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La Picardie

La Picardie est aujourd'hui une région administrative de la France formée de trois départements, l'Aisne, l'Oise et la Somme. Ce nom recouvrait autrefois un territoire qui comprenait le département de la Somme, des portions plus ou moins considérables des départements de l'Oise, de l'Aisne et du Pas-de-Calais et réunissait des pays géographiquement très différents. Elle s'étendait, en effet, le long du littoral de la mer du Nord et de la Manche depuis l'embouchure de l'Aa jusqu'aux falaises du pays de Caux; elle comprenait tout le bassin de la Somme, et dépassait vers l'Est la vallée de l'Oise. Cet ensemble artificiel était constitué par une juxtaposition de pays ne présentant entre eux que des liens purement historiques et administratifs : le Calaisis, avec ses plaines alluviales uniformément plates, ses côtes basses et sablonneuses; le Boulonnais, fragment de l'auréole jurassique du bassin parisien qui se termine sur la côte en roches blanchâtres, pays au sol argileux, domaine du pâturage et de l'élevage, encadré à l'Est, et au Sud par des terres crayeuses et arides; vers l'embouchure de la Somme, c'est le Marquenterre, véritable polder converti en herbage, qu'un cordon de dunes protège contre l'envahissement de la mer; la vallée de la Somme, humide, tourbeuse, bordée d'hortillonnages, jardins maraîchers et fruitiers coupés de canaux, jalonnée de villes industrielles, est le coeur même de la Picardie; de chaque côté de la vallée s'étendent de grands plateaux crayeux, bas, ondulés, coupés de vallons secs aux flancs inégaux, dépourvus d'arbres; seuls quelques mamelons argilo-sableux, lambeaux épars de terrains cénozoïques entre Péronne et Montdidier, portent de beaux bois; du côté de l'Est, dans le Vermandois, où les sources de la Somme avoisinent celles de l'Escaut et de la Sambre, le pays est plus sec encore, comme dans l'Artois, par suite de la prédominance du terrain de craie; plus loin, au delà de la vallée de l'Oise, la Thiérache, qui se rattachait à l'ancienne Picardie, forme contraste avec ses coteaux aux formes adoucies, où l'affleurement des marnes entretient une couverture verdoyante de pâturages et de forêts.
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Vallée de la Somme.
La vallée de la Somme, entre Amiens et Abbeville. © Photo : Serge Jodra, 2010.

A l'époque gauloise, le territoire très indéterminé qui devait être la Picardie faisait partie de la Belgique mentionnée par César; il était habité par les Ambiani (Samarobrira : Amiens), les Veromandui, les Bellovaci (Bratuspantium : Breteuil), les Suessiones, les Morini (Itius portus : Boulogne, Calais?); à la mort d'Auguste, les Bellovaci, Ambiani, Veromandui, Morini étaient comptés parmi les civitates stipendiariae; les Suessiones formaient une civitas libera; à la fin du IVe siècle, le territoire occupé par ces anciennes peuplades gauloises se rattachait à la province de Belgica secunda. A l'époque gallo-romaine, le pays était déjà sillonné de voies; l'Itinéraire d'Antonin mentionne la voie de Lyon à Boulogne (Gessoriacum), par Soissons, Noyon, Amiens, Ponches celle de Thérouanne à Reims, par Saint-Quentin; la voie d'Amiens à Soissons, par Cormeilles, Beauvais, Senlis. La vallée de la Somme forma une importante ligne de défense de l'Empire romain au temps de la décadence; les passages étaient gardés par des castra stativa établis à Saint-Valéry, Caubert-les-Mareuil, Liercourt, Létoile, Picquigny; la ville d'Amiens possédait, outre ses nombreux monuments et un atelier monétaire, une fabrique d'armes (spathuria et scutaria). Dès le IIIe siècle, le christianisme pénétra dans les pays de la Picardie : saint Quentin, qui prêcha auprès des Amiénois, subit le martyr en 287; vers la même époque, saint Lucien travaillait à la conversion des Bellovaques; l'Espagnol saint Firmin subit le martyr à Amiens en 304; saint Martin prêcha sur les lieux mêmes que saint Firmin avait arrosés de son sang; saint Fuscien et saint Victoric complétèrent cette pléiade d'apôtres. Les premiers rois francs se fixèrent de bonne heure dans la vallée de la Somme.

