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Le Voyage en Sibérie de Chappe d'Auteroche

Un expédition pour observer 
le passage de Vénus devant le Soleil
Aperçu

Première partie : Le voyage

Le trajet jusqu'à Tobolsk
Le séjour à Tobolsk
Tableau de la Sibérie
Sterlets, zibelines, moustiques...
L'état de la Russie
Sur les chemins de Tartarie
La fin d'une aventure

Deuxième partie : les résultats

La géographie
La géologie et les mines
L'électricité atmosphérique
Le passage de Vénus

Arrière-plans

La Russie au XVIIIe siècle
La découverte de la Sibérie


Aperçu 
Le dernier passage de la planète Vénus sur le disque solaire a eu lieu cette année, le 8 juin 2004. L'événement a attiré tous les curieux du ciel, mais n'a pas eu   l'importance qu'ont eu dans les siècles passé les précédents  passages de Vénus sur le Soleil. Après que Gregory ait proposé, dès 1663, de mettre à profit ces événement rares pour calculer la distance de la Terre au Soleil; puis que Halley ait élaboré, en 1716, la première méthode de ce calcul, il fallut encore attendre le passage de 1761, pour que l'entreprise fut enfin possible. Comme ce sera encore le cas lors des passages suivants - en 1769, 1874 et 1882 -, plusieurs grandes expéditions furent alors entreprises à travers le globe pour observer l'événement. Maskelyne partit à à Ste-Hélène, Pingré à l'île Rodrigues (Océan indien), Le Gentil essaya d'atteindre l'Inde, Mason s'en fut au Cap de Bonne-Espérance, John Winthrop à Terre Neuve; d'autres astronomes sont envoyés en Laponie, au Kamtchatka et en Sibérie. Parmi ces derniers, Chappe d'Auteroche, qui fut délégué par l'Académie des sciences à Tobol'sk (Tobolsk), à l'époque la capitale de la Sibérie. C'est une version abrégée du récit de ce voyage, où il est à vrai dire,  davantage question de Sibérie - territoire particulièrement dépaysant pour notre auteur - que d'astronomie, que l'on trouvera sur ce site. 

L'abbé Chappe d'Auteroche parcourut huit cents lieues en traîneau pour se rendre de Saint-Pétersbourg à Tobolsk, et dans ce rapide voyage, qui dura douze jours environ, pas une heure ne s'écoula sans que le voyageur n'éprouvât les craintes les plus sérieuses sur le sort des instruments de précision qui devaient servir à l'accomplissement de sa mission scientifique. Il arriva néanmoins heureusement en temps utile, grâce à son initiative et à son énergie. Les autorités russes, plus tard très hostiles, lui furent à ce début favorables, et son observatoire s'éleva bientôt sur une colline voisine de la cité. Ses instruments furent déballés avec un soin méticuleux; ils se dressèrent bientôt dans un bâtiment convenablement installé, grâce à l'horloger qui l'accompagnait, et ses travaux commencèrent.

Le jour dit, les autorités ecclésiastiques et militaires de la province furent invitées par l'académicien à assister à ses observations; des tentes bien closes avaient été préparées pour les recevoir. L'inconstance du climat de la Sibérie lui faisait redouter l'échec jusqu'au dernier instant. Le ciel lui fut finalement favorable, et l'astronome pu revenir en France, via Pétersbourg sans encombre. On peut contester aujourd'hui (et la critique moderne n'a pas manqué de le faire) l'exactitude des observations de l'abbé Chappe; mais il reste l'essentiel : le tableau que Chappe nous brosse de cette Russie du XVIIIe sièclesi méconnue des Européens, si dépaysante aussi pour notre auteur, tout imbu qu'il est - et parfois en mauvaise part! - des préjugés des Lumières. 

Le récit de l'expédition fut publié six ans environ après son retour en France sous le titre : Voyage en Sibérie fait en 1761, contenant les mœurs et usages des Russes, la géographie, l'histoire naturelle, les observations astronomiques de ces contrées, etc. Paris, 1768, 3 vol. in-4°, fig et cartes. Le premier volume était consacré au voyage proprement dit, le second reprenait une description du Kamtschatka traduite du russe de Krascheninnikof, complétée d'informations (de seconde main) recueillies par Chappe sur la Sibérie orientale, et le troisième rapportait les résultats scientifiques de l'expédition.  Cet ouvrage, traduit en plusieurs langues, fut abrégé et publié à Amsterdam, l'année suivante, en 4 vol. in-12.). Sa lecture dont la fastidieuse intégralité n'intéresserait aujourd'hui que des spécialistes, aussi n'en proposons-nous ici également qu'une  version, qui reprend en partie le texte de Chappe lui-même, mais aussi les travaux faits par Deleyre puis La Harpe, qui ne sont le plus souvent que de la paraphrase, mais au moins par cela même donnent, nous semble-t-il, une image fidèle du récit original.

