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Le Moyen Âge
L'Europe au XIIIe siècle
Le XIIIe siècle est celui où les institutions du Moyen âge ont pris le plus de développement et d'activité, en conservant leurs formes si diverses, dans l'ordre de la politique, de la religion, des études ou des lettres : l'état des gouvernements, des moeurs et des opinions se ressent de la variété des faits et des mouvements qui, s'accomplissent.

Le siècle s'ouvre par le pontificat d'Innocent III. L'Europe entière ressent l'influence de ce pontife; les États d'Italie le reconnaissent pour protecteur; il excommunie et dépose l'empereur Othon IV, de la maison des Welfs, qu'il avait d'abord reconnu; il ôte la Grande-Bretagne à Jean sans Terre, la concède à Philippe-Auguste, la reprend à Philippe et la déclare un fief du Saint-Siège. Il ordonne des croisades. Une de ces expéditions ravit, contre son gré et malgré ses anathèmes, l'empire grec aux princes byzantins ; l'usurpation qui fait empereur de Constantinople un comte de Flandre, et qui donne le quart de l'empire aux Vénitiens, rend au Saint-siège la suprématie sur les Grecs schismatiques. Une autre croisade verse la noblesse et le clergé du nord de la France sur les riches possessions des Albigeois, les hérétiques du midi : l'hérésie sera extirpée par la destruction des populations, autant que par les prédications ardentes des moines dominicains. Une troisième guerre sainte arrache, par la victoire de Las Navas de Tolosa, l'Espagne chrétienne aux Almohades d'Afrique. Innocent préside des conciles, établit des monastères, compose des livres mystiques : sa vaste correspondance embrasse toutes les affaires importantes qui ont occupé l'Europe depuis 1198 jusqu'en 1216. Le pape ranime dans l'Église le goût de l'étude : s'instruire est l'un des actes d'obéissance qu'il exige de tous les ecclésiastiques, séculiers ou réguliers. Presque tous ses successeurs, jusqu'à la fin du siècle, avec moins de talent et moins d'autorité que lui, suivent pourtant et maintiennent la direction qu'il a imprimée au monde. La suprématie politique ne fléchit guère entre leurs mains; mais leurs prétentions semblent empreintes d'iniquité, quand ils dépouillent les derniers princes de la maison de Souabe pour leur substituer, dans les Deux-Siciles, les indignes princes de la maison d'Anjou. Boniface VIII, qui ferme le siècle, compromettra la puissance du Saint-siège par les efforts téméraires qu'il fera pour l'accroître. La science, arme si nécessaire même à ceux qui ont déjà la force, ne manque pas à la cour de Rome : les Décrétales, de Grégoire IX, complétées par un sixième livre, le Sexte, de Boniface VIII , contribuent à étendre la juridiction ecclésiastique. Les légats , dans chaque royaume de la chrétienté , font respecter les décisions du Saint-siège , comme autrefois les proconsuls romains celles du sénat.

Deux nouveaux ordres monastiques, fondés par l'Espagnol saint Dominique, par l'Italien saint François d'Assise, pour lutter contre l'hérésie par la parole, et pour ramener aux vertus par la mortification et la pauvreté, appartiennent à la fois à l'histoire de la religion et à celle des lettres. Les dominicains se rendent bientôt redoutables en se faisant inquisiteurs et en persécutant les hérétiques; mais ils exercent, comme les franciscains, une action bienfaisante sur les études. On s'étonne peu du crédit et des faveurs qu'obtinrent ces deux ordres, lorsque, dès leur naissance, on voit dans leur sein un si grand nombre d'étudiants, de professeurs, de prédicateurs et d'écrivains laborieux. Ils rendent de l'émulation aux anciens cénobites, chez qui le goût des études commençait à s'affaiblir, et au clergé séculier, qui, menacé dans ses droits et troublé dans l'exercice de ses fonctions par les entreprises de ces nouveaux auxiliaires, sentira le besoin de ne pas leur rester trop inférieur en instruction et en mérite.

Ce siècle vit encore naître d'autres ordres. Les carmes et les augustins, un peu postérieurs aux dominicains et aux franciscains, sont appelés, comme eux, ordres mendiants. Les célestins sont de la fin du siècle. Il existait en même temps, et depuis plusieurs siècles, divers ordres de chanoines réguliers, soumis à une règle monastique, et différentes familles de bénédictins.

