du bien, et de l'expliquer seulement par ces métaphores de l'arc et de la lyre que Platon s'est souvent appropriées.

Mal à propos, on l'accuse de contradiction pour avoir rapporté toutes choses, tantôt à un ordre rationnel, tantôt à un destin immuable; en effet une loi peut être à la fois immuable et conforme à la raison qui la conçoit. C'est aussi injustement qu'Aristote reproche à Héraclite d'avoir confondu et assimilé le bien et le mal moral; l'interprétation des paroles d'Héraclite est ici trop étroite, le philosophe veut dire que pour la vue bornée de l'homme les choses sont, les unes bonnes, les autres mauvaises; tandis que sous le regard puissant, du divin tout se réunit dans une harmonie supérieure.

A prendre le mot feu dans son sens littéral, on pourrait reprocher à Héraclite d'abandonner le monde des spéculations rationnelles où il se rencontre avec les Eléates, pour retomber au niveau des loniens et se renfermer comme eux dans le monde de l'observation sensible. Sans doute, c'est le sens que semblent avoir adopté les disciples du philosophe d'Ephèse que Platon appelle les philosophes de l'écoulememt. On peut encore soutenir que dans le retour constant de cette affirmation-: tout passe, tout s'écoule, surtout dans cette application au feu lui-même de la loi de la transformation perpétuelle, il y a un germe de scepticisme qui expliquerait la tristesse morale d'Héraclite. Enfin on remarque que la force suprême apparaît à Héraclite comme fatale.

Il semble qu'il soit arrivé à Héraclite ce qui arrive souvent aux penseurs qui s'abîment et s'absorbent dans la poursuite du parfait; ils se perdent dans une sorte d'ivresse idéaliste qui leur voile l'existence des individus. Héraclite a vu la pensée; mais il n'a pas toujours vu l'être pensant dans sa réalité vivante. D'ailleurs ce qui ne permet pas de confondre Héraclite avec les physiciens d'Ionie c'est l'importance et l'élévation de son enseignement moral.

Quant à ces traditions orientales dont il est possible de soupçonner l'influence sur Pythagore et son école, il ne s'en rencontre aucune trace dans la théologie d'Héraclite. La Destinée, la Justice, les Erinyes, Zeus, etc., sont des divinités toutes grecques; le dogme même de l'embrasement universel est, au dire de Platon, l'un des points enseignés par les anciens mystères helléniques. L'idée d'une cause première souverainement sage apparaît dans son enseignement et prépare déjà les doctrines d'Anaxagore et de Platon.

Les fortes expressions par lesquelles Héraclite caractérise l'écoulement perpétuel des choses et des êtres font penser aux expressions mêmes de Bossuet :

« Nous allons sans cesse au tombeau, ainsi que des eaux qui se perdent sans retour [...], nos années se poussent successivement comme des flots; elles ne cessent de s'écouler .. »
Enfin la loi de l'éternel changement déjà posée par le philosophe d'Ephèse a été proposée de nouveau par les panthéistes de l'école d'Hegel et par les sensualistes modernes sous les noms de principe d'évolution, transformisme, évolutionnisme.

Héraclite semble avoir eu le pressentiment de cette étrange résurrection de son scepticisme initial quand il se comparait aux « sibylles dont la voix porte à travers les siècles des paroles divines. » 

L'Ecole pythagoricienne

Au jugement d'Aristote, la philosophie de Pythagore s'oppose d'une façon rigoureuse à celle des Ioniens. Ce n'est plus la sensation, c'est la forme seule de la sensation qui est son objet. Selon l'école pythagoricienne (ou école italique), les nombres sont l'essence des choses et l'unité est l'essence des nombres c'est-à-dire que la raison, telle qu'elle se manifeste dans la nature par les lois des proportions et de l'harmonie, est le fondement véritable de tout ce qui existe, et qu'elle-même a son siège, son foyer éternel, dans un principe unique, indivisible, quoique immanent à l'univers. C'est ce principe que l'école de Pythagore a nommé l'Un en soi ou le premier Un, parce qu'il est la source infinie de tous les êtres, comme la monade ou la seconde Unité est la source des nombres. 

