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Jalons |
La
stagnation du Haut moyen âge
A partir du Ve
siècle et pendant plusieurs siècles les travaux
géographiques de l'Antiquité
semblent n'avoir pas existé ( La
géographie antique ).
Les secs abrégés
d'Agathémère et de Marcien
d'Héraclée, le poème confus de Festus
Aviénus, les Notices des provinces ou de l'Empire, les
Dictionnaires
géographiques de Vibius Sequester et d'Eusèbe,
voilà les dernières productions de l'âge romain. Un
moine égyptien du VIe
siècle, Cosmas Indicopleustès,
représente, dans sa Topographie chrétienne, la Terre
comme une vaste surface plane entourée d'une muraille ( La
cosmographie médiévale );
il ne peut comprendre la sphéricité de la Terre ,
et cette opinion lui semble une hérésie et un reste de paganisme.
Le dessin joint à son ouvrage est la plus ancienne mappemonde du
Moyen âge .
Au VIIe siècle
appartient une géographie en latin barbare, composée par
un anonyme appelé le Géographe de Ravenne, et qui ne sert
presque qu'à nous faire regretter tous les ouvrages aujourd'hui
perdus qu'il a consultés. Les cartes de cette époque, celle
de l'abbaye
de St-Gall
au VIIe siècle,
et la mappemonde en argent que possédait Charlemagne,
n'étaient pas sans doute moins barbares que les livres, si l'on
en juge par celle qui accompagne un manuscrit de l'Apocalypse
conservé à la Bibliothèque de Turin .
Cette mappemonde paraît être du IXesiècle;
la Méditerranée, qui y est représentée par
un parallélogramme régulier, s'étend jusqu'au milieu
de la carte, où elle est rejointe à angle droit par une masse
d'eau séparant l'Europe de l'Asie, et se réunissant à
l'Océan qui entoure la Terre; le Nil y est aussi large que la Méditerranée,
et toutes les îles sont de forme carrée et d'une étendue
à peu près égale.
Les Byzantins
participent à la décadence de la chrétienté,
moindre pourtant chez eux qu'en Occident ( La
vie intellectuelle dans l'Europe latine ).
Leurs lexicographes résument les travaux antérieurs. L'ambassade
envoyée en 569 par le grand khan
( Le monde turco-mongol )
à l'empereur Justin donne quelques lumières
sur l'Asie centrale jusqu'à l'Altaï. Théophylacte Simocatta
en perfectionne la géographie. C'était tout un monde, équivalant
au monde romain et que celui-ci avait presque ignoré. Le meilleur
document géographique byzantin est l'Administration de l'empire
de l'empereur Constantin Porphyrogénète, non seulement pour
la description de l'Empire, mais pour ses précieuses et amples notices
sur les peuples barbares des frontières. Quant aux vues générales,
les erreurs accumulées dans la Topographie chrétienne
de Cosmas Indicopleustès montrent où
en étaient les moines byzantins, se figurant le monde à l'image
de l'arche sainte
: la Terre
était vue comme un rectangle plat.
Les
avancées arabes
Au Moyen âge ,
la philosophie et les sciences s'étaient réfugiées
dans les pays occupés par les Arabes. Peuple commerçant
( Le commerce
des Arabes au Moyen Âge), ils eurent le goût de
la géographie, qu'entretenait le pèlerinage de La
Mecque ( Islam ).
