 |
Les
Hioung-Nou
L'établissement des Hioung-nou dans le
Nord de l'Asie peut remonter au delà du XIIIe
siècle av. J.-C. Sous les Tchéou, ils avaient alors le nom
de Hien-youn; l'appellation Hiounq-nou est la dernière, celle qu'ils eurent
sous les Han. On trouve aussi, Ã partir du Ier
siècle, l'expression de Kiang-nou. Leur empire s'étendit un
moment depuis la mer d'Okhotsk jusqu'au mont Altaï et même jusqu'à l'Oural
(laïkh); ils tenaient tout l'occident de l'Asie, d'où leur nom (impropre)
qu'on leur a donné jadis de « Tatars occidentaux », par rapport aux
Topa, aux Sien-pi, aux Jou-jouen, qui étaient les « Tatars orientaux
». Les Hioung-nou ont été une cause perpétuelle de troubles et de guerres
pour la Chine .
Quoique plus puissants et plus importants que la Chine, qui ne se composait
alors que de quelques provinces, ils ne nous ont laissé jusqu'ici aucun
monument écrit de leur langue et de leur histoire, et les Chinois, qui
étaient plus civilisés, les considéraient toujours comme des Hou,
c.-à -d. des peuples barbares. Ils furent obligés cependant de ménager
leur puissant ennemi et d'engager avec eux, Ã diverses reprises, des relations
pacifiques et même des alliances.
Le chef suprême des Hioung-nou portait
le titre de tengrikoutou shen-yü (fils du ciel, majestueuse grandeur),
abrégé en shen-yü ou tan-jou, et les impératrices leurs
femmes, celui de yen-chi (épouses?) Le tanjou était choisi dans
la famille Sien-pi des Hou-yen, qui était la plus noble et qui tenait
toujours la gauche (l'Occident), c.-Ã -d. avait le pas sur les autres;
le prince héritier avait le titre de «-hien-wang
(sage prince) de la gauche », et tous les officiers de la cour
formaient une hiérarchie puissamment organisée. Le tanjou résidait dans
le mont Inshan (au Nord-Est de la ville actuelle de Koueï-hoa-tcheng),
un des rameaux de l'Altaï, vers les sources de l'Irtich, qui servait de
frontière aux Hioung-nou du côté du Nord-Ouest. Le tanjou traitait de
pair avec l'empereur de la Chine
dont il se considérait comme l'égal, et lorsque les deux souverains s'écrivaient,
c'était sur des tablettes d'une dimension déterminée et avec ce protocole
:
«
Le grand tanjou des Huns, engendré du ciel et de la terre, établi par
le soleil et la lune, prie respectueusement l'empereur de la Chine, etc.
»
Plus tard, le tanjou recevait un sceau d'investiture
du Céleste-Empire. Les relations historiques certaines entre les deux
puissances ne remontent qu'Ã l'an 210 av. J.-C.
A cette époque, le tanjou des Hioung-nou était Teou-men; c'est du moins
le premier empereur de cette nation dont le nom soit parvenu jusqu'Ã nous.
Mo-thé (ou Mé-té), son successeur, de 206
à 174 av. J.-C., fit de grandes conquêtes
l'empire chinois, après de violentes agitations, venait de passer aux
mains de Kao-hoang-ti, fondateur de la dynastie des Han.
A peine était-il sur le trône que Mo-thé l'attaqua, vint mettre le siège
devant la ville de Ma-yé (auj. So-ping fou). La ville fut prise et le
tanjou pénétra dans le Chensi jusque près de Singan-fou avec 300 000
Huns.
Kao-ti ne put résister et il n'obtint
la paix qu'en donnant en mariage une de ses filles. Dans la suite, de fréquentes
alliances eurent lieu entre la Chine
et les barbares, mais les auteurs chinois prennent soin de nous dire que,
pour éviter de donner des princes de sang royal aux souverains de Tartarie ,
on leur envoyait le plus souvent des filles d'esclaves.
Vers l'an 175
avant notre ère les Hioung-nou chassèrent les Yue-tchi du
Kansou et du Chensi, où ils étaient établis depuis longtemps, et les
forçaient à se réfugier dans l'Ouest, du côté du lac Balkhach et de
l'Ili. Déjà les Yue-tchi avaient été molestés par Mothé, mais un
de ses successeurs, Lao-tchang, ayant tué leur roi et fait de son crâne
une coupe à boire, les Yuetchi s'enfuirent au delà de Ta-ouan (Matouanlin,
trad. St. Julien et Specht). Les Yue-tchi expulsèrent à leur tour les
Sse ou Sakas et, franchissant l'Yaxarte, conquirent la Sogdiane et la Bactriane .
A la même époque, le tanjou renversa la puissance des Tatars orientaux;
les restes de cette nation se retirèrent, les uns dans les monts Wou-houan
(au Nord de Pékin), dont ils prirent le nom;
les autres, dans les monts Sien-pi, dont ils prirent également le nom,
Plus à l'Ouest, les Wou-soun (ou Wou-siun), alliés des Hioung-nou, s'établissent
dans le Nord-Ouest, entre l'Irtish et le pays du Kiptchak jusqu'Ã la Mer
d'Aral ,
à peu près à l'époque où les Yue-tchi descendent en Transoxiane .
Les Wou-soun étaient, comme les Alains
et d'autres peuples, des iraniens et non des turco-mongols; leur chef portait
le titre de kounmi et sa résidence était sur le bord de l'Ili;
le pays des Wou-soun était appelé en chinois Koun-mi-koué, « le royaume
du Koun-mi ».
Les Chinois cherchèrent à faire alliance
avec les Wou-soun, pour les détacher complètement des Hioung-nou, et
ils leur dépêchèrent à cet effet le fameux Tchang-kien, le premier
explorateur chinois des contrées occidentales. Les Fils du Ciel entretenaient
soigneusement, dès cette époque, des relations commerciales et politiques
avec les peuples occidentaux de la Tartarie ,
de la Transoxiane
(Kang-kiu), de la Perse (Po-sse), mais les Hioung-nou, qui occupaient le
territoire intermédiaire, cherchaient à intercepter les communications,
c'est ainsi que Tchang-kien fut retenu prisonnier dix ans par le tanjou
(139 Ã 129),
avant de pouvoir remplir sa mission auprès des Wou-soun et des Yue-tchi.
En l'an 70 av. J.-C., les Wou-houan
se révoltent contre la domination des Hioung-nou et violent les tombeaux
des tanjou, principalement celui de Mo-thé. Faisant reculer les Hioung-nou
de plus de cent lieues à l'occident, ils deviennent les maîtres du territoire
que ceux-ci avaient abandonné. Un peu plus tard,
les Sien-pi aidèrent les Chinois à se défaire des Wou-houan (54
av. J.C. ), mais ces derniers redevinrent
très puissants jusqu'à leur destruction définitive, en 207
ap. J. C.
