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Turenne

Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne était le second fils de H. de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne et duc de Bouillon, et d'Elisabeth de Nassau. Il naquit à Sedan en 1611 et apprit l'art de la guerre sous ses oncles Maurice et Henri de Nassau. Présenté à la cour de France en 1630, il fut fait colonel d'un régiment d'infanterie, à la tête duquel il commença à se faire connaître en Lorraine, et devint maréchal de camp en 1634.
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Turenne.
Henri de Turenne. - « Henri de la Tour, vicomte de Turenne, était d'une taille médiocre, large d'épaules, lesquelles il haussait de temps en temps en parlant; ce sont de ces mauvaises habitudes que l'on prend d'ordinaire faute de contenance assurée. Il avait les sourcils gros et assemblés, ce qui lui faisait une figure malheureuse. Il s'était trouvé en tant d'occasions à la guerre qu'avec un bon jugement qu'il avait et une application extraordinaire, il s'était rendu le plus grand capitaine de son siècle. 

A l'ouïr parler dans un conseil, il paraissait l'homme du monde le plus irrésolu; cependant, quand il était pressé de prendre son parti, personne ne le prenait ni mieux ni plus vite. Son véritable talent, qui est, à mon avis, le plus estimable à la guerre, était de rétablir une affaire en méchant état. Quand il était le plus faible en présence des ennemis, il n'y avait point de terrain d'où, par un ruisseau, par une ravine, par un bois, ou par une éminence, il ne sût tirer quelque avantage. 

Jusqu'aux huit dernières années de sa vie, il avait été plus circonspect qu'entreprenant. Sa puissance venait de son tempérament et sa hardiesse de son expérience. Il avait une grande étendue d'esprit, capable de gouverner un État aussi bien qu'une armée. Il n'était pas ignorant des belles-lettres; il savait quelque chose des poètes latins, et mille beaux endroits des poètes français : il aimait assez les bons mots et s'y connaissait fort bien. Il était modeste en habits et même en expressions. 
 

Une de ses grandes qualités était le mépris du bien. Jamais homme ne s'est si peu soucié d'argent que lui. Il aimait assez les plaisirs de la table, mais sans débauche; il était de bonne compagnie; il savait mille contes; il se plaisait à les faire, et il les faisait fort bien. Les dernières années de sa vie il fut honnête et bienfaisant; il se fit aimer et estimer également des officiers et des soldats; et sur la gloire il se trouva enfin si fort au-dessus de tout le monde que celle des autres ne pouvait l'incommoder. » 

(Bussy-Rabutin).

II servit ensuite en Italie, et fut fait lieutenant général en 1639. Créé maréchal en 1643, il eut le commandement de l'armée du Rhin qu'il réorganisa à ses frais, se signala à Fribourg en 1644, fut défait par Mercy à Mariendal en 1645, et répara cet échec en aidant le duc d'Enghien à gagner la même année la bataille de Noerdlingen. Il termina cette campagne par la prise de Trèves et le rétablissement de l'électeur dans ses Etats. Il fit en 1646 sa jonction avec les Suédois, mais fut arrêté dans ses succès par le traité de neutralité conclu avec le duc de Bavière.

Turenne s'engagea dans le parti de la Fronde, à l'exemple de son frère aîné, le duc de Bouillon, et pour plaire à la duchesse de Longueville. Il fut défait à Rethel par le maréchal du Plessis-Praslin en 1650. Rappelé à son devoir par une lettre du roi, en 1651, il marcha contre Condé, et le poursuivit jusque dans le faubourg Saint-Antoine à Paris, où il lui livra un combat en 1652. Envoyé ensuite contre les Espagnols, il les battit à Arras en 1654, aux Dunes en 1658, et amena par une suite de victoires le traité des Pyrénées en 1659. 

Nommé maréchal général en 1660, Turenne commanda ensuite l'armée qui envahit la Flandre en 1667, et l'une de celles qui firent la conquête de la Hollande en 1672. Il fit encore une belle campagne en 1675 contre l'électeur de Brandebourg. Il exécuta en 1674 l'ordre qu'il avait reçu de ravager le Palatinat. En 1675 il força les ennemis à repasser le Rhin, et revint à la cour, d'où il repartit pour faire face à Montecuculli. Après les plus habiles manœuvrer, il allait en venir aux mains avec cet ennemi digne de lui, lorsqu'il lfut tué d'un boulet de canon près de Sasbach, dans le grand-duché de Bade en juillet 1675. Il  fut enterré à Saint-Denis

Ce grand capitaine était le premier tacticien de l'Europe. Il avait abjuré en 1668 le protestantisme, religion de ses parents. Sa conversion fut l'oeuvre de Bossuet, qui composa pour lui le livre de l'Exposition de la doctrine de l'Eglise catholique, et de son sens de l'opportunité.
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La mort de Turenne racontée par la marquise de Sévigné
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Lettre à Mme de Grignan, Paris, mercredi 28 août 1675
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« Vraiment, ma fille, je m'en vais bien encore vous parler de M. de Turenne. Madame d'Elbeuf, qui demeure pour quelques jours chez le cardinal de Bouillon, me pria hier de dîner avec eux pour parler de leur affliction. Madame de La Fayette y était.

