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La Guerre de Trente Ans 
1618-1648
La guerre de Trente Ans et l'une des principales guerres du XVIIe siècle, la dernière et la plus importante des guerres religieuses entre catholiques et protestants, qui aboutit au démembrement de l'Allemagne en états territoriaux et assura à la France la prépondérance politique durant la seconde moitié du siècle. Successivement elle s'étendit à toute l'Europe centrale et occidentale, sauf l'Angleterre.

L'origine de la guerre de Trente ans fut le désaccord persistant entre catholiques et réformés, malgré la paix d'Augsbourg de 1555, laquelle d'ailleurs n'avait rien stipulé pour les calvinistes. Les protestants estimaient avoir le droit de séculariser les principautés ecclésiastiques dont le chef embrassait leur religion; les catholiques le niaient et refusaient aux protestants la liberté de conscience dans ces territoires ecclésiastiques. La réaction catholique, dirigée par les jésuites et inspirée des décrets du concile de Trente, reconquit à la fin du XVIe siècle l'Allemagne méridionale où le duc Maximilien de Bavière et l'archiduc de Styrie persécutèrent cruellement les protestants. Ceux-ci eurent le dessous dans les conflits soulevés par l'adhésion à leur foi d'Aix-la-Chapelle (1581-1598); de l'archevêque de Cologne (1582-1584), de l'évêque de Strasbourg (1592-1604), de Donauwoerth (1606-1608). L'émotion soulevée par l'annexion à la Bavière de cette ville libre décida les princes protestants à se grouper en union évangélique (à Ahausen, 14 mai 1608), en face de laquelle se forma la ligue catholique (à Munich, 16 juillet 1609). La guerre faillit éclater à l'occasion de la succession de Clèves et de Juliers, ouverte le 25 mars 1609. L'assassinat de Henri IV l'arrêta (14 mai 1610). Le conflit décisif se produisit en Bohème. Rodolphe II y avait accordé de larges franchises par les lettres de majesté; l'archevêque de Prague, violant ces engagements, déchaîna une agitation révolutionnaire, lorsque Ferdinand, élève des jésuites, eut été proclamé roi de Bohème et l'autonomie municipale abolie. La Défenestration de Prague (23 mai 1618) engagea la lutte et fut le fait initial de la guerre de Trente ans. Peu à peu elle se généralisa, englobant, après l'empereur et ses sujets de Bohème, l'Allemagne protestante et catholique, puis l'Espagne et ses adversaires des Provinces-Unies, puis la Hongrie, le Danemark, la Suède, la France. On a pris l'habitude d'en diviser l'histoire en quatre périodes, désignées par le nom du principal adversaire des Habsbourg, l'électeur palatin d'abord, puis le roi de Danemark, le roi de Suède, le roi de France.