Vers l'an 43
de notre ère, l'empire des Hioung-nou est divisé en deux royaumes : Hioung-nou
du Nord et Hioung-nou du Midi. En l'an 65,
les Hioung-nou du Nord, alliés à ceux du Midi, ravagent le Chensi et
le Hami, mais ils furent battus et obligés de regagner leurs provinces
du Nord; poursuivis par Teou-hien, général chinois, leur pays est entamé,
et à la suite d'une grande défaite à la montagne de Kiloushan, le tanjou
s'enfuit dans l'Ouest. Ainsi finit, en l'an 93,
l'empire des Hioung-nou du Nord. Deux cent mille Hioung-nou se soumirent
à la Chine ,
mais les autres tribus qui ne firent pas leur soumission franchirent l'Altaï
et un immense espace de près de 500 lieues, pour venir camper dans les
steppes de l'Oural et le pays des Bachkirs. Ils fondèrent ainsi, sur les
frontières de l'Asie et de l'Europe, un nouvel empire des Hioung-nou ou
« Hioung-nou occidentaux », qui fut gouverné aussi par des tanjou et
dura plusieurs siècles. Les auteurs chinois mentionnent ce nouvel empire
sous le nom de « royaume des tanjou », ayant sa principale demeure dans
le Yue-pan, aux sources du fleuve Iaikh (Oural), mais ils ne nous ont laissé
aucun détail sur l'histoire de cette contrée, avec laquelle, vu l'éloignement,
ils n'avaient aucune relation.
On a pu dire que ce sont ces Hioung-nou
occidentaux, mélangés de Ouïgours,
Onogoures, Sien-pi et autres tribus turques, qui ont envahi l'Europe sous
le nom de Huns. Quoi qu'il en soit, le premier résultat de l'arrivée
de ces populations, dont on pourra au moins admettre, qu'elles ont été
"mises en mouvement" par les Hioung-nou, sur les confins de la Russie fut
de chasser à leur tour les peuples qui y étaient établis et de les pousser
vers le Sud. Ces peuples étaient les Alains
(A-la-ni des Chinois), et nous savons, en effet, par les auteurs latins,
que les Alains apparaissent dans le Caucase ,
entrent en Médie
et se trouvent en contact avec les Parthes
en 78 et avec les Romains, sous Marc-Aurèle,
en 168. Cent ans plus tard, sous Gordien
III, ils pénètrent en Macédoine
et peu à peu dans le reste de l'Europe. Vers l'an 290,
Tiridate, roi d'Arménie, avait dans son armée un corps d'armée d'Alains
et de Huns (d'après Faustus de Byzance, qui écrivait vers 350);
c'est la plus ancienne mention des Huns; leur roi s'appelait Sanesan (Moïse
de Khoren le nomme Sanatroug). En 317,
Chosroès
Il d'Arménie épouse Sathinik, fille du roi des Alains. On voit déjà ,
par ce premier mouvement des Alains sous la poussée des transfuges Hioung-nou,
que les invasions ultérieures des peuples barbares sur l'Europe et l'Asie
antérieure ne seront que le contre-coup des révolutions des autres peuples
de l'Asie.
Pendant que se forme à l'Ouest le royaume
des Huns occidentaux avec les débris des Hioung-nou du Nord, les Hioung-nou
méridionaux occupaient le pays de Chensi et leur tanjou, Hieou-lan-chi,
reçut 34 000 familles pour sa part dans l'ensemble des Huns du Nord qui
avaient fait leur soumission en 93.
En 125 de J.-C., invasion des Sien-pi
devenus à leur tour très puissants, des Wou-houan et des Kiang. Peu Ã
peu, l'empire des Huns méridionaux va en s'affaiblissant et leurs tanjou
ne sont plus que des instruments dans les mains de la Chine .
En 206, l'empire chinois se disloque
lui-même et se divise en trois royaumes : les Weï (Goeï) dans le Nord,
les Wou au Sud et les Petits-Han dans l'Ouest. En 207,
les Weï s'attaquent à différentes tribus voisines, notamment les Wou-houan,
qu'ils soumettent successivement; ce fut bientôt le tour des Huns méridionaux
: après une longue résistance, leur dernier tanjou, Wou-tchou-tsien,
se rendit à la cour du Fils du Ciel et fit sa soumission; l'empire des
Hioung-nou méridionaux fut détruit (221).
Une partie des habitants resta disséminée dans les provinces du Kansou
et du Chensi, le surplus se réfugia dans l'Ouest et alla rejoindre les
Huns de la première migration de l'an 93.
Vers 225, les Sien-pi descendent dans
le centre de l'Asie et occupent le territoire des Hioung-nou; ils fondent,
sous le nom Tho-pa (Topa, Tubat) et de So-teou, un immense empire qui,
cent ans plus tard, en 320, s'étendait
du fleuve Ili au fleuve Amour .
(Le nom de Sien-pi est resté lui-même dans celui de Sibir Sibérie).
Mais en l'an 360
une poussée considérable se fait sentir vers l'Ouest par l'arrivée de
nouveaux peuples turcs appartenant aussi aux Sien-pi et connus dans l'histoire
sous le nom de Jouen-jouen, Jou-jou, Geou-gen, Jou-jouen ( Les
Toungouses). Les Sien-pi sont chassés et leur empire détruit à son
tour, en 390. Les Jou-jouen deviennent
peu à peu maîtres de toute la Tartarie ,
avec Karakoroum pour une de leurs capitales, au Nord. Leurs chefs avaient
aussi le titre de tanjou. L'un de ces rois, Tou-loun, échange, vers l'an
402,
le titre de tanjou contre celui de khaqan
(en chinois kho-han) dont l'étymologie est incertaine, mais qui est devenu
depuis le nom du chef suprême de toutes les tribus tatares.
Tou-loun fut un grand conquérant et un
législateur, sous son règne, l'empire des Jou-jouen s'étendait depuis
la Corée
,jusqu'à l'Europe; il comprenait même un moment le pays des Bachkirs,
où étaient les Huns occidentaux; nul doute que c'est à la présence
de ces nouveaux venus qu'il faille attribuer l'invasion d'Attila,
vers 430. C'est également à cette
époque que les Kidarites et les Ephthalites (Huns blancs) font leurs migrations,
ainsi qu'on le dira plus loin. Les historiens chinois nous ont conservé
la liste de tous les khaqans des Jou-jouen jusqu'Ã la destruction de l'empire.