Ils eurent donc de remarquables voyageurs. Ajoutez que leur rapide extension
sur une très vaste superficie et la formation d'un grand empire
eurent, pour conséquence forcée, des investigations précises
sur les pays et les peuples soumis. Les Arabes visitèrent peut-être
même des contrées encore plus lointaines : le Japon ,
d'aucuns disent même l'Australie. Parmi leurs voyageurs, il faut
citer au Xe siècle
Massoudi,
qui visita la Perse ,
l'Inde ,
l'Afrique ,
l'Arabie et les décrivit dans ses Prairies d'or; Ibn-Haukal
qui est spécialement géographe et a écrit une description
physique, politique et statistique de l'empire des califes;
Ibn-Fozlân qui visita les pays de la Volga; Al-
Birouni qui accompagna Mahmoud le Ghaznévide ,
en Inde; Ibn-Saïd qui visita l'Afrique; le fameux Ibn
Batutah, ce Berbère du XIVe
siècle, qui parcourut l'Afrique, l'Asie occidentale,
la Russie méridionale, le Turkestan ,
l'Inde entière, la Malaisie, la Chine et, revenu à Tanger,
voulut encore voir l'Espagne et Tombouctou
( L'exploration du Sahara ).
De tous les voyageurs, Ibn Batutah est celui qui a parcouru par terre le
plus de chemin. Comme navigateur, on doit nommer Soleiman, qui avait voyagé
dans tout le Sud de l'Asie, en Malaisie, en Chine et dont Abou-Zéid
publia les voyages. Au total, les géographes arabes pourront ainsi
ajouter à ceux de l'Antiquité classique une connaissance
plus approfondie de l'Arabie et de l'Iran ,
des détails plus copieux sur la Malaisie et l'extrême Orient.
En Afrique, ils ont pénétré au Soudan, vu Madagascar
et les îles Comores .
Il est vrai que sur la côte Ouest, ils ne dépassèrent
pas le cap Noun.
Le grand service rendu par les Arabes fut
de conserver la géographie scientifique, qui leur dut même
quelques progrès. Ils puisèrent dans les livres grecs, souvent
connus d'eux par des versions syriaques. Au IXe
siècle, le calife AI-Mamoun
fit mesurer un degré du méridien dans le désert de
Syrie, entre Rakka et Palmyre, et traduire
en arabe la Géographie de Ptolémée,
qui devint la grande autorité. Le calife fit lui-même mesurer
un arc du méridien ;
l'opération décrite par Aboul-Féda
et par Ibn-Younis fut faite en double; on discute
sur la valeur de ses résultats; ils demeurent inférieurs
à ceux d'Eratosthène ( L'histoire
de la géodésie ).
L'astronome Aboul-Hasan releva dans l'Espagne et l'Afrique septentrionale
de nombreuses latitudes
et publia une table de 135 positions; par rapport à Ptolémée
l'amélioration est frappante : sa plus grande erreur en longitude
est de 4°12' au lieu de 18°; la longueur de la Méditerranée
est exacte à 52 minutes près au lieu d'une erreur de 19°.
Il a fallu cinq siècles encore aux Européens pour faire la
même correction. Des tables équivalentes furent dressées
pour l'Asie jusqu'à la Chine et l'Afrique du Nord par Nâcir-ed-din
(Nasr ed-Din), protégé d'Houlagou ,
et revues par Ulugh-Bey, prince de Sogdiane ,
au XVe siècle.
La latitude de Samarcande ,
par exemple, est à peu près juste, la longitude trop orientale
de 13°; la latitude de l'observatoire de Maraghah est rigoureusement
exacte, la longitude fausse de 6°38' par rapport à Bagdad .
Le monde d'Edrisi.
Ces voyages et ces travaux mathématiques
permirent la composition de bons traités géographiques. Le
premier fut celui d'Al-lstakhri au milieu du IXe
siècle; outre Ibn Haukal (vers
975),
nommons Mokadaci (vers 985), El Bekri
qui décrivit l'Espagne et l'Afrique
(1068). On mentionnera plus tard, au
XIIIe
siècle, le dictionnaire de Yakoût, la cosmographie
de Kazvini, et, au XIVe,
la géographie d'Aboul-Féda, etc.