On conçoit qu'à ce point de vue, toutes les idées revêtent des formes mathématiques. Ainsi, de même que la monade est la source du déterminé, du fini, de la forme intelligible, la matière, à cause de sa divisibilité indéterminée, reçoit le nom de dyade; les aspects généraux sous lesquels l'univers se présente à notre esprit ou, si l'on veut, les catégories pythagoriciennes, sont au nombre de dix, parce que la décade est le nombre le plus parfait, pour la même raison, il faut qu'il existe dix sphères célestes tournant autour d'un centre commun; l'âme est un nombre qui se meut lui-même; la vertu est une harmonie; en un mot, les principes métaphysiques et les règles de la morale, aussi bien que les lois et les phénomènes de la nature, sont assimilés à des nombres, à des proportions, à des figures de géométrie. 

Poursuivre dans le monde la possibilité seule de la raison est donc  le coeur cette doctrine pythagoricienne. On peut ainsi ramener à deux les caractères originaux de l'école italique : 

1° rapporter à une vue morale tous les faits de la nature;

2° réduire toutes les propriétés sensibles à une forme mathématique.

Les conceptions élevées des Pythagoriciens ont frayé la voie aux spéculations des Eléates et à la métaphysique idéaliste de Platon. Il faut cependant avouer que s'ils ont essayé de porter dans les questions les plus hautes la rigueur des formules et de l'esprit mathématique, les Pythagoriciens se sont encore renfermés dans l'étude du monde sensible : 
« Il semblait, dit Aristote, que son principe fût propre à porter à ce qu'il y a de plus haut et il n'en fait usage que dans les limites du monde visible. » (Aristote, Métaphysique, I).
Cependant, ce n'est pas sans raison qu'on reproche à l'école italique une subtilité d'esprit, un recours aux distinctions futiles, aux argumentations obscures qui semblent moins dignes de la gravité de ces austères philosophes que de l'ambition mondaine des Sophistes, et Diogène Laerce (Vie de Pythagore) nous a conservé à ce sujet une épigramme de Cratinus qui prouve combien il était difficile aux penseurs grecs d'échapper au goût du sophisme :
« Leur usage, quand vient parmi eux un homme sans étude, c'est d'essayer ses forces en confondant toutes ses idées par des objections, des conclusions, des propositions compliquées, ambiguës, des erreurs, des discours ampoulés; enfin ils le jettent dans un embarras dont il peut sortir. »
Ces critiques de détail ne doivent pas faire méconnaître la profondeur scientifique et l'élévation morale de l'enseignement de Pythagore : ce sont les mérites qui lui ont valu des admirateurs et des disciples jusqu'à notre époque. Par son langage, par son organisation extérieure, par sa morale ascétique, et même parquelques-unes de ses doctrines, l'Ecole pythagoricienne nous rappelle encore les mystères ou les sanctuaires de l'Orient; le maître au nom duquel elle jurait ressemble moins à un philosophe qu'à un hiérophante, qu'à un de ces antiques théologiens qui, dans l'opinion de la Grèce, tenaient, pour ainsi dire, le milieu entre les dieux et les humains.

L'Ecole éléatique

De même que l'école ionienne s'attache principalement au côté physique de l'univers, et l'école pythagoricienne au côté mathématique, l'école d'Elée s'applique d'une manière exclusive au principe métaphysique des choses, c'est-à-dire à l'idée de l'être et de la substance

Son fondateur, Xénophane de Colophon, et ses deux représentants les plus illustres, Parménide et Zénon, connaissaient parfaitement les deux écoles fondées avant eux, et c'est en les attaquant l'une et l'autre qu'ils cherchaient à fonder leur propre doctrine. 

• Les Ioniens, notent les Eléates, prenant leur point de départ dans l'existence des choses et des êtres n'avaient pu s'élever à la conception de la cause et ne s'étaient pas accordés même sur le rôle des éléments matériels; 

• Les Pythagoriciens, après avoir conçu un principe qui semblait propre à les porter à ce qu'il y a de plus haut, en avaient renfermé l'usage dans les limites du monde sensible : ils avaient ramené les corps au nombre et le nombre à l'unité qui n'etait plus alors que l'élément matériel le plus petit possible l'atome dont les combinaisons produisent les corps. 

Ni les physiciens, ni les mathématiciens n'ayant pu rendre compte du mouvement et du changement, les Eléates en concluent que l'expérience nous trompe par le spectacle des apparences et que c'est à la raison, à la pensée seule qu'il faut demander l'explication vraie des choses.

