| Le groupe des langues helléniques forme une branche isolée dans la famille des langues indo-européennes. Il se compose du grec ancien avec ses divers dialectes, et son dérivé le grec moderne ou romaïque, dont il existe également plusieurs variantes dialectales. Les Grecs de l'Antiquité ne nous ont rien appris sur l'origine de leur langue; un préjugé invincible élevait dans leur esprit une barrière infranchissable entre eux et les autres peuples, qu'ils appelaient des Barbares, et ils n'eussent pas imaginé, par exemple, pouvoir trouver au delà des limites de la Grèce la racine d'un mot grec. Platon seul avoue qu'il faudrait recourir aux langues étrangères, pour découvrir les sources ou ses compatriotes avaient puisé la leur; mais aucun travail de ce genre ne fut tenté. Hérodote prétend que les habitants primitifs de la Grèce parlaient un idiome spécial, éteint de son temps; mais on n'avait fait alors aucune étude comparative des langues, de manière à reconnaître les radicaux sous leurs transformations diverses. - Carte schématique des dialectes de la Grèce continentale pendant la période historique. Les anciens dialectes. Le grec, avant d'arriver à l'état sous lequel nous le connaissons, a subi de grandes modifications. Dès les premiers temps de l'occupation hellénique, on distingua trois tribus principales, la tribu éolienne, la tribu dorienne, et la tribu ionienne : de là trois formes principales de la langue commune, c.-à-d. trois dialectes. Les différences qui séparaient ces dialectes furent sans doute peu tranchées d'abord, à cause des relations à peu près constantes des peuples grecs entre eux, dans les premiers temps de leur histoire. Les migrations nombreuses des peuples du XIIe au Xe siècle av. J.-C., ne permirent pas à la langue grecque de prendre un caractère d'unité, et, à l'époque d'Homère, c.-à-d. vers la fin du VIIIe siècle, elle ne présente pas encore une parfaite uniformité : l'ionien, sans doute, domine dans ses poésies; mais d'autres formes en assez grand nombre y sont mélangées, les unes éoliennes, quelques autres doriennes, d'autres dont il est impossible maintenant d'assigner le caractère. On imaginé de donner un nom particulier à la langue grecque telle qu'elle se trouve dans Homère : la langue ou dialecte épique : Le dialecte épique. - Tout en se rapprochant de la langue qui plus tard s'appela ionique, cette langue offrait des traces nombreuses d'une langue sans doute commune aux Grecs jusqu'au VIIIe siècle av. J.-C., et aussi de dorismes et d'éolismes. Tous les poètes postérieurs l'adoptèrent pour l'épopée, lors même qu'elle cessa d'être intelligible dans tous ses détails pour l'ensemble des nations grecques. Dès l'époque des premiers Ptolémée, elle est devenue une, langue savante, une langue morte pour ainsi dire, qu'il faut expliquer dans les écoles, et rendre claire pour le public à l'aide de lexiques spéciaux. Au Moyen âge il fallut faire des traductions d'Isomère en prose byzantine. L'auteur des Dionysiaques (Nonnus), qui vivait au Ve siècle ap. J.-C., est un des derniers portes grecs connus qui se soient servis de la vieille langue épique; elle est encore assez pure dans Quintus de Smyrne, qui fut peut-être son contemporain. La langue poétique d'Hésiode, la seule usitée dans les autres oeuvres littéraires de l'époque, diffère peu de celle de l'Iliade et de l'Odyssée. Mais, progressivement jusqu'au VIe siècle, on voit se dessiner nettement chacun des trois dialectes qui jusque-là n'avaient pas eu de forme bien arrêtée : l'ionien apparaît plus net dans Archiloque, Callinus, Tyrtée, Mimnerme, Anacréon; le dorien semble se fixer avec Alcman; l'éolien est porté à sa perfection par Alcée, Sappho, Érinne. Enfin, au VIe siècle, l'idiome athénien, modification du dialecte ionique, se montre avec des caractères bien distincts dans les poésies de Solon. Le dialecte ionien. - On le parlait surtout dans les colonies de l'Asie Mineure et les îles des Cyclades. Il se divise en ancien et en nouveau. Homère et Hésiode ont, en général, écrit dans le premier des deux, qui originairement différait peu ou pas de l'ancien attique. La mollesse plus récente de ce dialecte prit naissance lorsque les Ioniens commencèrent à se mêler avec d'autres peuples par le commerce, et à envoyer des colons au dehors. Anacréon, Hécatée, Hérodote, Hippocrate, Phérécyde, Démocrite, en ont fait usage. Le dialecte ionien était le plus doux de tous les dialectes grecs, à cause de la fréquente rencontre des voyelles, et de l'absence non moins fréquente des aspirations. ( Guillaume Dindorf, Commentatio de dialecto Herodoti cum dialecto attica veteri comparata (dans l'Hérodote grec-latin de Didot); Heyne, Observations sur l'Iliade, Raps. VIII, vers 226 et suiv.; Sur la différence du dialecte ionien dans Homère et dans Hérodote). - Fragment d'un compte milésien (IIe s. av. J.