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Charles V, le Sage

Charles V, dit le Sage ou le Savant est un roi de France, né au château de Vincennes le 24 janvier 1337, mort à celui de Beauté-sur-Maine le 16 septembre 1380. Il était fils de Jean II le Bon et de Bonne de Luxembourg. Les malheurs du temps  (La Guerre de Cent Ans), le forcèrent à prendre une part active aux affaires, du vivant de son père et lorsqu'il ne portait encore que la qualification de duc de Normandie. Le roi Jean avant été battu et fait prisonnier à la désastreuse bataille de Poitiers (1356), Charles prit le titre de lieutenant du royaume et convoqua les Etats généraux de la langue d'oïl à Paris (17 octobre), pour leur demander des hommes et de l'argent. Les Etats profitèrent de la circonstance pour exprimer leurs justes plaintes et allèrent jusqu'à exiger l'établissement auprès du prince d'un conseil composé de quatre prélats, de douze chevaliers et de douze bourgeois chargés de contrôler son administration.
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Charles V (1337-1380). Photo : Miniwark.

Cette demande parut inacceptable au dauphin Charles, qui prononça au bout de huit jours la dissolution des Etats généraux, et eut alors recours aux Etats convoqués par provinces, lesquels accordèrent plus facilement les subsides réclamés, tout en proclamant aussi la nécessité de réformes importantes dans le gouvernement du royaume. Les sommes ainsi obtenues furent, d'ailleurs, très mal employées et ces dilapidations, jointes aux extorsions des seigneurs obligés de pressurer leurs serfs, tant pour faire face à leur luxe effréné que pour payer leur rançon et celle de leurs proches, prisonniers des Anglais, donnèrent lieu au soulèvement populaire de la Jacquerie). Les Etats généraux de la langue d'oïl furent de nouveau réunis le 3 février 1357, mais se montrèrent encore plus exigeants que l'année précédente. Ils étaient dirigés par Robert Le Cocq, évêque de Laon, et par le fameux Etienne Marcel, prévôt des marchands de Paris depuis l'année 1355, qui avaient pour auxiliaire naturel le roi de Navarre, Charles le Mauvais, gendre de Jean II et petit-fils de Louis le Hutin et qui en cette qualité avait des visées sur le trône de France et se faisait l'instrument de l'opposition à son beau-frère dont il avait, d'ailleurs, à se venger. 

Le dauphin, ne pouvant résister au courant de l'opinion, fit semblant de céder et accepta les conditions des Etats; ces conditions étaient dures : garanties sérieuses contre le retour des abus, expulsion de vingt-deux des plus fidèles serviteurs de son père et de lui-même, droit reconnu aux Etats de s'assembler deux fois l'an, même sans convocation du prince, et de nommer une commission permanente de trente-six membres qui, pendant l'intervalle des sessions, assisteraient le dauphin de leurs conseils pour l'administration et la défense du royaume. A ce prix, les Etats promettaient les subsides nécessaires à la levée de 30,000 hommes, mais ils se réservaient l'emploi de l'argent. Le dauphin feignit de souscrire à tout (février 1357). Mais il garda ses conseillers, et quittant Paris, il alla s'établir à Pontoise, et prononça au mois d'août la dissolution du conseil des Trente-six; mais il fut obligé peu après de revenir à Paris pour une nouvelle réunion des Etats qui fut convoquée en novembre 1357, et commença en janvier 1358. Les Parisiens étaient de plus en plus hostiles aux conseillers du dauphin et ses meilleurs serviteurs, les maréchaux de Champagne et de Normandie, furent massacrés sous ses yeux par les ordres d'Etienne Marcel qui le força en même temps à arborer les couleurs, rouge et bleu, de la cocarde parisienne et voulut lui faire prendre le titre de régent pour gouverner le royaume sous son nom. 

Charles temporisa, attendant de la jalousie réciproque de la bourgeoisie et de la noblesse, de Paris et de la province, ce qu'il ne pouvait obtenir par la force ouverte. Il s'appuya de nouveau sur les Etats provinciaux qui donnèrent un blâme formel aux agissements des Etats généraux dont une nouvelle session fut convoquée à Compiègne où ne jugèrent pas à propos de se faire représenter la ville de Paris, et dix-huit bailliages inféodés à sa politique. Ce sont ces Etats de Compiègne qui conférèrent officiellement au dauphin le titre de régent. Marcel alors se lia ouvertement par un traité avec Charles le Mauvais qui assiégeait Paris, dont le corps des Echevins lui avait retiré la capitainerie générale. Le dauphin sut profiter des dissensions de ses ennemis; il lia des intelligences avec le parti le plus avancé des Parisiens dont un des chefs, nommé Jean Maillart, souleva la populace en criant à la trahison et assassina le prévôt des marchands, Etienne Marcel (31 juillet 1358), au moment où, dit-on, il allait ouvrir la porte Saint-Antoine au roi de Navarre. Délivré de son plus redoutable ennemi et profitant du désarroi causé par ces événements parmi les partisans du roi de Navarre, le régent fit son entrée solennelle à Paris (13 août 1358), et son triomphe fut le signal d'une violente réaction contre les partisans des Etats  généraux.
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Couronnement de Charles V.
Couronnement de Charles V.
(Manuscrit des Chroniques de Froissart).