Mais, d'ici là, une place particulière revient à Edrisi
(1154), qui composa pour Roger II,
le roi normand de Sicile, un livre accompagné de 69 cartes. Par
delà les connaissances qu'il reflète, cet ouvrage, précieusement
conservé à la bibliothèque d'Oxford, est particulièrement
révélateur aussi des obstacles épistémologiques
auxquels la géographie de cette époque se heurtait, et qui
apparaissent par exemple quand on observe le tracé de l'Afrique,
sur la carte ci-dessous. Les Arabes, que les moussons portaient alternativement
d'une rive à l'autre dans l'océan Indien, savaient aussi
profiter des brises journalières et des vents généraux
sur les côtes orientales de l'Afrique dont la véritable forme
leur était nécessairement bien connue. Massoudi,
dans la première moitié du Xe
siècle, décrit déjà l'allure vraie
de ces rivages; cependant, on est étonné de voir sur la carte,
très postérieure, d'Edrisi, le bizarre
tracé que cet érudit donne du littoral africain de l'Océan
indien.
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Le
monde suivant Edrisi (1099-1164).
Ce dessin paraît vraiment incompréhensible
en plein XIIe
siècle, à une époque où, depuis
au moins quatre cents ans, les marins arabes faisaient régulièrement
escale à Mélinde, à Mômbase (Mombasa), dans
l'île de Zanzibar et jusqu'à Sofala .
Il est impossible qu'ils n'eussent pas constaté dans leurs traversées
quelle était la véritable direction des côtes; ils
avaient certainement vu le Soleil
au tropique du Nord, à l'équateur ,
même au tropique du Sud, puisqu'ils avaient poussé jusqu'au
cap Correntes, où le remous périlleux des eaux les avait
effrayés. Ils connaissaient donc à l'Ouest, aussi bien qu'au
Nord, la forme générale de l'océan Indien, et c'est
d'ailleurs à eux que plus tard Vasco de Gama
dut de pouvoir s'orienter facilement vers la côte du Malabar. Du
temps d'Edrisi, les marins, les voyageurs, auraient
donc pu dessiner assez approximativement le contour oriental du continent
africain; mais nombre de savants s'imaginaient, de par leur science même,
devoir s'en tenir à l'ignorance d'autrefois : ayant sous les yeux
les « tables de Ptolémée
», ils acceptaient ce document comme l'expression certaine de la
vérité; entre le témoignage des contemporains et les
écrits des Grecs, consacrés par le temps, ils n'hésitaient
pas.
Dans
le sillage des Vikings
Les pirateries des Scandinaves
firent connaître l'Europe septentrionale et même un nouveau
monde trop tôt oublié ( Les
découvertes des Vikings ).
Au IXe siècle,
le roi saxon Alfred le Grand nous
a conservé les relations de deux Vikings,
Wulfstan et Other. Le premier renseigne le roi sur la Baltique; le
second, né près des îles Lofoten, fait le tour de la
presqu'île scandinave et reconnaît la mer Blanche, décrivant
la Norvège, la Suède, la Laponie, la Finlande. D'autres naviguent
au Nord-Ouest, découvrent les îles Féroë en 861,
et en 872 l'Islande, à supposer
que celle-ci n'ait pas été connue de temps immémorial
par les Norvégiens. La colonisation de l'Islande multiplia les navigations
dans l'océan Nord-Atlantique et les Scandinaves y trouvèrent
successivement d'autres terres. Erik le Rouge s'élance
depuis l'Islande en 982 pour aborder
au Groenland, bientôt assez peuplé pour être divisé
en deux cantons et recevoir un évêque. En 1002,
Leif,
fils d'Erik, et Björn cinglent au Sud-Ouest, découvrent une
île rocheuse qu'ils appellent Helleland, puis une terre basse, Markland,
et un pays couvert de vignes sauvages qui lui méritent le nom de
Vinland. Le jour le plus court y ayant été observé
de 8 heures, on ne peut méconnaître que les Scandinaves ont
découvert les côtes au Canada
actuel et des États-Unis
jusque vers le 42e degré, et, par
conséquent, trouvé l'Amérique
avant Colomb.