-C). Le dialecte dorien. - Dialecte parlé dans la Doride, dans le Péloponèse, à Tarente, à Syracuse, à Agrigente, à Byzance, en Crète, à Halicarnasse, à Rhodes; et généralement dans toutes les colonies doriennes. Il passait pour le moins élégant et le moins souple de tous les dialectes. Les Anciens reprochent à ses finales d'avoir quelque chose de dur, d'âpre, d'épais, surtout à cause du fréquent emploi d'a long. Indépendamment des flexions de déclinaison et de conjugaison, bon nombre de mots de toute espèce avaient une forme particulière en dorien. C'est surtout dans Pindare et Théocrite que l'on peut étudier aujourd'hui les formes de la langue dorienne. La perte des ouvrages d'Épicharme, Sophron, Timée, Archytas, Stésichore, qui avaient écrit dans l'ancien dorien, ne nous permet pas de connaître aussi nettement ce dialecte que l'ionien et l'attique. Les poètes athéniens n'employaient dans les choeurs des pièces de théâtre que les formes doriennes qui s'écartaient le moins de la langue athénienne, et à cet égard ils ne peuvent nous aider à combler de trop nombreuses lacunes. Quelques scènes d'Aristophane nous donnent une idée du dialecte mégarien et laconien (les Chevaliers, Lysistrate, etc.). Le dialecte éolien. - Dialecte parlé avec des nuances distinctes en Béotie, en Eubée, en Phocide, en Locride en Thessalie, dans quelques îles du Nord de la mer Égée, et dans les colonies éoliennes d'Asie, notamment à Lesbos. Alcée, Sappho (tous deux Lesbiens), Corinne (de Tanagre), étaient les types classiques de ce dialecte. Ce qui le caractérisait surtout., c'était l'aspiration avec laquelle on prononçait les voyelles au commencement et au milieu des mots (digamma), et même quelques consonnes, comme le r (brodon pour rodon). Il passait pour offrir le plus de traces de la langue grecque primitive. Dans la déclinaison, on remarque la terminaison a au nominatif singulier des noms masculins terminés en hs dans les autres dialectes; l'accusatif pluriel de la 1re et de la 2e déclinaison a les diphtongues ai et oi. Par la même analogie, on disait melais pour melas, au nominatif singulier, et lusais pour lusas. Dans la conjugaison, beaucoup de verbes étaient terminés en mi , contrairement à l'usage des autres dialectes; les 3e personne du singulier et du pluriel étaient terminées en ti, nti. Les Anciens ont été frappés des ressemblances que le latin offrait particulièrement avec le dialecte éolien, et dont nous pouvons saisir encore quelques traces assez remarquables. Au Ve siècle, l'éolien est en décadence comme langue littéraire, et, se fondant avec le dorien, donne naissance au dialecte éolo-dorien des poésies de Pindare, de manière toutefois que l'élément dorien domine; Le dialecte éolo-dorien. - On nomme ainsi le dialecte que Pindare se forma par le mélange du dorisme, de l'éolisme et de la langue épique. La langue épique domine, à cause des sujets traités par le poète ; du dialecte dorien il empruntait ce qui pouvait contribuer à la gravité, à l'éclat, à la commodité des nombres, et du dialecte éolien les mesures vives et rapides. Le dialecte pindarique est aussi appelé éolo-dorien; il serait peut-être plus juste de le nommer épico-lyrique. On voit se fixer la prose ionienne, dont les oeuvres d'Hérodote et d'Hippocrate sont les plus illustres monuments, tandis que la prose et la poésie attiques sont portées à leur perfection, l'une par Antiphon, Andocide, Lysias et Thucydide, l'autre par les grands poètes dramatiques. La suprématie littéraire et intellectuelle conquise dans ce siècle par Athènes donne à sa langue, désormais fixée, une