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L'histoire de la Sibérie
Conquête et exploration
On a traditionnellement compris sous le nom de Sibérie (ou Sibir) les possessions russes en Asie, situées tant à l'Ouest qu'à I'Est  du continent, au Nord de l'empire chinois et du Turkestan. Dépourvue de traits physiques nettement tranchés, l'immensité sibérienne a été partagée quelque peu arbitrairement en deux grandes divisions, la Sibérie occidentale et la Sibérie orientale. Le fleuve Ienisseï sert de limite idéale entre ces deux sections. Une façon plus naturelle de diviser cette région aurait pu consister  à distinguer, selon la latitude et dans cet ordre, trois zones sensiblement différentes, portant chacune un nom caractéristique : au Sud les steppes; au centre, la taïga ou région forestière, de beaucoup la plus étendue; enfin, au Nord, les toundras ou déserts marécageux et glacés.

L'origine du nom russe Sibir, duquel on a fait dériver Sibérie (ou celui de Sibirie que lui préféraient Gmelin et Muller), a été l'objet de nombreuses discussions. Sibir est le nom de rivière qui se jette dans l'Irtych, au-dessous de la Ville de Tobolsk, et était aussi premier nom de cette ville. Mais le constater n'avance pas à grand chose. Le vocable était inconnu des peuples aborigènes de la Sibérie. D'aucuns le font dériver du superlatif du mot tatar bir ( = un, unique); d'autres supposent que le nom sibir n'est qu'une altération du mot siever (en russe nord).  Sibérie signifierait alors simplement Pays septentrional. D'après d'autres, enfin, le mot sibir serait une corruption d'Isker, résidence d'un sultan de la région de l'Irtych. C'était, aux débuts de l'occupation russe, la seule région connue et désignée sous ce nom. A la suite de l'extension de la domination russe, le nom de Sibérie fut successivement appliqué aux différents pays asiatiques conquis par les tsars.

La Sibérie et la Tartarie (Le monde turco-mongol) étaient connues des auteurs de l'Antiquité sous le nom vague et général d'Asia extra Taurum (Asie au-delà du Taurus). C'était la patrie de ces Scythes qui, selon Justin (L, 2, I), disputaient depuis la nuit des temps avec les Égyptiens, et l'on a parfois dit aussi que le Kamtchatka était peut-être ce qu'on appelait la Scythie inconnue. Au XVIIIe siècle, les Scythes sont très à la mode en Russie, à la suite de diverses découvertes archéologiques. Vers la source, du Ienisseï, en particulier, on trouva à cette époque, dans des tombeaux reconnus comme très anciens toutes sortes d'outils tranchants de cuivre. Les découvertes de telles tombes à tumulus, appelés kourganes, qui ne vont cesser de se succéder  par la suite marquent le début de la découverte de ce que l'on appellera plus tard la civilisation des Steppes. En attendant, la Sibérie reste un « continent noir-». Pour les Européens, pour les Russes qui, progressivement, vont investir ce très vaste espace, la Sibérie est encore cet abîme duquel ont surgi les Huns, et la plus grande partie des peuples barbares, quand la digue que formait l'empire romain s'est brisée et n'a plus empêché leur déferlement. Continent tout entier à découvrir, et à investir. 

Les deux plus anciennes cartes connues furent publiées, l'une, en 1525, par le géographe vénitien B. Agnese. La seconde, de 1555, est due à un sénateur de Dantzig, A. Wid. Ce fut l'Académie des sciences qui débuta dans la cartographie scientifique en publiant le tableau de soixante-sept positions astronomiques établies par Roumovski (1786). Les expéditions scientifiques dans l'intérieur de l'empire commencent réellement avec Pallas qui exécuta, vers la fin du XVIIIe siècle, divers ouvrages remarquables dans la Russie d'Europe, en Sibérie et dans le Caucase. Après avoir été l'apanage d'étrangers, la géographie de la Sibérie et des régions périphériques a été prise en charge par les Russes eux-mêmes (Fedchenko, Potanine, Prjevalski, Sievertzov, etc.), à qui sont dues par ailleurs les premières cartes fiables, à diverses échelles, des possessions russes, mais aussi des pays limitrophes Iran, Afghanistan, Chine, Tibet).

