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La littérature française au XVIIe siècle II - La prose |
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De même que
le XVIIe siècle se divise en deux
règnes très différents l'un de l'autre, de même
ses prosateurs peuvent se partager en deux générations. Les
prosateurs de Louis XIII, plus indépendants,
ont une grandeur plus personnelle, et ils donnent à leur époque
beaucoup plus d'éclat qu'ils n'en reçoivent. Les prosateurs
de Louis XIV, plus soumis à une commune
discipline, semblent en général se plaire dans un concert
unanime où chacun joue sa partie, et, tout grands qu'ils sont, doivent
à cet ensemble je ne sais quoi de plus acheté.
Guez de Balzac et Voiture sont les rhéteurs habiles qui ont maintenu tant bien que mal la prose française au niveau des rapides progrès que faisaient les vers. Le premier tranchait quelquefois du grand et du sublime; il y a quelquefois atteint dans le Prince, et surtout dans le Socrate chrétien; ses Lettres manquent absolument de naturel. Le second, profitant du changement de la mode, se garda surtout de l'emphase, et plut beaucoup dans le style enjoué; il excellait dans les bagatelles de l'esprit, mais sa simplicité n'est pas moins factice que l'hyperbole de Balzac. Après les rhéteurs, et même
avant qu'ils ne fussent retirés de la scène, la prose eut
ses maîtres. Le Discours de la méthode de Descartes,
contemporain du Cid Beaucoup d'âme et un grand coeur,
voilà ce qui respire dans les Provinciales De Pascal à
La
Rochefoucauld, si l'on regarde au point de départ, il y a tout
un monde; si l'on regarde au terme où ils sont arrivés, il
semble qu'il n'y ait que la largeur d'un salon, celui de Mme de Sablé,
par exemple. Le terrain commun du janséniste
et du frondeur désabusé, c'est la faiblesse et la misère
de l'humain; seulement, La Rochefoucauld, qui reste philosophe et mondain,
ne peut sortir de ce mépris et de cette abjection de l'homme livré
tout entier à l'amour de soi; Pascal, qui est tout chrétien,
rachète cet abaissement de l'humanité en la relevant du côté
de Dieu Si La Rochefoucauld se présente
naturellement avec Pascal comme moraliste, il amène avec lui, comme
auteur de Mémoires, son rival le cardinal de Retz, moins
grand écrivain, mais bien supérieur à lui comme historien
et comme politique. La Fronde
tout entière respire en quelque sorte sous la plume hardie de ce
cardinal sans préjugés, tour à tour audacieuse ou
mesquine, travaillée d'un besoin redoutable de révolutions,
ou se rapetissant dans les plus misérables intrigues. Retz est un
nouveau Salluste; il est le chef de notre école
historique, tant que nous eûmes plutôt des mémoires
que des histoires proprement dites.
L'Église Entre les écrivains culminants de
cette littérature, Bossuet est l'écrivain qui possède
au plus haut degré la puissance créatrice. II crée
sa langue et sa pensée, sans efforts, sans lassitude, portant la
vie et le rajeunissement partout où il porte la main; semblable
à la Nature elle-même dont l'enfantement n'est jamais pénible,
ni fiévreux, il se sert des moyens les plus simples, de ce qui est
commun et à la portée de tous; il transforme et il féconde.
De là ce bon sens profond qui n'abandonne pas plus son génie
que le corps ne peut quitter l'âme dont il est l'instrument. Nul
n'est plus pénétré des idées particulières
de son siècle, et cependant nul n'est plus rempli des vues générales
qui sont le patrimoine de la raison humaine. En philosophie En histoire, il semble que l'édifice de sa doctrine sur la Providence doive crouler sous le poids des connaissances accumulées depuis par tant de mains savantes; et cependant le système du philosophe chrétien est chez lui si peu excessif, il a tant de lumières et de juste raison sur les faits purement humains, que la beauté du Discours sur l'histoire universelle n'en est nullement entamée. En matière religieuse, nous pensons aujourd'hui autrement que lui sur la liberté, et cependant rien ne languit pour le lecteur dans l'Histoire des Variations ni dans les Avertissements aux protestants. Mais c'est comme orateur de l'Église, dans ses Sermons et ses Oraisons funèbres, qu'il est parfaitement grand et, en peut Ie dire, incomparable. Dans celles-ci il est tellement supérieur, que non seulement il a fait oublier tout ce qui l'a pu précéder, et effacé d'avance tout ce qui pouvait venir après lui, mais que le genre tout entier se résume et se termine en lui seul. Si ce haut génie n'avait été donné au règne de Louis XIV pour rabattre l'orgueil de la grandeur humaine dans la poussière des tombeaux, au moment inévitable où la mort les oeuvre, quelque chose, eût manqué à l'éclat suprême de ce siècle. Mais Bossuet et le règne de Louis XIV ont emporté avec eux l'oraison funèbre. Dans les Sermons, il n'est pas seulement plus élevé que les autres orateurs, il a comme un caractère public, et son langage a le ton de l'autorité. C'est d'abord que Bossuet, n'aimant que l'ordre établi et la chose jugée, n'accorde rien à son sens individuel; c'est aussi que de tous les orateurs de la chaire, seul il tient