On a beaucoup disserté pour fixer
le point le plus méridional atteint par les Vikings en Amérique.
Certains auteurs évoquent le site de New-York,
d'autres le Mexique. Ce qui est certain, c'est que les Scandinaves ne soupçonnèrent
pas l'étendue du continent où ils mettaient le pied. Les
contrées de l'Atlantique-Nord connues des Scandinaves furent
révélées au reste de l'Europe par deux Vénitiens,
les frères Zeni, qui y firent une expédition
en 1387 : la carte (à l'autenticité,
il est vrai, contestée) qui accompagna la relation de leur voyage,
imprimée seulement en 1558,
représente assez exactement les côtes de Danemark et de Norvège,
l'Islande et d'autres contrées dont le nom apparaît pour la
première fois dans la cartographie, la Frislande (sans doute les
Féroë), le Groënland, enfin Estotiland et Drocco, voisins
du Vinland, et qui paraissent être Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse.
Mais l'invasion d'une flotte ennemie, en
1418
, détruisit ces colonies des Vikings de l'Amérique, et le
monopole du commerce avec l'Islande et le Groenland que s'était
arrogé la couronne de Norvège enleva à l'Europe la
connaissance de ces découvertes. Le souvenir de ces terres du Nord-Ouest
se conserva, mais n'eut pas d'influence apparente sur la découverte
de l'Amérique qui fut le résultat de calculs cosmographiques.
Ce n'étaient pour les Scandinaves que quelques terres de plus dans
la mer du Nord. Il est même probable que Colomb,
dans son voyage en Islande, en 1477,
n'en eut aucune connaissance, puisque, au lieu de se diriger vers le Nord-Ouest,
où il eût été certain de trouver des terres,
il alla au Sud jusqu'aux Canaries ,
et de là vers le Sud-Ouest, dans les parallèles de l'Inde,
dont il se flattait de toucher les extrémités.
Nouveaux
horizons
Après les Scandinaves, deux autres
peuples firent faire à la géographie des progrès dont
les fruits ne furent pas perdus; ce sont les Italiens et les marins de
la côte orientale d'Espagne, Catalans et Majorquins. Les Croisades
rapprochèrent aussi les Européens des Orientaux, et
plus tard, Albert le Grand, Roger
Bacon et Vincent
de Beauvais allaient être en Europe
les rénovateurs de la géographie. Mais, avant d'en parler,
il faut rappeler la renaissance du grand commerce ( Le
commerce
au Moyen Âge) et les voyages politiques ou commerciaux accomplis
au XIIIe
siècle dans l'Asie centrale et
orientale où régnaient alors les souverains mongols ,
qui venaient de soumettre la plus grande partie de l'Asie et avaient détruit
l'empire des Califes. Ces voyages procurèrent
aux Européens une connaissance de l'Asie presque égale à
celle des Arabes.
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Le Nil au
temps des Croisades
«
Ici convient parler du fleuve qui passe par le païs d'Égipte,
et vient de Paradis terrestre; car ces choses faut savoir qui veult entendre
ma matière. Celui fleuve est divers sur tous autres rivières;
car quant en une grosse rivière plus il chiet [ = tombe] de petites
rivières et de eauës, tant plus s'éparpille la rivière
en de lieux à petitz ruisseletz; mais celui fleuve vient toujours
d'une façon, et quant il est en Egipte, de lui-même il gette
ses branches çà et là parmi les païs d'Égipte.
Et quand ce vient le temps d'environ la Saint-Remy, se espandent de lui
sept branches en rivières qui quîèrent les terres plaines
[ = cherchent les terres basses]. Et puis quant les eauës se sont
retirées, les laboureurs du pais viennent labourer la terre après
le cours de l'eauë o charrues sans roes, et sement là fromens,
orges, riz, commins, et y viennent si bien que l'on ne sauroit que amander.