Dès les premiers siècles du Moyen âge, la Picardie fut le berceau d'une féodalité ecclésiastique et militaire nombreuse et puissante. Les comtes de Vermandois et de Ponthieu ont joué un rôle considérable au début de la monarchie capétienne; les sires de Coucy étaient des vassaux redoutés des rois de France. Les abbayes de Saint-Riquier (VIe siècle) et de Saint-Valéry (613), celle de Corbie fondée en 657 par la reine Bathilde, comptaient parmi les plus importantes de France; Charlemagne affectionnait particulièrement Saint-Riquier; il y célébra en 801 l'anniversaire de son couronnement; Corbie fut gouvernée au IXe siècle par Wala, neveu de Charlemagne, et par l'un des plus célèbre écrivains de l'époque, Paschase Radbert

La Picardie semble avoir été de bonne heure un pays populeux, industrieux, riche. Dès le XIIe siècle, de nombreuses colonies de Flamands, que les troubles politiques de leur pays avaient fait refluer jusque dans les plaines de la Somme, avaient apporté un élément précieux d'activité et de prospérité; la fabrication des draps et étoffes de laine s'était développée, et les villes « drapantes » de la Somme, Abbeville, Amiens, Péronne, etc., rivalisaient avec celles des Flandres. Le tiers état de la Picardie était représenté dès le XIIe siècle par une classe d'artisans, nombreuse, fortement organisée, avide de liberté. C'est ce qui explique l'élan irrésistible avec lequel les villes picardes se jetèrent dans le mouvement d'émancipation communale; dans aucune autre province du royaume la lutte contre le despotisme seigneurial ne fut plus hardie, plus invinciblement opiniâtre, plus tragique même (commune de Noyon, 1108 ; Saint-Quentin; Amiens, 1113-1117; charte de l'abbaye de Saint-Riquier, 1126; commune du Ham, antérieure à 1142; Corbie, 1180; Abbeville, 1184, etc.). Les révolutions que provoqua ce mouvement général d'affranchissement nécessitèrent l'intervention fréquente des rois de France (Philippe Auguste). L'abolition du servage fut, il est vrai, relativement lente en Picardie; toutefois, elle paraît avoir été fort avancée vers la fin du XIIIe siècle. 

