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Les Guanches | ![]() |
![]() | Les îles Canaries![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Les Canaries des anciens navigateurs et géographes. Ce sont les îles des Bienheureux dont parlent les poètes grecs : c'est là que les héros jouissaient d'une éternelle vie, sous un climat délicieux que ne troublaient jamais ni le froid ni la tempête. Mais nul géographe ne pouvait alors indiquer la position précise de ces îles Fortunées qui se confondaient dans l'esprit des Anciens avec toutes les terres atlantiques situées dans le « fleuve Océan » au delà des Portes d'Hercule (= détroit de Gibraltar Antiquité. Cependant, d'après François Lenormant, le nom de Junonia par lequel Ptolémée désigne l'une des îles suffirait à prouver que les Carthaginois y avaient un établissement, car leur grande déesse était Tanit Sébosus avait appris qu'à sept cent cinquante milles de Gades, le moderne Cadiz, on trouvait d'abord l'île Junonia, à l'occident de laquelle, et à pareille distance, étaient Pluvialia (ainsi nommée parce qu'elle n'avait d'eau que celle des pluies), et Capraria. A deux cent cinquante milles de celles-ci étaient les Fortunées, sur la gauche de la Mauritanie, au sud-ouest : l'une était appelée Convallis à raison de sa convexité, l'autre Planaria à cause de son aspect uni ; cette dernière avait trois cents milles de tour. Le roi Juba le Jeune, qui avait établi des teintureries de pourpre dans les îles voisines de la côte des Autololes, d'où elles furent appelées îles Purpuraires, Juba s'enquit aussi des îles Fortunées, et voici ce qu'il apprit. Il fallait naviguer six cent vingt-cinq milles au sud-ouest des Purpuraires, à savoir : trois cent soixante et quinze milles au midi, et deux cent cinquante milles à l'ouest, pour arriver, d'abord à Ombrios, qui n'offrait aucune trace d'habitations, et avait un lac dans les montagnes, ainsi que des arbres semblables à la férule, les uns noirs et fournissant un liquide amer, les autres blancs et donnant une boisson agréable. Une autre île était appelée Junonia, et ne renfermait qu'une petite maison de pierre; au voisinage, un îlot de même nom. Au delà se trouvait Capraria , remplie de grands lézards. De ces îles, on apercevait la nébuleuse Nivaria, ainsi appelée de ses neiges perpétuelles. Sa voisine, Canaria, devait ce nom à la multitude de ses grands chiens, dont on amena deux à Juba; elle offrait des vestiges d'habitations; outre l'abondance des fruits et des oiseaux communs à toutes ces îles, celle-ci était surtout fertile en dattes, pommes de pin et miel; elle produisit le papyrus; l'esturgeon se trouvait dans ses rivières; mais elle était souvent infectée par les monstres putrescents que la mer rejetait sur ses côtes. Ainsi, au lieu des deux îles Fortunées indiquées à Sertorius et à Sébosus, Juba en comptait cinq, et même six, si l'on fait état distinct de la petite Junonia. Ptolémée, à son tour, énumère les Fortunées, et en compte six, se succédant du nord au sud en cet ordre : Aprositos, Junonia, Pluitalia, Casperia ou plutôt Capraria, Canaria, et Ninguaria. Malgré les divergences que l'on aperçoit entre les indications de ces trois autorités, on ne peut manquer d'être en même temps frappé d'un certain accord mutuel d'où il est aisé d'arriver, par induction, à des résultats plus complets. Ainsi, entre la nomenclature de Juba et celle de Ptolémée , la concordance est presque parfaite la pluvieuse Ombrios de Juba nous présente, sous une forme grecque, la Pluitalia de Ptolémée. Elle a près d'elle Junonia, ainsi appelée de part et d'autre; et Caprario, dont le nom se lit Casperia dans Ptolémée, peut-être par une simple erreur de copiste. Canaria se produit sans variantes dans les deux documents; et Nivaria de Juba, neigeuse et nébuleuse à la fois, se retrouve sans difficulté dans la Ninguaria de Ptolémée. Sébosus, après une Junonia qui, d'après le compte des distances, ne peut être la même que celle dont nous venons de parler, offre Pluvialia, qu'il est impossible de ne pas identifier à la Pluitalia de Ptolémée, à l'Ombrios de Juba; puis Capraria, qui est aussi la Capraria de Juba, et la Casperia de Ptolémée; enfin Planaria et Convallis, les seules qu'il appelle Fortunées, et qui correspondent à Canaria et Nivaria, ou Ninguaria des deux autres autorités. Essayons de nous rendre compte de la valeur géographique de ces indications. Il suffit du nom de Canaria