C'est sous O-na-hoeï et Ngan-lo-tchin que les Turks Tou-kioue s'emparèrent
du pays des Jou-jouen et firent un grand massacre des habitants (552
à 554). Les Tou-kioue devinrent ainsi
maîtres de tout le Nord de l'Asie, le centre de la Kashgarie. Après cette
victoire sur les Jou-,jouen, ils franchirent I'Yaxarte et, d'accord avec
Chosroès
Anouchirvân, roi de Perse ,
mirent fin également à l'empire des Huns Ephthalites dans la Transoxiane
(557). Les Jou-jouen s'enfuirent sous
la conduite de princes nommés War et Khouni, qui avaient le titre de khaqan;
c'est de là que vient la désignation de Warkhouni ou Warkhonites, sous
lequel ils restèrent connus des Ouïgours,
des Sabirs, des Turks. Mais quand ils pénétrèrent en Europe, ils prirent
le nom d'Avars (Abares) qui avait
été, paraît-il (ce point d'histoire est obscur) celui d'une autre nation
qui avait laissé en Tartarie
un souvenir de terreur et de domination. Nous retrouverons plus loin ces
Avars, ceux que Simocatta (VII, 7) appelle de faux Avars, Pseudônymoi.
Les
Huns d'Europe
Revenons maintenant aux Huns d'Europe :
nous commencerons qu'à la deuxième moitié du IVe
siècle, négligeant les incursions qu'ils ont faites sur le
territoire romain avant cette époque. Les Huns n'apparaissent en réalité
dans l'histoire que vers 375, au moment
où, franchissant le Tanaïs (le Don) qui leur servait de limite, ils se
jettent en Germanie et sur l'empire romain. Ammien
Marcellin, qui a été contemporain de leur arrivée, nous a
laissé une description très détaillée et très exacte du physique,
des moeurs et des usages de ce peuple. De même Claudien,
qui écrivait vers l'an 400, Sidoine
Apollinaire vers 460, Zozime vers
480
et Jordanès (Jordanis) vers 550
de J.-C. Tous concordent pour nous représenter les Huns sous les formes
les plus hideuses : la taille courte, la tête écrasée le teint noir,
les yeux petits et enfoncés, la figure tailladée ils passaient leur vie
à cheval, où ils semblaient comme cloués, equis propè affixi,
suivant l'expression d'Ammien; au moral, ils avaient évidemment aux yeux
de nos auteurs tous les vices et toutes les férocités de la barbarie,
omnem modum feritatis excedunt. Au point de vue des moeurs et de la
manière de combattre, les renseignements que nous donnent les contemporains
ressemblent à tout ce que nous savons par les Chinois et les Arabes sur
les diverses tribus tatares de l'Asie vivant de la vie nomade, errant dans
les montagnes et dans les plaines, suivis de nombreux troupeaux et transportant
avec eux toute leur famille dans de grands chariots, d'où l'appellation
chinoise Tche-sse, que l'on a prise pour un nom de peuple et qui n'a pas
d'autre sens que celui de « armée de chars » appliqué à diverses tribus
nomades.
Jordanès nous a conservé les noms des
premières tribus des Huns qui franchirent le Palus Méotide, ce sont :
les Alipzures, les Alcidzures, les Itamares, les Tuncasses et les Boïsques;
Balamber ou Balameir était un des chefs de ces tribus. Ce furent les Alains
qui reçurent le premier choc. Le nom d'Alains
est encore une appellation générique sous laquelle Ammien désigne tous
les barbares asiatiques depuis le Pont-Euxin ,jusqu'au Gange : c'était
un peuple très remuant qui depuis plus de trois siècles tenait toute
l'Europe orientale. Ils sont mentionnés à l'époque de Vologèse et de
Domitien.
Mais les Alains proprement dits, les A-la-ni des Chinois, remarquables
par leur chevelure blonde, leurs yeux bleus (crinibus mediocriter flavis,
dit également l'auteur latin), habitaient la Russie orientale, le nord
et l'orient de la mer Caspienne, d'où ils furent chassés dès le Ier
siècle par les Hioung-nou. L'appellation d'Alain s'étendit
à d'autres peuples; ainsi aux IIIe
et Ve siècles
comme c'étaient les Arands Yue-tchi ou Kouchans qui étaient maîtres
de tout le pays entre la Caspienne, l'Indus et le Gange, il est certain
que dans les expressions d'Ammien : diffusi per populosas pentes et
amplas... adusque Gangen, il faut faire entrer les Kouchans.
Quant aux Alains d'Europe, ceux qui campaient
entre l'Oural, la Caspienne et le Dniepr, ils se trouvèrent, en même
temps que les autres barbares, voisins du Tanais et du Borysthène, les
premières victimes de la grande invasion hunnique de 375
(Huns et Sien-pi) qui fut, comme on l'a vu, la conséquence de l'arrivée
des Jou-jouen. Les Alains, les Ostrogoths,
les Goths sont vaincus successivement. La nation des Scires qui faisait
partie de celle des Alains et qui vivait en bonne intelligence avec les
Romains sur les bords du Borysthène (
l'inscription d'Olbiopolis) est également écrasée par les Huns vers
410.
D'après Sozomène, ces derniers, sous la conduite
de Uldès, leur chef, se jetèrent sur les Scires et en firent un grand
carnage. Ceux qui purent échapper se réfugièrent à Constantinople
et ils s'établirent ensuite dans la Mésie inférieure. Le roi de ces
Scires s'appelait Candax. En même temps que les Huns de Balamir et d'Uldès
ravageaient l'Europe, une autre branche de la même famille se jetait en
Mésopotamie et venait faire le siège d'Edesse,
mais ils furent vaincus en 384 par
Richimer, général de Théodose. Les auteurs
byzantins qui rapportent cette expédition dirent que ces Huns étaient
les Ephthalites (Huns Blancs); c'est une expression impropre et une erreur
(qui est fréquente du reste chez les historiens byzantins et arméniens),
car les Ephthalites n'apparaissent que plus tard. Les mêmes Huns reviennent
quelques années après, ravagent de nouveau l'Arménie, la Mésopotamie,
la Syrie qui leur sont livrées « par la fourberie de l'hyparque Rufin
et du stratelate Adée », dit Josué le Stylite (qui écrivait en
515). Les Huns se présentèrent devant
Ctésiphon, mais ils furent repoussés par Bahram IV (396).
La seconde invasion
des Huns : Attila.
