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L'apologue

Apologue (du grec apologos = conte, récit, compte rendu) est un mot qui s'applique spécialement d'un "récit inventé pour former les moeurs par des instructions déguisées sous l'allégorie d'une action. " Les acteurs sont habituellement des animaux; souvent aussi des êtres métaphysiques, tels que les vertus et les vices; des êtres surnaturels, dieux, génies, magiciens; des êtres inanimés, plantes, végétaux, pierres, minéraux, etc. L'auteur de l'apologue a le privilège de tout animer, de tout personnifier; on ne lui demande que de conserver à chaque être, à chaque objet, le caractère qui lui est ou qu'on doit lui supposer propre. D'où il suit que la qualité principale, essentielle du style de l'apologue, est le naturel. Le ton général doit en être simple et familier, sans négligence ni platitude; on aime à voir dans l'expression une finesse naïve, de l'enjouement dans les peintures, de la grâce dans les descriptions, qui doivent toujours être courtes et vives. Des réflexions amenées naturellement et faites avec simplicité peuvent ajouter au sens et à la solidité de l'apologue; et si elles se mêlent à la peinture naïve du sentiment (Ex. : le monologue de la Laitière, dans la fable de La Fontaine), c'est le chef-d'oeuvre de l'art.

Deux autres genres de fiction se rapprochent de l'apologue, au point qu'il est parfois très difficile de distinguer les uns des autres : ce sont la fable et la parabole. Les mots fable et apologue sont d'ailleurs souvent pris comme synonymes. On peut toutefois dire-:

1°) que la fable forme par elle-même un tout littéraire et détaché, tandis que la parabole et l'apologue font le plus souvent partie d'un ensembles où ils ne figurent que par accident. C'est ainsi que l'Ancien Testament contient nombre d'apologues et les Evangiles nombre de paraboles.

2°) que la fable peut n'être qu'une scène décrite par un peintre et ne comporte pas forcément de moralité. L'apologue, au contraire, est une comédie en abrégé, une satire en action, mais sans violence, en un mot une oeuvre dramatique en raccourci. On en pourrait dire autant de la parabole. Apologue et parabole ont en outre une prétention commun, toujours la même : rendre meilleurs les humains. Les fables de La Fontaine sont souvent des apologues.

L'étroite parenté de l'apologue et de la fable fait qu'on ne peut faire l'histoire du première sans faire en même temps celle de la seconde. On se contentera donc ici de résumer ce que l'on dit, plus en détail, à la page sur la fable.

Histoire de l'apologue.
L'origine de l'apologue paraît remonter aux siècles les plus reculés; et cette forme de récit ou de remontrance a pu avoir été imaginée par la servitude, qui, n'osant dire ouvertement à la puissance certaines vérités, les lui aura présentées sous un voile allégorique qui en dissimulait l'audace, mais se laissait pénétrer sans peine par la sagacité du maître. Aussi l'apologue nous est-il venu de l'Orient, cette terre classique de l'esclavage. Chez les Hébreux, il existe beaucoup de paraboles; mais, à vrai dire, la Bible n'offre qu'un seul apologue; satire violente contre la monarchie, les Arbres qui se choisissent un roi (Juges, IX, 7-15). Le véritable berceau de la fable est l'Inde, où elle a été cultivée, non seulement comme un jeu d'esprit, une satire, une comédie à cent actes divers, mais comme un genre sérieux, comme un enseignement religieux et moral. Les Indiens sont panthéistes : pour eux, il n'y a qu'une seule vie, une existence universelle qui produit, absorbe et transforme sans cesse toutes les existences particulières : l'être est tour à tour dieu, héros, homme, animal, plante, toujours le même, toujours unique sous ces accidents passagers. Dans pareil contexte, il n'y a pas de fable à proprement parler; c'est leur histoire que les hommes écoutent, quand on fait parler devant eux les arbres et les animaux : les formes sensibles changent, les idées et les passions demeurent. La doctrine de la métempsycose resserre encore ce lien qui unit l'homme à tous les êtres : dans cette croyance, l'animal est un frère malheureux en vertu d'une loi de justice, et qui ne parle plus le même langage. Ainsi s'explique le rôle considérable de la fable chez les Indiens, surtout dans les livres bouddhiques. Le Mahâbhârata, le Pantcha-tantrâ, le Djataka ou les Naissances et une foule d'autres ouvrages, contiennent bon nombre d'apologues.

En Inde, l'apologue se répandit dans le Tibet et la Chine (cf. les Avadanas), en Perse, en Arabie (Calila et Dimna), où Lokman ne fit que reproduire les récits de l'Indien Bidpay ou Pilpay. Quand La Fontaine empruntait, entre autres richesses, ses Deux Pigeons à l'Anwar-i-Suohili ou Livre des Lumières des rois des Persans, il connaissait cette marche de l'apologue d'Orient en Occident.

On ne saurait dire quelle influence l'apologue oriental exerça sur son équivalent dans la littérature grecque. II y a dans Hésiode, au IXe siècle av. J. - C., l'apologue le Rossignol et l'Épervier; quelques autres étaient épars dans Archiloque (l'Aigle et le Renard), dans Stésichore (le Cheval et le Cerf), dans Alcée. L'historien Hérodote mentionne la fable du Pêcheur qui joue de la flûte. Ésope, esclave phrygien selon les traditions, mérita, par ses inventions ingénieuses et naïves, de donner son nom à l'apologue, qui l'a conservé jusqu'à La Fontaine. En effet, tous les recueils de fables, quel qu'en fût l'auteur, et qu'ils parussent avec ou sans nom, s'intitulaient dans l'antiquité Fables ésopiques