parmi ceux des îles de ce groupe, pour nous tenir dûment avertis qu'il s'agit bien certainement de l'archipel des Canaries. Or, cet archipel se compose de sept îles principales, et en dédoublant la Junonia de Ptolémée, sur l'autorité de Juba, on aurait précisément sept îles Fortunées, pour répondre une à une aux sept grandes Canaries. Des géographes éminents se sont laissé prendre à cette apparente concordance, même Gossellin s'écartait ici de son système restrictif pour embrasser tout l'archipel canarien dans le cercle des découvertes antiques, s'inquiétant peu de bouleverser toutes les indications de position relative des sept Fortunées, pour les identifier aux sept îles principales que nous connaissons aujourd'hui, déclarant inexplicables les mesures qui ne cadraient pas à ses idées, et corrigeant avec une liberté sans bornes les documents dont il s'était constitué l'interprète souverain. Il est bien certain, toutefois, que Canaria et Ninguaria ou Nivaria, d'après les Tables de Ptolémée comme d'après la relation de Juba, sont les dernières îles visitées, peut-être même seulement aperçues, dans le groupe des Fortunées; or, puisque Canaria (la Gran Canaria de nos jours) a conservé son nom jusqu'à nos jours, et que Nivaria (ou la « Neigeuse »), par sa dénomination aussi bien que par la position que lui assigne Ptolémée à l'égard de Canaria, est certainement Ténérife (où se dresse le pic de Teide), ainsi que l'on s'accorde unanimement à le proclamer, il en résulte sans conteste que Gomera, Palme (La Palma) et Fer (Hierro) doivent être rejetées, en dehors de la limite des connaissances des anciens sur cet archipel. Pluitalia et Capraria, qui précèdent immédiatement Canaria et Nivaria, paraissent répondre naturellement à Lanzarote et Fuerteventura. Junonia, au nord de Pluitalia, serait dès lors la moderne Graciosa, à laquelle il faut adjoindre Clara, pour représenter la Petite Junonia, que Juba signale comme une annexe de l'autre. Et il nous restera Allegranza pour répondre a Aprositos de Ptolémée. Quant à cette autre Junonia que Sébosus indique à moitié chemin de Plusieurs îlots, simples écueils, furent oubliés dans leur nomenclature; de même aujourd'hui on ne cite sommairement que les sept grandes terres canariennes, quoique, avec le groupe des Selvagens (aujourd'hui portugaises et rattachées administrativement à Madère ![]() Carte des Canaries, localisation des îles. Moyen âge. Tandis que les marins portugais cherchaient péniblement à longer la côte africaine et à doubler les caps, les Canaries situées au sud du cap Noun et au large du littoral étaient depuis longtemps visitées par des navigateurs d'autres nations ( Pendant le XIVe siècle, les Canaries furent visitées fréquemment par des Européens, soit pirates, soit naufragés, et dès 1551 les portulans offrent un tracé exact de l'archipel, précisément avec les noms que les îles portent encore aujourd'hui, si ce n'est Tenerife, qui s'appelait île d'Enfer à cause de sa montagne embrasée. Les rois d'Europe « Lancelot souloit estre moult peuplée de gens; mais les Espaignols et autres corsaires de mer les ont par maintes fois pris et menés en servaige. »La colonisation des Canaries. La prise de possession ne commença qu'en l'année 1402, lorsque le Normand Jean de Béthencourt débarqua dans l'île de Lanzarote à la tête de cinquante hommes. Il fut bien accueilli par la population, d'ailleurs très clairsemée; mais des dissensions intestines, le manque de vivres et de munitions, une expédition infructueuse dans Fuerteventura auraient condamné cette tentative à n'être qu'une course de pirates comme les précédentes, si Béthencourt n'était allé offrir la suzeraineté de ses futures conquêtes au roi de Castille ![]() ![]() « La Huitième île ». La précision avec laquelle les marins de Gomera et de Palma dépeignaient l'apparence de la huitième île était si unanime, que le doute subsistait après chaque insuccès. Les dessins qu'on avait faits de cette terre entrevue représentant uniformément un profil analogue à celui de Palma, on finit par conclure que l'île de l'horizon n'était autre qu'un mirage Ainsi le gouvernement espagnol dut se contenter du groupe des sept îles qui lui étaient échues et qui d'ailleurs sont une des contrées les plus remarquables de la Terre Les Guanches. Ce n'est pas tout : on a découvert des inscriptions dans la grotte de Belmaco, à l'extrémité de l'archipel, dans l'île de Palma, sur une paroi