Il est intéressant de faire le rapprochement qui suit : Kant écrivait en 1712 dans la préface et dans l'introduction de sa Critique de la Raison pure :

« Toutes les tentatives faites jusqu'ici pour donner une solution aux questions que la raison spéculative soulève, par exemple de savoir si le monde a eu un commencement ou s'il est éternel, etc., ne présentent que contradictions sans fin. Essayons donc si l'on ne réussirait pas mieux en supposant que les objets doivent se régler sur nos connaissances. »
Surtout, il convient souligner que les Eléates, en critiquant leurs devanciers pour produire leur propre doctrine, introduisent une nouvelle méthode, à côté de celles que l'on connaissait déjà : la dialectique. L'invention et l'usage de la dialectique ne sont pas le moindre mérite des philosophes d'Élée; car par là ils ont donné à la raison la conscience de sa force, et ont exclu l'imagination du domaine de la philosophie. 
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Xénophane.
Xénophane de Colophon, naquit vers 625 av. J.-C., à Colophon, ville Ionienne d'Asie mineure. Exilé de sa cité, il passa une vie errante à réciter ses poèmes philosophiques. Il avait plus de quatre-vingts ans, quand, vers 535, il alla s'établir à Elée dans la Grande Grèce. Il composa probablement un poème sur la Nature qui se divisait en deux parties : 
1° Une critique très vive de la mythologie païenne qui lui a valu le titre de «-détracteur d'Homère ».

2° Une doctrine sur Dieu, être un et immatériel. Quant à la science de la nature, il la considère comme une illusion résultant des données des sens.

Parménide.
Parménide d'Elée (fl.460 av.J -C.), fut le disciple et l'interprète rigoureux de Xénophane. Son poème sur la Nature comprenait deux parties d'après la distinction des deux modes de connaissance, la raison et les sens d'où la distinction des choses de la vérité et des choses de l'opinion.

Zénon d'Elée.
Zénon d'Elée, vécut vers 450. Il n'est connu que pour avoir mérité d'être appelé « un homme de coeur en philosophie comme en politique ». Il était disciple de Parménide et consacra à la réfutation de la physique des sages ioniens un talent d'argumentation qui l'a fait nommer par Aristote l'inventeur de la dialectique. Ses deux principaux ouvrages avaient pour titre : De la nature contre les philosophes et Disputes.

Critique de la doctrine des Elates. 
Quant au fond de leur système, il consiste à dire qu'il n'y a pas de milieu entre l'Être
absolu et le néant; que l'idée d'un être contingent, variable, divisible, multiple, est pleine de contradictions; que, par conséquent, il n'y a que l'infini, le nécessaire, l'être absolument un qui existe; que tout le reste est une vaine apparence. Ce principe ne détruit pas seulement la physique ionienne; il n'est pas moins hostile à l'idéalisme mathématique des pythagoriciens : car les nombres, les proportions, les lois du calcul et de l'harmonie n'existent que par rapport aux phénomènes de la nature; aussitôt ces phénomènes anéantis, nous cessons de les concevoir.

L'unité qu'ils conçoivent se distingue de celle qu'admettent les Ioniens par ce que celle-ci est fondée sur l'expérience sensible; elle se distingue de l'unité pythagoricienne parce que cette unité est conçue par Pythagore comme élément du nombre dont l'idée lui est fournie par l'expérience et le spectacle de l'ordre du monde. L'unité éléatique est l'être conçu par la raison pure comme l'être universel, absolu, immobile, identique.

Il suffit donc de contester ce principe et cette définition de l'être, pour réduire toute la construction logique des Eléates à n'être qu'un tissu d'abstractions.

Mais cette nouvelle hypothèse métaphysique a le mérite de dégager la conception de l'être de tout mélange avec la matière. Elle a fourni une base à Platon et à Aristote qui n'ont eu qu'à joindre à cette notion de l'être la conception de l'activité dans la vie et dans la pensée, pour s'élever à la conception de l'Etre premier, cause des causes. Ainsi l'être, des Eléates n'est pas encore une cause; mais l'idée de la puissance et de la causalité n'a plus qu'à s'y ajouter.

Quant à l'argumentation de Zénon contre les physiciens, elle a été accusée par Aristote d'être un pur sophisme auquel répond l'expérience; mais cette accusation porte à faux, parce que Zénon ne nie pas les faits de mouvement, il nie que ces faits puissent être démontrés logiquement et par des principes absolus.