Les frères du Christ, ou Porte-Glaive, chevaliers de Livonie, sont créés, non pour la prédication, mais pour la conquête; l'ordre teutonique vint de Palestine les aider, et bientôt se substituer à eux dans cette oeuvre de guerre, en Livonie et en Prusse : la croix est plantée dans le sang des païens, sur les rives de la Baltique.

La guerre sainte, prêchée seulement autrefois contre les musulmans de l'Orient, atteint les musulmans d'Espagne, les hérétiques de France, les Slaves païens du nord, même les Grecs schismatiques de Constantinople : bien peu de croisés vont combattre pour la Terre sainte. Le nom de roi de Jérusalem n'est plus qu'un vain titre : Jean de Brienne quitte la Palestine pour Constantinople, après une malheureuse tentative sur l'Égypte; Frédéric II, l'empereur d'Allemagne, son gendre, achète des musulmans le droit d'entrer dans Jérusalem, quoique excommunié. Saint Louis, par l'habile direction donnée d'abord à sa croisade, aurait pu être plus heureux en Égypte : les Mamelouks, sortis hier esclaves de la Circassie, devenus souverains par la déposition du dernier sultan ayyoubite (Les dynasties musulmanes au Moyen-âge), permettent au moins au roi captif de racheter sa liberté. Il fonde alors quelque espérance sur l'alliance des Mongols, qui ne s'étaient pas encore arrêtés dans cette voie des conquêtes où les avaient lancés Gengis-Khan et ses fils, partis de l'extrémité orientale de la Tartarie : mais les Mongols, dans leur ardeur de dévastation, ne distinguaient pas les chrétiens des musulmans; ils s'étaient précipités sur les terres chrétiennes de la Russie, de la Pologne, de la Hongrie, comme sur l'empire musulman du Kharezm, comme sur l'Inde et sur la Chine

L'extermination des Ismaéliens ou Assassins dans la Syrie, la catastrophe sanglante du dernier calife abasside et la ruine de Bagdad, ne profitent qu'aux dynasties turques, qui survivent en Asie Mineure, et aux Mamelouks d'Égypte. La prise de Constantinople par les Grecs de Nicée, qui reconstituent un empire pour deux siècles, a peu de retentissement en Europe : on ne s'intéresse pas au sort d'une petite maison féodale de France, qui tombe du trône; les Vénitiens seuls en sentent un cruel contrecoup, par la supériorité maritime que prennent leurs rivaux, les Génois. La dernière croisade, pendant que l'Orient est en feu, que les Mamelouks se font redouter des Français, des Syriens et des Mongols, va toucher la côte d'Afrique, et n'a d'autre résultat que de hâter la mort de saint Louis. Les Mamelouks achèvent de chasser de la Palestine les templiers, les chevaliers teutoniques et toute la milice des chrétiens de l'Occident dont ils enlèvent les dernières places.

Ne reste-t-il donc rien de ces guerres prétendument saintes? Les nations occidentales ont été mises en rapport, non seulement entre elles, mais avec les Grecs et les Arabes, avec l'Asie et l'Afrique. Tant de voyages en Égypte, en Syrie, à Constantinople, n'ont pas été perdus : ce contact universel a influé sur les langues, sur les idées et sur les arts; il a rendu plus prompte et plus rapide la communication de toutes les connaissances, et a préparé de loin les progrès de l'intelligence humaine. On rapportait de l'Orient de la misère, des maladies et des vices, mais aussi des lumières qui agrandissaient la sphère des arts et de la littérature.

Les États de l'Europe occidentale subissent de grandes vicissitudes. Les Anglais expient un crime domestique de leur roi Jean sans Terre, par la perte de tout ce qu'ils ont sur le continent, à l'exception de la Guyenne. Le règne de Philippe-Auguste est une des époques de l'agrandissement du pouvoir royal en France et de l'affaiblissement de la puissance des seigneurs : la victoire nationale de Bouvines frappe du même coup l'aristocratie rebelle, le roi d'Angleterre et la maison des Welfs dans la personne d'Othon IV de Brunswick. La Grande charte (Magna carta), imposée par les barons anglais à Jean sans Terre, n'est pas une constitution générale; mais le triomphe des nobles préparera celui de toute, la nation. En France, après le court règne du fils de Philippe-Auguste, qui dans ses expéditions contre les Albigeois consomme la ruine des comtes de Toulouse, la minorité de Louis IX aurait pu, exposer la royauté aux mêmes périls que le gouvernement tyrannique des Plantagenets avait attirés sur la royauté anglaise. 