Période palatine. 
Les insurgés de Bohème réunirent à Prague une diète et formèrent un gouvernement provisoire; ils assemblèrent une armée que Thurn conduisit à la frontière d'Autriche. En août 1618 commencèrent les hostilités; les Autrichiens envahirent la Bohème, et Mansfeld amena à son secours une armée palatine qui prit Pilsen d'assaut (21 novembre). En 1619, la mort de l'empereur Mathias et l'élection de Ferdinand II (28 août) rendirent toute transaction impossible; Thurn avait menacé Vienne, mais le général impérial Bucquoy avait défait Mansfeld et marché sur Prague. Les Bohémiens déposèrent Ferdinand et élurent roi de Bohème l'électeur palatin Frédéric V (26 août). Délaissé par son beau-père Jacques ler d'Angleterre et par ses coreligionnaires d'Allemagne, tan dis que Ferdinand II obtenait le concours actif de la ligue catholique et de l'Espagne, il perdit contre Tilly la bataille de la Montagne Blanche (8 novembre 1620), qui livra Prague et la Bohème aux catholiques. La répression y fut atroce : confiscations en masse, bannissements et supplices par milliers, abolition totale de la liberté de conscience; de même en Moravie, en Silésie et dans l'archiduché d'Autriche. Les vainqueurs ne s'en tinrent pas là. L'électeur palatin fut mis au ban de l'empire, sans observation des formes légales (29 janvier 1624); l'Union évangélique se déclara dissoute (24 avril 1621). L'exécution de l'électeur palatin fut confiée au duc de Bavière à qui l'on promit ses dépouilles; le Palatinat rhénan fut envahi par les Espagnols de Spinola, défendu par les troupes de Mansfeld et de Christian de Brunswick, complètement dévasté par les uns et les autres. Mansfeld et le margrave de Bade-Durlach défirent les Bavarois de Tilly à Wiesbach (27 avril 1622), mais se divisèrent; le margrave fut écrasé à Wimpfen (6 mai), le duc de Brunswick à Hoechst (20 juin). Trompé par des négociations avec l'empereur, l'électeur pa latin déposa les armes, congédiant ses mercenaires qui passèrent au service des Hollandais et se frayèrent passage à Fleurus à travers l'armée espagnole (29 août). La conquête du Palatinat fut achevée par la prise de Heidelberg (19 septembre), dont Tilly expédia la bibliothèque au pape, de Mannheim (3 novembre) et enfin de Frankenthal (mars 1623). Une diète princière assemblée à Ratisbonne transféra la dignité électorale à la Bavière (23 février 1623), par une sorte de coup d'Etat violant la constitution du Saint-Empire. Le Haut-Palatinat fut annexé à la Bavière, et la Lusace donnée en gage à l'électeur de Saxe comme récompense de sa neutralité. Les condottieres Christian de Brunswick et Mansfeld s'étaient retirés au Nord; le premier vit son armée détruite à Stadtlohn par Tilly (6 août 1623); le second guerroyait en Frise orientale et négociait avec la France. Celle-ci venait de s'allier à Venise et à la Savoie pour chasser les Espagnols de Valteline, et tentait de détacher la Bavière de l'empereur. On négociait une vaste coalition où devaient entrer Bethlen Gabor, prince de Transylvanie (qui, après avoir vaincu et tué Bucquoy à Nenhaeusel, avait traité moyennant la cession de sept comitats de Hongrie, octobre 1621), la Turquie, les Etats protestants, Suède, Danemark, Angleterre. Toutefois, la guerre ne devint pas encore générale à cause de l'abstention de la France et de l'Angleterre; Louis XIII, occupé à combattre les huguenots, se contenta de dégager la Valteline; Charles Il laissa sans effet l'alliance conclue à Southampton (7 septembre 1625) avec les Provinces-Unies, et étendue par le traité de La Haye (9 décembre 1625) au Danemark. Si la guerre continua, ce fut à cause de la politique agressive de l'empereur et du parti catholique allemand.