C'est à leur point de départ qu'il faut aller attaquer la dialectique des Eléates : imposer un choix exclusif entre les sens et la raison c'est établir un antagonisme arbitraire contre lequel la raison doit protester. En effet, la conception même de l'infini, de l'absolu, du nécessaire, par un être fini, relatif et contingent est une preuve de l'existence simultanée du fini et de l'infini.

En résumé trois grands résultats sont dus à l'oeuvre philosophique des Eléates :

1° La méthode dialectique ou de discussion par division opposée est l'oeuvre commune de Parménide et de Zénon. 

2° La conception de l'unité de l'être est due à Xénophane. 

3° L'esprit critique a été inauguré par l'argumentation de Zénon d'Elée.

L'école atomistique

L'école atomistique à son tour, plus jeune que toutes les autres, s'élève contre l'école d'Élée, comme celle-ci contre les deux écoles précédentes. Elle soutient donc l'éternité du mouvement, principe de tous les changements et de tous les phénomènes, dont l'idée même était regardée par les éléates comme une contradiction; elle admet à la fois l'existence de l'être et celle du non-être sous les noms de la matière et du vide; enfin, la matière, pour elle, n'est pas un principe unique, mais un nombre infini de petits corps indivisibles, et tous différents les uns des autres par la forme. Ce sont ces petits corps qu'on désigne sous le nom d'atomes, et dont les différents rapports dans l'espace doivent nous rendre compte de tous les phénomènes de la nature. Au fond, la doctrine de Leucippe et de Démocrite n'est pas autre chose que le mécanisme ionien revêtu d'une forme plus scientifique et plus nette.

Leucippe.
Leucippe d'Elée ou de Milet semble avoir fleuri vers 500 av. J.-C. Disciple de Parménide, il se mit en opposition avec la doctrine de son maître et se tournant du côté des Ioniens, il donna une forme plus scientifique à leur physique. 

Démocrite.
Démocrite d'Abdère vécut de 494 à 404 av. J.-C. Sa philosophie, comme celle de Leucippe, est en rapport et en opposition à la fois avec la physique des Ioniens et avec l'idéalisme des Eléates. Cherchant l'unité véritable, Démocrite voudrait en même temps expliquer la pluralité des choses. Sa théorie du monde est l'oeuvre d'un disciple qui essaie de concilier Pythagore avec Thalès.

Les principes du monde sont le vide et le plein; les corps sont des combinaisons d'atomes. Comme rien ne se fait de rien, les atomes sont éternels; agités en tourbillon, ils ont formé la Terre et les corps célestes et même l'âme qui s'instruit par les images émanées des corps. L'homme dont la science est fort douteuse doit se proposer pour but une tranquillité d'esprit supérieure à la poursuite du plaisir. Sauf ces principes tout le reste est objet d'opinion; peut-être même la vérité n'existe-t-elle pas, ou, si elle existe, l'homme n'est pas capable de la connaître.

Telles sont les affirmations souvent contradictoires qu'on peut attribuer à Démocrite, si l'on en croit les citations ou les allusions fournies par des philosophes qu'on peut soupçonner de partialité pour ou contre lui.

Critique de l'atomisme antique.
On aurait tort de classer Démocrite parmi les anciens physiciens; il est le physicien nouveau par excellence. Penseur original et dévoué à l'étude, il aurait, disait-il, préféré la connaissance d'une seule cause à l'empire des Perses. Il faut remarquer, sans avoir la prétention de l'expliquer, l'analogie de son atomisme avec la théorie des monades professée par Pythagore et surtout avec l'hypothèse des homéoméries proposée par Anaxagore; seulement la notion d'un principe unique donnant au tout l'harmonie suprême, est absente de l'enseignement de Démocrite.

L'atomisme est une simplification matérialiste du système d'Anaxagore; les atomes y jouent le rôle des homéoméries et l'intelligence y est remplacée par la nécessité. Enfin, l'influence des Eléates sur Démocrite se trahit par la distinction entre la connaissance obscure et la science véritable

En résumé cette nouvelle doctrine mécaniste porte la trace et recueille l'héritage de toutes les écoles anciennes ou contemporaines. Il n'est pas jusqu'à la sophistique dont l'esprit négatif ne se retrouve dans le scepticisme final prêté à Démocrite et dans la subtilité de quelques-unes de ses prescriptions morales : même dans les préceptes les plus élevés, la préoccupation égoïste de son propre bien est la première vertu du sage de Démocrite.