La Picardie ne fut pas seulement au Moyen âge un pays industrieux où l'organisation communale était fortement constituée, la féodalité nombreuse et belliqueuse; elle a été aussi un des foyers d'épanouissement de l'architecture gothique; la cathédrale d'Amiens commencée en 1220 d'après les plans de Robert de Luzarches, continuée par Thomas de Cormont et Renaud son fils, celle de Noyon, comptent parmi les plus beaux monuments de l'art français au Moyen âge. Abbeville eut une école de gravure, Amiens une école de sculpture dont l'existence est constatée dès 1400 par un statut industriel. Les pays de Picardie eurent dès le XIIe siècle un dialecte particulier qui se distinguait du langage parlé en Champagne et dans l'lle-de-France (La langue picarde). D'après l'Histoire littéraire de la France, le plus ancien poème écrit en roman et en dialecte picard serait l'Amadis de Gaule, dans sa forme primitive, qui remonterait au XIIe siècle. La Picardie eut ses conteurs populaires, ses confréries littéraires et elle a fourni un brillant contingent à la pléiade des trouvères : Richard de Fournival qui mit en vers le Bestiaire divin; Louis Choquet, auteur du Mystère de l'Apocalypse; Girardin, Eustache et Riquier d'Amiens qui allaient au XIIIe siècle par les châteaux et par les villes récitant le lai de l'Oyselet, les Aventures du sacristain et de la belle Ydoine, l'Histoire du vilain qui conquit le paradis en plaidant contre saint Pierre; Raoul de Houdene en Beauvaisis, qui composa les romans des Ailes et de Marangis, le fabliau de la Voie de l'enfer; Raoul de Beauvais, auteur du roman de Perceval; Huon de Méri en Beauvaisis, auteur du roman d'Ante-Christ; Jean de la Fère, chanoine de Roye, auteur du Riche Homme et du Ladre. Au XIIIe siècle, la Picardie constituait une des nations, c.-à-d. un des groupements entre lesquels se partageaient les étudiants qui fréquentaient la faculté des arts de l'Université de Paris. La nation de Picardie portait le qualificatif de fidelissima natio. Considérée à ce point de vue, la Picardie avait une extension considérable; elle englobait du côté du Nord les diocèses de Cambrai, Tournai, Liège, Maastricht; une convention du 18 juillet 1358 entre les nations de Picardie et d'Angleterre fixa la rivière de Meuse comme limite entre l'une et l'autre nation. La nation de Picardie qui avait pour patron saint Nicolas, évêque de Myre, était représentée dans les Universités d'Orléans, de Poitiers et de Bourges.

Pendant tout le Moyen âge et jusqu'à sa constitution en grand gouvernement militaire au XVIe siècle, la Picardie ne forma pas une circonscription spéciale ayant des limites fixes. A partir du XIIIe siècle, les pays, dont l'ensemble devait constituer le gouvernement de Picardie, furent partagés entre les deux grands bailliages d'Amiens et de Vermandois, créés par Philippe Auguste. Le bailliage d'Amiens comprenait au Sud une partie du Beauvaisis; il s'étendait très loin dans la direction du Nord au delà de l'Artois, et même des villes de Flandre comme Thérouanne, Aire, Tournai, etc., en faisaient partie. Au bailliage de Vermandois se rattachaient le comté de Vermandois, la plus grande partie du Beauvaisis, le Laminais, le Noyonnais, le Valois et le Senlisis; dès le milieu du XIIIe siècle, le bailliage de Vermandois était démembré pour former un troisième bailliage, celui de Senlis.

Le terme de Picardie paraît avoir été moins ancien que celui de Picard. Nicolas, doyen de l'église de Bray, dans son poème des Gestes de Louis VIII, écrit avant 1248, mentionne Philippe de Boulogne « honneur de la Picardie »; Mathieu Paris, qui écrivait vers la même époque, emploie plusieurs fois la désignation de Picardie. D'après Grenier, le premier auteur qui mentionne la Picardie, comme un pays, une province, en citant seulement quelques-unes de ses principales villes est Barthelemi l'Anglais qui composa au XIIIe siècle un traité : De Proprietatibus rerum. Mais nous ne savons rien sur l'extension territoriale de cette Picardie. L'incertitude n'est pas moins grande chez les géographes et les anciens auteurs (André Thévet, de Valois, Ortelius, l'abbé Carlier, dom Grenier) au sujet de l'origine du mot Picardie; la plupart le font venir de pique, arme offensive particulière aux habitants du pays (?). Ce, qui explique que le terme de Picardie n'a été adopté qu'assez tardivement dans la nomenclature géographique et administrative au Moyen âge, c'est qu'il ne s'appliquait pas à une particularité topographique du pays (comme la Champagne), qu'il n'avait aucun sens ethnique ou simplement historique (comme la Normandie, la Bretagne); les désignations particulières et moins compréhensives d'Amiénois, Beauvaisis, Laonnais, Noyonnais, Vermandois, qui étaient beaucoup plus anciennes, rappelaient les antiques populations fixées dans le pays et les premières agglomérations urbaines, furent seules d'un usage courant et prévalurent pendant de longs siècles. Au XIVe siècle seulement, la Picardie apparaît dans la terminologie administrative. En 1350, Charles de Montmorency, chambellan du roi Jean le Bon, est qualifié de « capitaine général pour Sa Majesté sur les frontières de Flandre et de la mer et en toute langue picarde »; Barthélemy du Drach, trésorier des guerres en 1350, porte le titre de «-capitaine pour le roi aux parties de Picardie, de Boulogne et de Calais »; en 1369, Philippe, duc de Bourgogne, frère du roi Charles V, est créé « lieutenant en tous pays de Picardie ». En 1410, nous voyons Valeran de Luxembourg, comte de Liney et de Saint-Pol, seigneur de Fiennes, grand bouteiller de France, mentionné comme « capitaine du roi es-pays de Picardie et West-Flandres ». Au XVe siècle, la Picardie devient une circonscription financière; en 1477, Louis XI organise dans la Picardie définitivement réunie au domaine royal, une recette générale des finances pour la levée de la taille et des aides. Cette circonscription n'était, en fait, qu'une dépendance de la généralité d'Outre-Seine, car les finances de Picardie étaient administrées ordinairement par le général de la circonscription voisine d'Outre-Seine. En ce qui concerne l'impôt de la gabelle, la Picardie était, à la fin du Moyen âge, divisée en cinq ressorts ou greniers : Montdidier, Abbeville, Saint-Quentin, Péronne, Roye. 