prépondérance marquée sur tous les dialectes, dont elle s'est assimile quelques formes, surtout dans la poésie; l'éolien semble disparaître définitivement de la littérature; l'ionien homérique devient de plus en plus une langue savante, à l'usage des poètes, et qui n'est plus guère comprise que dans les écoles et par les gens instruits ; l'ionien cesse peu à peu de s'écrire après Démocrite et Ctésias; la Grèce a enfin une langue littéraire uniforme, qui est celle de Lysias, de Xénophon, de Platon, d'Iscorate, et de Démosthène. Le dialecte attique. - Ce dialecte fut celui qui, littérairement, se développa le dernier; mais, dès le IIIe siècle av. J.-C., il était devenu la langue littéraire des écrivains grecs désormais dispersés dans la Grèce, la Macédoine, la Thrace, l'Asie Mineure, la Syrie, l'Égypte, et il subsista fort longtemps après la chute de l'indépendance hellénique, grâce aux nombreuses écoles de rhétorique établies partout où avait pénétré la civilisation grecque et dans lesquelles on n'enseignait que ce seul dialecte. Avant sa diffusion, le dialecte attique présente trois phases : 1° l'ancien attique, très semblable à l'ancien ionien, et dont on voit déjà beaucoup de formes dans Homère; Solon est le dernier représentant du vieil attique; 2° l'attique moyen, qui est l'ancien attique modifié par certains mélanges résultant des relations fréquentes avec les contrées voisines, la Béotie, la Mégaride et le Péloponnèse, et aussi de l'empire ou du commerce maritimes, qui, avec certains usages asiatiques, thraces, égyptiens, siciliens, introduisirent des mots nouveaux, comme le témoigne Xénophon dans son Opuscule sur la république athénienne. Gorgias, Thucydide, et les quatre grands poètes dramatiques du Ve siècle, sont les principaux représentants du moyen attique; 3° l'attique nouveau représenté par Démosthène et Eschine (Xénophon, Platon, Isocrate, forment la transition entre le moyen et le nouvel attique). C'est cette dernière forme de la langue littéraire athénienne qui allait devenir la base du dialecte alexandrin. On a plusieurs recueils d'atticisme, dont le principal est dans Grégorius, métropolitain de Corinthe, qui a laissé un ouvrage sur les dialectes (V. l'édition de Koen, Leyde, 1766, in-8°; et celle de Schaefer, Leipzig, 1811, in-8°). Henri Estienne a laissé une dissertation sur le dialecte attique, qui se trouve dans l'Appendix du Thesaurus Linguae groecae. ( le recueil de Maittaire, Graecae Linguae dialecti, 1706, et la Bibliothèque grecque de Fabricius, t. VI, p. 164, édit. Harles, 1790-1812.). Cette langue se répand dans tout l'Orient après les conquêtes d'Alexandre le Grand; mais cette diffusion même en altéra promptement la pureté; et l'influence toute-puissante de la Macédoine au IIIe siècle en Grèce, en Égypte et dans l'Asie occidentale, amena dans le dialecte attique des modifications sensibles, contre lesquelles on sut réagir à Athènes et dans les principales écoles des rhéteurs et des sophistes, mais qui furent irrévocables en Asie, à Alexandrie, et même dans certaines parties de la Grèce européenne, puisque nous voyons Polybe écrire dans une langue qui se rapproche beaucoup plus de l'alexandrin que de l'élégance et de la pureté attiques. Le dialecte macédonien. - Ce dialecte est une des variétés de l'ancienne langue grecque. Il fut d'abord appelé, suivant Dicéarque, hellénique, et peut-être fut-il commun, dans l'origine, à la Macédoine méridionale et à la Thessalie, où habitèrent longtemps les Hellènes proprement dits : peut-être aussi est-ce dans ce dialecte antique que les poésies religieuses, de Musée et d'Orphée se répandirent parmi les peuples. Le dialecte macédonien dut subir dans la suite des modifications importantes, en particulier vers le VIIIe siècle av. J.