Nous fîmes bien précisément ce que nous avions résolu : les yeux ne nous séchèrent pas. Elle avait un portrait divinement bien fait de ce héros, et tout son train était arrivé à onze heures; tous ces pauvres gens étaient fondus en larmes, et déjà tous habillés de deuil. Il vint trois gentilshommes qui pensèrent mourir de voir ce portrait : c'étaient des cris qui faisaient fendre le coeur; ils ne pouvaient prononcer une parole; ses valets de chambre, ses laquais, ses pages, ses trompettes, tout était fondu en larmes et faisait fondre les autres. Le premier qui put prononcer une parole répondit à nos tristes questions : nous nous fîmes raconter sa mort.

Il voulait se confesser le soir, et en se cachotant il avait donné les ordres pour le soir, et devait communier le lendemain, qui était le dimanche. Il croyait donner la bataille, et monta à cheval à deux heures le samedi, après avoir mangé, il avait bien des gens avec lui; il les laissa tous à trente pas de la hauteur où il voulait aller. Il dit au petit d'Elbeuf : « Mon neveu, demeurez là, vous ne faites que tourner autour de moi, vous me feriez reconnaître. » Il trouva M. d'Hamilton près de l'endroit où il allait, qui lui dit : « Monsieur, venez, par ici : on tire où vous allez. - Monsieur, lui dit-il, je m'y en vais; je ne veux point du tout être tué aujourd'hui ; cela sera le mieux du monde. » Il tournait son cheval, il aperçut Saint-Hilaire, qui lui dit, le chapeau à la main « Monsieur, jetez les yeux sur cette batterie que j'ai fait mettre là. » Il retourne deux pas, et, sans être arrêté, il reçut le coup qui emporta le bras et la main qui tenaient le chapeau de Saint-Hilaire et perça le corps après avoir fracassé le bras de ce héros. Ce gentilhomme le regardait toujours; il ne le voit point tomber; le cheval l'emporta où il avait laissé le petit d'Elbeuf; il n'était point encore tombé, mais il était penché le nez sur l'arçon dans ce moment le cheval s'arrête, il tomba entre les bras de ses gens; il ouvrit deux fois de grands yeux et la bouche et puis demeura tranquille pour jamais; songez qu'il était mort et qu'il avait une partie du coeur emportée. On crie, on pleure; M. d'Hamilton fait cesser ce bruit et ôter le petit d'Elbeuf, qui était jeté sur ce corps, qui ne le voulait pas quitter et qui se pâmait de crier. On jette un manteau, on le porte dans une haie; on le garde à petit bruit; un carrosse vient, on l'emporte dans sa tente : ce fut là où M. de Lorges, M. de Roye et beaucoup d'autres pensèrent mourir de douleur; mais il fallut se faire violence et songer aux grandes affaires qu'on avait sur les bras.
On lui avait fait un service militaire dans le camp, où les larmes et les cris faisaient un véritable deuil; tous les officiers pourtant avaient des écharpes de crêpe; tous les tambours en étaient couverts, qui ne frappaient qu'un coup; les piques traînantes et les mousquets renversés; mais ces cris de toute une armée ne se peuvent pas représenter sans que l'on n'en soit ému. Ses deux neveux étaient à cette pompe dans l'état que vous pouvez penser. M. de Roye, tout blessé, s'y fit porter, car cette messe ne fut dite que quand ils eurent repassé le Rhin. Je pense que le pauvre chevalier était bien abîmé de douleur.

Quand ce corps a quitté son armée, ç'a été encore une autre désolation; partout où il a passé, ç'a été des clameurs; mais à Langres, ils se sont surpassés : ils allèrent tous au-devant de lui, tous habillés de deuil, au nombre de plus de deux cents, suivis du peuple; tout le clergé en cérémonie; ils firent dire un service solennel dans la ville, et en un moment se cotisèrent tous pour cette dépense, qui monta à cinq mille francs, parce qu'ils reconduisirent le corps jusqu'à la première ville, et voulurent défrayer tout le train. Que dites-vous de ces marques naturelles d'une affection fondée sur un mérite extraordinaire? Il arrive à Saint-Denis ce soir ou demain; tous ses gens l'allaient reprendre à deux lieues d'ici; il sera dans une chapelle en dépôt; il y aura un service en attendant celui de Notre-Dame, qui sera solennel. »
 

(Marquise de Sévigné, Lettres).


En bibliothèque. La Vie de Turenne a été écrite par Ramsay, 2 vol. in-4°,1755, et par Raguenet, 1 vol. in-12. Les Mémoires de ses campagnes se trouvent dans l'ouvrage de Ramsay, et ses Mémoires diplomatiques ont été publiées par Grimoard, 2 vol. in-fol., 1782.
 
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