Par le fait de sa situation géographique au Nord du domaine royal et de la France, la Picardie eut constamment à souffrir de la guerre et des invasions. Au IXe siècle, elle fut dévastée par les Vikings (bataille de Saucourt-en-Vimeux, 881). Durant la guerre de Cent ans, peu de pays furent aussi fréquemment foulés par les invasions et l'occupation anglaises que les campagnes picardes (bataille de Crécy, 1346); dès 1347 les Anglais tenaient Calais; en 1360, an traité de Brétigny, le roi d'Angleterre obtient le comté de Ponthieu et Montreuil. Sous Charles VII, une partie de la Picardie passa sous la rude domination des ducs de Bourgogne; en 1423, le roi d'Angleterre, devenu roi de France, confirma le duc de Bourgogne Philippe le Bon dans la possession des châtellenies de Péronne, Roye, Montdidier, etc., tenues par lui depuis cinq ans déjà. En 1435, au traité d'Arras qui scellait sa réconciliation avec Charles VII, le duc de Bourgogne obtint toutes les villes, terres et seigneuries que la couronne possédait sur les deux rives de la Somme, à savoir la cession à perpétuité des châtellenies de Roye, Péronne, Montdidier, et la cession, sous condition de rachat, des villes de la Somme : Saint-Quentin, Amiens, Abbeville, Corbie, avec le comté de Ponthieu, Doullens et Saint-Riquier. En 1463, Louis XI se hâta de racheter les villes de la Somme au vieux duc Philippe le Bon; et, en 1477, après la mort de Charles le Téméraire et l'effondrement de la puissance bourguignonne, la Picardie devint pour toujours une province du domaine royal.

A partir du XVIe siècle, quand la France commence sa lutte contre la maison d'Autriche, la Picardie joue un rôle militaire considérable. Les Picards passaient pour d'excellents soldats; ils avaient conquis leur réputation à la bataille de Bouvines (1214) où la noblesse et les milices des communes picardes firent des prodiges de valeur célébrés par Rigord et Guillaume le Breton. En 1534, une légion de Picardie fut créée par François Ier qui vint la passer en revue l'année suivante dans la plaine entre Amiens et Saint-Fuscien; plus tard, la Picardie donna son nom à l'un des plus anciens régiments français d'infanterie, le régiment de Picardie, créé par Henri Il en 1558. A cette époque, la Picardie devint un des boulevards de la France et subit de fréquentes invasions : bataille de Saint-Quentin, 1557; prise d'Amiens par les Espagnols, 1595; prise de Corbie, 1636. François Ier avait fait travailler activement aux places fortes de la Picardie; il y employait un ingénieur italien du nom de Meliori; les travaux de fortification entrepris à Saint-Quentin sous Henri II sont également l'oeuvre d'un ingénieur italien, Enea Renieri; la citadelle d'Amiens, construite sous Henri IV, a été construite par le célèbre ingénieur français Erard de Bar-le-Duc; tous ces travaux devaient être repris ou continués plus tard par Vauban.