Vers 430 a lieu la seconde invasion des
Huns, la plus terrible et la plus célèbre, sous la conduite d'Attila
(on en a vu les détails sous ce mot). Les Huns d'Attila sont, comme ceux
de Balamir et d'Uldès, des Hioung-nou; leur arrivée en Europe coïncide
avec les grands mouvements des peuples tartares qui eurent lieu dans la
Haute-Asie au commencement du Ve
siècle à la suite des conquêtes de Tou-loun. Pendant que
les Huns Hioung-nou ébranlaient l'Europe, d'autres tribus prenaient le
nom de Huns, chassés également par les Joujouen, se répandaient dans
le Sud de l'Asie : c'est en effet l'époque où l'on voit s'établir les
Ephthalites dans le Turkestan ,
le Kaboul et jusqu'en Inde
sous le nom de Hunas, pendant qu'une autre branche des Huns franchissait
Ie fleuve Oural et pénétrait en Europe; une partie restait le long de
la Caspienne et de la Volga sous le nom de Kidarites et le surplus venait
se joindre aux Huns des précédentes invasions. C'est ainsi que se forma
cette masse énorme de 6 ou 700 000 barbares qui se jetèrent sur l'empire
d'Occident en 430, conduits par la
famille d'Attila. Les chefs de cette famille étaient Moundioukh et Roua
(ou Hroua); après leur mort, en 430,
les frères plus jeunes, Octar et Oébarsios, cédèrent la couronne Ã
leurs neveux Bleda et Attila, fils de Moundioukh
l'aîné. Bleda et Attila régnèrent ensemble pendant quelques années
et ravagèrent toutes les provinces romaines d'Orient au Sud du Danube.
Ce fut à ces deux princes que Théodose Il
envoya les députés Plintha et Epigène pour négocier le honteux traité
de Margus (près de Belgrade )
par lequel les Romains s'engagèrent à payer un tribut annuel de 700 livres
d'or (433).
Bleda et Attila s'occupèrent alors, dit
Priscus, de la soumission des nations scythiques parmi lesquelles il mentionne
seulement les Sorosgues dont l'origine est inconnue. D'après de
Guignes, Attila aurait même envoyé des ambassadeurs à la Chine
afin de s'assurer sa neutralité, mais il est peu probable qu'Attila ait
été connu des Chinois; car son nom Etel n'est pas mentionné dans les
annales
du Céleste-Empire. En tout cas, quoique l'histoire soit muette à cet
égard et que nous n'ayons que le témoignage de Priscus, il est possible
que les sept ou huit années qui s'écoulèrent entre le traité de Margus
et la rentrée en scène d'Attila furent employées
à la conquête de toute l'Europe orientale et septentrionale. A la suite
de nouveaux ravages des Huns en Pannonie ,
en Thrace et jusque près de Constantinople,
Théodose
traita de nouveau avec eux en 442.
C'est alors qu'Attila fit assassiner son
frère Bleda afin d'être seul maître de réaliser ses vastes projets
sur l'occident de l'Europe. A ce moment sa puissance était immense et
s'étendait sur toute la Scythie jusqu'à la Baltique et à la Scandinavie
où le souvenir de Etzel est resté. Il régnait presque seul dans le monde,
suivant l'expression de Jordanès : Attila
Hunnorum omnium dominus solus in mundo regnator. Le portrait que cet
auteur latin nous a laissé du grand conquérant est bien conforme à celui
que l'on va se faire durablement des envahisseurs tartares : petit de taille,
la poitrine large, une tête démesurée, les yeux enfoncés, la barbe
rare, les cheveux grisonnants, le nez écrasé, le teint basané; à côté
de cela la démarche fière, le regard méfiant : superbus incessu,
huc atque illuc circumferens oculos. Personnellement, Attila
semble n'avoir pas eu toute la férocité que les auteurs anciens attribuent
à son peuple; un poète latin anonyme le représente comme un prince magnanime,
toujours prêt à accorder la paix, quoique terrible pour ses ennemis.
Théodose
lui ayant envoyé pour le flatter un diplôme de général des armées
romaines, Attila accepta, mais en ajoutant que cela n'empêchait pas de
combattre les Romains, car il avait pour esclaves des rois supérieurs
aux empereurs.
Avant d'attaquer l'Empire, il fit la guerre
aux Akatzires qu'il n'avait pas encore pu dompter. Ce peuple, que Jordanès
appelle Agazziri, et qui descend peut-être des Agathyrses d'Hérodote,
de Pline, de Pomponius Mela
et de Ptolérnée, occupait ainsi que les ltemesti
les bords de la Volga et du Tanaïs, et leur chef s'appelait Kouridach.
Attila les vainquit; mais plus tard, en 168,
on retrouve ces mêmes Akatzires alliés aux Saragoures contre les Perses .
Radlof pensait que les Akatzires sont les Aghatchari de Reshid
eddin, tribu turque-occidentale qui tirait son nom d'un des fils d'Ogouz
Khan et qui était venue en Europe avec les Huns; H. Howorth en a fait
des Khazars ( Les
Turkmènes) : Akatzire serait pour Ak-katzir « les Khazars blancs
», de même que les Saragoures seraient les Sari-ouïgours ou « ouïgours
blonds ». Comme les Khazars et les Ouïgours
sont des Turks, les Akatzires seraient donc
aussi des Turks comme les Huns; Priscus les enveloppe du reste tous sous
cette dernière appellation.
Les Akatzires furent vaincus par Attila
qui leur donna pour chef son fils aîné Ellac. A l'époque de l'ambassade
de Maximin relatée par Priscus, en 449,
le fils du roi des Huns accompagné d'Onegèse ou Onesige, un de ses officiers,
partit pour prendre possession de son nouveau royaume qui comprenait les
Akatzires et d'autres populations habitant la Scythie pontique. C'est en
l'année 447 qu'Attila, suivi d'une
armée formidable et de nombreux vassaux, entra sur les terres de l'Empire
par la Mésie ,
la Dacie ,
la Thrace
et l'Illyrie ;
après une lutte malheureuse, Théodose demanda
la paix; elle fut conclue en 448 Ã
des conditions honteuses. L'année suivante, l'empereur envoya une ambassade,
dont le chef était Maximin, auprès d'Attila dont le camp était entre
la Theiss et le Danube, près de l'actuelle Budapest.
Le but secret de la mission ôtait d'assassiner le roi des Huns; le complot
fut découvert et Attila se contenta d'exiger un nouveau tribut et des
réparations purement morale. Priscus a laissé,
sur cette ambassade dont il faisait partie, un récit des plus intéressants
contenant des détails curieux sur la famille d'Attila, l'état social
et les moeurs des Huns. Cette relation a été traduite par Guizot.
En 450, Attila envahit la Germanie,
traverse le Rhin et entre en Gaule; on sait qu'il fut vaincu par Aetius
dans les champs Catalauniques ,
en 451, qu'il se jeta ensuite en Italie
qui fut ravagée jusqu'à Rome et qu'il mourut
dans son camp, près de Pest, en 453,
très probablement de mort violente, ainsi qu'en témoignent la plupart
des historiens et les légendes scandinaves et germaniques.