On trouvera donc bien ce qu'il fit voir, en son temps, à l'Europe, ce que les tsars, et désormais Catherine II, cachaient au monde, et l'on pourrait peut-être ajouter à elle-même (Catherine II entre ombre et Lumières). Il dévoila l'horrible façon dont on traitait des populations, et, bien qu'il ne fut pas une grande plume, il le fit avec une sorte d'éloquence dont l'impératrice de Russie se montra blessée peut-être avec excès. Le luxe typographique avec lequel fut publié le Voyage de Chappe, les gravures en taille-douce, exécutées avec un soin méticuleux - où l'on ne peut que remarquer aussi au passage le goût insistant de notre abbé pour la représentation de femmes dénudées! -, et dramatisant parfois avec exagération certains détails du texte, émurent outre mesure le caractère naturellement irascible de la tsarine.

Pour réfuter le livre de Chappe, Catherine II fit publier un ouvrage très curieux dont bien peu de personnes connaissent aujourd'hui l'existence, mais dont quelques éditions peuvent encore se trouver. Ce livre, d'une critique acerbe, écrit en français, porte au titre : Antidote ou examen du mauvais livre superbement imprimé, intitulé : Voyage en Sibérie en 1761, par Chappe d'Auteroche, Paris (Amsterdam), 1768, 2 vol. in-8. II fut reproduit de nouveau en 1771 et 1772. Le titre, on le voit, suffit pour faire comprendre dans quel esprit de lutte acrimonieuse il fut composé. On y lit beaucoup de mauvaise foi, mais aussi quelques vérités. De fait, Chappe n'était pas au-dessus de toute critique. Certes, il stigmatise avec raison la manière dont la Russie est maintenue par le régime inique des tsars sous la botte du servage, mais ne prive pas, lui de traiter à coups de poings ses propres domestiques. Quant aux savants de Russie, à l'en croire ils sont inexistants! Lui, l'esprit finalement bien médiocre, qui singe si bien l'esprit des Lumières, plus qu'il ne s'y inscrit en vérité, ne voit dans les Russes que des imitateurs sans génie. Il est sans doute exact que la politique de modernisation de son pays par Pierre Ier avait consisté s'inspirer largement des les technologies disponibles en Occident (L'empire de Pierre), mais avec Chappe, intoxiqué par la lecture de Montesquieu, l'imitation devient  une tare congénitale dont seraient affligés les peuples des climats froids. Lomonossov est cité une fois, par inadvertance, dirait-on! Et au détour d'une phrase, il nous apprend que l'Académie de Saint Pétersbourg a envoyé à Tobolsk des astronomes pour y observer le même événement que lui, mais une fois sur place on le croirait seul au monde, confronté à une population de sauvages qui le prennent pour un magicien...

Quoi qu'il en soit, l'abbé Chappe, on en a la preuve, ne s'émut pas outre mesure des reproches qu'on lui faisait. L'état du ciel l'occupait ordinairement beaucoup plus que la situation politique de la Terre. Un an après que son livre eut paru, le phénomène céleste qu'il était allé observer en Sibérie devait se renouveler, et la Californie était propre surtout à l'observer. Notre savant avait huit ans de plus sur la tête qu'à l'époque de son séjour à Tobolsk; mais son ardeur pour les voyages, loin de diminuer, s'était accrue. On sait qu'elle lui fut fatale. Chappe ne fut pas plus tôt arrivé au lieu désigné par l'Espagne, alors propriétaire de la Californie, pour opérer ses observations, qu'il se sentit atteint par les fièvres épouvantables qui désolaient parfois ces contrées. Un nouvelle fois, il réussit à observer malgré tout le phénomène. Quelques jours plus tard, étendu douloureusement sur un hamac emprunté à de pauvres Indiens, alors qu'il calculait les phases d'une éclipse de Lune, sa main défaillante laissa échapper la feuille où il traçait ses chiffres, et il expira. (M.P.).



En bibliothèque - Gianluigi Goggi, Alexandre Deleyre et le Voyage en Sibérie de Chappe d'Auteroche : la Russie, les pays du Nord et la question de la civilisation, dans Sergueï Karp et Larry Wolff (édit.), le Mirage russe au XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire, Centre international d'étude du XVIIIe siècle, 2001. - Chappe d'Auteroche, Voyage en Sibérie (prés. Madeleine Pinault Sørensen), SVEC, 2004.

En librairie - Arkan Simaan, La science au péril de sa vie, les aventuriers de la mesure du monde, Vuibert, 2001. - Hélène Carrère d'Encausse, L'impératrice et l'abbé, Fayard, 2003.

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Dictionnaire Le monde des textes
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