Ésope n'a rien écrit; il contait ses apologues selon les circonstances qui les faisaient naître. Les fables que nous avons sous son nom paraissent pour la plupart avoir été rédigées pendant le Bas-Empire, sans doute à différentes époques. Parmi celles dont la rédaction est antérieure, deux ou trois se trouvent dans Aristote; une vingtaine sont racontées ou indiquées dans plusieurs des Oeuvres morales de Plutarque; vers la fin de l'Hermotime, Lucien cite l'apologue du paysan s'amusant à compter les flots de la mer, se désespérant de s'être trompé, et recevant du renard une leçon de sagesse et de bon sens. Dans deux autres ouvrages, il fait allusion à deux autres fables. Aulu-Gelle et Macrobe nous en ont aussi conservé quelques-unes, mais en les présentant telles qu'on les racontait de leur temps, et non telles qu'Ésope les avait débitées. Tous ces apologues sont cités en prose. Platon raconte que Socrate dans sa prison s'amusait à tourner en vers quelques-uns de ces petits récits. Le seul recueil poétique de ce genre que l'antiquité grecque nous ait transmis est celui de Babrius, ingénieux versificateur dont l'époque est incertaine, car on flotte entre le IIe siècle av. J.- C. et le IIIe siècle de l'ère chrétienne.

II nous reste un recueil de 40 fables en prose sous le nom du rhéteur Aphthonius (IIIe siècle ap. J.-C.). On ne peut plus citer après lui que la compilation indigeste des fables ésopiques, et les quatrains d'Ignatius Magister, évêque du IXe siècle, lesquels n'étaient qu'une réduction des fables versifiées de Babrius.

Chez les Latins, on cite l'apologue les Membres et l'Estomac employé en 493 av. J.-C. par Ménénius Agrippa, pour ramener à Rome le peuple retiré sur le Mont Sacré. Cicéron a raconté le Vieillard et les trois jeunes Hommes, et Pline l'Ancien les Deux Rats, le Renard et l'Oeuf. Josèphe dit que Tibère fit la fable le Renard et le Hérisson

Nous possédons encore le précieux recueil de Phèdre, ancien esclave thrace; l'inimitable récit qui termine la satire 6e du IIe livre d'Horace, le Rat de ville et le Rat des champs, le chef-d'oeuvre de l'apologue dans l'Antiquité; enfin le livre d'Avianus au Ve siècle (42 fables), qui offre peu d'intérêt.

Dans les Florides d'Apulée, on trouve l'apologue le Renard et le Corbeau, raconté avec esprit, mais avec peu de goût : l'écrivain a d'ailleurs changé les circonstances de la fable et n'a pas suivi la tradition ésopique.

Au Moyen âge, Grégoire de Tours rapporte que Théodebald, roi d'Austrasie, aimait à parler en apologues. Le goût de l'apologue se fait sentir dans le Roman du Renart (1236); dans le même siècle, Marie de France fait un recueil de fables; on doit à Rutebeuf l'apologue intitulé l'Ane et le Chien; la fable le Renard et le Corbeau est naïvement et finement racontée dans la farce de l'Avocat Pathelin (XVe siècle); au XVIe, Guillaume Haudent et Guillaume Gueroult ont écrit des fables, parmi lesquelles il y a d'excellentes choses, dont La Fontaine a quelquefois profité, et des qualités de style remarquables; Corrozet et deux autres poètes ont mis en rimes françaises un choix de fables ésopiques; Marot et Régnier ont, à l'occasion, versifié, avec la grâce ou la vigueur qui les distinguent, quelques apologues.

 Au XVIIe siècle parut La Fontaine. Au siècle suivant et au XIXe siècle, il a eu des successeurs, dont plusieurs ne manquent pas d'originalité, mais qui tous sont demeurés bien loin de sa perfection. Les deux plus distingués sont Florian, dont quelques fables sont charmantes (fin du XVIIIe siècle), et Lamothe (1719), puis l'abbé Aubert, contemporain de Florian, Lebailly, Boisard, Aimé Naudet, Arnault, et Viennet. Fénelon a composé en prose pour le duc de Bourgogne, son élève, un petit nombre de fables, distinguées par l'élégance, le naturel, la grâce et la douceur du style.

En Italie, on peut citer au XVIe siècle Verdizotti, longtemps peu connu; au XVIIIe, l'abbé Passeroni, Lorenzo Pignotti, et Bertola. En Allemagne, Gellert et Lessing ont un nom distingué dans l'apologue en prose; Hagedorn, Lichtwer, Gleim et Pfeffel, dans l'apologue en vers : tous appartiennent au XVIIIe siècle. Gay et Dodsley florissaient dans le même temps en Angleterre, et Thomas de Yriarte en Espagne. Au XIXe siècle, la Russie a eu son poète fabuliste, Kriloff.

Les Italiens Astemio et Faerne (XVIe siècle), et le P. Desbillons, jésuite français du XVIIIe siècle, ont élégamment versifié plusieurs apologues en latin. (P.).



En bibliothèque - Le Discours de Lamothe en tête de ses Fables; le tome XVI des Mémoires de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres; la Dissertation de Lessing; l'Histoire de La Fontaine par Walkenaer, et l'édition des Oeuvres de La Fontaine par le même; l'Essai sur les fables indiennes par A. Loiseleur-Deslongchamps, Paris, 1838, in-8°; R. Dareste, Babrius et la Fable grecque (dans la Revue des Deux Mondes, 15 avril 1846); l'Essai sur les rapports qui existent entre les fables indiennes et les fables grecques, en allem., par A. Weber, Berlin, 1855, in-8°; l'Histoire de la fable ésopique, en tête des Poésies Inédites du moyen âge, publiées par Edélestand Duméril, Paris, 1855.
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