Après la mort de ce conquérant, ses fils
ne purent s'entendre sur le partage des peuples soumis. Les diverses nations,
Goths,
Gépides, Ruges, Hérules,
Sarmates,
Alains,
Suèves, en profitèrent pour secouer le
joug et s'entre-déchirer. Après plusieurs combats, les Gépides vainquirent
les Huns dans une sanglante bataille en Pannonie
près d'un fleuve inconnu que Jordanès appelle Netad; 30 000 Huns furent
tués, Ellac y perdit aussi la vie; ses frères se réfugièrent sur les
bords du Pont-Euxin; Hernac, le plus jeune, choisit les bouches du Danube;
quatre autres, Emnedzar, Uzindur, Uto et Iscalm s'établirent dans la nouvelle
Dacie
(Dacia ripensis); et, au siècle suivant, les descendants de ces Huns s'appelaient
Sacromontisii
et Fosatisii, vraisemblablement du nom de leurs lieux d'habitat.
En même temps les Sarmates, mêlés de Huns et de Gemandres, s'installaient
en Illyrie ,
les Scires, les Alains et les Satagares, en Mésie, les Ruges choisirent
les villes inconnues de Biozimata et Scandiopolis en Norique ;
les Gépides, enfin, occupèrent la Dacie ancienne au delà du Danube.
Tous ces barbares se soumirent à l'Empire et prirent le nom de confédérés
foederati.
Ces détails se trouvent dans Jordanès. Le même auteur nous apprend aussi
que les Ostrogoths, qui étaient restés fidèles vassaux des Huns, obtinrent
de l'empereur Marcien de s'établir le long et au Sud du Danube depuis
Sirmium
jusqu'à Vindobona (Vienne) et à l'orient jusqu'à la Mésie, servant
d'avant-garde pour défendre les frontières.
En 454
ils furent attaqués par des Huns qui avaient franchi le Danube, mais ces
derniers furent vaincus, obligés de repasser le fleuve et de se réfugier
vers cette partie de la Scythie arrosée par le Danube qui était appelé
dans leur langue Hunnivar. Quelques années plus tard, en 462,
ces mêmes Huns reparaissent sous la conduite de Dengisikh pour venir au
secours des Huns Satagarii établis dans la Pannonie
intérieure et que les Ostrogoths avaient attaqués; les Huns sont de nouveau
battus et rejetés au delà du Danube en même temps que les Suèves
de Germanie qui occupaient la Bavière .
D'après Jordanès, les tribus hunniques qui
avaient pris part à cette expédition sous le commandement de Dengisikh
(qu'il appelle Dinzio étaient celle des Ulzingures, les Bittugores, les
Angiscires et les Bardores. Les deux premiers noms sont des composés du
mot ouïgour, d'où il faudrait conclure que c'étaient des tribus d'origine
turque mélangées aux Huns. Ce mélange des deux populations hunnique
et ouïgoure paraît avoir formé le mot Hunugari qui, dès le VIe
siècle, sert à désigner les peuples de la Hongrie actuelle.
En même temps que les frontières de l'empire
romain ont à subir ces attaques posthumes des Huns de Dengisikh, d'autres
populations également d'origine turque chassées par d'autres barbares
qui habitaient, dit Priscus, sur les rives de l'Océan, franchissent la
Volga, chassent les Akatzires et les Avares
et finalement envoient des ambassadeurs à l'empereur Léon pour demander
son alliance; ces peuples sont les Saragoures, que nous avons déjà rencontrés,
les Ougores (Ougôroï au lieu de Ougôgoï qui est une faute
de Priscus) et les Onogoures. Les Ougores sont encore les Ouïgours
et les Onogoures sont les On-ouïgours (ou les dix tribus).
En 470,
nouvelle guerre entre les Romains et les Huns de Dengisikh; elle finit
par le massacre de ces derniers. Priscus ne dit pas ce que devint leur
chef, mais la Chronique Pascale, qui appelle Dinzirichos le fils
d'Attila, nous apprend qu'il fut tué peu après et sa tête apportée
à Constantinople au milieu du cirque.
A la suite de ces divers insuccès, les Huns d'Attila disparaissent (en
tant qu'acteurs politiques identifiables comme tels) de l'histoire et même
de leur territoire qui se trouve peu à peu occupé par les Bulgares, peuple
turk
venu de la Volga, sans doute bien proche des Huns proprement dits, et qui
jusqu'au XIIIe siècle continua d'habiter
tout le Sud de la Russie et le Bas-Danube. Les auteurs byzantins les appellent
les Honogonduras et Hounnoboundoboulgares, mot bizarre qui
semble indiquer le mélange de divers peuples, Huns, Bulgares et Slaves,
qui occupaient les rives du Pont-Euxin.
Les Huns Kidarites.
En 464,
l'empire d'Orient et les Perses
se trouvent aux prises avec une autre famille de Huns que Priscus, leur
contemporain, appelle Huns Kidarites, sur le sens exact duquel il est difficile
d'être bien fixé. Priscus, du moins, semble confondre sous cette appellation
les Huns du Caucase
et ceux du Turkestan .
Etaient-ils de la même famille? D'après ce qui a été dit ci-dessus,
on a vu qu'au commencement du Ve
siècle les Jou-jouen chassèrent devant eux de nombreuses tribus
de Hioung-nou qui quittèrent le Nord et le centre de l'Asie pour se retirer
vers la mer d'Aral .
Là ces peuples se divisèrent en deux branches : l'une traversant les
steppes entre la Caspienne et les monts Oural descendit le long de la côte
occidentale de cette mer jusqu'au Caucase; l'autre branche se dirigea vers
le Sud, franchit l'Yaxarte et pénètra dans la Sogdiane ou Transoxiane
où les Grands Yue-Tchi ou Kouchans étaient établis depuis cinq siècles.
Ces Huns du Sud sont les Hoa, Hoatun ou Ye-ta-i-li-to des Chinois, Huns
blancs ou Ephthalites des Byzantins, Haïéthal des Arabes, des Persans
et des Arméniens. Les Huns du Caucase n'ont pas d'appellation spéciale;
on devrait leur réserver celle de Kidarites qui, malgré la confusion
de Priscus, semble être leur désignation plus particulière. En 464,
au moment où l'auteur grec en parle pour la première fois, il y avait
près d'un demi-siècle que ces deux familles de Huns inquiétaient les
frontières de la Perse, soit du côté de l'Oxus et du Khvârizm (Huns
Ephthalites), soit du côté des Portes Caspiennes
au Nord du Caucase
(Huns Kidarites), car les limites de l'empire sassanide
allaient jusque-là . En effet, en 427,
les Ephthalites sont aux prises avec Bahram V Gour qui les défait à la
bataille de Koushmihan, près de Merv, et leur impose un traité; en 456,
ils aident à leur tour Peroze à conquérir son royaume sur Hormisdas
II.