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Jalons
L'expansion des Européens.

L'histoire de la Sibérie se confond presque entièrement avec celle de la conquête de ce pays par les Russes. Les quelques vestiges archéologiques, découvertes depuis la fin du XIXe siècle, ne peuvent fournir que des indications très sommaires sur ce qui était autrefois la moitié septentrionale du continent asiatique. Quelques manuscrits, conservés dans les archives russes, se rapportent, d'ailleurs, tous plutôt aux humains, Samoyèdes, Tatars (Les Turks), qu'à la région habitée par ces peuples. L'une des plus anciennes cartes, sinon la plus ancienne, semble être la carte de la Tartarie, par H. Sydneu. Il est incontestable que, bien avant la conquête de Sibir par les Cosaques, la terre de l'obscurité était connue des Novogorodiens. Ces derniers, prétend-on, étaient déjà en relations commerciales avec les habitants d'au « delà de l'Oural », avec les « gens de l'Est », dans le courant du XIIe siècle. Vu l'ignorance des Européens, proches voisins des peuples sibériens, il n'y a pas lieu de s'étonner de la pénurie de documents écrits sur la région. Barents, le navigateur de la fin du XVIe siècle, visita bien le rivage Nord de la Sibérie. Il n'eut pas à entrer en relation avec ceux que l'on considère actuellement comme les aborigènes.

La « Conquête de l'Est »
Ce fut vers cette même époque que des bandes de Cosaques, commandées par un chef des plus entreprenants, Timotheévitch Ermak, fuyant devant les troupes régulières russes qui les pourchassaient, se réfugièrent sur les propriétés de la compagnie commerciale dirigée par les Stroganov, et situées dans l'Oural. Cette compagnie était une sorte de compagnie à charte, qui obtint, vers 1560, du tsar Ivan le Terrible, le droit de commercer dans le bassin de la Kama. Entrés au service de la Compagnie Stroganov, Ermak et ses partisans n'eurent rien de plus pressé que d'aller piller la demeure du sultan Koutchoum - l'ennemi éternel des chrériens orthodoxes - en résidence à Isker ou Sibir (à l'emplacement du Tobolsk actuel). La ville fut prise le 26 octobre 1581. Dès ce moment, la Sibérie fut possession russe. Les progrès de la petite troupe furent en effet assez rapides. Les indigènes, peut-être surpris par la brusquerie de l'attaque, résistèrent mollement. Les Cosaques, dans un but de pillage, probablement, n'eurent pas de peine à refouler les Tatars vers les steppes du Sud, et, bien qu'ils eussent été obligés de repasser l'Oural, la Russie ne négligea pas de revendiquer ses droits sur le pays ainsi conquis. Tioumen, fondé en 1586, et Tobolsk (Le Voyage en Sibérie de Chappe d'Auteroche) érigé sur l'emplacement de l'une des anciennes résidences du khan, en 1587, devinrent des points d'appui redoutables entre les mains d'une nation chrétienne. Ermak, tué dans une surprise par les Tatars, en 1584, sur les bords de l'Irtych, eut des émules. 