Malheureusement, la guerre avec les Anglais, un instant suspendue par la trêve de Bordeaux (1357) reprit bientôt, et Charles le Mauvais, maître du cours de la Seine, affamait Paris à son gré, malgré le traité fait avec lui à Pontoise par le régent. D'un autre côté le roi Jean, fatigué de sa captivité et de son inaction, venait, pour recouvrer sa liberté, de signer le très défavorable traité de Londres (1359) qui livrait la France à l'ennemi. Un long cri d'indignation retentit dans tout le royaume et les Etats généraux, réunis cette fois dans un élan de patriotisme, rejetèrent la paix conclue à ce prix et votèrent sans conditions des troupes et de l'argent. Les Anglais commencèrent alors une guerre de dévastations, sans résultats décisifs, le régent ayant défendu à ses généraux tout engagement sérieux avec l'ennemi, qu'ils devaient se contenter de suivre et de harceler sans cesse. Aux observations de ses conseillers, essayant de l'apitoyer sur le malheureux sort des paysans dont les maisons et les moissons étaient livrées aux flammes, il se contenta de répondre, dit-on : 

« Laissez faire; avec toutes ces fumées, ils ne m'enlèveront pas mon héritage. » 
L'événement justifia ce mot cruel et Édouard III, roi d'Angleterre, comprenant qu'il ne viendrait pas ainsi à bout de conquérir la France, diminua ses prétentions et consentit au traité de Brétigny (1360) qui, bien que désastreux, était moins lamentable que celui de Londres, puisque la rançon du roi était réduite à 3 millions d'écus d'or, que seuls, Calais, Boulogne, le Ponthieu, la Guyenne, le Quercy, le Rouergue, le Périgord, l'Agénois, , le Poitou, l'Angoumois et la Saintonge étaient cédés à l'Angleterre en toute souveraineté, et que la France conservait du moins la Normandie, l'Anjou, le Maine et la Touraine, que le traité de Londres abandonnait au vainqueur. Jean revint en France quatre mois après, et le dauphin Charles déposa le titre de régent. Il le reprit quatre ans plus tard, lorsque son père retourna se constituer prisonnier à Londres, par respect pour la parole jurée, disent les uns (son fils le duc d'Anjou, qu'il y avait laissé comme otage, s'était enfui), par amour pour la belle comtesse de Salisbury, disent les autres. Peut-être les uns et les autres ont-ils raison. Bientôt après il y mourut (8 avril 1361) et son fils Charles, de régent, devint roi et fut sacré à Reims le 19 mai suivant.

Dès lors, ce prince fit servir à l'accroissement de l'autorité royale et au développement de l'unité nationale la dure expérience qu'il avait acquise. Usant tour à tour de la force et de l'intrigue, de l'or et de la menace, mais ne risquant jamais de rien compromettre en évitant de s'engager à fond, profitant toujours des événements favorables et sachant les provoquer au besoin, habile à bien choisir les conseillers et les généraux, il engagea de suite la lutte avec les Navarrais, alliés des Anglais. A peine monté sur le trône, il leur enlève Mantes et Melun, clefs de Paris; il gagne sur eux, par l'épée de Bertrand Du Guesclin, créé comte de Longueville, la bataille de Cocherel, et fait leur chef, le fameux Jean de Grailles, captal de Buch, prisonnier. Cependant, il est obligé de confirmer le duché de Bourgogne à son jeune frère, Philippe le Hardi, et s'il écarte par là les dangereuses ambitions présentes de Charles le Mauvais, il crée pour l'avenir un péril dans lequel la monarchie française sera sur le point de succomber. De la Normandie, la guerre passe bientôt en Bretagne où le roi soutenait les prétentions de Charles de Blois contre la maison de Montfort; la perte de la bataille d'Auray (1364), où fut tué Charles de Blois, amena le traité de Guérande (1365) qui assura le triomphe de Montfort, mais termina du moins cet épisode de la guerre générale qui avait duré vingt-trois ans.

En 1366, un autre traité conclu avec le roi de Navarre promet Montpellier à la France, à laquelle il ne fut cependant définitivement réuni qu'en 1382. Mais il ne suffisait pas de signer des traités, il fallait débarrasser le royaume de tous les aventuriers qui, n'ayant plus à combattre pour les princes, continuaient pour leur propre compte à faire la guerre, seul métier qu'ils connussent, et vivaient aux dépens des populations paisibles. Tous ces soldats mercenaires, que l'on désignait sous le nom générique de Grandes Compagnies  (La Criminalité au Moyen Âge), étaient à vendre; l'ordre que Charles V avait mis dans les finances du royaume lui permit d'en acheter la plus grande partie qu'il envoya, avec Du Guesclin (1367), conquérir sur Pierre le Cruel le royaume de Castille pour le compte de Henri de Transtamare, puis, deux ans après, envahir la Guyenne contre les Anglais; le reste entra par les soins du roi de France au service du marquis de Montferrat ou alla se faire tailler en pièces en Alsace

