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Le latin
(ou langue latine) n'est, primitivement, qu'un dialecte
italique parmi d'autres (samnite, osque, ombrien, etc.), parlé
sur les rives du Tibre, le Latium.
Elle appartient, comme le grec ou le sanscrit,
à la famille des langues indo-européennes,
et est à l'origine de la formation des langues néo-latines
ou romanes (italien, français,
espagnol, roumain,
etc).
On rencontre dans le latin une grande variété
dans les déclinaisons, soit qu'on
en admette cinq, suivant la division classique, soit qu'une grammaire
plus rigoureuse les réduise à trois, toujours aussi fertiles
en désinences. Trois genres
dans les noms et les adjectifs,
comme en grec et en allemand
(le français n'a pas de genre
neutre); deux nombres, comme en français
(le grec en avait un troisième, le duel, qui, sans être nécessaire,
ajoutait à la facilité et à l'élégance
du langage); pas d'articles, et, par conséquent,
moins de clarté que dans la phrase grecque
ou française, plus d'ambiguités et d'équivoques à
craindre; dans les verbes, quatre conjugaisons,
réductibles, si l'on veut; à une seule, mais riche en terminaisons
variées, sonores, et par conséquent significatives; une forme
passive analogue à celle des Grecs, et qui n'exige pas, comme
en français, une proposition tout
entière : tels sont les premiers éléments et les conditions
constitutives de la langue latine.
Le français,
qui n'a pas de déclinaisons, et
dont les rares désinences ne s'adressent
guère qu'aux yeux, exprime les rapports des idées et des
mots par l'emploi des prépositions
ou par la place qu'ils occupent dans la phrase; le latin fait servir toutes
ses désinences à exprimer ces même rapports, et multiplie
les régimes immédiats des substantifs
et des verbes.
"Les règles
d'accord et de dépendance dominent dans la syntaxe
latine; les règles de position y sont plus rares et moins rigoureuses.
Dans notre syntaxe, les règles de position; quoique simples et moins
nombreuses, l'emportent sur les règles d'accord et de dépendance."
(Egger, Éléments de grammaire comparée).
Aussi le latin est-il, comme le grec,
une langue essentiellement inversive. Les mots s'y rangent dans l'ordre
de leur valeur et de leur importance, d'après la force et la progression
des idées, ou bien encore selon les lois de l'harmonie, et donnent
naturellement à la phrase, en prose comme
en vers, un tour expressif et musical. Grâce à cet heureux
privilège, les langues grecque et latine méritent par excellence
l'estime que Boileau professait pour les mots
mis en leur place. Ajoutons encore que ces qualités conviennent
aux discussions et aux conventions diplomatiques où les Romains,
lorsqu'ils traitaient avec les vaincus, ne se faisaient pas toujours scrupule
d'employer des équivoques plus politiques qu'honorables. Un juge
singulièrement sensible aux qualités expressives des idiomes
anciens, Fénelon, a caractérisé
l'inversion avec la délicatesse habituelle de son goût et
quelque peu d'injustice pour sa langue nationale, qu'il avait pourtant
maniée si admirablement.
"Les Anciens,
dit-il, facilitaient par des inversions fréquentes les belles cadences,
la variété et les expressions passionnées. Les inversions
se tournoient en grandes figures, et tenaient l'esprit suspendu dans l'attente
du merveilleux [...]. Notre langue n'ose jamais procéder que suivant
la méthode la plus scrupuleuse et la. plus uniforme de la grammaire.
On voit toujours venir d'abord un nominatif
substantif qui mène son adjectif comme par la main; son verbe
ne manque pas de marcher derrière, suivi d'un adverbe
qui ne souffre rien entre eux deux, et le régime
appelle aussitôt un accusatif qui ne
peut jamais se déplacer. C'est ce qui exclut toute suspension de
l'esprit, toute attention, toute surprise, toute variété,
et souvent toute magnifique cadence." (Lettre sur les occupations de
l'Académie).
A ces caractères essentiels, il faut
ajouter la facilité de former les mots, moins par composition que
par dérivation, facilité que Fénelon
enviait encore aux langues mortes, et qu'il désirait voir passer
en français, malgré l'exemple
décourageant de Ronsard. Les éléments
des mots composés ne se multiplient pas indéfiniment en latin
comme en allemand. En général,
ils se réduisent à deux termes; l'expression y gagne en facilité,
sans être surchargée d'une stérile et confuse abondance.