Les atamans Soukine, Miasnov, Tchoulkov continuèrent, à la tête de petites troupes de 300 à 500 hommes, l'oeuvre commencée par Ermak. D'autres campements ou ostrogs - réduits entourés de palissades, analogues aux forts de la compagnie de la baie d'Hudson -  Verkhotourié, Blein, Berezov, Sourgout, Obdorsk, Narym, Ketsk, Tara, furent édifiés en vue de se garantir contre un retour offensif des Tatars. Pas à pas, les troupes cosaques pénétrèrent ainsi en avant dans le pays. Tourinsk fut fondé en 1608, Tomsk en 1609, Ienisseïsk en 1617-18, Krasnoïarsk en 1626; l'année suivante, on atteignait l'Angara; en 1632 on fondait Iakoutsk. En 1636, le Cosaque Elisée Bouza descendit la Lena jusqu'à l'Océan, pendant qu'un autre chef cosaque, Jean Postnik, atteignait, par terre, la rivière Kolymna. Un autre encore, Erofeï Pavlovitch Khabarov, opère, avec une poignée de partisans, une descente vers le Sud et réussit a s'établir dans le bas Amour (1649 -53). En 1652, fondation d'Irkoutsk; en 1656, de Nertchinsk; en 1699, conquête du Kamtchatka. En 1708 fut organisé un gouvernement de Sibérie, avec Tobolsk pour capitale; en 1719, une province d'Irkoutsk; en 1806, un gouvernement général de Sibérie, dédoublé en 1822

L'occupation des steppes kirghiz, dans le Sud-Ouest. de la Sibérie, ne put être faite, toutefois, que dans le courant du XVIIIe siècle. Ce fut le prélude de la pénétration russe dans l'Asie centrale. L'occupation s'est opérée sans coup férir, graduellement. Dans le bassin de l'Amour, aussi, les Russes se heurtèrent contre les Mandchous (Les Toungouses) qui venaient de conquérir la Chine. Ceux-ci ayant été à leur tour absorbés par les Célestes, les Russes n'eurent pas beaucoup de peine à obtenir, d'abord, de ces derniers la rétrocession des provinces du Nord (provinces de l'Amour) et du littoral situé au Sud du fleuve, occupées en 1852 et abandonnées par la Chine lors des traités du 28 mai 1858 et du 14 novembre 1860, puis, des Japonais, en échange des îles Kouriles, les parties méridionales de l'île Sakhaline (28 août 1875).
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L'autre « Frontière »

Lorsqu'ils investissent la Sibérie, les Russes se confrontent à des populations très diverses : Finno-ougriens (Ostiaks, Vogouls, Samoyèdes, etc.), Turks (Tatars, Kirghiz, Ouzbeks, etc.), Mongols (Bouriates, Kalmouk, etc.), peuples paléoarctiques (Tchouchtches, Kamtchadales, etc.). Ces populations ont également des modes de vie très divers : les Samoyèdes, les Ostiaks pêcheurs, les Vogouls sont nomades. On trouve aussi des nomades agriculteurs parmi les montagnards de l'Altaï, ainsi que chez les Bouriates et les autres Mongols. Les Kirghiz, qui forment la population la plus nombreuse, sont en majeure partie éleveurs et nomades, et tendront toutefois, sous la pression russe, à devenir sédentaires tout comme les Tatars de la Sibérie centrale. 

Au point de vue des cultes, la majeure partie des habitants indigènes de la Sibérie pratiqueient des religions chamanistes. La religion bouddhique avait conquis le plus grand nombre de ses adhérents parmi les Bouriates. L'Islam, prêché par des émissaires venus de Boukhara (Le Kharezm et les khanats ouzbeks) et d'autres points du centre asiatique, avait fait des progrès immenses parmi toutes les autres populations, et particulièrement parmi les Tatars et les Kirghiz. Seuls, les Ostiaks et quelques peuplades finnoises avaient été sensibles à la religion chrétienne. L'activité des missionnaires orthodoxes ne remontait, d'ailleurs, qu'à environ 1830

Progressivement soumises au Russes, ces populations n'ont pas seulement vu leur mode de vie changer. Leur démographie a été profondément affectée. Ainsi, dans le district de Touroukhansk, la population indigène a diminué de deux tiers durant les années 1763 à 1816. En 1744, on comptait 20 000 Kamtchadales des deux sexes; ils n'étaient plus que 2 760 en 1823, et 1969 en 1850. Les Vogouls, dont on comptait encore en 1859, 4 527 individus, n'étaient plus, en 1875, que 3 913. Les guerres de tribus à tribus, la petite vérole, le scorbut, la syphilis - peut-être aussi les liqueurs fortes introduites par les Russes et diverses répressions opérées par le vainqueur - n'ont pas été étrangères à la lente décroissance des populations sibériennes, quand ce n'est pas simplement à la disparition de certaines d'entre elles (Omaks, Koths, Khoidams, Chelagues, Anuïtes, Matores, Assans). 