La régence de Blanche de Castille, et les qualités personnelles de saint Louis, assurent, sans despotisme comme sans usurpation, la suprématie du pouvoir royal contre l'aristocratie, l'indépendance du territoire contre les Anglais alliés de seigneurs qui se sont révoltés. Le roi d'Angleterre, son contemporain Henri III, est aux prises avec l'aristocratie, qui veut réformer elle-même le gouvernement. L'ambition du chef de la rébellion, le comte de Leicester, est cause de la première convocation des députés des communes au parlement. L'enfantement douloureux des libertés constitutionnelles en Angleterre ne fut pas stérile pour la paix et pour la grandeur de la nation.

Édouard Ier, exalté par ses triomphes au Pays de Galles et en Écosse, fort de ses alliances sur le continent, s'il n'eût été maintenu par la grande charte et par les parlements, eût imité le despotisme de Philippe le Bel. Ce petit fils de saint Louis , roi plus habile, mais moins honnête que son père, Philippe le Hardi , qui a jeté maladroitement la France dans les affaires de l'Espagne et de la Sicile , voit bien les intérêts réels du royaume et de la royauté : il est célèbre par ses guerres avec l'Angleterre et la Flandre, par son alliance avec l'Écosse, par la substitution de la loi royale aux coutumes anarchiques de la féodalité, et des légistes aux pairs-chevaliers. Il se rencontre avec un pape despote comme lui : la lutte commence quand s'ouvre le XIVe siècle.

L'Allemagne et l'Italie surtout sont remuées bien plus profondément. La maison de Souabe, exclue d'abord du trône impérial par Innocent III, y est rappelée par lui, au détriment du prince welf. Frédéric Il est le bienfaiteur de ses sujets héréditaires des Deux-Siciles; mais le reste de l'Italie combat contre lui. Grégoire IX et Innocent IV l'excommunient, le déposent, ruinent sa puissance et créent des anti-Césars. Affranchis de la domination germanique, les peuples lombards ne savent pas vivre en peuples libres : les factions guelfe et gibeline ont encore leurs drapeaux dans toutes les cités. 

La maison de Romano est la terreur de la Lombardie orientale : quand elle succombera, les Scaliger et les Carrare exerceront les mêmes cruautés. Milan passe des mains despotiques des Torriani à celles des Visconti; Venise se sauve de l'anarchie et du despotisme étranger en remettant ses destinées à une formidable oligarchie; la république de Gênes, agitée par des troubles intérieurs, change perpétuellement les noms, les rapports, le système des magistratures. La Toscane est partagée en plusieurs républiques, quelquefois liguées, plus souvent rivales : Florence, riche par l'industrie, au milieu des violentes fureurs des guelfes et des gibelins, essaye de constituer son gouvernement démocratique. La terre des Deux-Siciles est le tombeau des fils et du petit-fils de Frédéric II. Charles d'Anjou, appelé contre eux par les papes, rend exécrable le nom de la France, surtout en Sicile : les vêpres siciliennes donnent cette île aux Aragonais; les deux royaumes subsistent ainsi longtemps séparés et ennemis.

L'anarchie de l'Allemagne, depuis le milieu du siècle, favorable à la puissance des seigneurs et à l'affranchissement des villes, qui forment la ligue du Rhin et l'association commerciale de la Hanse, ne cesse que par l'élévation au trône impérial de Rodolphe de Habsbourg. Le puissant roi de Bohème est terrassé; l'Autriche passe aux mains du fils de Rodolphe, qui cependant ne lui succédera pas dans le titre d'empereur. Rodolphe n'a obtenu que par d'importantes concessions la faveur ou l'indulgence de la cour de Rome : il ne vient pas en Italie.

Le XIIIe siècle est glorieux et fécond pour l'Espagne chrétienne. Depuis la défaite des Almohades à Las Navas de Tolosa, plus de cinquante années sont employées par les rois de l'Aragon, par ceux de la Castille et de Léon qui ne forment qu'un royaume depuis 1230, à repousser les Maures vers les montagnes de Grenade. La piété chevaleresque de Ferdinand III ; le goût des lettres, de l'astronomie et de la science des lois d'Alphonse X le Savant, placent la Castille au premier rang; l'extension de son territoire arrête dans la péninsule les progrès de deux autres États chrétiens, l'Aragon et le Portugal : mais déjà l'Aragon cherche fortune dans les îles de la Méditerranée. La Navarre, presque réunie à la France par des alliances de famille, est pour ainsi dire en dehors de l'Espagne. L'invasion nouvelle des Mérinides d'Afrique n'entame pas beaucoup le territoire chrétien c'est à la Castille, le plus puissant des quatre États, à en supporter le poids. L'Aragon et la Castille commencent à éprouver les luttes intestines de l'aristocratie et de la royauté sous des princes dont le règne ne manque cependant ni de force ni d'éclat, sous Alphonse X qui a reçu des électeurs allemands le titre d'empereur, sous Pierre Ill lui a enlevé la Sicile aux Français.

