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Le représentant
le plus illustre de la littérature portugaise, le seul qui, dans l'histoire
de la littérature universelle, ait une place à côté de Dante,
de Shakespeare, de Molière
et de Goethe, est l'auteur des Lusiades ,
Camões (Camoens). Mais la littérature portugaise,
dans son ensemble, a une physionomie à part; bien qu'elle ait souvent
imité les littératures voisines, elle a aussi, à certaines époques,
exercé quelque influence sur ces littératures. De là l'importance qu'elle
a dans l'histoire générale. Le caractère essentiel de la littérature
portugaise originale, c'est qu'elle est lyrique,
toute pénétrée de douceur élégiaque et
de sentimentalité enthousiaste. C'est en portugais qu'ont été écrites
les chansons d'amour, non seulement des Portugais et des
Galiciens,
mais des poètes de toute l'Espagne
durant la première époque de la littérature.
C'est du Portugal
que vient le prototype des héros des romans
chevaleresques en prose, le vertueux Amadis. Les premiers modèles du roman
«-pastoral
», tels que la Diana de Montemayor,
sont portugais. Quant à la poésie populaire,
qui a toujours jailli abondamment et spontanément au Portugal depuis les
plus anciens temps, la contribution des Portugais au développement du
chansonnier et aussi de l'épopée populaire de la Péninsule, le Romancero,
est beaucoup plus considérable qu'elle ne paraît. Quantité d'écrivains
portugais, qui se sont servis de la langue de Cervantes,
ont aussi contribué à enrichir le théâtre
et le roman castillan.
Parmi les influence étrangères subies
par la littérature portugaise, et qui en ont successivement modifié
l'évolution, on signalera : jusqu'à la fin du XIVe
siècle règne au Portugal
le goût provençal; de la fin du XIVe
au commencement du XVIe siècle, les actions
réciproques se multiplient entre la littérature portugaise et celle du
reste de la Péninsule; le XVIe et la première
moitié du XVIIe siècle correspondent
au triomphe de l'influence italienne
(classique); au XVIIIe,
c'est la France
qui domine et, depuis deux-cent cinquante ans, la vie littéraire au Portugal
a été alimentée ou déterminée par des courants, venus tantôt de France,
tantôt d'Angleterre ,
et d'Allemagne .
Le Moyen âge.
A son origine, la littérature portugaise
n'a pas eu une physionomie très distincte de la littérature
espagnole, italienne ou provençale.
Jusqu'à l'avénement du roi Diniz (1279),
et même encore à cette époque, la langue
portugaise est confondue avec le galicien,
qui lui-même n'est pas fort distinct du provençal littéraire ( Langue
d'oc). Les mêmes causes qui arrêtèrent si longtemps le développement
du castillan agirent avec plus de force
encore dans l'ancienne Lusitanie ,
où probablement la civilisation romaine agit moins qu'en Espagne .
Dans les troubles de l'invasion arabe, le portugais se dégage péniblement
du latin décomposé, pour former, en prose
des chroniques, en vers des chants de troubadours,
où la Provence
lui sert de modèle. Bernard de Ventadour, Raimbaud d'Orange, sont attirés
dans ce pays avec le même empressement qu'à la cour de Castille ;
les rois et les grands seigneurs donnent l'exemple de l'imitation des chants
limousins et provençaux. Les plus anciennes de ces compositions sont celles
d'Egaz Moniz Coelho, gouverneur d'Alphonse Henriquez (1125), et celles
de Gonzalo Hermiguez. Les poésies du roi Diniz, que l'on savait exister
sous le titre de Cantigas, ont été recueillies en 1847 par le
vicomte de Carreira sous celui de Cancioneiro. Ce recueil contient
aussi les poésies d'un fils illégitime de Diniz, don Pedro, comte de
Barcellos; elles traitent en général de sujets moraux. Un autre don Pèdre,
l'amant d'Inez de Castro, voulut éterniser
en vers son amour malheureux : on lui attribue une ou deux pièces qui
roulent sur la mort d'Inez. Ainsi, durant cette période, les Portugais
furent simplement imitateurs en poésie.
La prose ne produisit que de simples chroniques;
dans les études théologiques, scientifiques et médicales, cultivées,
comme en Espagne ,
sous les auspices des Arabes,
on ne se servait que du latin. Les rois
instituèrent de bonne heure des chroniqueurs d'office. Fernão Lopes (1380-1449)
fut l'un des premiers gardiens du précieux dépôt d'archives réunies
à la Torre do Tombo. Écrivain remarquable par l'exactitude, par les qualités
du style, il a laissé la Chronique de ce don Pèdre surnommé le
Cruel pour les vengeances terribles qu'il tira des meurtriers d'Inez, et
celle du roi Ferdinand IX. Nous avons de Gomez Eannès de Azurara, qui
hérita de l'emploi de Lopes, une Chronique du roi Jean Ier,
une Chronique du comte don Pedro de Menesès, une Chronique de
la découverte et conquête de Guinée. Ruy de Pina fut chargé, avec
Duarte Galvani, d'une rédaction nouvelle des chroniques nationales, parmi
lesquelles il faut noter celle du comte don Henrique; on a aussi de lui
un Mémoire du plus haut intérêt sur l'arrivée de Christophe
Colomb à son premier retour du Nouveau-Monde. Le comte de Barcellos
ne se borna pas à la culture de la poésie
: il devint un des créateurs de l'histoire au Portugal ,
par un Nobiliaire, où les historiens ont trouvé les origines les
plus précises, comme les renseignements les plus curieux. Enfin les rois
eux-mêmes cultivèrent la prose avec succès. Tel fut don Duarte, qui
écrivit sur la morale et sur l'Art du cavalier
: le premier de ces ouvrages, où le prince a déposé d'une manière touchante
ses pensées les plus intimes, montre une grande instruction pour la temps,
et le style en est souvent remarquable; il est intitulé El leal Conselheiro,
et n'a été publié qu'en 1843, par Roquette. Alphonse
V non seulement encouragea l'étude de l'histoire, mais écrivit lui-même
sur la tactique et sur l'astronomie. Son Traité de la milice fait
connaître la manière de combattre des anciens Portugais. C'est encore
à lui qu'est dû le premier
Corps de Droit qu'ait possédé le
royaume. Le roi Diniz fonda, en 1290, la
célèbre Université de Coimbra; il est
permis de croire qu'un Français, précepteur de ce prince, Aymeric d'Ebrard,
né à Cahors, n'y fut pas étranger. De cette
Université, réformée par Jean III, qui sut y attirer des hommes comme
Diégo de Teive, les frères Gouvea, et Buchanan, sortiront Ferreira, SÃ
de Miranda, Barros et Camoens.