Au XIXe siècle, la progression des Russes en Sibérie rappelle la « conquête de l'Ouest » qui se livre au même moment en Amérique. Il convient de noter cependant, que la situation était assez différente auparavant. La conquête de la Sibérie par les Russes ne pouvait pas avoir les mêmes conséquences pour les peuples asiatiques qu'eut l'arrivée des Européens sur le continent américain et en Australie, simplement parce que pendant longtemps les civilisations russe et asiatiques n'étaient pas si éloignées l'une de l'autre - aux XVIIe et XVIIIe siècles du moins.

La colonisation.
Mais la véritable conquête du pays, la conquête économique du moins, s'est opérée par la colonisation, laquelle, à l'instar de ce qui s'est passé dans les colonies anglaises de l'Australie, a eu un caractère double : colonisation libre et colonisation forcée, ou déportation.

Colonisation libre. - Les premières colonisations du pays furent celles des conquérants. Les détachements de Cosaques, partis pour opérer des razzias, étaient suivis d'ecclésiastiques, de paysans, de citadins. Les Cosaques, de leur côté, les opérations de guerre terminées, redevenaient forcément agriculteurs, puisque le pays ne renfermait aucune provision abondante, et la culture était une nécessité de subsistance. Le gouvernement russe, de son côté, dès le début du XVIIe siècle, encourageait l'immigration des agriculteurs en leur fournissant le transport gratuit. Les nouveaux arrivés bénéficiaient aussi d'une exemption d'impôts durant les trois premières années de leur établissement. Une autre catégorie de paysans venaient peupler les solitudes de la Sibérie. C'étaient surtout des serfs qui fuyaient le régime du servage, des jeunes hommes désireux de se soustraire à la conscription. Des mesures administratives, aussi nombreuses que divergentes, n'eurent pourtant aucune influence réelle sur la colonisation libre, et, vers le milieu du XIXe siècle (1851), le nombre des habitants de la Sibérie était à peine de 2 400 000 individus. L'émigration vers la Sibérie prit un essor particulier dans la seconde moitié du XIXe siècle; d'abord, à la suite de l'abolition de l'esclavage; en second lieu, par la nécessité réelle de trouver de l'espace, des terrains propres à nourrir une population surchargée. 

Réduits souvent à la plus profonde misère, à la disette même, tant à la suite de plusieurs mauvaises récoltes que par une surabondance de population, les paysans de tous les coins de la Russie d'Europe cherchent à se donner de l'air. La perspective d'une longue distance à franchir ne les rebute nullement, convaincus qu'un « ailleurs » quel qu'il soit sera toujours préférable à un « ici », invivable. Des comités philanthropiques s'étaient formés, en outre, tant dans la Russie d'Europe qu'en Sibérie, pour faciliter aux émigrants le long passage. Les débuts de ces exodes en masses ont été désastreux. La moitié des émigrants périssaient en route. Ceux qui parvenaient à destination étaient épuisés de fatigues et de privations avant de pouvoir choisir le lieu de résidence. Il convient d'ajouter que la plupart des émigrants se faisaient suivre par leurs familles. Femmes et enfants étaient entassés dans de misérables charrettes, exposés à toutes les rigueurs d'un climat inclément. 