Les moeurs, au XIIIe siècle, sont marqués par l'ignorance, la fausse science, l'affaiblissement de l'ancienne discipline ecclésiastique, les cérémonies populaires qui sont maintenues, comme la fête des fous ou la fête des ânes en France. 

Les écoles abondent cependant : il y en a auprès de presque tous les monastères, alors si nombreux, et des églises cathédrales. Dans les villes, où l'enseignement se divise en plusieurs branches, et attire un grand concours d'étudiants, comme à Paris, à Angers, à Toulouse, à Montpellier, le nom d'université est appliqué au corps entier des maîtres et des disciples. Les statuts de l'université de Paris datent de 1215 : on distingue dans cette université quatre facultés, quatre nations d'étudiants, avec leurs syndics et un recteur; les quatre facultés sont la théologie, la jurisprudence, désignée sous le nom de décrétales, la médecine et les arts, qu'on appelle aussi philosophie et grammaire. 

La scolastique, avec ses formes pédantesques et ses syllogismes, domine les études et appauvrit l'intelligence : la raison, le goût, l'imagination et même la mémoire en sont altérées; une dialectique puérile et pointilleuse exempte souvent de penser. Les quatre livres de Sentences, de Pierre Lombard, sont commentés par Albert le Grand, saint Bonaventure, saint Thomas d'Aquin, Duns Scot : ils ont composé, sous le nom de Somme, d'imposants monuments de métaphysique, de théologie et de morale. Albert le Grand, qui est né en Allemagne, joint l'astrologie et l'étude des secrets de la nature à la politique. L'Italien saint Bonaventure qui ne sait pas, même dans les effusions de son coeur, s'affranchir toujours de la scolastique, entraîne les chrétiens dans une voie pleine d'attraits et de périls, le mysticisme. Saint Thomas d'Aquin, Italien comme lui et son ami, l'une des gloires de l'ordre des dominicains, a l'esprit inventif et profond; il a proposé une solution de la fameuse question des universaux. Duns Scot, franciscain écossais, qui contredit saint Thomas, dispute beaucoup, n'invente rien, n'éclaircit aucune doctrine. 

La jurisprudence comprend le droit canon et le droit civil qui vient d'être enseigné avec éclat en Italie par Azzon et par son disciple Accurse; en France, plusieurs villes, mais non Paris à cause de la défense expresse d'Honorius III, ont des cours de jurisprudence civile. Le droit écrit est suivi au sud de la Loire; le droit coutumier, au nord; mais le droit de Justinien, à force d'être enseigné dans les écoles, acquiert de l'autorité devant les tribunaux : les jugements par les pairs ou jurés deviennent plus rares; des canonistes et des légistes pénètrent dans le parlement, cour suprême de justice royale. 

La médecine, la chirurgie, la pharmacie et la chimie s'étendent des Arabes aux chrétiens; les écoles d'Italie commentent les travaux des musulmans : mais la superstition fait rechercher les alchimistes comme des hérétiques. La faculté des arts vit de discussions sur les livres d'Aristote, surtout la Physique et la Logique. Le péripatétisme domine : il établit des relations entre les divers genres de connaissances humaines, et suggère le projet d'en former des systèmes encyclopédiques, comme le Quadruple miroir, de Vincent de Beauvais.

Les sciences proprement dites font de précieuses découvertes ou appliquent aux arts des découvertes déjà faites. Le cordelier anglais Roger Bacon, qui tenta une rénovation générale des sciences, décrit la poudre à canon, dont font déjà usage les Orientaux. La boussole commence à être pratiquée en Europe. L'invention des lunettes est peut-être de la fin du siècle. La science des astres reste sujette à beaucoup de superstitions : Roger Bacon admet des prédictions générales; il ne rejette que les horoscopes personnels.

La géographie doit beaucoup au livre arabe d'Ibn-Al-Ouardi; aux navigations des Génois, des Pisans, des Vénitiens; aux relations d'Ascelin, de Plan Carpin, de Rubruquis, de Marco Polo, envoyés chez les Mongols; aux cartes qu'on commence à dessiner.