Priscus ne dit rien de ces événements
qui se trouvaient sans doute consignés dans les livres perdus pour nous
de son histoire, mais il nous raconte la campagne de 464
dirigée par Peroze contre les Huns du Caucase
à propos du fort Iouroeipaach (en arménien Virapahak « rempart d'Ibérie
») qui défendait les défilés contre les invasions des Alains, des Huns
et, plus tard, des Khazars. L'année suivante, le théâtre de la guerre
est transporté sur les frontières du Khorassan
ou le roi Konkhas, chef des Ephthalites, est victorieux. En 472,
sous l'empereur Léon, Priscus mentionne une défaite des Huns Kidarites
et la prise de leur ville Balaam. Saint Martin pense que cette place est
la Varatchan des auteurs arméniens dans le Caucase (c'est à tort que
Noeldeke, qui confond les Kidarites avec les Ephthalites, voit la ville
de Balkh
dans Balaam). Pour Priscus, il s'agit toujours des Huns Kidarites (il est
du reste le seul auteur qui emploie cette expression) et on voit que par
ce mot il entend à la fois les Huns du Caucase et ceux de la Transoxiane .
Est-ce à dire qu'il faille en tirer une conclusion au point vue ethnographique
et établir une identité absolue entre ces deux branches de Huns? Il est
difficile de se prononcer. Saint Martin pense que le mot Kidarites doit
être réservé pour désigner les Huns du Caucase appelés aussi Tetraxites,
mais Noeldeke, induit sans doute en erreur par Priscus, est d'avis que
les Kidarites sont les mêmes que les Ephthalites, et A. Cunningham, partageant
cette dernière opinion, a vu dans le mot Kidarite pour Hidalite une altération
de Haïethal.
Au sujet de l'étymologie du mot nous ferons
remarquer que les Petits Yue-tchi ou Kouchans de l'Inde
avaient pour chef un certain Kidara (transcrit Kitolo dans les annales
chinoises) qui, de nom propre, est devenu le titre de la famille régnante
à Peshawar et dans le Pendjab pendant plusieurs siècles, et que le même
mot Kidara se rencontre sur des monnaies de l'Inde frappées par les Kouchans
postérieurs. Il est très possible qu'il n'y ait aucun rapport à établir
entre les Kidarites et les Petits Yue-tchi et que l'existence du mot Kidara,
commune à ces deux peuples si différents, prouve simplement que ce vocable
tartare, dont nous ignorons le sens, appartiendrait, comme tant d'autres,
à la langue de plusieurs peuples. Notons enfin (pour montrer la confusion
des auteurs byzantins), que l'historien Jean d'Antioche,
qui vivait au VIIe
siècle, se sert, pour désigner les Ephthalites, de l'expression
de Huns Kadisènes, par souvenir sans doute des Kadusiens, anciens peuples
de la Médie au Sud du Caucase ,
les Kadesh des Arméniens. Nous retrouvons les Huns Kidarites du Caucase
en 502, Ã propos du fort de Virapahak
: Ambazouk, leur chef, s'était emparé du défilé et avait offert de
le vendre à Anastase qui refusa « vu la difficulté (dit Procope)
d'entretenir une garnison dans un lieu désert du territoire de l'Empire
». Après la mort d'Ambazouk, les Perses
reprirent possession de la forteresse. Le voyageur juif Pethakhia constate
au XIIe siècle
l'existence d'une tribu des Kidar le long du Pont-Euxin.
Les Huns Sabires.
En l'année 515,
une invasion considérable de barbares, venus de l'autre côté du Caucase ,
jette l'épouvante sur l'Arménie ,
le Pont ,
la Cappadoce
et jusqu'en Galatie .
Les Byzantins ne se défendirent pas, mais les Arméniens résistèrent
et le marzban Mejej, prince de la famille des Grousinians, infligea Ã
ces barbares une série de défaites et les culbuta de l'autre côté du
Caucase, sauvant ainsi l'Arménie et les provinces persanes de la Caspienne.
Les auteurs arméniens désignent ces nouveaux envahisseurs sous le nom
de Huns; mais Théophane, Malala et autres nous apprennent que c'étaient
des Huns Sabires.
Ils étaient déjà connus du temps de
Priscus qui les cite comme ayant été chassés par les Avars
des steppes du Don et de la Volga, et Jordanès
les appelle Saviri. En 522, leur chef
Ziligdès (ou Zilgibis qui rappelle le Silgibou, Silziboul des Turks de
570),
ayant trahi à la fois Justin et Kobâd, fut mis à mort par ce dernier.
En 528, c'était la reine Boazer (selon
l'orthographe de Paul Diacre) qui commandait aux Sabires; elle était veuve
de Balakh et Malala lui donne le titre de regissa « « reine ». A la
tête de 100 000 hommes, elle marche à la rencontre de deux rois qui appartenaient
à d'autres tribus hunniques et qui traversaient ses Etats pour se joindre
aux armées de Kobâd. Les noms de ces rois sont Styrax ou Tyranx et Glonès
ou Glom. L'un fut tué et l'autre pendu par ordre de Justinien.
Les Sabires vécurent en bonne intelligence avec les Grecs. A la même
époque, les Huns du Bosphore
et de la Chersonèse Taurique
s'étant révoltés sous la conduite de Mouager ou Mougel, furent obligés
de quitter leur territoire et de s'enfuir dans le Nord. En 530,
on trouve dans l'armée romaine un corps d'alliés huns commandé par Sounika
et Askhan; Procope les appelle les Huns Massagètes;
c'étaient probablement des Kouchans. En 550,
les Sabires interviennent dans la guerre entre Justinien et Khosroès
et construisent des machines de guerre; en 551,
ils figurent encore, mais ils disparaissent, en 558,
devant les invasions des Avares avec lesquels ils finissent par se mélanger.
Les Sabires sont des Ouïgours et par suite
des Turks. Jordanès nous dit en parlant d'une certaine famille de Huns,
qu'ils sont appelés les uns Saviri, les autres Cutziagiri. Ces derniers
sont les mêmes que les Koutrigoures dont on parlera plus loin.
Les Huns Avars.
Les Avars
ou Avares étaient une population turque
que les Byzantins rangeaient parmi les
Huns. Ils habitaient d'abord les steppes situées au Nord du Caucase; de
là , poussés en avant par d'autres populations turco-mongoles, ils se
répandirent sur les bords du Don et de la Volga. Cette émigration eut
lieu en 558.
Deux ans après, les Avars avaient déjà éprouvé l'attraction de ce
sol romain, sur lequel se précipitaient tour à tour toutes les populations
asiatiques. Attirés par cette terre où le butin repoussait après chaque
ravage, pressés par les populations de l'Est, qui les poursuivaient toujours,
les Avars soumirent en passant plusieurs groupes d'Alain et de Turks occidentaux;
en 560, ils étaient sur le Danube et envoyaient des ambassadeurs à l'empereur
d'Orient.
Baïan, était le
chef ou khagan des Avars; devenu l'allié
de l'empereur, il combattit ses ennemis, subjugua les Bulgares,
les Ahtes, les Tchèques ( Les
Slaves), les Gépides, repoussa les
Francs
austrasiens, envahit et ravagea le pays des Slaves méridionaux; ce qui
ne l'empêchait pas, quand l'occasion s'en présentait, de lâcher sur
les possessions impériales ses hordes de brigands. Il ravagea la Thrace
en 619,
et assiégea Constantinople en 626. Après la mort de Baïan, la domination
des Avars subsista encore longtemps dans
les deux Pannonies .