Cependant il serait injuste d'assimiler l'atomisme de Démocrite à la physique atomistique d'Epicure. Démocrite ne fait pas de sa doctrine sur le monde un auxiliaire d'une théorie morale; son atomisme est le fruit spontané d'une spéculation rationnelle et d'une recherche sur la forme intelligible des choses et des êtres.

Aussi l'hypothèse atomiste a-t-elle eu l'avantage de provoquer l'étude et l'analyse de la nature : son influence se fait sentir dans toutes les écoles anciennes et modernes. Elle se prolonge jusque dans la physique cartésienne qui explique le mouvement par l'action des tourbillons; peut-être même l'hypothèse de Démocrite que l'âme est formée d'atomes subtils est-elle l'origine de la théorie de Descartes connue sous le nom de théorie des esprits animaux; enfin l'hypothèse des idées-images mise en avant par Démocrite a traversé tous les siècles et a été adoptée par tous les philosophe: jusqu'au moment où Reid en a fait justice au nom de l'observation et de l'expérience.

Empédocle

Empédocle d'Agrigente (fl. 444 av. J.-C.), comme tous les sages du VIe et du Ve siècle, cherche l'explication de la nature, et, de ce point de vue, est habituellement rapproché des philososophes ioniens. La philosophie à la fois mécaniste et pluraliste qu'il développe justifie qu'on puisse aussi l'étudier à la suite de l'Ecole atomistique. Il admet comme axiome indiscutable ce principe adopté par toute l'Antiquité : « rien ne naît; rien ne périt »; pour lui la matière se transforme sans cesser d'être la même. Le monde est un mélange de quatre éléments dont le plus important est le feu qui s'oppose aux trois autres et est à la fois le principe actif de la vie et peut-être aussi la pensée suprême. Les transformations de la matière sont le résultat de la lutte entre l'amitié principe de concorde qui s'appelle aussi Aphrodite ou Cypris et la discorde, la guerre, Arès, dont l'agitation a fait que les éléments se sont séparés.

Cette harmonie du monde atteste une pensée qui est répandue et manifestée par tout et dans tout. L'être suprême échappe aux sens, sa pensée remplit le monde.

Quant à l'homme c'est un génie déchu qui accomplit une expiation sur cette terre; la pensée est en lui l'effet de la circulation du sang autour du coeur; son intelligence a plus d'ambition que de pouvoir et il connaît les choses par des émanations qui s'insinuent à travers les pores. L'âme est destinée à remplir plusieurs existences successives dont elle peut conserver le souvenir.

Au-dessus de tout, règne une loi immuable et éternelle que comprennent et respectent ceux qui ont des pensées divines; une vie future nous attend, elle a pour objet la sanction de cette loi par une longue expiation pour les coupables, par une participation à la vie divine pour les justes.

Par allusion à l'élévation épique de son langage, Aristote appelle Empédocle un «-esprit homérique »; mais en même temps il lui adresse deux reproches : 

1° Empédocle avance des opinions qui sont en contradiction avec les faits et avec ses propres opinions, surtout dans l'exposition de la lutte entre l'Amitié et la Discorde. 

2° Il mérite la critique adressée par Platon à la doctrine théologique d'Anaxagore; il fait le moins d'usage possible de la raison ordonnatrice du monde, puisqu'il rapporte au hasard ou à la nécessité l'organisation des choses et des êtres.

Empédocle a donc subi la conséquence presque inévitable de son esprit éclectique : il a mécontenté tout le monde. Il a paru obscur à la foule dont le sentiment s'est exprimé par ce fait que ses concitoyens lui élevèrent une statue voilée ; il a encouru le blame des idéalistes qui lui ont reproché l'importance donnée aux éléments matériels; il a été exposé aux attaques des physiciens qui ont raillé son adhésion à la métempsycose ; enfin, ses invectives éloquentes an début de son poème et mainte allusion très-vive à la faiblesse de l'intelligence humaine ont souvent provoqué contre Empédocle une accusation de scepticisme.