L'histoire, qu'on ne fait pas entrer dans le plan d'instruction des écoles, ne produit pas beaucoup de monuments distingués dans la langue latine, dont elle commence à s'affranchir. La chronique de Geoffroy de Villehardouin, qui raconte la conquête de Constantinople par les Français, est écrite en prose vulgaire. Les ouvrages latins de Rigord, de Guillaume le Breton, de Guillaume de Nangis, religieux de Saint-Denis, ont moins d'attrait que la Vie de saint Louis, par Joinville, et que les grandes Chroniques conservées à Saint-Denis, qui forment comme le premier fond des histoires de France.
La langue française, du groupe des langues d'oïl, est préférée, même par des Italiens. Le Florentin Brunetto Latini, un des maîtres de Dante, écrit ou traduit en français son manuel général d'études, intitulé Trésor. La langue de l'Italie, dont les poètes avaient écrit jusque-là en vers provençaux, commence à se fixer : la Divine Comédie, de Dante, la plus étonnante production de cet âge, est en même temps l'un des plus anciens, comme l'un des plus illustres monuments de la littérature italienne. On n'enseigne dans les plus grandes écoles ni les langues modernes, ni les langues orientales, ni même la langue grecque, quoique le trône de Constantinople soit pendant plus de cinquante ans à des Français. 

La langue latine, écrite et parlée d'une façon si incorrecte dans les écoles, règne encore dans la chaire : mais les prédicateurs commencent à entremêler dans leurs phrases latines des mots du langage vulgaire; en 1262, on rencontre les premiers exemples de ces prédications macaroniques.

La vraie langue française se forme par la poésie et par les romans. Les trouvères du nord sont plus nombreux et plus féconds que les poètes du midi : leur langue, moins élégante, moins douce, moins sonore, se développe davantage, devient plus expressive, quelquefois plus pittoresque; elle s'essaye dans vingt genres différents, ne brille encore dans aucun, prend cependant possession de la plupart, et se destine à les enrichir tous un jour. On compterait en ce siècle plus de deux cents poètes ou rimeurs français. Ce sont des romans de chevalerie mis en rimes, des fabliaux, des lais. Les riches et le peuple étaient amusés par les fabliaux du trouvère Rutebeuf, souvent aux dépens de l'Église; mais le poète y gagnait à peine sa vie. On aimait beaucoup le Roman du Renart qui, sous des noms d'animaux, faisait la satire de tout ce qui était craint et vénéré dans la société féodale, surtout la noblesse et le clergé. Le Roman de la Rose, commencé par Guillaume de Lorris, qui meurt vers 1260 terminé par Jehan de Meung avant 1305, est un pénible tissu d'allégories froides et fastidieuses, en plus de vingt-deux mille vers, sans mouvement poétique, le plus souvent sans images ni pensée, avec beaucoup de descriptions et d'abstractions personnifiées. Les chants de Thibaut IV, comte de Champagne et roi de Navarre, sont d'un esprit fin et sensible; il participe des qualités des trouvères et de celles des troubadours. 

Les troubadours, au midi de la Loire, donnent de la souplesse et de l'harmonie à une langue sonore faite pour la poésie lyrique, pour l'amour, pour la satire, même pour les chants de guerre, comme le prouvent leurs sirventes; mais ils manquent d'une inspiration profonde et soutenue; ils ne laisseront aucune grande oeuvre et disparaîtront au milieu du choc terrible de la guerre des Albigeois.

Les seigneurs, les rois et les papes encouragent à l'envi les études publiques et tous les talents. Innocent III , Philippe Auguste, saint Louis, Frédéric II, sont imités par des princes italiens et par des seigneurs français qui s'environnent de savants et de poètes. A Florence, Cimabue reçoit dans son atelier la visite de Charles d'Anjou, le conquérant de Naples : le peintre terminait alors ce tableau de la Vierge que, peu après, les Florentins portèrent en grande pompe et au son des instruments de musique à l'église de Sainte-Marie-Nouvelle. Les artistes semblaient moins jaloux que les poètes de leur gloire personnelle : combien de statuaires et d'architectes, dont les oeuvres vivent et font l'admiration des siècles, dont les noms sont ignorés! L'auteur de la Sainte-Chapelle de Paris, un des chefs-d'oeuvre de l'architecture gothique, Pierre de Montereau, est peut-être le même architecte, connu sous le nom d'Eudes de Montreuil, qui fit un voyage en Palestine à la suite de saint Louis, travailla aux fortifications de Jafa, et vit de près le système d'architecture des Arabes qui put l'inspirer. (Ch. Dreyss).

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