La Renaissance.
Le grand siècle de la littérature portugaise
commence avec le règne de don Manoel, et s'étend
jusqu'à la conquête du pays par les Espagnols.
La poésie pastorale, alors cultivée avec
éclat, nous offre de gracieux modèles. Sous le beau ciel de la Lusitanie ,
les bergers, plus nombreux que les laboureurs, ressemblaient aux bergers
de la Sicile ;
leurs loisirs, leurs richesses, les noms qu' ils portaient, leur donnaient
quelque chose de plus poétique que dans le Nord. Les églogues
portugaises présentent d'ailleurs une heureuse variété dans les scènes
et dans les personnages, les productions du bord de la mer y sont décrites
comme celles du rivage des fleuves; le pêcheur conte ses périls au berger,
et le berger vante à son tour les moissons du laboureur. C'est à l'églogue
que le Tage doit sa renommée poétique. Un gentilhomme de la chambre d'Emmanuel,
Bernardin Ribeiro, a donné cinq églogues, et il a placé ses bergers
sur les bords du Tage et du Mondego. II se complait à retracer sans cesse
le lent désespoir d'un amour malheureux; mais le poète sait varier ses
tableaux et charmer par les grâces de sa poésie. Un habitant de Madère ,
Christoval Falcam, remarquable par la naïveté touchante de ses oeuvres,
dont la plupart ont péri, a, dans une longue églogue, rappelé, sous
un nom supposé, les malheurs d'une captivité de cinq années, qu'il subit
pour s'être marié contre le gré de ses parents. Sà de Miranda, Antonio
Ferreira, Camoens, cultivèrent aussi avec
bonheur la poésie pastorale: Sà de Miranda y fait paraître une admirable
naïveté.
D'autres se distinguèrent encore au XVIe
siècle dans la poésie bucolique ou le
roman
pastoral; on ne trouve pas chez eux la naïveté du siècle précédent,
mais ils ont plus d'harmonie, plus d'élégance, et plus d'idées. Diogo
Bernardes a été surnommé le prince de la poésie pastorale: son principal
ouvrage est intitulé O Lyma; ce sont 20
églogues
où l'amour des concetti dépare trop souvent ses vers; mais, par
l'inimitable harmonie du style, il s'est placé sur la même ligne que
les plus grands poètes de son pays.
Diogo Bernardes,
qu'on a accusé de s'être approprié quelques-uns des
sonnets
de Camoens, a laissé aussi des poésies religieuses.
Les vers d'Andrade Caminha se distinguent surtout par le charme de la diction,
l'harmonie et l'élégance, mais ils sont froids; ses ouvrages demeurèrent
inédits jusqu'en 1791. Andrade Caminha a donné un grand nombre d'épitaphes;
et c'est là peut-être qu'il déploie le plus de talent. Fernand Alvares
do Oriente a composé un ouvrage célèbre sous le nom de Lusitania
transformada, pastorale mêlée de
prose et de vers, où la beauté des tableaux s'unit au charme de la versification.
Rodriguez Lobo a été surnommé le Théocrite
portugais. Ses principales pastorales, mêlées de prose et de vers,
sont
le Printemps, le Désabusement, et le Berger voyageur.
La prose de Rodriguez Lobo a souvent la recherche qui commençait à s'introduire
de son temps dans la littérature portugaise : on le voit dans son petit
ouvrage de morale intitulé : La Cour au village ou les Nuits d'hiver.
Manuel de Veiga ferme la liste des poètes bucoliques: l'ouvrage, aujourd'hui
très rare, qu'il donna au public, parut sous le titre de Laura de Enfrydo;
on lui reproche son peu de correction.
L'impulsion donnée aux lettres par Jean
III parut dans les genres élevés de la poésie. Sà de Miranda et Antonio
Ferreira sont moins célèbres encore comme poètes
lyriques que comme législateurs du Parnasse portugais; par une étude
approfondie des Anciens, ils parvinrent à épurer le langage et à le
rendre harmonieux; cela explique l'espèce de culte que les littérateurs,
portugais ont voué à ces deux auteurs, qui ne brillent peut-être pas
autant que leurs successeurs. Sà de Miranda a donné des sonnets,
des épîtres, des hymnes
à la Vierge ,
des Cançaões. Il déplora par une touchante
élégie
la mort de son fils : On lui doit une infinité de combinaisons métriques,
de nouvelles lois pour la césure : c'est
lui qui fit de l'hendécasyllabe, jusqu'alors à peu près inconnu, l'instrument
principal de la poésie portugaise.