Au reste, le latin ne se prêta jamais avec autant de facilité
que le grec à la combinaison des
mots composés. Les longs mots forgés plaisamment par Plaute
à l'imitation d'Aristophane ne sortaient
pas du style comique. Mais la langue romaine, destinée à
s'imposer à une grande partie du Bassin méditerranéen
avait d'autres qualités, d'autres avantages; elle les posséda
sans doute avant même de se polir au contact d'un idiome étranger.
Un peuple formé dans les assemblées
publiques et les tribunaux à la pratique des affaires et des lois,
partagé entre la guerre et les luttes du Forum,
acquérait naturellement à cette double école la précision,
la force et la grandeur avec la brièveté du commandement.
Lorsque les relations avec la Grèce
eurent apporté à l'idiome des vieux Latins
un peu de la politesse et de l'abondance qui lui manquaient, il prit cette
solidité et cette ampleur oratoires qui devaient faire son originalité,
sa puissance et sa durée. Cette belle forme de la période,
que les Romains appelaient le circuit, le
cadre de la parole, ou plutôt le tour par où la parole se
développe (circuitus, ambitus, comprehensio verborum), semble
presque leur appartenir en propre, bien qu'ils en eussent trouvé
le modèle dans la phrase admirablement nette, précise et
abondante de Démosthène. Cicéron
nous donne presque la date précise de l'apparition de la période,
avec l'élégance grecque; il en fait honneur à Emilius
Lépidus, surnommé Porcina, créateur de ce qu'il appelle
d'un terme tout moderne le style artiste, artifex (an de Rome
617, av. J.-C. 137). Dès lors, la gravité des assemblées
publiques et l'autorité que donnait la parole auprès du Sénat
et du peuple, conduisirent naturellement la langue oratoire à l'harmonieuse
majesté de Crassus et de Cicéron,
comme à la mâle énergie de Brutus.
"Rien n'égale
la dignité de la langue latine. Elle fut parlée par le peuple-roi
qui lui imprima ce caractère de grandeur unique dans l'histoire
du langage humain, et que les langues, même les plus parfaites, n'ont
jamais pu saisir. Le terme de majesté appartient au latin. La Grèce
l'ignore, et c'est par la majesté seule qu'elle demeurera au-dessous
de Rome, dans les lettres comme dans les camps. Née pour commander,
cette langue commande encore dans les livres de ceux qui la parlèrent."
(J. de Maistre, du Pape, I, XX.)
Un autre caractère propre à
la langue latine est de se prêter merveilleusement au style
lapidaire. Brève et concise, elle réduit les termes et ménage
l'espace au profit des idées; libre dans ses constructions, elle
peut placer les mots dans l'ordre le plus avantageux et le plus éloquent.
Ces qualités - et un certain snobisme - ont fait préférer
longtemps le latin aux langues modernes pour les monuments et les médailles,
et le font quelquefois adopter, même de nos jours, quoique nous ne
pensions pas toujours à rechercher dans nos inscriptions modernes
la vigueur ni l'élégance.
«
Le signe européen, dit encore J. de Maistre,
avec sa verve éloquente, c'est la langue latine [...]. Les médailles,
les monnaies, les trophées, les tombeaux, les annales primitives,
les lois, les canons, tous les monuments parlent latin : faut-il donc les
effacer, ou ne plus les entendre? [...]. Au lieu de ce noble laconique,
vous lirez des histoires en langue vulgaire. Le marbre, condamné
à bavarder, pleure la langue dont il tenait ce beau style qui avait
un nom entre tous les autres styles, et qui, de la pierre où il
s'était établi, s'élançait dans la mémoire
de tous les hommes." (lb. )
Origines et histoire
sommaire de la langue latine.
Les origines du latin sont très
obscures et très difficiles à déterminer. Les grands
maîtres de la prose historique chez les Romains,
plus soucieux d'éloquence, que d'érudition, ne nous ont rien
appris de leur histoire et de leur langue. Varron,
dans les six livres incomplets qui nous restent de son traité Sur
la langue latine, Festus, dans son livre de la Signification des
mots, quelques débris de l'ancien langage, recueillis çà
et là par une critique ingénieuse dans la poussière
des monuments mutilés ou dans les grammairiens (Egger,
Latini sermonis reliquiae), voilà où il faut puiser les
éléments d'une histoire de la langue latine dans les premiers
siècles de Rome.