On ne sceit dont celle crue vient, fors que de la grâce de Dieu...
Quant
celui fleuve entre en Égipte, il y a gens tous expers et accoutumez,
comme vous diriez les pescheurs de ce pays-ci, qui au soir gettent leurs
reyz ès fleuve et ès rivières; et au matin souvent
y trouvent et prannent les espiceries qu'on vent en ces parties de par
deçà
bien chèrement au pois : comme cannelle, gingembre, rubarbe, girofle,
lignum, aloes, et plusieurs bonnes chouses. Et dit-on au païs que
ces chouses - là viennent de Paradis terrestre, et que le vent les
abat des bonnes arbres qui sont en Paradis terrestre, ainsi comme le vent
abat ès forëtz de ce païs le bois sec; et ce qui chiet
en ce fleuve l'eauë amène, et les marchans le recueillent qui
le nous vendent au pois. » (Joinville). |
Aventures en Tartarie.
Le premier de ces voyages fut celui
des ambassadeurs envoyés par Innocent IV
aux chefs mongols du Kiptchak
et de l'Iran
(1245). Jean du
Plan-Carpin a rédigé la relation de ce voyage poursuivi
jusqu'à Karakoroum, refait en 1248
par le père André, en 1253
par Ruysbroek (Rubruquis), envoyé de
saint
Louis. Les maîtres de l'Asie centrale souhaitaient favoriser
le commerce et les négociants vénitiens profitèrent
de leurs bonnes dispositions pour parcourir toute l'Asie : ce sont les
Polo, les frères Matteo, Niccolo et le fils
du dernier, Marco. Les premiers, partis du comptoir vénitien de
Tana, près de l'embouchure du Don, passèrent au Nord; de
la Caspienne, de l'Aral, gagnèrent Bokhara, puis, selon le récit
qu'en fera Marco Polo, la Chine où Koubilaï
leur aurait fait bon accueil (1254-69).
Ils repartirent de Venise en 1271,
emmenant le jeune Marco Polo, passèrent par le Badakchan ,
Khotan ,
le désert de Gobi .
Le jeune Marco Polo
aurait été le protégé de Koubilaï
qui lui aurait confié de hautes fonctions. C'est ainsi, affirmait-il,
qu'il put étudier à fond la cour mongole
et la Chine, non seulement la géographie administrative et les moeurs,
mais la géographie économique. Marco Polo serait revenu par
mer, visitant Sumatra, l'Inde ,
la Perse
et l'Arménie
(1295). La relation qu'il publia de
son voyage, véritable jusqu'à un certain point, fit entrer
dans le domaine de la géographie positive le Turkestan ,
la Mongolie ,
la Chine ,
l'Indochine ,
la Malaisie
jusqu'aux Moluques
(îles des Épices ),
l'Inde .
Les renseignements donnés d'une part sur le commerce de l'Inde qui
s'étendait de l'archipel malais à Madagascar
et à la mer Rouge, d'autre part sur Cipangu
(le Japon )
furent la cause déterminante des grandes découvertes géographiques
du XVe siècle
occasionnées par la recherche de routes maritimes vers ces pays
enchanteurs; les Portugais y arrivèrent en tournant l'Afrique; Colomb
le voulait en venant par l'Ouest. La relation de Marco Polo sera pendant
plusieurs siècles la base de la géographie de l'Asie.
D'autres voyageurs d'Europe, moines, aventuriers,
trafiquants, visitèrent également les îles et les péninsules
méridionales de l'Asie, les pays, alors mystérieux «
où croît le poivre», épice si nécessaire
à cette époque, vu la mauvaise qualité des viandes,
souvent corrompues, dont on se nourrissait d'ordinaire, et dont il fallait
déguiser le goût. Citons quelques-uns de ces voyages : ceux
de l'Arménien Haïtoun (1254,
rédigé en 1307), de Ricold
de Montecroce, de Monte Corvino (1289-1306).