tête aux circonstances du temps, des lieux, des personnes; il improvise, enfin, suivant le besoin du moment, et n'apporte pas en chaire des Sermons, des Avents, des Carêmes tout entiers préparés, appris d'avance. Bourdaloue parle de moins haut : sa mission toute pratique se borne à instruire, à convaincre, à pousser les consciences dans leurs derniers retranchements. De là les portraits, les allusions même qui lui échappent. Aucun caractère d'autorité publique; il parle avec l'humble simplicité du religieux dans un siècle mondain, où cependant il y avait une place considérable pour le ministère de la parole spécialement exercé par quelques ordres célèbres. Comme son champ, celui de la conscience, est très vaste, il est permis à Bourdaloue d'être, pour ainsi dire toujours le même, et d'arriver armé d'avance et de toutes pièces. Ce sont les armes de la logique; rarement il émeut, plus rarement encore il s'adresse à l'imagination : ses discours sont une construction savante dont il détaille le mécanisme à ses auditeurs en provoquant sans cesse leur attention. Il put ainsi fournir une carrière de trente ans, trente ans d'une influence calme, mais profonde, sous l'abri d'une autorité politique et religieuse incontestées. Sans nous arrêter a l'esprit agréable,
mais trop fleuri, de Fléchier, qui gagna son siècle par les
oreilles, Fénelon inaugure un temps où
il fallut séduire les coeurs indociles ou gâtés; la
pente de son esprit et le charme naturel de son talent et de sa personne
se prêtèrent à cette nouvelle entreprise. Par goût
et par penchant, il s'efforça d'améliorer, de perfectionner
la religion catholique comme la politique traditionnelle. II devait échouer
dans la première; le sort ne permit pas l'épreuve de ses
idées dans la seconde. Mais où il n'échoua pas, c'est
dans le besoin d'être populaire, disons mieux, d'être aimé.
Captivant les générations nouvelles, non moins par son indulgence
et son humanité que par une tendance visible vers les idées
de progrès, il résolut dans ses écrits le difficile
problème de faire goûter le christianisme par le XVIIIe
siècle. Comme ministre de l'Évangile, il pratiqua, ainsi
que Bossuet et plus encore que lui, l'habitude
d'improviser suivant l'inspiration du moment. Nous n'avons de lui que deux
sermons, mais d'une grande beauté. Ses Maximes des Saints
compromirent sa réputation de théologien. Sa philosophie,
dans le Traité de l'existence de Dieu, est le cartésianisme,
mais devenu sensible et populaire, et revêtu de toutes les grâces
de son imagination. Sa politique, dans l'Examen pour la conscience d'un
roi et dans plusieurs autres opuscules, est une sorte d'aristocratie
libérale, mais tempérée surtout d'esprit chrétien.
Elle est morale et généreuse, mais aussi mêlée
de chimères dans son Télémaque, roman épique,
destiné à l'éducation du duc de Bourgogne. Cet ouvrage,
on respirent à la fois le christianisme et l'amour de l'Antiquité Massillon fut un orateur plus heureux encore
que Fénelon, s'il est, comme le dit Voltaire,
le prédicateur qui connut le mieux le monde. Mais il connut aussi
"ce que l'air de Versailles De l'Eglise Mme de Sévigné, La Bruyère, Saint-Simon, trois prosateurs de premier ordre, ont vu la cour, y ont vécu plus ou moins, en ont fait des peintures sans lesquelles tout un coté de la culture française et de sa vie surabondante dans un siècle admirable tout serait voilé. Curieuse sans passion, honnête sans pruderie, lettrée sans préciosité, spirituelle, éloquente sans apprêt, Mme de Sévigné, dans ses charmantes Lettres, ne connaît, après le plaisir d'adorer sa fille et d'épargner pour ses enfants, que ce de jouir d'une société élégante, polie, simple avec noblesse, la société du meilleur temps de Louis XIV, et celui de communiquer à ses correspondants et à nous-mêmes une part de son plaisir. La Bruyère,
philosophe par vocation et solitaire par goût, connut le monde de
Versailles Le mécontentement éclate sans mesure dans Saint-Simon, qui écrivait dans le secret de la solitude pour le temps où le prestige de la royauté et de cette société brillante qui l'entourait serait tombé. Assez d'écrivains se sont chargés de choisir dans le grand siècle ce qu'il y a de glorieux et d'utile pour la nation : Saint-Simon a pris le soin d'écrire toutes les vérités. Ses jugements ne sont pas les arrêts d'un juge, pas même les réquisitoires d'un accusateur public, mais les médisances violentes d'un témoin passionné. Sa plume n'a pas plus de frein que sa colère, et il jette ses portraits sur la toile avec une véritable fureur. Par là il a conquis une place unique dans la littérature française, car il a le style aussi déchaîné que la passion. II a fallu un renouvellement du goût et la grande liberté de jugement littéraire, pour mettre à son vrai prix et au rang très haut qu'elle mérite cette prose étincelante et fougueuse, sur laquelle n'a passé ni la symétrie de Fléchier, ni la sévérité de Bourdaloue, ni l'harmonie de Massillon, ni la concision de Montesquieu, ni la majesté de Buffon, ni la rapidité de Voltaire. (R.). |
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