-C., lorsque Caranus vint en Macédoine avec une colonie argienne, et à partir du Ve, grâce à la culture intellectuelle que le roi Archélaüs s'efforça de propager, mais surtout sous le règne de Philippe et d'Alexandre, tous deux amis des lettres et des beaux-arts. Ce qui rendit au dialecte macédonien son importance et sa célébrité, ce fut la conquête de l'Orient par Alexandre; il exerça aussi quelque influence sur les Grecs eux-mêmes, et finit par modifier jusqu'au dialecte athénien : telle fut la source de ce que les critiques appelèrent langue commune ou hellénique. Mais il subit lui-même en Égypte et en Asie, particulièrement en Syrie, des modifications considérables, d'où provinrent plusieurs dialectes nouveaux, dont le plus important fut le dialecte alexandrin. On n'a, sur le dialecte macédonien, que des données assez vagues : comme particularités, on cite l'emploi de la lettre B à la place de l'aspirée F ; ainsi, Bérénice est un mot de forme macédonienne, au lieu de Phérénice usité dans les autres dialectes. Les Phrygiens s'appelaient aussi chez eux Brygiens, et la ville macédonienne de Béroea eût été appelée ailleurs Phéroea. Quant aux reproches de mécédonisme adressés par les grammairiens aux écrivains postérieurs au IVe siècle avant J.-C., ils portent principalement sur des néologismes, ou plutôt sur les modifications que les écrivains de cette époque faisaient subir au sens de certains mots; ainsi, ils reprochent à Polybe d'employer le mot romh (élan, impétuosité, mouvement accéléré) dans le sens de rue, inconnu aux Attiques, et parembolh dans le sens de camp, lorsque ce mot avait toujours signifié jusque-là intercalation, ou, en termes militaires, attaque par le flanc. ( Saumaise, De Lingua hellenistica, an sit, an fuerit, 1643; Sturz, De Dialecte macedonica et alexandrina, 1803). Le dialecte alexandrin. - Cette variété de la langue grecque ancienne est née de la confusion du dialecte macédonien avec ceux des différentes parties de la Grèce, auxquels venaient s'ajouter des locutions empruntées à des langues étrangères. Dans la plupart des écrivains alexandrins, ce dialecte rapproche beaucoup des formes de ce qu'on appelait du terme peu précis pour nous de langue commune. Ce furent surtout les Égyptiens, les Hébreux, les Syriens, qui usèrent de ce nouveau dialecte, et les écrivains de ces nations qui le parlèrent ou l'écrivirent reçurent le nom d'hellénistes (imitateurs des Grecs) : aussi le désigne-t-on souvent par le nom de dialecte hellénistique. Nulle part, il ne présente des formes plus caractérisées que dans les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament. Dans la plupart des autres ouvrages de l'époque alexandrine, même ceux des Pères de l'Église d'Alexandrie, de Jérusalem ou d'Antioche, bon nombre de nuances qui le séparent de la langue athénienne classique échappent aux modernes, et l'on y sent l'influence bien plus marquée des écoles et des écrivains de la véritable Grèce. C'est donc le néologisme qui distingue surtout le dialecte alexandrin, et nous ne parlons ici que de ce néologisme vicieux qui consiste à créer des synonymes inutiles. Ces défauts provenaient sans doute de la manière imparfaite avec laquelle on avait étudié les grands modèles littéraires, ou peut-être certains écrivains hellénistiques étaient-ils moins préoccupés de l'élégance du style que de se rendre plus spécialement intelligibles aux populations semi grecques et semi asiatiques répandues entre le Nil et l'Euphrate inférieur. Il existe un Traité du dialecte macédonien et alexandrin, par F.-W. Sturz, Leipzig, 1808, in-80. Le dialecte alexandrin subsista jusqu'au VIIe siècle de l'ère chrétienne sans subir de modifications bien remarquables : à cette époque il est définitivement remplacé par le byzantin, qui s'est formé dès le Ve siècle après J.-C., et qui, dégénérant peu à peu, devait aboutir au romaïque ou grec moderne. La langue byzantine. - C'était le grec parlé à Contantinople, et formé par l'altération progressive du dialecte hellénistique introduit au IVe siècle de l'ère chrétienne dans cette ville, devenue la capitale de l'Empire romain d'Orient. A partir surtout du Ve siècle, des mots latins, orientaux, bulgares, arabes, slaves, italiens, français, turcs, etc. ne cessèrent, jusqu'au XVe, d'y pénétrer; ce qui nécessita la publication d'une foule de glossaires. De cette déformation continuelle et insensible naquit le grec moderne. Les personnes instruites et de haut rang se piquaient cependant de conserver autant que possible la tradition de l'ancien grec, du moins tel qu'il était au IVe siècle, c.