Ferreira, surnommé
l'Horace du Portugal ,
en est plutôt le Malherbe; car, si dans
ses odes on retrouve trop les pensées d'Horace,
on remarque sans cesse de nouvelles formes introduites dans le langage,
à l'exclusion de ces locutions orientales qui avaient de bonne heure envahi
le portugais et l'espagnol. Les Poemas lusitanos de Ferreira, publiés
en 1598, sont bien des poésies nationales, écrites exclusivement pour
le pays auquel elles s'adressent; on y trouve des épîtres, des odes,
des sonnets, des élégies, où l'imagination n'est pas toujours la qualité
la plus saillante; on en fait cependant grande estime chez un peuple que
cette imagination a quelquefois égaré, et qui la voit soumise alors par
un homme d'un vrai talent, chez lequel la sagesse, n'était pas de l'impuissance.
Dans les Oeuvres diverses de Camoens se
trouvent un grand nombre de poésies lyriques,
odes, cançaões, sextines, élégies; sonnets; à part les concetti,
qui se montrent trop souvent quand le coeur cesse de parler (défauts propres
au siècle), on y retrouve le poète tout entier, l'homme aux nobles impressions,
aux fortes pensées.
Dans la poésie épique, Camoens
s'éleva au-dessus des autres poètes du Portugal, par son poème des Lusiades .
II fut un de ces hommes de génie qui fixent une langue par le charme de
leur style, et qui ont le privilège d'animer tout un peuple par une grande
pensée. Si l'on considère la poésie du côté de son heureuse influence
sur le moral des nations, aucun poète ne doit être loué à l'égal de
Camoens; car son oeuvre respire cet ardent amour de la patrie qui élève
les coeurs et leur donne un noble enthousiasme.
Un autre poète, Cortereal,
entreprit de célébrer en vers épiques la gloire du Portugal .
Son premier ouvrage, le Siège de Dieu, n'eut pas grand succès,
bien qu'il contienne des beautés; on y retrouve toujours le guerrier observateur,
le grand peintre de la nature. Il fut plus heureusement inspiré dans le
Naufrage
de Sepulveda, histoire de deux époux, qui, après s'être unis dans
les Indes, voulurent retourner en Europe ,
firent naufrage sur les côtes d'Afrique ,
et errèrent longtemps parmi des hordes barbares, avant que la mort vint
terminer leur existence. Cet ouvrage, traduit en français par O. Fournier
(Paris, 1844), nous déroute par un mélange étrange de la mythologie
grecque
avec les pensées du christianisme ;
mais il contient bien des détails heureux et des développements pathétiques.
Cortereal a donné encore, mais en espagnol,
une Austriada, en l'honneur de don Juan
d'Autriche.
Les poètes épiques du Portugal sont éminemment
nationaux; quand le pays est asservi ils cherchent à faire revivre son
antique gloire. Mouzinho Quebedo de Castello-Branco a choisi pour sujet
de ses chants Alphonse l'Africain, conquérant d'Arzila et de Tanger.
Parmi bien des récits de batailles et des descriptions de paysages qui
remplissent ce poème en 12 chants, nous signalerons la manière touchante
dont le poète rappelle l'héroïsme de l'infant don Fernand, qui, tombé
au pouvoir des Maures dans une campagne malheureuse, ne voulut pas qu'on
le rachetât par une énorme rançon, et préféra subir une longue captivité;
la catastrophe d'Alcazar-Kébir a inspiré aussi à Quebedo un morceau
digne des plus grands maîtres. Le poème a les défauts communs à tous
les épiques portugais : incohérence, absence d'unité, merveilleux pauvre
et bizarre; mais le style est plein de grandeur et d'énergie.
Dans une Ulyssea, Gabriel Pereira
de Castro a chanté la fondation de Lisbonne,
qu'une tradition fabuleuse fait remonter au siège de Troie ,
en l'attribuant à Ulysse. Un autre monument
élevé à la gloire nationale, c'est la Conquête de Malacca,
par Francisco de Sà e Menezès. Le héros du poème est Albuquerque,
conquérant des Indes et d'une partie de la Perse .
Il a appris la trahison ourdie contre les Portugais par les Arabes de Malacca;
le complot a reçu un commencement d'exécution : Albuquerque part de Goa
pour punir les Arabes de l'injure qu'ils ont faite à la nation portugaise.
Une imagination brillante, singulièrement excitée par les succès, les
découvertes, l'esprit d'aventure de l'époque, la lecture des fictions
chevaleresques du temps, et l'imitation de l'Italie ,
ont permis à Sà e Menezès de tirer tout un poème épique d'une simple
expédition militaire. L'auteur a eu le goût de mettre le merveilleux
chrétien à la place du merveilleux mythologique. Le style manque un peu
de correction; les descriptions de batailles sont trop multipliées; mais
il y a une heureuse opposition des moeurs portugaises et des moeurs orientales,
beaucoup de couleur locale et de vérité dans les tableaux.
Braz Mascarenhas est auteur d'un poème
épique dont Viriate est le héros. Cet ouvrage, assez défectueux, fait
connaître parfois d'une manière intéressante cet épisode des guerres
romaines dans la Péninsule.
Luiz Pereira Brandam a célébré la bataille
d'Alcazar-Kébir dans un poème héroïque en 18 chants, intitulé : Elegiada;
il avait assisté comme combattant à cette grande catastrophe.