Période danoise. 
Tilly avait conduit son armée dans le cercle de Basse-Saxe, quoiqu'il fut demeuré neutre. L'Allemagne du Nord, presque toute protestante, était en péril; on élut chef militaire de la Basse-Saxe le roi Christian IV de Danemark (mars 1625), dont le fils était évêque protestant de Verden, coadjuteur des évêchés de Brême et Halberstadt, Jusqu'alors l'empereur n'avait pas ou d'armée, il avait été défendu par celles des Ligueurs et de l'Espagne; le condottiere Wallenstein s'offrit à lui en former une; en un mois, il leva 20.000 hommes; l'exemple de Mansfeld avait montré comment la guerre nourrit la guerre et comment des généraux sans scrupules pouvaient vivre sur le pays. Wallenstein, dont l'armée se grossit d'aventuriers de tout pays, occupa Halberstadt, Magdebourg, somma le cercle de Basse-Saxe de désarmer, d'éloigner les Danois, de payer une indemnité de guerre. Mansfeld fut battu par Wallenstein au pont de Dessau (23 avril 1626), passa en Silésie, puis en Hongrie où Wallenstein le suivit; les deux armées fondirent; Mansfeld alla mourir en Dalmatie près de Spalatro, le 26 novembre. Dans l'intervalle, Tilly, resté au Nord, avait battu le roi de Danemark à Lutter (27 août), et l'insurrection d'Autrichie avait été noyée dans le sang. Une certaine mésintelligence pointait entre les Habsbourg et les catholiques; elle se manifesta aux conférences de Bruxelles (mai-octobre 1626), les Bavarois ne se souciant pas d'aller faire la guerre aux Hollandais. Toutefois la campagne de 1627 acheva la défaite de Christian IV; Wallenstein détruisit le corps danois de Silésie, occupa les places du Brandebourg malgré la neutralité de l'électeur, puis avec Tilly s'avança dans le Holstein ; il soumit le Slesvig, le Jutland, expulsa les ducs de Mecklembourg dont l'empereur lui donna les duchés (16 juin 1629), entreprit de créer une marine sur la Baltique, mais échoua au siège de Stralsund (août 1628); une armée danoise débarquée à Wolgast fut culbutée, et le roi de Danemark signa la paix de Lubeck (12 mai 1629) qui lui rendait le Slesvig et le Holstein, mais l'obligeait à renoncer à intervenir en Allemagne. Dans l'intervalle, les fanatiques conseillers de l'empereur lui avaient fait promulguer l'édit de restitution (6 mars 1629) qui imposait aux protestants la restitution de tous les biens ecclésiastiques occupés par eux postérieurement à 1552. Appuyé sur l'armée de Wallenstein, l'empereur projetait, non seulement l'écrasement total des protestants, mais la transformation de l'Allemagne en une monarchie centralisée. Ces plans furent mis à néant par Gustave-Adolphe et Richelieu.

Période suédoise. 
Les Habsbourg d'Espagne et d'Allemagne préparaient la guerre contre la France; dès 1627 ils avaient massé une armée impériale à Haguenau; la succession de Mantoue avait mis aux prises en Italie Français et Impériaux (1629-1630). Richelieu négocia la trêve d'Altmark (26 septembre 1629) entre la Suède et la Pologne, de manière à donner à Gustave-Adolphe la liberté d'intervenir en Allemagne. En mars 1630, les Suédois prirent l'offensive; le corps qu'ils avaient laissé à Stralsund chassa les impériaux de l'île de Rügen; le 4 juillet ils débarquèrent en Poméranie, s'emparèrent des bouches de l'Oder, îles d'Usedom et Wollin, ville de Stettin; la Poméranie fut occupée par Gustave-Adolphe; l'armée de l'empereur fut dispersée. A la même époque les électeurs allemands, assemblés en diète à Ratisbonne (juin-novembre 1630), refusaient de s'associer à la politique de Ferdinand Il et lui imposaient le renvoi de son général Wallenstein (13 août). La ligne catholique reprenait la haute main, Tilly fut nommé général de l'armée, impériale qui fut détruite; la paix fut signée avec la France. Cependant le roi de Suède, auquel le traité de Boerwald (23 janvier 1631) avait assuré un subside de la France, n'avait d'autres alliés que la ville de Magdebourg, la Hesse-Cassel et Saxe-Weimar. Tilly prit d'assaut Magdebourg (20 mai 1634) tandis que le roi de Suède, quoique vainqueur à Francfort-sur-l'Oder (avril), était arrêté par les hésitations de l'électeur de Brandebourg; l'horreur inspirée par le sac de Magdebourg servit la cause protestante; Gustave-Adolphe imposa un traité d'alliance au Brandebourg (juin), fit envahir la Silésie par son lieutenant Horn, restaura les ducs de Mecklembourg, battit à Burgstall un corps catholique (juillet) et força Tilly à reculer; ce dernier ayant envahi et ravagé la Saxe, l'électeur s'allia au roi de Suède (11 septembre); leurs armées réunies remportèrent devant Leipzig l'éclatante victoire de Breitenfold (17 septembre 1631) qui marqua le triomphe d'une tactique nouvelle. Tandis que les Saxons s'emparaient de Prague (15 novembre), Gustave-Adolphe traversait en vainqueur la Thuringe et la Franconie, et y agissait en con quérant, se faisant prêter serment, distribuant les abbayes à ses officiers; il alla tenir sa cour à Mayence, tandis que les riches contrées du Main et du Rhin n'offraient qu'une faible résistance.