de la côte orientale de Hierro, ainsi que dans l'île de Gran Canaria, et les lettres ont une forme qui les rapproche de l'alphabet libyque. Elles fournissent au moins la preuve que des relations existaient entre les peuples berbères du continent et les insulaires, quoique ceux-ci, à l'arrivée de Béthencourt, ne possédassent plus de bateaux; à cet égard il y avait eu régression d'industrie. Elles donnent aussi une grande probabilité à l'hypothèse d'une origine berbère pour la population de l'archipel, d'autant plus que les mots des divers dialectes, recueillis au nombre d'un millier par Webb et Berthelot, et les noms propres, que les historiens ont conservés, sont évidemment berbères. Cela prouve au moins l'existence d'échanges, comme les quelques analogies avec l'arabe suggèrent qu'il y a eu, au Moyen âge L'étude des crânes et des ossements, entreprise par les anthropologues modernes, fait croire à la diversité des populations qui peuplaient l'archipel, mais elle paraît justifier les premières hypothèses en faveur de l'origine orientale d'un grand nombre des habitants. A Fuerteventura, dans l'Isleta de Canaria et dans la partie méridionale de cette île, dans l'île de Fer et à Palma, le type du crâne est essentiellement syro-arabe : l'identité est presque parfaite entre ces Canariens, les Arabes d'Algérie La vie et les coutumes des Guanches. Relativement aux coutumes de mariage, elles variaient beaucoup d'une île à l'autre. La polyandrie aurait existé dans Lanzarote, d'après les aumôniers de Béthencourt : la plupart des femmes auraient eu trois maris, se succédant comme époux et comme serviteurs. Dans l'île de Gomera, les lois de l'hospitalité exigeaient l'échange entre la femme de l'hôte et celle du voyageur. A Tenerife, la monogamie était la loi; les Guanches étaient pleins de déférence envers les femmes : toute insulte proférée contre elles était punie; l'homme armé qui leur manquait de respect était mis à mort. Les mariages ne pouvaient se conclure sans le libre consentement de la femme et le droit de divorce appartenait à l'un comme à l'autre des conjoints. Dans l'île de Gran Canaria, les mariés appartenaient d'abord au grand-prêtre et aux seigneurs. Dans la même île, une femme, choisie comme marraine, jetait de l'eau sur la tête du nouveau-né et prononçait quelques paroles mystérieuses : cette cérémonie faisait désormais de la maguada : un des membres de la famille et aucun des hommes de sa nouvelle parenté ne pouvait se marier avec elle. Les Guanches de Tenerife et les habitants des autres Canaries, fort religieux, vénéraient les divinités des montagnes, des sources, des nuages, et leur adressaient des prières, mais sans leur offrir des sacrifices sanglants; peut-être y avait-il aussi des musulmans à Lanzarote, puisqu'un des rois, disent les aumôniers normands, était «-sarrasin-». Dans les temps de sécheresse, les Guanches conduisaient leurs troupeaux de brebis sur des terrains consacrés, et là ils séparaient les agneaux de leurs mères, afin que le dieu se laissât fléchir par les bêlements plaintifs. À l'époque des fêtes religieuses, une trêve générale devait mettre un terme aux guerres civiles, même aux dissensions particulières : tous étaient amis. Prêtres et prêtresses étaient fort vénérés et dans l'île de Gran Canaria un faïcan, - mot dans lequel on a cru retrouver l'arabe fakir, - présidait aux grandes solennités; son pouvoir balançait celui du guanarteme, le chef politique. Des vierges, que l'on a comparées aux vestales, vivaient en des maisons sacrées. Rigoureux observateurs de la coutume, les Guanches pratiquaient le duel, le jugement par le poison, et reconnaissaient le droit d'asile. Le pouvoir des chefs était absolu dans quelques îles; ailleurs de petits fiefs étaient groupés en fédérations. Dans l'île de Tenerife, toutes les terres appartenaient aux rois ou mencey : ils les concédaient aux sujets, mais elles leur revenaient toujours en héritage. Les nobles, très fiers, racontaient que leur ancêtre avait été créé avant l'aïeul des pauvres et que celui-ci avait reçu pour ordre de servir, lui et sa famille. Ils auraient cru déroger par le travail manuel; il leur était surtout interdit de verser le sang des animaux, quoique en bataille ils pussent se glorifier de verser celui des hommes; des Espagnols captifs ils firent des boucliers et des équarrisseurs. Cependant ils ne constituaient pas une caste fermée : tout plébéien ou « tondu » pouvait