Au XIVe siècle
s'organise un trafic régulier vers Chambalik (Pékin);
les relations se multiplient; la plus goûtée fut celle de
Mandeville
encombrée de fables; la plus instructive est celle du marchand florentin
Balducci Pegoletti (1336). Les missionnaires
prirent aussi la route de Chine et contribuèrent à la faire
connaître; le plus illustre est le franciscain
Oderico
de Pordenone (1316-31).
L'ambassade espagnole de Clavijo auprès
de Timour-lenk (Tamerlan )
à Samarcande (1403-96)
et le voyage du Vénitien Niccolo Conti furent très instructifs.
Conti visita en détail l'Inde, puis l'Indochine, la Malaisie, la
Chine méridionale (1424-49).
Dans une autre direction, les Européens
du Moyen âge
avaient acquis d'utiles informations dans l'Afrique
septentrionale; soit qu'on eût mis à profit celles des Arabes
sur le Soudan ou Nigritie (c'est-à-dire le Pays des Noirs),
soit qu'on eût noué des relations avec les chrétiens d'Éthiopie ,
les limites des connaissances étaient pour les Européens
celles que nous avons indiquées pour les Arabes, donc sensiblement
plus reculées que pour l'Antiquité
romaine ( La géographie antique ).
Au XVe siècle,
on les dépassa par mer.
La renaissance
cartographique.
Il nous faut encore dire quelques mots
de la cartographie du Moyen âge
et des notions scientifiques qui rendirent possibles les grandes découvertes.
Le XIIIe siècle
vit la renaissance des études géographiques. Roger
Bacon répète les assertions de l'école
aristotélique sur la sphéricité de la Terre
et ses trois quarts inconnus; l'ouvrage encyclopédique de Vincent
de Beauvais reproduit les géographes latins. On ébauche
quelques cartes. Ces premiers essais sont laborieux. Les religieux qui
seuls savent quelque chose discutent pour savoir s'il est orthodoxe de
figurer la Terre habitée par un rectangle ou par un cercle ( La
cosmographie médiévale ).
On préfère le cercle parce que la Bible
a dit le cercle terrestre, et nous voici revenus au disque homérique
( Homère)
entouré par l'Océan .
Au centre est Jérusalem; la moitié
orientale est attribuée à l'Asie à l'Est de laquelle
on place volontiers le paradis terrestre
(que Colomb ira chercher de ce côté);
la moitié occidentale, séparée de la première
par le Tanaïs et le Nil, est coupée par le milieu, la grande
mer (Méditerranée) divisant l'Europe de l'Afrique .
Cette conception rudimentaire avait pour elle l'autorité de saint
Augustin.
Quand la géographie redevint laïque,
cela ne suffit plus, et on revit des cartes dignes de ce nom et capables
de rendre quelques services aux commerçants. Au XIVe
siècle, l'usage du compas magnétique (inventé
dès 1182 et
perfectionné par Pierre
de Maricourt en 1269) est général.
On s'en sert pour dresser des cartes. C'est d'abord la Méditerranée
qui intéresse les commerçants. Les Croisades
avaient donnée de l'essor aux marines de Venise,
de Gênes et de Pise, et avaient fait faire de rapides progrès
à la cartographie de la région. Les neuf cartes marines du
Génois Visconti, datées de 1318,
et conservées à la Bibliothèque de Vienne, donnent,
avec des formes assez justes et des proportions généralement
observées, la Méditerranée, le Pont-Euxin et l'Ouest
de l'Europe.