Au printemps, il pénétra en Bavière, vainquit, au passage du Loch, Tilly qui fut mortellement blessé (15 avril 1632), s'empara d'Augsbourg et de Munich. L'empereur s'était hâté de rappeler Wallenstein (décembre 1634), lequel avait chassé les Saxons de Bohème (mai 1632) et négociait avec l'électeur Jean-Georges de Saxe. Laissant en Bavière Baner et en Souabe Bernard de Saxe-Weimar, le roi de Suède marcha contre Wallenstein qui fit sa jonction avec les Bavarois et se retrancha à Nuremberg, refusant la bataille. Au bout de deux mois, et après une attaque infructueuse, Gustave-Adolphe leva son camp (8 septembre); il suivit en Saxe Wallenstein et le vainquit à Lutzen (16 novembre), mais fut tué. Bernard de Saxe-Weimar lui succéda à la tête de l'armée, le chancelier Axel Oxenstierna, à la direction politique. Ce dernier obtint des Etats des cercles de Souabe, Franconie, Haut-Rhin et Bas-Rhin, le traité de Heilbronn (23 avril 1633) par lequel ils resserraient leur alliance avec la Suède; le 19 avril, il avait renouvelé celle avec la France. Bernard se fit créer un duché de Franconie avec les évêchés de Wurzbourg et Bamberg, dévasta la Bavière défendue par le partisan Jean de Werth et s'empara de Ratisbonne (14 novembre 1633). Sur le Haut-Rhin une autre campagne se poursuivait entre le général espagnol Feria, l'Autriebien Aldringer, d'une part, le duc de Rohan et le Suédois Horn, d'autre part. Finalement Feria ne put ni recouvrer la Lorraine occupée par les Français, ni se maintenir en Alsace, et s'en alla mourir à Munich. Quant à Wallenstein, il opérait en Saxe et en Silésie, négociant avec l'électeur de Saxe, avec les Suédois, avec la France; il battit et fit prisonnière, à Steinau, sur l'Oder, une armée suédoise (13 octobre 1633), reconquit la Lusace. Rappelé vers l'Ouest, ses intrigues le rendirent suspect à la cour de Vienne; lorsqu'il voulut s'assurer de son armée à tout événement, on le fit égorger à Eger (25 février 1634). Sous le nom de l'archiduc Ferdinand, Gallas prit la direction de son armée; renforcé par les Bavarois, il reprit Ratisbonne et, après sa jonction avec une armée espagnole, gagna sur Horn et Bernard de Saxe-Weimar la bataille de Nordlingen (6 septembre 1634). La Souabe et la Franconie furent mises à feu et à sang par les bandes catholiques. Les protestants n'avaient plus d'espoir qu'en la France; ils lui remirent Philipsbourg et toute la Haute-Alsace (6 octobre 1634) qui devint ainsi française pendant deux siècles et demi. Une alliance fut conclue à Paris le 1er novembre entre les princes protestants et la France, à laquelle on garantit la cession de l'Alsace avec Brisach, Benfeld et Constance.