La littérature du Portugal ,
surtout à ses débuts, présente tant d'analogie avec celle de l'Espagne,
qu'il est permis d'attribuer une origine commune à l'art dramatique dans
les deux pays. Les premiers divertissements publics sont des jeux guerriers
ou chevaleresques : ces jeux sont le behourdis, des exercices équestres,
un peu plus tard les tournois, les danses, et en particulier celles que
les Portugais nommaient judarias, mourarias, empruntées aux populations
moresques et juives. L'art dramatique est né moins de ces jeux que des
débris du paganisme de ses pompes, de ses fêtes, conservés par les habitudes
populaires au milieu des sociétés chrétiennes. Le clergé, voyant l'inutilité
des efforts qu'il dirigea contre ces souvenirs païens, imagina de les
sanctifier en les appliquant aux fêtes du christianisme : les représentations
scéniques firent partie des cérémonies religieuses, et souvent elles
eurent lieu dans les églises, après la célébration du culte. D'abord
tout se borna à des dialogues rustiques où des bergers s'entretenaient
des fêtes qu'on devait célébrer, ordinairement de celle de Noël. Plus
tard, on appliqua ces dialogues à des sujets tirés de la vie commune;
en sorte que, dès le commencement, le théâtre se divisa en drame religieux
et drame profane. Mais ces deux branches ne furent pas cultivées tout
à fait parallèlement comme en Espagne; le théâtre profane finit par
prendre le dessus.
Les Portugais regardent Gil Vicente comme
le père de leur théâtre; mais il fut un
disciple de l'Espagnol'
Jean
de la Encina, lui-même élève de l'Italie.
II cultiva à la fois le genre religieux et le genre profane; il fit des
autos,
des drames et des comédies.
Dans un de ses autos, intitulé
a Feyra (la foire), on retrouve
l'idée du Voyage du pèlerin
de Bunyan. Sà de Miranda, enthousiasmé des Anciens, leur sacrifia son
originalité. Il n'a laissé que deux comédies,
les Etrangers (os
Estrangeiros), et os Vilhalpandos; celle-ci offre de fréquentes
intentions comiques, et le style en est encore admiré des Portugais. Antonio
Ferreira donna en Europe
la première comédie de caractère dans le Jaloux (Cioso),
imitation assez naïve des Anciens : il n'y a pas de plan régulier, mais
le style en est varié, souvent comique, et empreint d'une forte couleur
locale. Ferreira avait déjà composé, à l'imitation des Italiens une
comédie intitulée le Bristo, bien inférieure au Jaloux
pour la marche. S'il est au-dessous de SÃ de Miranda dans le style comique,
il le surpassa dans la tragédie d'Inès de
Castro, où l'on retrouve quelque chose de la gravité et de l'élévation
morales de l'élégance passionnée, de l'expression pathétique d'Euripide.
II y a aussi des moments où l'on croirait reconnaître l'énergique et
rude simplicité de langage d'Alfieri. L'Inès
est la seconde tragédie régulière qui
ait paru en Europe; la première, la Sophonisbe du Trissin, ne lui
est antérieure que de bien peu d'années. Il faut lire la scène pathétique
où la malheureuse Inès comparait devant Alphonse, et observer comment
un auteur du milieu du XVIe siècle a traité
cette situation qui fit, en France ,
la fortune de la tragédie de La Mothe.
Camoens écrivit
trois pièces de théâtre, qui n'ont pas
ajouté beaucoup à sa gloire : ce sont les Amphitryons,
Séleucus,
et Filodème. Vers le même temps Jorge Ferreira composa l'Ufrosina,
l'Ulyssippo, l'Aulografia, trois comédies d'une longueur
interminable, mais qui purent concourir aux progrès du langage dans le
style comique.
Malgré les efforts de ces différents
auteurs, les autos et les farças, où le sacré s'alliait
au profane, l'extravagance à une naïveté quelquefois heureuse, continuèrent
à avoir le plus grand succès pendant tout le XVIe
siècle. Les comédies-féeries (comedias magicas) eurent aussi
alors une vogue extrême; elles enchantèrent par la multitude de tableaux
qu'elles offraient aux regards, mais on y observait encore moins de vraisemblance
que dans les autos. Simon Machado fut le chef de cette nouvelle école,
qui eut de l'influence ,jusque dans le XVIIIe
siècle, et qui fit repousser le comique des auteurs français, que les
gens instruits proposaient pour modèle.
Les historiens portugais racontent avec
un véritable talent les exploits, les conquêtes, les découvertes de
leurs compatriotes; on est surpris de leur verve, de leur tact à saisir
les usages, et de l'instruction qu'ils déploient à une époque où il
y en avait si peu. Hieronymo Osorio, évêque de Sylves, a écrit en latin
une Vie d'Emmanuel, très remarquable par la haute raison, l'indépendance,
la tolérance et les lumières qu'elle suppose chez son auteur, qui n'hésite
pas à condamner la persécution que ce roi dirigea contre les Juifs.
Quand Don Sébastien préparait la malheureuse expédition qui amena la
ruine de son pays, il lui adressa les plus vives remontrances, tout en
gardant ses paroles les plus sévères pour le confesseur du roi, Luiz
Gonzalvès, fatal conseiller de cette déplorable entreprise. Ces Discours,
publiés avec quelques autres pièces sous le titre de Lettres,
resteront comme des un modèles d'une noble éloquence et les preuves du
plus beau caractère.
Jean de Barros,
qui devait mériter le surnom de Tite-Live
portugais, commença sa carrière littéraire par un roman
de chevalerie, l'Empereur Clarimond, plus remarquable par le style
que par l'imagination. Toutefois, on pouvait prévoir que l'auteur était
destiné à écrire l'histoire d'une manière brillante plutôt que sage,
chevaleresque plutôt que philosophique, mais en même temps singulièrement
utile, parce qu'elle se ferait lire avec ardeur et développerait l'esprit
national. Barros voulait raconter les découvertes et les conquêtes des
Portugais; mais il dut se borner à l'histoire de la conquête des Indes,
et sa vie ne suffit même point à cet ouvrage, qui est demeuré inachevé.