-à-d. modifié par les écrivains chrétiens. Cette langue plus pure paraît avoir touours été celle de la cour, des ecclésiastiques, et des grammairiens; et c'est elle que nous trouvons dans les traductions d'Homère, d'Ovide, de César et de Cicéron en prose grecque, qui nous sont parvenues, et qui sont du XIVe et du XVe siècle. Dans les plus anciens témoignages de la langue grecque (l'Iliade et l'Odyssée), on trouve déjà tous les caractères essentiels qu'on lui voit conserver dans les temps postérieurs : une déclinaison et une conjugaison très variées et très riches; une syntaxe éminemment synthétique, l'usage très fréquent des ellipses, des syllepses, des attractions, des anacoluthes; l'usage habituel de l'inversion, dans la prose comme dans les vers. Considérée au point de vue littéraire, elle est poétique et pittoresque entre toutes les langues, en même temps que naïve et simple. Elle excelle à exprimer, à l'aide de ses nombreuses particules, des nuances fines et délicates; ce qui contribue à lui donner une précision que les autres langues ne sauraient atteindre au même degré, et qui fait le désespoir des traducteurs. Sa syntaxe est d'une merveilleuse flexibilité, image de la mobilité et de la puissance d'imagination des grands écrivains. La connaissance de la langue grecque. L'étude de la langue grecque, très répandue dans l'Orient, où elle se maintint jusqu'à la conquête ottomane, s'introduisit à Rome au IIe siècle avant l'ère chrétienne, et ne tarda pas à y prendre un grand développement : sous les empereurs surtout, elle fut populaire dans les classes aristocratiques, et il fut souvent de mode à la cour de parler grec. De Rome elle pénétra dans la Gaule Cisalpine, puis dans la Transalpine, ou elle était parlée depuis longtemps sur la côte Sud-Est, par Marseille et ses colonies, puis enfin dans l'Espagne. Elle paraît même avoir été cultivée à Carthage, puisque Hannibal savait non seulement la parler, mais l'écrire; au temps de César et d'Auguste, le roi de Mauritanie Juba II composa en langue grecque une sorte d'encyclopédie dont nous avons quelques fragments. L'invasion des Germains porta à l'étude du grec un coup mortel dans toutes les contrées où la langue n'était pas celle des peuples; quelques écrits d'Aristote et de Galien, traduits en latin d'après des traductions arabes des VIIIe et IXe siècles, furent, au Moyen âge, les seuls débris connus, en Europe occidentale, de cette littérature, qui ne reparut dans l'Occident sous sa forme originale qu'à la fin du XVe siècle. Cultivée en France avec ardeur par les savants du XVIe, et enseignée au Collège Royal, elle pénétra dès cette époque dans les écoles de l'Université de Paris et des Jésuites; interrompue par les guerres religieuses, cette étude reprit quelque éclat au XVIIe siècle. L'esprit novateur du XVIIIe affecta de la mépriser, sans s'inquiéter de connaître les originaux, et lui fit perdre sa faveur. Restaurée sous le Ier Empire, lors de la constitution de l'Université actuelle, elle a continué d'occuper dans les études secondaires et supérieures la place importante ou elle mérite à coté du latin et du Français. Mais nulle part elle n'a été cultivée avec autant de patience et d'ardeur qu'en Allemagne, où cependant le point de vue auquel on l'a étudiée est plutôt critique et philologique que vraiment littéraire. Considérée par rapport à l'utilité pratique, l'étude de la langue grecque est dans tous les pays un secours précieux pour l'intelligence prompte et nette des nombreux termes de sciences, d'arts et d'industrie qu'on en a tirés directement ou que l'on a composés à l'aide d'éléments et de radicaux isolés, que les Anciens n'ont pu songer à associer; aussi quelques-uns sont-ils combinés d'une manière plus conforme à l'euphonie telle que la réclament nos oreilles, qu'aux véritables principes de la composition des mots grecs. Étudiée plus à fond, et à un point de vue plus élevé, la langue grecque nous révèle le secret merveilleux d'une alliance intime entre le naïf et le sublime (Homère), entre le ton familier et la noblesse du style (Platon et Sophocle); elle nous montre une simplicité élégante unie au pathétique chez Euripide, la finesse gracieuse à une certaine nudité de style chez Xénophon, et, dans Démosthène, tout à la fois la gravité, la véhémence