Période française. 
La guerre fut d'abord mollement conduite par les maréchaux de La Force et Brezé qui ne purent empêcher Gallas de prendre Philipsbourg (24 janvier 1635). Les Espagnols ayant pris Trèves et emmené en captivité l'archevêque protégé de la France, celle-ci déclara solennellement la guerre à l'Espagne (19 mai). La situation de l'empereur n'en semblait pas moins améliorée; la paix préparée avec la Saxe aux conférences de Pirna (24 novembre 1634) avait été signée à Prague le 30 mai 1635; l'ajournement de l'édit de restitution décida le Brandebourg, le Mecklembourg, la Saxe-Weimar, plusieurs villes à adhérer à cette paix. Les questions intérieures allemandes passaient au second plan, et la guerre devenait tout à fait internationale. Les troupes françaises, moins endurcies que les bandes mercenaires qu'elles rencontraient, furent refoulées sur la rive gauche du Rhin par Gallas, qui campa à Dieuze en Lorraine (novembre 1635), mais ne put s'y maintenir. Les Suédois étaient rejetés au Nord; mais par le comte d'Avaux, Richelieu fit négocier le traité de Stuhmsdorf (12 septembre 1633), trève de vingt-six ans avec la Pologne; Baner, déjà victorieux à Doemitz sur l'Elbe (1er novembre), fut renforcé par l'armée de Wrangel et Torstensson, jusque-là retenue en Livonie, ils écrasèrent les Saxons à Kipitz (17 décembre), prirent Berlin. L'argent français reconstitua une armée suédoise en Westphalie, et Bernard de Saxe-Weimar se mit à la solde de la France (traité de Saint-Germain, 27 octobre 1635). En 1636, on se battait sur toute la ligne du Rhin, en Westphalie, en Hesse, en Saxe, en Brandebourg; l'éparpillement des combattants rend impossible un récit d'ensemble; les faits essentiels furent au Nord la prise de Magdebourg par les Saxons, la victoire de Baner à Wittstock (4 octobre), suivie de la prise d'Erfurt; à l'Ouest la double invasion de la France par la Picardie où les Espagnols prirent Corbie, bientôt repris, et par la Bourgogne où Gallas échoua devant Saint-Jean-de-Losne. En 1637, le Brandebourg s'allie à l'empereur pour enlever aux Suédois la Poméranie où ils sont serrés de près. Bernard de Weimar pille la Franche-Comté et est tenu en échec sur le Rhin par Jean de Werth. Mais en 1638, il s'empare de Rheinfelden, après avoir fait prisonniers les généraux ennemis (3 mars), de Fribourg, et, renforcé par Guébriant, défait les Bavarois à Wittenwerer (9 août), le duc de Lorraine à Tann (15 octobre), assiège et prend Brisach (17 décembre). En plein hiver, il va s'emparer de la Franche-Comté et projetait de se tailler une principauté lorsqu'une fièvre contractée à Pontarlier l'emporta (18 juillet 1639); son armée et ses conquêtes passèrent à la France et lui prêtèrent serment de fidélité. Le baron d'Oissonville administra à partir de juin 1640 l'Alsace et les villes rhénanes au nom du roi de France. Au Nord, les Suédois, assurés par le traité de Hambourg (6 mars 1638) de nouveaux subsides français, reprirent l'offensive. Baner refoula Gallas en Brandebourg; puis détruisit l'armée saxonne à Chemnitz (14 avril 1639), parut devant Prague, ravagea la Bohème, la Silésie, la Moravie; tandis que le général suédois, Koenigsmarck, terrorisait par ses incursions dévastatrices la Westphalie et la Franconie. En 1640, les Franco- Weimariens, commandés par Longueville et Guébriant, s'établissent dans la Hesse et font leur junction avec Baner à Erfurt; leur mésintelligence les empêche d'attaquer l'armée impériale. Après une longue inaction, Baner et Guébriant se jettent en plein hiver par les monts de Thuringe et du Haut-Palatinat sur Ratisbonne, afin de suspendre la diète qui y était réunie; elle ne fut sauvée que par le dégel qui empêcha le passage du Danube (janvier 1641), et Baner succomba aux fatigues de cette campagne (20 mai). Il fut remplacé par Torstensson. Le Brandebourg s'était déclaré neutre; l'alliance franco-suédoise avait été prolongée jusqu'à la paix (29 juin), et la diète de Ratisbonne avait préparé les préliminaires de cette paix qui furent définis par elle le 9 octobre; à Hambourg eut lieu, le 25 décembre, une première entente entre les envoyés de la France de la Suède et de l'empereur au sujet des conditions de ces négociations.