Des mesures préventives durent être prises. Par la suite, lorsque plusieurs familles d'un canton ou volost exprimeront le désir d'émigrer en Sibérie, on les invitera d'abord à se concerter sur le district qu'ils veulent choisir pour résidence, et si l'on juge que l'autorisation pourra être accordée, on fera désigner aux émigrants un ou deux délégués qui seront chargés de visiter le pays et reviendront rendre compte à leurs mandataires de la valeur du terrain choisi. Ils pourront ainsi prendre une décision en connaissance de cause. Les statistiques établissent que, durant les années 1887-95, la Sibérie a reçu 94 000 familles russes, comprenant 467 000 personnes. Les travaux du chemin de fer entrepris en Sibérie ont fourni un nouvel essor à l'émigration; on admet qu'à partir de 1897, le nombre d'immigrants dépassait annuellement le chiffre de 200 000 (206 000 en 1898, 225 000 en 1899). Un effort fut également consenti à cette époque par le gouvernement russe pour transformer la Sibérie d'autrefois -  pays de bagne et d'exil - en territoire productif, capable d'un développement économique. Dans le but d'encourager la coIonisation,  un décret impérial accorda, au mois de juillet 1898, pour la durée de dix années, le droit de franchise pour toutes machines et outils de provenance étrangère à destination de la Sibérie. Le délai de dix ans a été jugé suffisant pour encourager l'importation de l'outillage nécessaire à l'agriculture et son installation. 

Colonisation pénale. - Un autre contingent considérable à la population de la Sibérie fut fourni par les colons forcés ou déportés. La déportation de criminels en
Sibérie commença vers la fin du XVIe siècle (1593); elle fut introduite dans la législation russe, comme système de répression, par le tsar Alexis Mikhaïlovitch, en 1648. Entièrement abolie par un oukase (= décret) de Nicolas II, en 1899, la Sibérie aura donc existé, comme terre d'exil ou bagne, exactement durant deux siècles et demi.

Dès cette époque, le nom de Sibérie devint synonyme de bagne ou de terre infernale. D'abord simple lieu d'internement pour les individus coupables d'une faute légère, la Sibérie fut désignée, sous Pierre le Grand (L'Empire de Pierre), pour recevoir les condamnés aux travaux forcés. L'abolition de la peine de mort, en 1753, par l'impératrice Élisabeth (Le Printemps des tsarines), et son remplacement par la déportation en Sibérie, fut le point de départ d'une recrudescence dans le peuplement de ce pays. 

Un autre élément à la déportation fut fourni par les diverses insurrections. Les prisonniers de guerre (Suédois, Polonais) furent également expédiés en masse sur les divers points de la Sibérie. La moyenne annuelle du chiffre des déportés, de 1850 à 1890, fut de 19 000, y compris des milliers d'enfants qui suivaient leurs parents. Le lieu de l'internement variait avec la gravité de la faute commise. Les degrés de la pénalité consistaient : 

1° en exil simple, avec facilité de circuler dans tout le territoire;

2° relégation ou résidence forcée dans une région déterminée;

3° travaux forcés.

La poésie et les légendes populaires n'ont pas peu contribué à rendre redoutable aux Russes cette terre d'exil. Mais ce qui frappait particulièrement les esprits, c'étaient les récits des longues marches des condamnés, obligés de traverser à pied, chargés de chaînes, les longues distances qui séparaient le lieu d'internement de l'intérieur de la Russie d'Europe. Un tableau peint par un étranger et représentant la lamentable procession de ces infortunés fit - à en croire du moins la propagande tsariste - une impression douloureuse sur l'esprit de Nicolas  ler , qui ordonna, vers 1850, de faire faire désormais aux prisonniers le chemin par voies ferrées et par eau. On évaluait cependant en 1900 le nombre des déportés à 200 000 en Sibérie, non compris leurs familles.
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La vie intellectuelle

Les conditions de peuplement de la Sibérie ont certainement contribué à retarder le développement intellectuel de différentes parties de la Sibérie. Celui-ci a cependant a pris à partir de la seconde moitié du XIXe siècle une extension considérable, grâce à l'émergence d'une intelligentzia sibérienne, aisni qu'aux efforts des mécènes (Yadrintzev, Sibiriakov), voire au bon vouloir des autorités centrales. Ainsi, les voyageurs occidentaux ne seront pas peu surpris de rencontrer dans certaines villes, parfois après un voyage de plusieurs semaines à travers les forêts du Nord, des cercles amicaux où sont discutés les mérites littéraires ou artistiques d'une oeuvre parue peu de temps auparavant dans l'une des capitales de l'Europe. 