L'Histoire de Barros n'est pas l'oeuvre d'un simple chroniqueur
: une certaine critique a présidé au choix des documents. Ce fut lui
qui, le premier, fit bien connaître l'Inde aux Européens. Comme écrivain,
il justifie l'enthousiasme que les Portugais ont pour lui : il réunit
l'élégance à l'énergie, et, pour la pureté, il fait toujours autorité.
Diogo de Couto
continua l'oeuvre de Barros, et sut néanmoins
garder son originalité. On a de lui aussi des Observations sur les
causes de la décadence des Portugais en Asie.
Un fils naturel du conquérant des Indes,
Alphonse Braz de Albuquerque, publia les Commentaires d'Alphonse
d'Albuquerque, livre très rare, où il a mis en oeuvre les Lettres
de ce capitaine au roi Don Manoel.
Damian de Goes, ambassadeur de Jean III
en Flandre et en Pologne ,
visita la Suède ,
le Danemark ,
la France ,
et a laissé sur ces pays de nombreux ouvrages en latin.
Nommé intendant de la Torre do Tombo et historiographe du royaume, il
écrivit la Chronique du roi Don Manoel; et la Chronique du prince
Don Juan (Jean II). Son style est remarquable par une certaine hardiesse
philosophique, dont il avait sans doute puisé les principes dans ses relations
avec les hommes éminents du Nord, Érasme, Olaüs
Wormius, etc. C'est lui qui donna à Nicot les premiers plants de tabac,
qui, envoyés à Catherine de Médicis,
fructifièrent si bien dans Paris et dans toute
la France.
Fernand Lopes de Castanheda, garde des
archives de l'Université de Coimbra
est auteur d'une Histoire de la découverte et de la conquête des Indes
par les Portugais, et Diogo Bernardo Cruz, d'une Chronique du roi
Don Sébastien.
L'archéologie étant une branche de l'histoire,
nous placerons ici André de Resende, le plus grand archéologue du XVIesiècle;
il s'appliqua à l'étude des monuments romains
et de ceux des anciens peuples da la Lusitanie .
Ses ouvrages sont intitulés : De antiquitibus Lusitaniae, et
Deliciae Lusitanorum.
Les voyageurs fournissent une autre espèce
de matériaux à l'histoire : ils étendent ou rectifient les limites de
la science géographique .
Aucune nation n'en posséda plus que les Portugais. On ne connaît cependant
qu'un petit nombre de relations remarquables, mais beaucoup de
manuscrits
sont enfouis dans les archives. Nous nommerons Vas de Caminha, compagnon
de Cabral, auteur d'une Lettre au roi de Portugal
sur la découverte du Brésil;
Magellan
et Mendez Pinto, qui parcourut l'Ethiopie ,
l'Arabie heureuse, la Chine ,
la Tartarie ,
et la plus grande partie de l'Archipel oriental. La relation de ses voyages
ne parut qu'en 1614; sous le rapport du style, il est mis au nombre des
classiques, et son expression a une originalité que l'étude ne saurait
donner.
Le Portugal, dans cette période de gloire,
eut aussi des moralistes : Frey Hector Pinto écrivit des Dialogues,
célèbres encore par le charme du style et les principes enjoués d'une
morale pure. Il est classique, et fait autorité parmi les meilleurs auteurs
portugais.
Amador Arraiz, évêque de Portalègre,
donna aussi des Dialogues remplis des meilleures idées, et remarquables
par l'élégance des expressions.
L'exubérance d'imagination que l'on remarque
dans les relations de voyages, et jusque dans les ouvrages historiques
des Portugais, doit faire penser qu'ils étaient éminemment propres au
genre romanesque : en effet, pendant quelque temps, plusieurs des romans
de chevalerie les plus célèbres ont été attribués à des écrivains
de cette nation. De ce nombre est l'Amadis de Gaule ,
dont les historiens de la littérature font honneur à Vasco de Lobeira.
Francisco Moraès a passé aussi pour l'auteur
original du Palmerin d'Angleterre, dont la première édition, selon
les Portugais, serait antérieure à 1547; mais ils n'ont pu la produire.
Moraès lui-même ne donna son ouvrage que comme une traduction du français
de Jacques Vincent du Crest. II est démontré que ce célèbre roman
appartient à l'Espagnol Luis Hurtado
du moins pour la première et la deuxième partie, et qu'il faut laisser
aux Portugais les quatre dernières ( Opusculo
acerca do Palmerin de Inglaterra e do su autor, par Manuel Odorico
Mendès, Lisbonne, 1860, in-8°).
Palmerin d'Olive, ce roman si estimé
de Cervantès, est également regardé comme
d'origine portugaise; cependant on ne connaît que la version espagnole.
Ferdinand Wolf l'attribue à une dame de Burgos,
qui en aurait écrit la première continuation, Ie Primaléon.
Bernardin Ribeiro, outre ses églogues,
laissa un roman intitulé Menina e Moça, production fort remarquable
pour le style, et justement célèbre.
Fernand Lopes de Castanheda écrivit aussi
une sorte de roman de chevalerie, désigné sous le titre vague de Livro
de cavalleria : une des aventures qui y sont rapportées a été transcrite
dans la troisième partie du Palmerin d'Angleterre.
Le XVIIe
siècle.
L'expédition de Don Sébastien en Afrique
et le désastre d'Alcazar-Kébir anéantirent les ressources du Portugal ,
et préparèrent son asservissement à l'Espagne (1580-1640).
La décadence des lettres ne fut pas aussi prompte que celle des armes;
mais telle fut l'influence des circonstances, que les écrivains préférèrent
souvent adopter le langage des vainqueurs, et qu'on ne sait maintenant
dans quelle littérature les classer.