et le naturel. Prononciation du grec ancien. La prononciation du grec ancien est à peu près inconnue; elle a pu être reconstituée, de façon indirecte, grâce aux acquis de la phonologie contemporaine, mais pendant longtemps celle qu'on a adoptée dans l'Occident, le Nord et le Midi de l'Europe, a été arbitraire et barbare, chaque peuple prononçant le grec d'après les règles usitées pour sa propre langue. Au XVe siècle, les Grecs réfugiés de Constantinople avaient apporté en Italie, en Allemagne et en France la prononciation usitée de leur temps; mais des linguistes ayant démontré que cette prononciation ne pouvait, dans un grand nombre de cas, s'appliquer à la langue de l'Antiquité, et ne concordait pas avec les observations éparses dans les critiques ou autres écrivains, avec l'orthographe de certaines inscriptions, ni avec celle que les Grecs avaient adoptée pour reproduire dans leur langue des mots de la langue latine, ni avec la manière dont les Latins écrivaient certains mots grecs en caractères romains, elle fut peu à peu abandonnée. Le grec moderne. Le grec moderne, langue qu'on a aussi appelé romaïque parce que les Turcs du XVe siècle considérèrent comme romaine toute la population de l'empire grec qui leur était étrangère, dérive du grec ancien. Celui des antiques dialectes avec lequel elle a le plus de rapport, c'est l'ionien, ou plutôt l'attique. On la parle en Grèce continentale, en Crète, dans les îles de la Mer Egée, à Chypre, dans les îles Ioniennes et, localement, en divers points du Moyen Orient où vit une diaspora grecque. Quelques localités de l'intérieur de la Grèce, le pays de Mégare, les îles les moins fréquentées des Cyclades, sont les lieux où elle a conservé le plus de pureté dans les provinces septentrionales, elle est mélangée d'albanais; des éléments italiens s'y sont introduits dans les îles Ioniennes, à Athènes et dans le Péloponnèse. II y a telles localités écartées où l'on a conservé des mots, des locutions, des phrases de l'ancien grec, dont on ne trouve plus trace dans les villes, telles expressions qui appartiennent au temps d'Homère, et qui ont disparu des auteurs postérieurs; tantôt les mots de la langue clasique ont subi, dans le grec moderne, des contractions, des suppressions de désinence, qui les défigurent; tantôt les mots, en gardant plus ou moins fidèlement la forme primitive, ont changé de signification. En ce qui concerne la grammaire, le grec moderne se distingue du grec ancien par les particularités suivantes : le nombre duel n'existe pas; le datif a disparu de la déclinaison, et est remplacé par le génitif ou par une préposition qui régit l'accusatif; le premier nom de nombre sert d'article indéfini : les degrés de comparaison se forment à l'aide de particules, et plusieurs temps du verbe au moyen d'auxiliaires; le verbe avoir (ecw) sert, comme dans les langues néolatines, à la formation des temps du passé, et le verbe vouloir (qelw), joint à une forme dérivée de l'ancien infinitif, sert à composer, comme en allemand et en anglais, le futur et le conditionnel; l'infinitif, devenu hors d'usage, est remplacé par une périphrase dans laquelle le verbe se met au subjonctif; la voix moyenne a été supprimée; enfin la construction est beaucoup moins transpositive. Le grec moderne a des dialectes, dont la plupart ne sont que des patois produits par une prononciation altérée et par des idiotismes venus de l'étranger. On distingue surtout le romaïque propre, avec les variantes dialectales d'Istanbul ou des Fanariotes, de Salonique de Janina, d'Athènes et d'Hydra; et l'éolo-dorien, comprenant le maïnote (à Sparte), le candiote (= crétois) et le chypriote. (P.).
| Quentin Ludwig, Les racines grecques du français : Une étymologie toujours vivante, Eyrolles , 2007. - Nous parlons grec sans le savoir... Après avoir rappelé les principes de base de la linguistique, cet ouvrage décrypte les références de la vie quotidienne (marques, prénoms...). Pour chacune, il livre sa racine, sa signification et les différents termes français dérivés. Complet, pratique et vivant, ce guide est un outil précieux pour mieux connaître la langue française, enrichir son vocabulaire et découvrir la civilisation grecque. (couv.). | | |