"Notre langue,
dit Varron, n'est pas tirée toute des termes nationaux " (liv. IV,
init.).
Il est établi, du moins, que le latin
des vieux âges, et de façon générale les langues
italiques, ont une origine commune, mais lointaine, avec les langues
celtiques , qui forment un autre rameau des langues
indo-européennes. Une vie agricole et guerrière, point
de sentiment des arts, c'étaient là des conditions faites
pour maintenir le langage à l'état rudimentaire, et réduire
le rustique Latium,
comme l'appelle dédaigneusement Horace,
à la dégoûtante âpreté du grossier mètre
saturnien. Dans quelle proportion les populations italiques, les Osques,
les Sabins, etc., modifièrent-ils ces
éléments primitifs? Il est impossible de le dire. La langue
latine dut vieillir dans une enfance de cinq siècles, jusqu'au moment
où le progrès des armes romaines la mit en présence
de la langue grecque, et fit subir aux
rudes fils de Romains l'ascendant d'une civilisation encore inconnue. Les
deux idiomes, bien que tous les deux de la même famille, avaient
singulièrement changé pour se reconnaître après
une séparation si profonde. Toutefois, on put retrouver peu à
peu les traces de la commune origine, un air de famille, et adopter les
mots grecs avec d'autant plus de facilité.
C'est depuis ce moment, c. à-d.
depuis la guerre de Pyrrhus, que le latin se
forme et se polit. II suit alors un progrès constant, du moins à
nos yeux, jusqu'au siècle de Cicéron
et d'Auguste, jusqu'à la perfection de
la langue oratoire et de la langue poétique. Remarquons cependant
que Cicéron, meilleur juge que les modernes, cherche la vraie pureté
de la langue dans les âges, qui l'avaient précédé,
et en fait honneur au siècle de Caton, d'Ennius
et de Térence. Comment s'expliquer cette
infériorité de langage dont Cicéron semble accuser
son siècle? Sans doute, il veut dire que la langue, à cette
époque, était essentiellement latine, peu mêlée
de grec et d'idiomes étrangers, tandis que, de son temps, les poètes
de Cordoue même apportaient à
Rome, avec leur langue, l'enflure particulière
à leur pays. On le voit d'ailleurs insister, lorsqu'il raconte dans
le Brutus l'histoire de l'éloquence, sur le mérite
des orateurs qui parlaient bien le latin, et en faire une partie de la
gloire d'Antoine (Brutus, XXXII).
Du reste, si le latin s'altérait
déjà, ce n'était pas par la recherche des archaïsmes.
Au temps de César, Salluste
lui-même, malgré son goût affecté pour l'Antiquité,
ne s'inquiétait guère plus des vieilles sources de l'histoire
et du langage que de la précision géographique. Varron
écrivait, il est vrai :
"Mieux vaut
approuver celui qui donne facilement beaucoup d'explications sur les origines
des mots que de critiquer celui qui ne peut pas les donner toutes; d'autant
plus qu'en matière d'étymologie on ne peut pas rendre
raison de tout" (liv. VI).
Mais les écrivains supérieurs
aimaient mieux mépriser, comme Horace,
les poudreuses annales des pontifes, et déclarer
inintelligibles des hymnes saliens de Numa,
que les étudier, ou tout au moins les sauver de la destruction.
Ainsi se sont perdus, avec ces hymnes saliens, le chant des frères
Arvals,
le texte complet et original des lois des Douze Tables,
les Grandes Annales, une foule enfin de documents où la philologie
moderne retrouverait certainement, à force de patience et de sagacité,
les éléments du latin.
La langue du Droit
avait dû se former, et la langue oratoire avait pu se préparer
chez les Romains avant le commerce des Grecs;
mais celles de la philosophie et de la
poésie furent une conquête de
Rome sur la Grèce, ou plutôt encore de la Grèce sur
Rome. Après le laborieux enfantement d'Ennius
ce sont Lucrèce et Catulle
qui assouplissent l'instrument poétique dont Virgile
et Horace feront un si merveilleux usage. Après
les efforts de Lucrèce pour rompre aux sujets philosophiques l'idiome
rebelle de son pays, dont il accuse si fréquemment l'indigence,
c'est Cicéron qui, dans ses grands traités,
donne à ses lecteurs et à son pays la langue de la philosophie,
en même temps que celle de la critique littéraire.