Quelques années auparavant, en 1363, Charles V avait profité des intelligences qu'il avait conservées dans les provinces cédées aux Anglais pour citer le prince de Galles à comparaître devant le parlement de Paris, afin de répondre des plaintes faites contre lui par ses sujets français. Ce fut le signal d'une nouvelle guerre (1369) : Saint-Pol et Chatillon occupèrent le Ponthieu, les ducs d'Anjou et de Berry marchèrent sur la Guyenne; une révolte fut fomentée dans le Quercy; l'ennemi fut tenu en échec par le duc de Bourgogne en Normandie, et ce jeune prince obtint la main de la fille du comte de Flandre, avec qui les Anglais négociaient pour lui faire prendre parti contre la France. Enfin, en 1370, le parlement condamna Edouard d'Angleterre et confisqua l'Aquitaine; au même montent, Du Guesclin détruisait les forces anglaises débarquées en Picardie, et bientôt le terrible Prince Noir lui-même, malade, renonçait personnellement à la lutte et s'embarquait pour l'Angleterre d'où il ne devait plus revenir; tandis que Charles V concluait avec Robert Bruce, roi d'Ecosse (1371), une alliance qui devait préparer une utile diversion au Nord contre l'ennemi commun; que, d'autre part, les Castillans battaient une flotte anglaise devant La Rochelle, et qu'enfin l'entrevue de Vernon consolidait pour quelque temps les bons rapports du roi de France avec le roi de Navarre.

Une trêve avait été conclue et prolongée jusqu'en 1377. Elle venait d'arriver à échéance lorsque Edouard III mourut et eut pour successeur le jeune Richard II, encore mineur. Charles V recommença immédiatement les hostilités : il envoya l'amiral Jean de Vienne ravager les côtes d'Angleterre; pendant ce temps la Guyenne était conquise et Olivier de Clisson soumettait toute la Bretagne dont le roi avait prématurément prononcé la réunion à la couronne, et qui avait rappelé son duc Jean IV de Montfort. L'année suivante, les places de Normandie occupées par le roi de Navarre étaient saisies, le comté d'Evreux conquis, et si Charles V eût vécu encore quelques années, il eût sans doute complètement chassé l'étranger du sol de la monarchie. Malheureusement son temperament maladif, altéré encore, dit-on, par un poison lent que lui avait versé Charles le Mauvais, le fit descendre prématurément au tombeau, à l'âge de quarante-trois ans, et peu de semaines après son fidèle serviteur, le connétable Du Guesclin, mort à Châteauneuf-de-Randon en guerroyant contre quelques restes des Grandes Compagnies soudoyés secrètement par les Anglais.

Charles V fut un des rois les plus remarquables que le France ait eus au Moyen âge; prudent, habile et mesuré, il sut s'entourer de grands chefs de guerre tels que Du Guesclin et Boucicaut , surtout de conseillers intelligents, à l'image de Bureau de la Rivière, Guillaume de Dormans, Oresme et Jean de Noviant. Sachant par expérience ce qu'il pouvait craindre de l'esprit séditieux des Parisiens, il construisit la Bastille pour les tenir en respect. Il édicta plusieurs ordonnances remarquables, parmi lesquelles celle de Vincennes, en 1374, fixa la majorité des rois à quatorze ans; c'est lui qui organisa l'administration financière par l'institution de la chambre du trésor, composée de trésoriers et de commissaires généraux, desquels relevaient les élus des provinces. Il établit un impôt foncier appelé fouage, se réserva la concession exclusive des chartes municipales et des lettres d'anoblissements et constitua l'appel comme d'abus, par lequel les évêques furent rendus justiciables du parlement. Il s'occupa activement de la marine de guerre et de la marine marchande, et fonda des comptoirs sur les côtes d'Afrique

Enfin, ce fut un zélé protecteur des lettres et des arts : c'est à lui qu'on doit la fondation de la Bibliothèque royale (devenue la Bibliothèque nationale) qui, à sa mort, était riche de 950 manuscrits, quantité énorme pour cette époque; il augmenta les privilèges de l'Université et attira à sa cour les savants parmi lesquels on doit citer l'Italien Thomas de Pise (Pisan), père de la célèbre Christine de Pisan. Charles V avait épousé, le 8 août 1350, Jeanne de Bourbon, fille du duc Pierre Ier, laquelle mourut en couches le 6 février 1378. Il eut de sa femme neuf enfants dont trois seulement lui survécurent : Charles, roi sous le nom de Charles VI, Louis duc d'Orléans, tige de la branche royale d'Orléans-Valois, et Catherine, née le 4 février 1377, mariée en août 1386 à Jean de Berry, comte de Montpensier, et morte en 1388. (Caix de Saint-Aymour).

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Dictionnaire biographique
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