Bernardo Brito, entreprit d'écrire l'Histoire
du Portugal depuis l'origine supposée du monde jusqu'à l'époque
où il vivait : mais il mourut avant d'avoir pu traiter les temps modernes.
Son ouvrage nous a conservé des documents précieux; cependant il manque
de critique, principalement en ce qui concerne les débuts de la monarchie.
Sa Monarchia Lusitana parut de 1597 à 1690. On a du même historien
un autre ouvrage, plus consulté que le précédent, bien que moins important
: Éloges des rois de Portugal (Lisbonne, 1603, in-4°). Les travaux
de Bernardo Brito lui ont valu une réputation beaucoup trop grande au
XVIIe siècle, et on l'a peut-être trop
rabaissé ensuite; iI compte parmi les classiques, et a laissé quelques
poésies.
Fray Duarte Nunez de Lãio est auteur de
plusieurs ouvrages, parmi lesquels on distingue sa Description du royaume
de Portugal, et la première partie des Chroniques de ses rois
: son style est pur, simple, et quelquefois très noble. II a puisé Ã
de bonnes sources, et mérite beaucoup de confiance. Freyre d'Andrade n'écrivit
qu'une Biographie, celle de Jean de Castro; c'était, pour un patriote,
une belle histoire à retracer que celle de ce vice-roi des Indes.
Fray Luis de Souza est au nombre des classiques
à cause de l'élégance et de la pureté de son style. II écrivit la
Vie
de St Dominique et celle de Frey Bartholomeu dos Martyres,
archevêque
de Braga.
Faria de Souza a laissé une immense quantité
d'ouvrages; mais il écrivit surtout en castillan.
Ses livres historiques, imprimées longtemps après sa mort, sont : Europa
portugueza, Lisb., 1667; Asia portugueza, 1666, 1674, 1675;
Africa
portugueza, 1681. L'America portugueza fut, dit-on, achevée
par l'historien, mais ne put pas être imprimée. On a de lui encore un
vaste commentaire sur les poésies de Camoens,
500 ou 600 sonnets, et une multitude d'églogues.
Pour avoir écrit ordinairement en espagnol, il manque parfois de justesse
quand il use de sa propre langue.
Jean de Lucena a été l'auteur élégant
d'une Vie de St François-Xavier.
Antonio Boccaro donna une suite aux ouvrages
de Diego de Couto sous le titre de Décades,
et conduisit l'histoire de l'Asie jusqu'à l'année 1617 : il est classé
parmi les bons écrivains. Enfin, Brito trouva un habile continuateur dans
Antonio Brandam.
On vit paraître à cette époque un homme
d'un talent bizarre, connu par sa prodigieuse fécondité, et qui a souvent
montré un véritable talent, le P. Macedo. Après une vie fort agitée,
il s'établit à Venise, disputa avec les
savants de omni re scibili, et proclama pendant huit jours ses fameuses
conclusions connues sous le nom de Rugissements littéraires du lion
de Saint-Marc. Elles roulaient sur une multitude de matières,
et surprirent les hommes les plus accoutumés à ces sortes de discussions,
où l'on mêlait le sacré au profane et les sciences à la poésie. Il
doit y avoir des erreurs dans la liste que Barbosa donne des ouvrages du
P. Macedo; on y voit figurer 48 poèmes épiques, 110 odes, et 2 600 poèmes
héroïques. Ce prodigieux polygraphe rendit peu de services à la littérature
de son pays, car il a presque toujours écrit en latin,
en espagnol ou en italien.
La littérature portugaise avait déjÃ
beaucoup produit; la critique se forma, mais sans aucun goût. Manuel Faria
Severim jouit dans ce genre d'une grande célébrité au XVIIe
siècle; on peut le regarder comme supérieur à son temps, bien qu'il
en crût les défauts, c.-à -d. une érudition pédantesque qui, au lieu
de s'attacher aux faits vraiment importants, ne roule que sur des mots.
Parmi les écrivains illustres de ce temps,
il faut nommer encore Francisco Manoel de Mello,
auteur de l'Histoire des troubles et de la séparation de la Catalogne ,
dont il fut témoin en bien des occasions, et qu'il écrivit en espagnol.
II a laissé d'autres ouvrages, la plupart inédits, parmi lesquels on
cite des poèmes, un grand nombre de tragi-comédies, de comédies
de farces, d'autos,
écrits presque tous en portugais,
la Sciencia cabala, la Carta de quia de casados, excellent livre de
morale enjouée. Il était ami de Quevedo, qu'il
semble avoir pris pour modèle dans ses Apologues et Dialogues.
Au point de vue historique, on recherche encore de lui la relation de la
campagne faite en 1649 dans la Brésil .
Le prosateur le plus extraordinaire du
XVIIe siècle, dont il fut le plus grand
prédicateur, est sans contredit le jésuite Antonio Vieira, auteur de
six catéchismes en diverses langues pour les catéchumènes
du Nouveau-Monde. On peut le comparer à Bossuet
: il en a souvent la hardiesse et l'énergie.
La dominicain Fra Antonio Veie fut aussi
un grand prédicateur; une partie de ses oeuvres ont été traduites en
français par Hezecques, sous le titre de : Doctes et rares sermons
pour tous les jours de Carême. Les écrivains en prose de ce temps,
vivant à l'abri du cloître, se dérobèrent assez bien à l'influence
désastreuse qu'exerçait sur les lettres l'état politique du Portugal .
Il n'en fut pas de même des poètes : la poésie
vit d'inspiration; or, quelle était la poésie possible, là où tous
les sentiments vraiment nobles étaient comprimés? Le despotisme religieux
et politique eut au Portugal les mêmes résultats funestes qu'en Espagne .