Le gouvernement militaire de Picardie a été constitué au XVIe siècle par la réunion, en totalité ou en partie, d'anciennes circonscriptions féodales, telles que les comtés de Vermandois, de Ponthieu, de Flandre, le marquisat de Nesles, la seigneurie de Coucy, les seigneuries ecclésiastiques de Corbie, Saint-Riquier, etc.; le Beauvaisis, le Laonnais et le Noyonnais, qui semblent en avoir fait partie à l'origine, ont été rattachés postérieurement au gouvernement de l'Ile-de-France. Le gouvernement de Picardie avait donc certainement une extension moindre que la Picardie féodale. Il se subdivisait en Haute et Basse Picardie. La Basse-Picardie comprenait le Ponthieu (Abbeville), le Vimeux (Saint-Valéry), le Boulonnais (Boulogne), le Calaisis ou Pays reconquis (Calais); la Haute-Picardie réunissait l'Amiénois (Amiens), le Santerre (Péronne, Roye, Montdidier) le Vermandois (Saint-Quentin) et la Thiérache (Guise). Le gouvernement de Picardie était ainsi enclavé entre l'Artois et la Flandre au Nord, la Champagne à l'Est., la Normandie et l'lle-de-France au Sud. Il se subdivisait en deux bailliages, celui d'Amiens et celui de Vermandois, et comprenait les importantes pairies d'Aumont, de Conty, de Chaulnes. Par sa situation sur la frontière du Nord, le gouvernement de Picardie avait une valeur toute particulière et il était très recherché. Sous Louis XIII, le duc de Chaumes l'acheta à M. de Chevreuse pour 100.000 écus.

A la fin de l'Ancien régime, le gouverneur de Picardie (comte de Périgord) avait des appointements et émoluments qui s'élevaient au chiffre de 33.583 livres, une escorte de 30 gardes, et il était assisté dans sa charge par trois lieutenants généraux. Au point de vue administratif et financier, la Picardie était partagée entre les deux généralités d'Amiens et de Soissons; toute la Thiérache se rattachait à cette dernière. A la veille de la Révolution, l'intendant d'Amiens était M. d'Agay de Mutigney, celui de Soissons, M. de la Bourdonnaye de Blossac. La généralité d'Amiens se subdivisait en six élections : Amiens, Abbeville, Doullens, Péronne, Montdidier, Saint-Quentin. Parmi les sept élections entre lesquelles était partagée la généralité de Soissons, deux seulement appartenaient en totalité ou en partie au gouvernement de Picardie : celle de Guise et celle de Noyon. En ce qui concerne les droits de traite (douanes intérieures), la Picardie était une des provinces dites de cinq grosses fermes (tarif de 1664). La Picardie était un pays de grande gabelle; Abbeville et Saint-Quentin avaient chacune un grenier à sel. En matière judiciaire, la Picardie était comprise dans le ressort du parlement de Paris; Amiens, Abbeville, Montreuil, Boulogne, Calais avaient chacune un présidial; Amiens était de plus le siège d'un bureau des finances et chambre du domaine, d'une prévôté des maréchaux, d'une grande maîtrise des eaux et forêts. Au point de vue religieux, la Picardie, en 1789, faisait partie de la province ecclésiastique dont Reims était la métropole (M. deTalleyrand-Périgord, archevêque); elle comprenait l'évêché d'Amiens (M. de Machault), celui de Boulogne (M. de Partz de Pressy) et celui de Noyon (M de Grimaldi). L'Almanach royal de 1789 attribue 30.000 livres de revenu au diocèse d'Amiens, 37.000 à celui de Noyon, 20.000 à celui de Boulogne.