Les cartes, les portulans de
la Méditerranée dressés par les pilotes italiens,
provençaux, catalans, mahonais et majorquains étaient en
fait fort nombreux, et les cartes parvenues jusqu'à nous font ressortir
ce fait étrange : d'un côté la précision vraiment
étonnante du dessin, de l'orientation, des distances et de tous
les détails des côtes, de l'autre les erreurs grossières
dans la direction des fleuves et des montagnes, dans l'évaluation
des distances terrestres. Regardez la carte ci dessous de Jean de Carignan
datant de l'an 1200 environ : tout
est ignorance en dehors du tracé remarquablement exact des bassins
se succédant du détroit de Gibraltar aux monts du Caucase ,
bien connus, grâce à la multiplicité des traversées
qui avaient été effectuées en tous sens.
-
Europe
et Méditerranée d'après Jean de Carignan (ca. 1200).
Les
deux tracés, celui de la carte de fond (canevas de Mercator) et
celui de
la
carte de Jean de Carignan, dont les terres émergées sont
recouvertes d'un grisé
de
hachures, ont été superposées en prenant Lisbonne
et l'angle sud-oriental
de
la Méditerranée comme repères.
Par une singulière bizarrerie, le
progrès de la connaissance des livres eut certainement pour conséquence
un recul dans l'art de la navigation. La foi réellement religieuse
qu'éveillaient les oeuvres des anciens devait créer des superstitions
et, très souvent, substitua des idées fausses, tirées
de l'antique, à des connaissances déjà précisées
par les observateurs du Moyen âge .
Ainsi, lorsque les oeuvres de Ptolémée
se trouvèrent, sous leur forme primitive, dans les mains des géographes
et des navigateurs au commencement du XVe
siècle, la Méditerranée reprit sur les
cartes une forme incorrecte qui se perpétua même sur les portulans
et dans les atlas
jusqu'au commencement du XVIIIe
siècle.
Mais à cette époque paraissent
aussi les mappemondes, cartes générales du monde. Le Vénitien
Marino Sanudo (Sanuto?), proposant, en 1321,
une croisade commerciale pour arracher le commerce des Indes au soudan
d'Égypte, accompagna son livre (Secreta Fidelium Crucis)
d'une carte qui faisait connaître les pays dont il parlait; elle
a été reproduite par Bongars dans
ses Gesta Dei per Francos. Ce sont encore des Vénitiens,
les frères Pizigauli, qui publièrent en 1367
une grande mappemonde (aujourd'hui à Parme ),
où les formes sont déjà exactes, les détails
nombreux et disposés avec sagacité. Viennent ensuite la mappemonde
catalane de 1375; puis celle de Fra
Mauro, peinte au monastère San Michèle de Murano (près
de Venise), de 1459
probablement. Cette carte nous montre les montagnes et les fleuves de l'Ethiopie
dessinés avec une précision relative.
-
Carte
du monde d'Après Fra Mauro (milieu du XIVe siècle).
L'original
de la carte de Fra Mauro a un diamètre de 0,675 m; le Sud en haut.
La
représentation ci-dessus est orientée suivant l'usage actuel
et simplifiée.
Une autre carte, d'origine catalane, construite
en l'an 1375, prouve que les relations
existaient déjà entre Barcelone
et la Maurétanie; on y lit les noms de Biskra, du Touât ,
de Tombouctou et de quelques autres endroits;
les routes des caravanes y sont tracées et les Touareg
sont représentés à méhari et la face voilée
( L'exploration du Sahara ).
Des écrits du temps parlent de voyages faits au delà du désert
jusque dans la Soudanie. Bien supérieures en précision à
ces cartes générales étaient les cartes marines, les
portulans
que l'on publiera en grand nombre aux XIVe
et a XVe siècles.
Les républiques maritimes de l'Italie et Majorque furent le centre
de ces travaux; la nomenclature, l'exactitude mathématique annoncent
l'âge moderne. Pour la mer Noire, les portulans n'ont été
surpassés qu'en 1816.