Mais la plus grande somme du bien-être relatif de la Sibérie à partir de cette époque, comme aux connaissances géographiques que l'on commence à avoir du pays, est due à une véritable pléiade de savants exilés sur la terre de Sibérie pour des raisons d'ordre politique et qui ont fait montre d'une féconde activité. Etudiants compromis dans des troubles universitaires (Kropotkine, Potanine), Polonais exilés pour des manifestations séparatistes, trouvaient dans l'étude et dans l'exploration une consolation dans leur solitude. 

Une forte rivalité exista longtemps entre les villes de Tomsk et d'Omsk pour l'honneur de posséder l'Université de Sibérie, créée grâce aux efforts persévérants de quelques Sibériens. Cet honneur échut finalement à la ville de Tomsk. L'inauguration de l'Université (10 / 22 juin 1888) fut une fête pour toute la Sibérie. L'établissement était dû presque entièrement à la libéralité de quelques particuliers (Demidov, Tziboulski, Sibiriakov) et de diverses associations littéraires qui se sont chargées de couvrir les frais de construction (un peu plus de 400 000 roubles) et d'assurer diverses bourses aux étudiants nécessiteux.

Le temps des explorations

Intiment liées à l'expansion commerciale, presque toutes les tentatives d'exploration de la Sibérie - comme d'ailleurs la conquête du pays par les Cosaques - ont été faites par voie d'eau. L'histoire conserve peu de données sur la participation des Russes à l'ouverture de la Sibérie au commerce européen. Les efforts tentés par les Novogorodiens (XVIe siècle) se concentraient, comme il a déjà été dit plus haut, sur les voies terrestres, à travers l'Oural. En l'an 1600, le prince Chakhovski, accompagné d'une centaine de Cosaques, descendit l'Ob à partir de Berezov; mais les barques furent assaillies par des Samoyèdes, et la petite expédition, à moitié détruite, dut chercher son salut dans la fuite. Une autre  expédition fut organisée l'année suivante, sous les ordres du prince Mossalski, qui parvint cette fois à  l'embouchure du Taz et y fonda la ville de Mangazea. Cette ville n'eut d'ailleurs qu'une très courte durée. Détruite par un incendie en 1640, ses habitants se réfugièrent à Tourkhansk et à Ienisseïsk. Les essais de pénétration faits par des commerçants de nationalité étrangère (européenne) furent plus importants. Des trois bâtiments qui faisaient partie de l'expédition (1553) de Sébastien Cabot, l'un, commandé par Chancellor, put pénétrer jusqu'à l'embouchure de la Duna septentrionale. Son retour en Angleterre fut marqué par la formation de la célèbre association commerciale connue sous le nom de «-Muscovy Company », qui reçut de nombreux privilèges de la part des deux gouvernements, mais dont les opérations n'eurent pas beaucoup de succès. 