Ils furent alors combattus par Charlemagne,
qui stoppa leur progression vers 790.
Il y a encore aujourd'hui,
au Nord du Caucase
oriental, une tribu lesghienne qui porte le nom d'Avars, et qui descend
peut-être de l'antique peuple dont nous venons d'esquisser l'histoire.
Les Huns Koutrigoures.
Ils étaient une tribu "de la même nation
que les Huns", dit Agathias, leur contemporain
(né en 536), et elle se divisait en
plusieurs familles : les Koutrigoures, les Outigoures, les Oultizoures
et les Bourougoundi; ces derniers avaient disparu au temps d'Agathias,
mais les Koutrigoures et les Outigoures étaient très puissants en l'année
pendant laquelle la peste ravagea Constantinople,
c.-Ã -d. en 557 ( Les
pestes au Moyen âge ).
On a vu plus haut que les Koutrigoures étaient appelés Cutziagiri par
Jordanès et qu'ils étaient parents des Sabires. Kutri ou Kutzi est, d'après
Radlof, une altération de Tocr; les Tocrouïgours ou Tokouzouïgours sont
les neuf tribus; les Onogoures sont les dix tribus; les Oultizoures ou
Oltuzouïgours et les Outigoures sont les trente (otus) tribus. C'étaient
tous des Ouïgours, et par conséquent des Turks.
Zabergan était le chef des Huns Koutrigoures,
et Sandikl le roi des Outigoures. Le mot Zabergan parait signifier
« le Khan Zaber ». Radlof l'explique par l'ouïgour Tchak-bergan, «
don du Temps », et le mot Sandikhl ou Sandilkh par le turc santillik,
« doué de plusieurs langues ». Les Outigoures étaient alliés et protégés
des Romains qui les excitèrent à faire la guerre à leurs compatriotes;
mais Sandikl trouva, suivant les expressions de Menander, qu'il n'était
ni juste ni digne d'attaquer des hommes de la même nation, parlant la
même langue, ayant la même vie. Zabergan, apprenant les intentions de
Justinien
et mû aussi par le désir du pillage, quitta les bords du Pont-Euxin,
franchit le Danube avec une nombreuse cavalerie, pilla la Mésie et la
Thrace, et vint camper aux portes de Constantinople
(559). La ville fut sauvée par Bélisaire,
mais les Huns continuèrent de ravager la péninsule
des Balkans
et la Chersonèse
de Thrace ,
et l'empereur ne put les éloigner qu'en leur payant une forte indemnité
et en faisant construire sur le Danube une flotte destinée à empêcher
les barbares de passer le fleuve. Peu après, il mit les Outigoures aux
prises avec les Koutrigoures, et les deux peuples se détruisirent; ils
perdirent jusqu'Ã leur nom, dit Agathias, et
se confondirent avec d'autres nations qui s'emparèrent de leur pays. Il
en subsista encore quelques restes, mais trop faibles pour inquiéter l'empire
dont ils devinrent les alliés; du temps d'Héraclius, vers 618,
on vit un chef de Huns venir à Constantinople demander le baptême et
embrasser le christianisme ,
avec les principaux de ses sujets. Ce fait est rapporté par le patriarche
Nicéphore, historien du XIIIe
siecle.
Lors du voyage de Valentin en ambassade auprès des Turks, en 580,
il traversa le pays des Outigoures, soumis aux Turks, et dont le chef était
Anagaios. A partir du VIIe
siècle, toutes ces différentes tribus ouïgoures
ne sont plus mentionnées par les historiens; elles perdent sans doute
leur individualité et se mêlent aux divers peuples sarmates,
bulgares, débris de Huns, Esclavons, Slaves qui vivaient au Sud du Danube
et ont formé plus tard des nationalités distinctes.
Les
Huns blancs
Les Huns blancs sont ceux que les auteurs
byzantins appellent les Ephthalites; cette appellation vient, d'après
Procope
de ce que ces Tatars avaient la peau blanche par opposition aux premiers
Huns d'Attila, aux Huns du Caucase
et aux Avars qui avaient la peau, les yeux et les cheveux noirs. Nous ne
sommes pas en mesure de vérifier cette assertion, ni de distinguer, au
point de vue anthropologique, les Huns blancs des Huns proprement dits.
Le
nom de Ephthalite a été écrit très diversement, suivant les auteurs;
il est le même que les Euthalides, Scythes blancs de Théophane; Nephthalites,
Hidalites, Hidarites, Talites, Eleuthes de différents historiens; Haïetal,
Heïtaliens des Arabes; Yetal, Aïetal, Aïetala, Attila de quelques auteurs
modernes; Hephthag, Idalagan, Thedal, Thedalatzi des auteurs arméniens;
Abdèles de Théophylacte, etc. Après la chute du royaume des Ephthalites,
les auteurs arméniens et arabes continuent à désigner les Turks par
l'expression impropres de Heithal, de même qu'ils donnent le nom de Turks
et le titre de Khakân aux Kouchans et pour des époques antérieures de
plusieurs siècles à l'apparition des Turks. Cette confusion chez les
historiens orientaux a été cause de toutes les erreurs ethnographiques
que l'on trouve chez les historiens postérieurs.
Sous le rapport ethnographique, il est possible
que ce soit des peuples tout à fait différents, comme il est possible
aussi que les mots Huns blancs, Huns noirs (comme plus tard les Turks du
mouton noir et du mouton blanc, les Kirghiz blancs et les Kirghiz noirs,
les Khazars blancs et les Khazars noirs) soient tout simplement tirés
de la couleur des tentes et des étendards de ces nomades. Le géographe
Cosmas,
qui écrivait, comme Procope, au milieu du VIe
siècle, parle également des Huns blancs, mais comme habitant
une partie de l'Inde
sous le nom de Hounie : ce sont ceux que les chroniques de l'Inde désignent
sous le nom de Hounas.
Les Hounas.
Les Hounas correspondent aux Hûna ou
Huns blancs de l'Inde .