A la fin du XVIIIe siècle, l'activité industrielle des villes picardes s'était quelque peu ralentie, et au point de vue de l'agriculture, des procédés de culture, de la condition générale du peuple des campagnes, la Picardie semble avoir été moins prospère que les provinces contiguës d'Artois et de Flandre

« Cette province, dit Arthur Young, a été vantée par beaucoup d'écrivains français pour sa bonne culture; je n'ai pu lui découvrir ce mérite. »
Necker confirme ce jugement en déclarant que toute la partie de la Picardie un peu éloignée des villes est excessivement pauvre. 

La Picardie est avec la Champagne une des provinces les plus anciennement françaises. Depuis l'époque mérovingienne, l'histoire des villes de la Somme est associée à celle des rois de France; avant d'englober politiquement la Picardie, ces rois ont fait rayonner dans les villes picardes l'influence de leur autorité, et les ont rattachées moralement au domaine royal. Michelet a pu écrire justement que « l'histoire de l'antique France semble entassée en Picardie ». Cependant, toute française qu'elle fût dès l'origine, la Picardie conserva, avec son dialecte particulier, l'esprit et le caractère de ses populations, une physionomie originale dont tous les traits, biens qu'atténués aujourd'hui, ne sont pas complètement effacés. Cette persistance assez singulière, pour une province aussi voisine du coeur même de la France et qui par la vallée de l'Oise est en communication directe avec Paris, s'explique par l'action durable des conditions politiques et sociales, au milieu desquelles s'est développée, pendant de longs siècles, l'activité de ses habitants. 

Faut-il faire remonter, avec quelques-uns, le mot picard à un vieux mot français signifiant querelleur? d'après le Roman de Renard contrefait, « en Picardie sont li bourdeur »; mais il ne faut attribuer à ce propos médisant d'un poète champenois, qu'une valeur très relative. Charles Louandre, qui connaissait bien les Picards, a tracé de leur esprit et de leur caractère une esquisse qui en marque l'originalité : 

« Dans cette contrée où la féodalité et l'esprit municipal avaient jeté simultanément au Moyen âge de si profondes racines, les diverses classes de la société sont encore séparées par des distinctions très sensibles, et l'on y trouve ce que l'on appelle la noblesse, la bonne bourgeoisie, les petits bourgeois et les petites gens. Positifs, vivant entre eux sans liaisons intimes, comme aussi sans inimitiés, attachés aux vieilles habitudes et aux vieilles idées, beaucoup moins zélés dans leur foi que les Artésiens, et même assez indifférents en religion, soldats braves mais froids, amis de l'ordre dans la politique comme dans la vie privée, les Picards représentent, au milieu des provinces qui les entourent, une espèce de colonie de la fin du XVIIIe siècle. Comme leurs voisins les Flamands et les Artésiens, ils se distinguent par le bon sens, dans l'acception la plus vulgaire du mot bien plus que par l'esprit ou l'imagination; et, comme eux, ils ont l'accès rude et une certaine raideur qui n'est pas sans analogie avec la raideur anglaise. »
La Picardie a fourni à la France son tribut de personnalités célèbres; deux Picards, Beaumanoir (Coutumes de France et de Vermandois) et Desfontaines, ouvrent la jurisprudence française; le droit féodal et coutumier a eu la Picardie pour berceau; le légiste Philippe de Morvilliers était aussi un Picard.  Mais « l'ardente Picardie », comme l'appelle Michelet, ne s'est pas préoccupée exclusivement de faire valoir des principes abstraits et des intérêts matériels; l'esprit positif n'a pas étouffé chez elle l'enthousiasme pour les grandes et généreuses idées; elle a produit aussi des apôtres en religion et en politique, Pierre l'Ermite et Calvin, Condorcet et Camille Desmoulins. (E. Chantriot).
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