La mer de Kara  resta obstinément fermée aux diverses autres expéditions qui se sont  succédé depuis : expéditions des Anglais Pet et Jackman (1580), expédition d'Hudson (1608). Les autres expéditions, jusqu'à la fin du XIXe siècle même (expédition de Nordenskjöld sur la Véga, 1878), ne visèrent plus qu'à l'ouverture ou à la découverte, d'un passage Nord-Est. Mais pour ce qui intéresse particulièrement la Sibérie, deux faits semblent dès cette époque destinés à opérer une transformation des plus heureuses dans les relations du Nord de la Sibérie avec le reste du monde, ainsi que dans la mise à profit de ses vastes réseaux fluviaux. Déjà, en 1862 et en 1869, à la suite d'une forte prime promise au navire qui pénétrerait dans le Ienisseï par la mer, promesse faite par un riche Sibérien, Sidorov, les Anglais tentèrent de pénétrer dans ce fleuve, mais sans succès. D'autres essais, également infructueux, furent faits en 1878 et en 1887. Mais ces insuccès n'ont pas découragé les Anglais, et une nouvelle tentative fut faite en 1896. Cette fois trois vapeurs réussirent à pénétrer jusqu'à Touroukhansk, à  200 lieues de l'estuaire de l'Ienisseï. Là, la cargaison fut déchargée sur de grandes barges que des remorqueurs ont conduites jusqu'à Krasnoïarsk. La tentative fut renouvelée, en 1897 et en 1898, avec le même succès. Le nombre de vapeurs fut d'abord doublé, puis triplé, et quelques-uns pénétrèrent aussi dans l'Ob qu'ils remontèrent jusqu'au delà d'Obdorsk. Afin d'encourager cette intéressante entreprise, le gouvernement supprima totalement les droits de douanes sur tous les articles importés en Sibérie par la voie de l'océan Arctique.

Un autre fait de presque égale importance à cette même époque est l'invention par  Komarov des navires brise-glace, expérimentée avec succès par l'amiral Makarov; ces navires sont d'abord destinés  à la navigation dans la mer de Kara, libre de glace durant deux mois de l'année seulement. Ils doivent servir également de transports sur le Baïkal durant la saison d'hiver. 

On ajoutera pour terminer, que la Société impériale russe de géographie, qui avait son siège à Saint-Pétersbourg, fut  souvent chargée de l'organisation et de l'équipement des nombreuses explorations scientifiques qui ont sillonné l'empire russe et une grande partie du continent asiatique durant toute la seconde moitié du XIXe siècle. Des sections de cette société furent établies sur différents points du territoire, en Europe et en Asie. On a  notamment procédé sous sa conduite à des levers des côtes Nord de la Sibérie, et des expéditions scientifiques bien outillées qui ont étudié les régimes des différents cours d'eau. Le service hydrographique de la marine s'occupant activement à dresser les cartes des principaux fleuves, des travaux de balisage, des phares, etc. (P. Lemosof).



En librairie - John Dundas Cochrane, Récit d'un voyage à pied à travers la Russie et la Sibérie tartare, de la mer de Chine au Kamtchatka, Ginkgo, 2002. - Comte Henry Russell, 16 000 lieues à travers l'Asie et l'Océanie, t. 1 : Sibérie, Mongolie, Chine, Colonies australiennes, Princi Neguer, 2002. 

Peuples du Monde, Mongolie, Sibérie, Mandchourie, L'Adret, 2000. - Myriam Kissel, Un été en Sibérie, Société des écrivains, 2000. - Charles Wenyon, A travers la Sibérie par la route de la malle-poste, Olizane, 2000. -Antoine Garcia et Yves Gautier, L'exploration de la Sibérie, Actes Sud, 1999.

- Zoya Abramova, L'art paléolithique d'Europe occidentale et de Sibérie, Jérôme Millon, 1998. - Collectif, La Sibérie, La Documentation française, 1997. - Theodor Kröger, Le village oublié, bagnard en Sibérie (1914-1919), Phébus, 1997. - Françoise Hugier et Gérard Lefort, En route pour Behring, notes de voyage en Sibérie, Maeght, 1994. - A. Max, Sibérie, ruée vers l'Est, Gallimard, 1976.

Fedor Dostoievski, Carnet de Sibérie, L'Herne, 1996. - Maurice-Auguste Beniowski, Mémoires et Voyages (3 tomes, trad. du polonais par Eric Morin-Aguilar), Editions Noir sur Blanc, 1999. 

- Sibérie légendaire (Niourgoun le Yakoute, guerrier céleste), CILF, 1990. - Collectif, Contes de Sibérie, Gründ, 1980. - Collectif, Sibérie, paroles et mémoires, Publications langues'O / Inalco  (Slovo vol 28-29).

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