Déjà, cependant, le latin
subissait une modification nouvelle par un effet de cette loi inévitable
qu'Horace exprime en termes si poétiques quand il compare les mots
qui s'en vont aux feuilles qui tombent. Lui-même, avec tout son talent,
contribuait à cette altération par l'emploi trop fréquent
et trop heureux des hellénismes. Le temps n'était pas très
éloigné où les mots grecs viendraient reprendre, dans
les vers de Juvénal lui-même, la
place qu'ils avaient eue jadis dans ceux de Lucilius.
A coté de la langue poétique, les formes de la prose changeaient
également : Sénèque coupe
et brise la période; Tacite introduit dans
la langue historique les termes, les tours, les hardiesses propres à
la poésie. Les règles de la grammaire
commencent à s'oublier, ou, du moins, le grand écrivain se
permet des licences comme Horace s'en était
permis. Bientôt l'élément barbare arrive à la
suite de l'élément grec. Les guerres lointaines, les rapports
perpétuels et inévitables avec des vaincus tout prés
de devenir vainqueurs, corrompent le latin, surtout en Gaule
et même en Italie.
Vienne le règne de Théodose, et
la langue, déjà réduite à la stérile
élégance de Claudien, s'abaissera
encore dans les vers d'Ausone, pour descendre
aux poèmes de Sidoine Apollinaire, et
de Fortunat, et à la prose de Grégoire
de Tours.
La transformation s'opère à
travers les révolutions de l'Europe,
et la corruption de la langue mère forme les langues néolatines,
telles que le français, l'italien
et l'espagnol. On pourrait fixer sans
doute au serment des fils de Louis le Débonnaire,
en 843, la disparition du latin comme langue politique en France,
de même que l'ordonnance de Villers-Cotterets, en 1539, le bannit
de la langue judiciaire et des arrêts du Parlement. Il demeure encore
comme au Moyen âge,
la langue de la théologie, du Droit,
de la philosophie scolastique, de l'érudition,
même des sciences naturelles; car, au XVIIe
siècle, Descartes écrit encore
ses traités de physique en français
et en latin. II est également, jusqu'à la Révolution,
la langue de l'Université; le prince de Conti félicitait
Rollin de parler le français comme si c'eût été
sa langue naturelle; et l'Université, en mémoire de ces vieilles
traditions, l'a longtemps conservé dans ses distributions du concours
général. Enfin, il est encore la langue liturgique de quelques
composantes de l'Église catholique,
en tout cas l'une des langues encore parlées au Vatican.
(A. D.).
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Jurgen
Leonhardt, La
grande histoire du latin, des origines à nos jours,
CNRS , 2010.
2271069629
Sans
le latin, inutile de chercher à comprendre les 2700 ans d'histoire
qui ont vu naître l'Empire romain, triompher le christianisme, s'affirmer
l'identité de l'Occident. Sans le latin, qui faillit disparaître
au cours du haut Moyen Age, impossible de comprendre la place de l'anglais
dans notre univers mondialisé, puisque cet idiome fut le premier
à connaître un rayonnement international. Voici retracée
pour la première fois l'extraordinaire aventure de cette langue,
des origines de Rome à nos jours, en passant par les monastères
carolingiens, le mouvement humaniste, les écoles jésuites,
les clubs de conversation, le concile de Vatican II... qui vit le latin
chassé des églises et continuer sa route ailleurs... Langue
des vainqueurs, langue administrative, langue des érudits, langue
scolaire et langue de l'Eglise... Classique, vulgaire, médiéval,
humaniste, moderne, le latin sous toutes ses formes a façonné
nos représentations, épousé la marche de l'histoire,
produit d'innombrables trésors de foi et de culture. Et offert un
support indispensable à la bonne santé de ses nombreux cousins,
le français, l'italien, l'espagnol... Comment croire après
un tel livre que le latin est une langue morte? (couv.). |
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