Cependant Guébriant détruisait à Kempen une armée impériale (17 janvier 1642); Torstensson s'emparait de la Silésie, d'Olmutz, puis brusquement se portait sur Leipzig et remportait sur Piccolomini et l'archiduc Léopold l'éclatante victoire de Breitenfeld (2 novembre 1642) qui le rendit maître de la Saxe. Une tentative de Guébriant sur la Bavière fut repoussée par Mercy, et l'année suivante l'armée franco-weimarienne, dont le chef Guébriant venait de mourir, se laissa surprendre à Tuttlingen par Mercy et Werth; presque tout fut tué ou pris (24 novembre 1643). Turenne, appelé du Piémont, et Condé, appelé du Luxembourg, vinrent couvrir l'Alsace; les Bavarois de Mercy avaient pris Fribourg et s'y maintinrent malgré les assauts effroyablement meurtriers que leur livra Condé du 3 au 5 août 1644; les maréchaux français descendirent alors le Rhin et prirent Mannheim, Worms, Mayence, etc. Torstensson avait été ramené au Nord par l'agression du roi du Danemark contre la Suède, il pénétra jusqu'au Jutland, puis laissant Wrangel et Horn terminer cette guerre (traité de Bromsebro, 23 août 1645, il revint au Sud, entraînant à sa suite les Impériaux de Gallas, les désorganisa près de Magdebourg, envahit la Bohème et infligea à Jankau, près de Tabor, un désastre complet aux forces combinées de Hatzfeld, Goetz et Werth. Vienne fut en danger, menacée à la fois par les bandes de Rakoczy et par Torstensson, mais le premier traita et le second, retardé par le siège de Brunn et malade, prit sa retraite (décembre 1645). Son successeur fut Wrangel. L'électeur de Saxe découragé avait signé une trêve qu'il fit prolonger jusqu'à la paix. Mercy, vainqueur de Turenne à Mergentheim (5 mai 1645), avait été battu et tué à Allersheim, près de Nordlingen, par Condé (3 août). Turenne reprit Trèves (18 novembre 1645) et restaura l'électeur qui vendit à la France le protectorat général de ses possessions de la rive gauche du Rhin et de l'évêché de Spire. 
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La bataille de Rocroi vue par Michelet

« Le nouveau règne [Louis XIV, âgé de cinq ans, succéda à Louis XIII, son pèren, mort le 14 mai 1643] fut inauguré par des victoires. L'infanterie française prit pour la première fois sa place dans le monde par la bataille de Rocroi ([le 19 mai] 1643). Cet événement est bien autre chose qu'une bataille, c'est un grand fait social. La cavalerie est l'arme aristocratique, l'infanterie l'arme plébéienne. L'apparition de l'infanterie est celle du peuple. Chaque fois qu'une nationalité surgit, l'infanterie apparaît. Tel peuple, telle infanterie. Depuis un siècle et demi que l'Espagne était une nation, le fantassin espagnol régnait sur les champs de bataille, brave sous le feu, se respectant lui-même, quelque déguenillé qu'il fût, et faisant partout respecter le Señor Soldado; du reste, sombre, avare et avide, mal payé, mais sujet à patienter en attendant le pillage de quelque bonne ville d'Allemagne ou de Flandre. Ils avaient juré au temps de Charles-Quint « par le sac de Florence »; ils avaient pillé Rome, puis Anvers, puis je ne sais combien de villes des Pays-Bas. Parmi les Espagnols, il y avait des hommes de toutes nations, surtout des Italiens. Le caractère national disparaissait. L'esprit de corps, et le vieil honneur de l'armée les soutenaient encore, lorsqu'ils furent portés par terre à la bataille de Rocroi. Le soldat qui prit leur place, fut le soldat français, l'idéal du soldat, la fougue disciplinée. Celui-ci, loin encore à cette époque de comprendre la patrie, avait du moins un vif sentiment du pays. C'était une gaillarde population de fils de laboureurs, dont les grands-pères avaient fait les dernières guerres de religion, Ces guerres de partisans, ces escarmouches à coups de pistolet, firent toute une nation de soldats; il y eut dans les familles des traditions d'honneur et de bravoure. Les petits-fils, enrôlés, conduits par un jeune homme de vingt ans, le grand Condé, forcèrent à Rocroi les lignes espagnoles, enfoncèrent les vieilles bandes, aussi gaiement que leurs descendants franchirent, sous la conduite d'un autre jeune homme, les ponts d'Arcole et de Lodi. [Batailles de Lodi (10 mai 1796) et d'Arcole (15-17 novembre), gagnées par le général Bonaparte].
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Depuis Gustave-Adolphe, la guerre s'était inspirée d'un plus libre génie. On croyait moins à la force matérielle, davantage à la force morale. La tactique était, si je puis dire, devenue spiritualiste. Dès qu'on sentait le dieu en soi, on marchait, sans compter l'ennemi. Il fallait en tête un homme audacieux, un jeune homme qui crût au succès. Condé à Fribourg jeta son bâton dans les rangs ennemis; tous les Français coururent le ramasser.