C'est sous ce nom qu les textes sanscrits de l'Inde désignent une certaine
tribu étrangère venue du Nord-Ouest et qui envahit la péninsule au Ve
siècle de notre ère. On suppose que ce sont les mêmes que
les Huns blancs ou Ephthalites qui, chassés du Kansou et du Turkestan
oriental et ne pouvant franchir les sommets inaccessibles du Tibet ,
se jetèrent dans la Transoxiane
et au delà dans le Kaboul
où ils régnèrent pendant plus d'un siècle, de 420
à 557 environ de J.-C. Ces peuples
se donnaient évidemment le nom de Hun, Hounn, ainsi que le prouve la transcription
sanscrite. Ils pénétrèrent dans le Pendjâb et le centre de la péninsule
indienne vers le milieu du Ve
siècle. Ils n'étaient pas encore arrivés en l'an 400,
car le nom de Hûna ne figure pas dans la liste des peuples étrangers
que donne l'inscription d'Allahabad, tandis qu'on les trouve mentionnés
dans quelques inscriptions postérieures. L'histoire de l'occupation de
l'Inde par les Hounas est difficile à écrire. Aucun document ne venant
du dehors (les historiens musulmans n'ayant laissé que des notions très
vagues et des noms propres altérés), c'est avec les inscriptions de l'Inde
propre qu'on peut espérer distinguer les Hounas proprement dits des autres
populations étrangères (Indo-Scythes, Petits Yue-tchi, Çakas, etc.),
qui ont régné pendant les sept premiers siècles et que les textes indigènes
désignent sous le terme générique de Mleccha (barbares) et ensuite Ã
établir la série chronologique des différents souverains Hounas eux-mêmes.
Sur ce dernier point, on ne possède que
quelques noms, à commencer par ceux de Toramâna et de Mihirakula qui
sont certainement des noms étrangers à l'Inde
et très probablement des chefs de Hounas. Ils sont cités dans la chronique
des rois du Cachemire
au nombre des trois souverains (Hiranyakula est le troisième) Mlecchas
qui ont régné dans le Nord-Ouest de l'Inde.
On a des monnaies et des inscriptions portant
les noms de Toramâna et de Mihirakula. Une des monnaies de Toramâna porte
la date 52 et l'inscription d'Eran est datée de l'an premier du règne
qui coïncide avec la défaite de Narasinha des Gouptas en 495.
La combinaison de ces dates donne à peu près l'an 445
pour l'entrée des Hounas dans le Pendjâb et l'an 1. L'époque de la grande
puissance des Hounas est de 495 Ã
533.
Toramâna, après avoir chassé les Gouptas, prend le titre suprême de
maharajadhiraja (grand roi de tous les rois). Dans l'inscription de Kura
il a le titre de maharaja shâhi Jaùvla (si tant est que ce soit le même,
car il a pu y avoir plusieurs princes du même nom). En 510,
Toramâna est défait à son tour par Bhatarka, fondateur de la dynastie
des Valabhi, qui rétablit en même temps Narasinha sur le trône. En 515,
Mihirakula, fils de Toramâna, entreprit de refaire les conquêtes de son
père et de reconstituer le royaume des Hounas; tire inscription découverte
à Gwalior et datée de l'an 15 de son règne, prouve qu'il dominait au
centre de l'Inde vers 530. Quelques
années après, en 533, il fut battu
complètement par Yaçodharman, grand vassal de Narasinha, fait prisonnier,
puis relâché. Il se retira alors au Cachemire
où il eut un second règne assez long, car il put faire une expédition
jusque dans l'île de Ceylan. Il a été identifié avec le roi Gollas,
chef des Huns blancs de la Hounnie, dont parle Cosmas, et qui avait en
539
une armée de mille éléphants .
Le voyageur chinois Soun-youn cite, de son côté, un roi de Gandhara qui
régnait en 520 et possédait 700 éléphants.
Il est possible que ces deux mentions se réfèrent à Mihirakula.
Nous n'avons plus rien de certain sur la
domination des Hounas après Mihirakula. D'après les légendes indigènes,
les Çakas furent défaits dans la grande bataille de Kahrôr, près de
Moultân, par Çalivâhana vers 544
et chassés de l'Inde; mais il n'y a aucune preuve historique de cette
bataille qui a été confondue avec d'autres, et Çalivâhana lui-même
est un héros à moitié légendaire. En fait, les Hounas sont restés
dans l'Inde, au moins jusqu'Ã la fin du VIe
siècle et une partie du VIIe
siècle et par conséquent bien après que leurs congénères
du Turkestan
eurent été vaincus par Kosroès Il. Ils
se dispersèrent dans le Pendjâb où ils fondèrent de petites principautés
à l'Est de la rivière Satledj. Il y a encore aujourd'hui dans cette contrée
des traces de la domination des Indo-Scythes et des Hounas.
Bien qu'ils ne soient mentionnés qu'au
VIe
siècle, les Huns blancs, chassés par les Jou-jouen (avec lesquels
Cunningham les a confondus à tort), apparaissent en Asie centrale et sur
les frontières de l'Iran, dès l'an 420,
sous le nom de Haïthal ou Ephthalites, et c'est sous ce nom qu'ils figurent
pendant près d'un siècle dans les guerres contre les Perses
et contre les Romains. En chinois, leur nom était Hou-toun et aussi Ye-ta,
ce dernier par abréviation de Ye-ta-i-li-to, nom de leur chef. (E.
Drouin / L. Léger).
 |
En
bibliothèque. - Jordanès,
De
Rebus Geticis, éd. Mommsen, dans les Monum. Gerrnaniae.- Les
auteurs byzantins Priscus, Menander, Théophane,
Simocatta, dans la collection de Bonn (extrêmement lntéressants à lire
ces auteurs témoins oculaires contemporainbs desHuns des IVe au VIIe siècles).
- De Guignes, Histoire des Huns, 1756,
5 vol. in-4. - A. Rémusat, Recherches sur
les langues tartares, 1820, in-4. - Lebeau, Histoire du Bas-Empire,
édit. Saint-Martin, t. IV à IX. - Neumann, Die Voelker des Südlichen
Russlands, 1847. - Zeuss, Die Deutschen und die Nachtaemme,1837.-
Vivien de Saint-Martin, les Huns ouraliens,1848. - Du même, les
Huns blancs ou Ephthalites, 1849. - Hunfalvy, Ethnograph. von Ungarn,
1877. - W. Tomashek, Uber den Skythischen Norden, 1888. - Howorth,
notices sur les Huns, les Sabires, les Avars, dans les Mém. du congrès
des Oriental.; Leyde, 1885, et dans le Journ. of royal asiatic Society,
1889 et 1892. - Terrien de Lacouperie, Khan Khakan, etc., 1888.
- Radlof, Introduction au Kudatku-Bilik, 1891, in-4. - Grigori Tomski,
Attila
le premier européen, E-Dite, 2003.
En
librairie - Grigori Tomski, Les
amis d'Attila (roman historique), Jipto, 2005. - Istvan Bona,
Les
Huns, Errance, 2002 . - Roger Caratini,
Attila,
Hachette, 2000. - Maurice Bouvier-Ajam, Attila, le fléau de Dieu,
Tallandier, 1999.
Pour
les plus jeunes : Frank Bonnet et Jean-Yves Mitton, Attila... mon amour,
Glénat (bandes dessinées), 1998, 6 vol. : I - Lupa, la louve,
etc.
|
|
|