Un peuple peut être réduit à perdre l'enthousiasme; mais, comme il ne
saurait perdre son imagination, ne pouvant l'appliquer à des conceptions
généreuses, il la répand sur des choses indifférentes ou futiles. On
vit donc au Portugal toutes les errances d'imagination, toutes les extravagances
de langage dont l'Espagnol Gongora avait donné
l'exemple, et que Balthazar Gracian réduisit
en système. Le seul titre des ouvrages annonçait leur esprit; c'étaient
: le Phénix ressuscité, les Échos rendus par la trompette de la Renommés,
postillon d'Apollon, etc. Une femme, Violante de Ceo, et Francisco
Vasconcellos se distingueront dans ce style. On vit paraître cependant
un genre nouveau de poésie qui tient de l'élégie,
et est appelé saudades. Antonio Barbosa Bacellar le mit en vogue le premier
: il l'a traité heureusement, malgré la recherche et la prétention qui
étaient à la mode. Comme historien les services qu'il a rendus sont plus
réels; il publia le Journal du siège et de la prise de Recife,
par Francisco Barreto (Lisbonne, 1654).
Le seul ouvrage de ce temps où il y ait
quelque émanation du coeur, quelque poésie, ce sont les Lettres portugaises,
qu'une religieuse de l'Alentejo, Marianne d'Alcofarrada, adressa à un
officier français, et que l'on peut comparer à celles d'Héloïse.
Le XVIIIe
siècle.
La révolution produite en Espagne
par l'avènement de la maison de Bourbon fut
opérée au Portugal
par la restauration de la maison de Bragance.
Rendu à l'indépendance, ce pays sembla vouloir renaître par l'esprit.
Une Académie d'histoire fut créée sous Jean
V, mais ses travaux restèrent à peu près sans utilité. Par une analogie
de plus avec l'Espagne, le Portugal
accepta l'ascendant littéraire de la France.
Le comte d'Ericeyra était l'ami de Boileau;
son esprit élégant comprit les avantages de la pureté du langage, mais
il n'alla pas plus loin. Il donna l'Henriqueïda, poème épique,
dont Henri de Bourgogne est le héros, et l'expulsion des Maures le sujet;
il manqua d'invention et d'originalité bien qu'il s'agit d'une gloire
nationale. Son talent le rendait plus propre à écrire l'histoire, et
son ouvrage De la restauration du Portugal fut longtemps fort estimé.
Pendant que le Portugal
s'essayait à renaître à la vie littéraire, un nouveau désastre vint
encore arrêter pour quelque temps le progrès des esprits : dans l'effroyable
tremblement de terre de 1755, un grand nombre de bibliothèques
furent brûlées, une foule d'ouvrages précieux périrent. On eut encore
recours, pour relever la littérature, au remède d'une Académie, celle
des Arcades, en 1756. Un homme remarquable par la force de sa pensée,
Luis Antonio Viruez, eut peut-être plus d'influence; mais en rappelant
l'attention vers les auteurs contemporains de Camoens,
l'Académie des Arcades exerça une certaine action sur l'esprit de la
nation. On vit paraître des poètes lyriques de sens rassis, des imitateurs
d'Horace et de Pétrarque;
ce sont : Garção, Diniz da Cruz, Domingo dos Reis. Il règne une plaisanterie
assez heureuse dans le Goupillon de Diniz da Cruz, qui, prenant
pour guide le Lutrin
de Boileau et la Boucle de cheveux enlevée
de Pope, a su tirer beaucoup de sa propre imagination.
Il n'y avait plus de poésie : mais jamais
on ne fut plus capable de dire en quoi elle consistait. Francisco Diaz
Gomès est considéré par quelques écrivains comme le seul critique digne
de ce nom qu'ait eu le Portugal jusqu'à cette époque. Ses poésies sont
accompagnées de notes et de courtes dissertations, petits chefs-d'oeuvre
de philologie. Il existe encore de lui une dissertation étendue qui est
un vrai modèle de critique littéraire.
La restauration des lettres fut plus heureuse
dans le genre dramatique. II y avait eu à peine un théâtre
à Lisbonne sous la domination étrangère
: on donnait de temps à autre des drames espagnols,
auxquels on préféra bientôt des pièces du théâtre français.
Enfin parut un auteur original, Antonio José, talent irrégulier, mais
point ennuyeux. Il ne tirait que de lui-même sa gaieté, souvent triviale,
et sa vivacité fait absoudre ses extravagances Ses pièces étaient des
espèces d'opéras-comiques à grand spectacle.
Les imitateurs d'Antonio José, parmi lesquels
on distingue S. Sylveiro, eurent ses défauts plutôt que ses qualités.
Gração et Diniz da Cruz essayèrent en vain de combattre le goût exclusif
que semblait montrer la nation pour le genre de spectacle dont A. José
offrait le modèle; mais leurs pièces n'étaient que médiocres. On goûtait
aussi les comédies de Molière
: Manoel de Souza donna en 1769, avec quelques modifications, la traduction
de Tartufe
et celle du Bourgeois gentilhomme ;
le
Malade imaginaire
fut imprimé en 1741.
Le déclin des littératures est l'ère
des faiseurs de classifications, des compilateurs biographes et lexicographes.
Un ouvrage des plus estimables en ce genre est la Bibliotheca lusitana
par Diego Barbosa : l'auteur est exact; il a
eu à sa disposition des documents nombreux, mais il n'est purement que
bibliographe. Un autre ouvrage devenu fort rare, et qui a beaucoup servi
à Barbosa, c'est le Theatrum Lusitanien litterarum, etc., oeuvre
de critique, où l'on trouve, en général, des jugements exacts et concis.