La victoire engendre la victoire. Les lignes de Rocroi forcées, la barrière de l'honneur espagnol et allemand fut forcé pour jamais. L'année suivante (1644), l'habile et vieux Mercy laisse emporter les lignes de Thionville, Condé prend Philipsbourg et Mayence, la position centrale du Rhin. Mercy est de nouveau battu, et complètement, à Nordlingen (1645). En 1646, Condé prend Dunkerque, la clef de la Flandre et du détroit. Enfin, le 20 août 1648, il gagne dans l'Artois la bataille de Lens. Le 24 octobre fut signée la paix de Westphalie. Condé avait simplifié les négociations. »
 

(J. Michelet, Précis d'histoire moderne, chap. XVIII).

En 1646, Wrangel, refoulé d'abord par l'archiduc Léopold et Jean de Werth en Westphalie, fit sa jonction avec Turenne à Fritzlar; ensemble ils se portèrent sur le Danube, saccageant les pays bavarois, si bien que le duc Maximilien signa la trêve d'Ulm (14 mars 1647), délaissant à son tour la cause de l'empereur, exemple suivi par les électeurs de Cologne, de Mayence et le landgrave de Darmstadt. Maximilien rompit bientôt cette trêve, quand les Français furent partis pour la Belgique, et revint à l'alliance autrichienne, espérant n'avoir à combattre que les Suédois. Wrangel, qui avait attaqué la Bohème, dut reculer jusqu'en Basse-Saxe. Turenne vint l'y joindre et ils reparurent en Bavière; l'armée catholique fut mise en déroute à Zusmarshausen (17 mai 1648) et toute la Bavière pillée et ravagée. Une crue de l'Inn arrêta les alliés dans leur marche sur Vienne. Le général suédois Koenigsmark était en même temps entré en Bohème et avait pris la Petite-Prague, sur la rive gauche de la Moldava (5 août); l'archiduc Léopold fut battu par Condé à Lens (20 août). Wrangel marchait sur la Bohème, quand on apprit que la paix avait été signée le 24 octobre 1648 (Traité de Westphalie). 

Au terme de cette guerre de Trente ans, il n'était pas une région de l'Allemagne qui eût échappé aux horreurs d'une guerre conduite par des mercenaires effrénés. La moitié de la population avait péri : en Bohème, les deux tiers, en Thuringe (comté de Henneberg), les trois quarts. Il fallut un siècle pour le relèvement économique des villes et des campagnes, la remise en culture des sols devenus déserts. Sur ces ruines de l'Allemagne entamée par l'étranger et découpée en Etats quasi-souverains, il fallut recommencer une nouvelle vie nationale. (GE.).

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