Les Sophistes

Tous ces systèmes, si opposés entre eux, après s'être formés presque à l'insu les uns des autres dans les diverses colonies de l'Asie Mineure, de l'Italie, de la Thrace, ayant fini par se rencontrer dans le centre de la Grèce devenue une seule nation et par se disputer à la fois les esprits, engendrèrent naturellement le scepticisme : non pas toujours ce scepticisme sérieux, indispensable aux progrès de la raison humaine; mais très souvent aussi cette opinion frivole, non moins propre à aveugler l'intelligence, que tout peut se soutenir, que tout peut être nié, que le vrai et le faux dépendent entièrement de l'apparence qu'on donne aux choses; autrement dit, le relativisme ou esprit sophistique.

Le nom de sophiste, considéré au VIe siècle comme synonyme de sage avait été fort honoré avant l'époque de Pythagore; il désignait alors tous ceux qui se distinguaient, soit dans un art quelconque, soit par l'habileté à exprimer leurs pensées. Il fut revendiqué vers le milieu du Ve siècle par quelques hommes à l'esprit habile,  arrivés de toutes les écoles et de tous les côtés de la Grèce, et dont les moins inconnus sont Protagoras, Gorgias, Polus, Thrasymaque, Calliclès, Hippias, etc.

Les Sophistes poussaient à la dernière exagération ce qu'il y avait déjà d'exclusif dans chaque système, et ne prenant pas ni ne pouvant faire prendre au sérieux les opinions qu'ils prétendaient soutenir ils substituaient la plupart du temps à la philosophie un art frivole. 

Les plus célèbres d'entre eux sont Gorgias et Protagoras : le premier, abusant de la dialectique subtile de l'école d'Élée soutenait que rien n'existe, et que, s'il existait quelque chose, nous serions hors d'état de le connaître ou d'en parler; le second ne faisait que développer les conséquences du matérialisme ionien et abdéritain, en enseignant que toute pensée se résout en sensations; que, hors de nos sensations, phénomènes essentiellement variables et fugitifs, nous ne connaissons rien; que, par conséquent, l'humain est la mesure de toutes choses. 

L'apport des Sophistes n'est pourtant pas aussi négatif qu'on pourrait le croire. Ainsi, ce qu'il y a de plus important pour le développement de la pensée philosophique dans l'influence des Sophistes, c'est qu'ils portèrent leur attention sur l'idée de la connaissance humaine et sur toute la science de l'humain : ils ouvrirent un champ de recherches presque inconnu jusqu'alors. Cette méthode aussi était propre à favoriser le résultat qu'ils espéraient. Elle avait pour objet la recherche des formes de la pensée et de l'expression; mais elle ne fut d'abord que peu systématique et n'eut pour objet qu'un vain exercice. C'est Socrate, lui aussi un Sophiste d'une certaine manière, qui entreprit de l'élever à la hauteur de sa destination, et de la conduire sur une route inaperçue jusqu'alors.

En résumé, l'histoire de la philosophie ne peut compter des sophistes que pour les trois raisons suivantes :

1° Leur argumentation subtile et pénétrante semble comme un premier essai d'études critiques sur la science humaine;

2° La conclusion proclamée par Protagoras : l'homme est la mesure de tout, a fait tourner l'esprit humain vers l'étude de lui-même, a sollicité l'effort de Socrate et l'a encouragé par esprit de réaction dans cette modestie de doctrine qui lui fait une place à part dans l'histoire de l'humanité;

3° Leur nihilisme absolu a provoqué la recherche de principes supérieurs à toute discussion et à toute contradiction et a suscité les profondes études de Platon et d'Aristote.

Protagoras.
Protagoras d'Abdère (480-411) est un disciple des Ioniens, il les continue dans son explication de la nature. Son opinion que rien n'existe mais que tout devient, rappelle l'enseignement d'Héraclite et fait penser à l'hypothèse métaphysique de Hegel. Quant à sa doctrine de la subjectivité de la pensée, elle est un premier germe du scepticisme subjectif de Kant.
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Gorgias
Gorgias de Léontini (487-380) est un disciple des Eléates, il établit par l'argumentation un nihilisme absolu.
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Se moquant de ceux qui prétendaient enseigner la morale, Gorgias rejetait le nom de sophiste et réclamait celui de rhéteur, bornant son ambition à enseigner ce qu'il appelle le premier des arts celui qui soumet tout à la persuasion, grandissant les choses par l'éloge et les rabaissant par le blâme. On lui attribue un traité Sur la nature ou le Non-être dont l'argumentation a été conservée par Aristote. (N. J. Schwartz / A. Pellissier / N.).
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