Citons encore l'Agiologio lusitano de Jorge Cardoso, ouvrage plein
de renseignements intéressants.
Les conquêtes des Portugais dans les Indes
et en Afrique
développèrent chez eux le besoin de connaître les langues orientales.
Il firent beaucoup pour la connaissance en Europe du chinois
et du japonais. Les orientalistes trouveront
des indications précieuses dans la Bibliotheca de Barbosa. Il en
est de même pour les diverses langues
africaines, celles des îles Canaries et
du Brésil .
On estime les travaux de João de Souza sur l'arabe.
Pour mesurer dans quel état le régime
espagnol avait mis le Portugal, il suffit de dire que le XVIIIe
siècle ne produisit pas un seul livre remarquable en prose. A défaut
d'ouvrages originaux, l'Académie des Sciences, fondée sous Joseph V,
fit rassembler dans les couvents un grand nombre de chroniques et de documents,
dont quelques-uns ont été publiés. Cette compagnie fit écrire aussi
les Éloges des grands hommes du pays, et l'on admire les parallèles
ingénieux que Mello de Castro fit du roi Alphonse avec Vasco
de Gama, et du roi Sanche Ier avec
Édouard Pacheco. L'Académie entreprit aussi un grand Dictionnaire
de la langue, dont il parut un volume en 1793, et qui n'a pas été continué.
Cette Académie a publié une collection de
Mémoires dignes d'estime.
Le XIXe
siècle.
Le XIXe
siècle a produit au Portugal des poètes, dont les plus connus sont Francisco
Manoel do Nascimento, le docteur Da Cunha Maximiano Torrès Azevedo, Souza
da Camara, élégant et fidèle traducteur des meilleures tragédies
de Voltaire; tous poètes estimables, sans avoir
rien de bien original. II faut ajouter à ces noms Manoel
Barbosa Du Bocage, plutôt improvisateur que poète, chef d'une école
dite
elmanisme, du nom d'Elmano qu'il prit dans ses oeuvres. La
langue
portugaise était pour Du Bocage l'objet d'un véritable culte : persuadé
quelle convient à tous les genres de poésie, il ne voulut rien emprunter
à l'Antiquité ,
et se renferma dans la connaissance des chefs-d'oeuvre nationaux. Il a
laissé des poésies très populaires, et trois tragédies à peine ébauchées,
Viriatus,
Alphonse Henriquez, et Vasco de Gama.
Quand elle parut, les Portugais considérèrent
l'Orient d'Agostinho de Macedo comme la première épopée
moderne, jugement fort contestable; le sujet est le même que celui des
Lusiades .
Il y a encore d'autres épopées, comme la Braganceïda de Roque
Carvalho Moreira. Almeida Garrett a composé un poème à la gloire de
Camoens,
et un roman poétique Intitulé Adozinda.
Mouzinho de Albuquerque s'est fait un nom par ses Géorgiques portugaises,
et J.-G. de Magalhaens par ses Soupirs poétiques.
Dans le genre dramatique, nous ne pouvons
signaler que la Nova Castro, tragédie
de J.-B. Gomez, considérée maintenant comme un des chef-d'oeuvres du
théâtre
portugais, et le Triomphe de la nature, drame
de Pedro Nolaseo. Avant que Gomez eut donné son Inès de Castro,
en regardait
Osmia comme la première tragédie moderne : cette
pièce, conçue d'après l'école française, est de la comtesse de Vimieiro.
Enfin, par des tentatives plus nombreuses que distinguées Pimenta de AgusÃ
a essayé d'être national dans deux ouvrages : la Conquête du Pérou,
et Viriatus. (E. B.).
La littérature
portugaise depuis 1900.
Le
modernisme.
La littérature portugaise moderne commence
véritablement avec la proclamation de la République en 1910. Cette période
voit l'émergence de Fernando Pessoa, le grand poète portugais du XXe
siècle, bien que largement méconnu de son vivant. Pessoa a écrit sous
de nombreux hétéronymes, chacun avec un style distinct​.
Pendant l'entre-deux-guerres, le mouvement
moderniste continue de prospérer avec des figures comme José Régio,
qui est à la fois poète et dramaturge. La littérature de cette époque
est également marquée par une introspection profonde et un questionnement
des thèmes existentiels​.
La
dictature de Salazar et la censure.
De 1926 Ã 1974, le Portugal est sous
la dictature de Salazar,
période durant laquelle la censure est omniprésente. Malgré cela, des
écrivains comme Miguel Torga et Agustina Bessa-LuÃs continuent de produire
des oeuvres importantes, Il paviennent à contourner la censure en
utilisant des métaphores et des allégories.
La
Révolution des Å'illets et après.
La Révolution des Å'illets de 1974 met
fin à la dictature et marque le début d'une nouvelle ère de liberté
d'expression. La littérature portugaise s'enrichit alors de nouveaux thèmes
et styles. Par exemple, avec les oeuvres féministes
et érotiques de Maria Isabel Barreno, Maria Teresa Horta et Maria Velho
da Costa, interdites avant la révolution, et enfin publiées​​.
Littérature
portugaise contemporaine.
À la fin du XXe
siècle et au début du XXIe siècle, la
littérature portugaise continue de se diversifier. António Lobo Antunes
et José Saramago, qui reçoit le prix Nobel de littérature en 1998, sont
deux des auteurs les plus influents de cette période. Leurs oeuvres abordent
les thèmes de la mémoire, de l'identité et de la critique sociale​.
En parallèle, une littérature lusophone
commence à émerger dans les anciennes colonies portugaises en Afrique,
avec des auteurs comme le poète angolais Agostinho Neto et le romancier
mozambicain LuÃs Bernardo Honwana​​. |
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