Le contraste est grand entre ces oeuvres
et les traités de géographie dont les érudits puisent
les matériaux dans les écrits antiques. La publication de
Ptolémée
(impr. 1475, les cartes en 1478),
celle des autres géographes, Pline (1468),
Strabon
(1469),
Mela
(1471), etc., efface les compilations
dont on s'était longtemps contenté. On revient après
dix siècles d'ignorance aux cartes graduées et à la
géographie mathématique.
Incursions dans
l'Atlantique.
Génois et Portugais, à l'instar
des Arabes, commencèrent au XIVe
siècle à pénétrer dans les eaux
atlantiques, certainement guidés dans leurs recherches par les souvenirs
de l'Antiquité phénicienne, grecque et latine. Des marins
génois, dont on ignore le nom, découvrirent le groupe d'îles
le plus rapproché de l'Europe, et la terre la plus grande de cet
archipel reçut d'eux l'appellation de Legname, traduite plus tard
par les Portugais en celle de Madeira, « futaie », maintenant
imméritée. A la même époque, c'est-à-dire
au milieu du XIVe
siècle, toute la traînée des Açores
avait été trouvée par d'autres Génois; une
carte de 1351 indique déjà
toutes les îles, dont l'une, San Zorzo, était désignée
d'après le patron de la république ligure, tandis qu'une
autre terre, la Terceira actuelle, est dite Brazi ou Brasi
- d'après une ou plusieurs plantes de teinture -, appellation mystérieuse
qui ne cessa de voyager sur les cartes dans la direction de l'ouest, jusqu'à
ce qu'elle servit à désigner fixement la moitié occidentale
du grand continent sud-américain. Quant aux Canaries, plus rapprochées
de la terre d'Afrique et du reste maintenues dans la mémoire des
hommes grâce aux écrits des Anciens, elles avaient été
certainement retrouvées avant cette époque, au moins dans
la première moitié du XIVe
siècle. une expédition génoise, probablement
antérieure à l'an 1341,
parle des Canaries comme de terres «-redécouvertes
» récemment.
Aucune carte de cette époque n'a
une plus haute valeur que l'Atlas Catalan
publié par Abraham Cresques en 1375;
l'Europe y est représentée avec détails, particulièrement
dans le Sud-Ouest; le lac Issikoul, dans l'Asie centrale, y est figuré;
mais ce qui est surtout curieux, c'est la représentation des côtes
occidentales d'Afrique ,
où l'on trouve le cap Bojador, les Açores ,
Madère
sous le nom analogue d'Isola di Legname (île des forêts), et
les Canaries ,
longtemps avant les voyages des Portugais et de Béthencourt,
à qui l'on attribue ces découvertes : le mérite en
revient aux Majorquins et aux Catalans.
Terminons en notant qu'à cette même
époque, le vieux continent est loin d'être oublié et
l'on continue d'en perfectionner la connaissance, on s'emploie aussi à
en décrire chacun des ports de l'Atlantique, comme en prélude
au grand assaut de l'Océan qui se prépare. Tel est, par exemple
ce travail du pilote Pierre Garcie qui a entrepris, à partir de
1483,
la rédaction d'un ouvrage intitulé :
«
Grand routier
et pilotage et enseignement pour ancrer tant ès portz, havres que
aultres lieux de la mer [...] tant des parties de France, Bretaigne, Angleterre,
Espaignes, Flandres et haultes Almaignes ».
Garcie, dit Ferrande, comme son nom l'indique,
évidemment d'origine espagnole, demeurait en Vendée au port
de Saint-Gilles-sur-Vie, et les renseignements qui suppléèrent
à sa propre expérience lui venaient surtout des pilotes des
ports compris entre Honfleur
et « tout Brouage ». Ce précieux document, dû
aux « maistres experts du noble, très subtil, habile, courtoys,
hasardeux et dangereux art et mestier de la mer-»,
fut réédité en de très nombreuses éditions
françaises et anglaises; pendant près de deux siècles,
aucun livre du même genre, en aucun idiome, ne vint le remplacer.
(C.P.
/ E.R. / G.E.).
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