entrer dans leurs rangs, grâce à une action d'éclat ou à l'amitié d'un grand; le prêtre l'admettait parmi les nobles en assemblée publique. Le pouvoir des chefs était limité par un conseil suprême, qui discutait les affaires d'État, jugeait et punissait les criminels. Le suicide était en honneur à Gran Canaria : quand un seigneur prenait possession de son domaine, il se trouvait toujours quelqu'un disposé à mourir pour honorer la fête. « Le pauvre misérable se précipitait dans un gouffre où il se démembrait et mettait en pièces. Dont pour reconnaissance, le seigneur est tenu d'honorer grandement et rémunérer d'amples dons les parents du défunt. » (Cadamosto).Souvent des vieillards de Palma exigeaient qu'on les laissât mourir seuls. Après avoir salué leurs parents et amis, ils prononçaient les mots : « Vaca guare », « Je veux mourir, » et on les transportait dans la grotte sépulcrale, sur un lit de peaux; à côté d'eux on plaçait une jatte de lait et tous s'éloignaient pour ne plus revenir. Les modes d'inhumation variaient selon les îles. Dans l'Isleta de Gran Canaria, les cadavres étaient placés en des tombelles recouvertes de blocs. Dans Tenerife, de nombreuses momies embaumées, en parfait état de conservation, ont été retirées de grottes sépulcrales et de caveaux recouverts de terre végétale; c'étaient les tombeaux des gens riches. Ces momies sont couchées sur le dos, les bras étendus le long du corps, les pieds joints, et sont très soigneusement enveloppés de peaux, cousues avec une étonnante finesse au moyen d'aiguilles d'os ou d'arêtes de poissons. A côté de chaque momie se trouvaient ordinairement un garrote ou bâton grossier, destiné sans doute à soutenir le mort durant le grand voyage, et un vase plein de miel pour sa nourriture. La fin des Guanches. Au milieu du siècle suivant, Gran Canaria et Tenerife, encore indépendantes, avaient ensemble une population évaluée à 23,000 personnes. Lors de la conquête, qui dura plus de trente ans, la plupart des hommes furent tués ou emmenés en Espagne, pour être vendus sur les marchés de Séville ou de Cadiz Baptisés, les Guanches qui restèrent se mêlèrent à la population espagnole et perdirent leur langue et leurs moeurs. Les derniers descendants du dernier roi de Tenerife, Bencomo, entrèrent dans les ordres et moururent en 1828 à la cour d'Espagne C'est, paraît-il, dans Palma, Gomera, Hierro et les parties méridionales de Canarie et de Tenerife que l'on reconnaît le mieux la physionomie originale. A Güimar, à Chasna, on retrouve encore chez les villageois la plupart des usages décrits par Espinosa, un siècle après la conquête. Quelques mots de la langue sont toujours employés, pour désigner les plantes, les insectes, les outils; des noms de famille sont restés guanches. Les habitants des Canaries, dans certaines campagnes, possèdent des outils et des vases pareils à ceux de leurs ancêtres. Ils fabriquent le beurre de la même manière, en emplissant de lait une outre que l'on se renvoie de l'un à l'autre. Encore récemment, ils pêchaient en empoisonnant du suc de l'euphorbe les flaques d'eau laissées dans les roches par le reflux. Leurs danses, leurs cris de joie sont les mêmes que chez les anciens Guanches, et comme eux ils jettent du grain au visage des nouveaux mariés pour leur porter bonheur. Le plat national, le gofio, pâte faite avec la farine de divers grains éclatés au feu, est encore celui que l'on retrouve dans les tombeaux des Guanches. Les éléments européens se sont diversement mélangés dans les îles. Les Normands et les Gascons venus avec Béthencourt et Gadiffer étaient trop peu nombreux pour qu'ils ne se perdissent pas bientôt dans le flot montant de la population espagnole, souvent d'origine andalouse; seulement on s'étonne du nombre prodigieux des familles qui dans les Canaries Malgré la diversité des origines, les Canariens, qui ont gardé le courage tranquille des aïeux guanches, ont montré en maintes occasions leur attachement à la souveraineté espagnole. Toutes les attaques faites contre leurs villes fortifiées furent repoussées avec succès. Les Huguenots français, les Barbaresques, les pirates anglais, même une flotte hollandaise composée de 70 vaisseaux, s'essayèrent vainement, soit contre Gran Canaria, soit contre Tenerife; Nelson tenta de réduire Santa-Cruz en 1797; il y perdit un navire et l'un de ses bras. (R. Verneau / E. Reclus). |
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