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Après
le prise de Marrakech, Abou-Yousef-Yakoub
substitua l'administration de son gouvernement à celle des Almohades ,
et envoya son fils Abou-Malek soumettre le Sous, et, Ã la fin de 1270,
il sa porta lui-même dans le Draa. Peu de temps après, une révolte étendue
éclata dans le Rif parmi les Ghomara; elle avait été fomentée par le
neveu d'Abou-Yousef, mécontent du choix fait d'Abou-Malak comma héritier
présomptif. Les principaux coupables furent exilés; certains passèrent
en Andalousie ;
d'autres trouvèrent asile à la cour de Tlemcen. La puissance mérinide
se trouvait alors concentrée dans le Maghreb; l'émir en profita pour
aller tirer vengeance des Abd-el-Ouad, de l'appui qu'ils avaient donné
aux Almohades. Yaghmorasen fut battu, Oudjda détruit, mais l'armée mérinide
dut abandonner la siège da Tlemcen; Abou-Yousef voulait en effet passer
en Espagne et avait hâte d'y entreprendre la guerre. Il lui fallut auparavant
s'emparer de Ceuta et de Tanger,
au pouvoir d'un certain El-Asefi qui y régnait d'une manière à peu près
indépendante. Tanger fut occupé, mais Ceuta laissé à Asefi, qui s'engagea
à verser un tribut annuel. Avant de s'embarquer, Abou-Yousef dut se rendra
à Sidjilmassa dont il entreprit la siège. II y emmena un matériel considérable
et des machines de guerre de toute sorte, parmi lesquelles un engin nouveau
qui lançait de son âme, au moyen d'une poudre inflammable, du gravier,
du fer et de l'acier, d'après ce que nous en disent les chroniqueurs arabes.
La ville ayant été prise en septembre
1274,
cette conquête achevait de placer la partie du Maghreb qui correspond
à peu près au Maroc actuel sous la domination mérinide.
Abou-Yousef allait
donc pouvoir sa rendre an Espagne et entreprendre ses guerres contre la
chrétienté, dans le détail desquelles nous n'entrerons pas. Elles se
terminèrent d'une manière assez vaine, par le traité qui intervint après
le siège infructueux de Xérès par les musulmans, et aux termes duquel
don Sanche, fils d'Alphonse X, remettait par exemple une grande quantité
de manuscrits arabes (13 charges de mules), tombés entre les mains des
chrétiens après la chute de Séville et de Cordoue.
L'émir des Mérinides les fit envoyer à Fès
où on les déposa dans la grande école qu'il avait fait bâtir pour l'usage
des étudiants. Abou-Yousef-Yakoub mourut à la fin de mars 1286
à AIgésiras, après un règne de vingt-neuf ans. L'islam entier en prit
le deuil, nous dit l'auteur du Roudh el-Kartas; son corps, transporté
au Maghreb, fut inhumé à Chela, près de Rabat.
Quant à son ennemi Yaghmorasen, le chef des Abd-el-Ouad de Tlemcen, il
était mort en 1283,
sur les bords du Chélif. Le fils d'Abou-Yousef-Yakoub, Abou-Malek, étant
mort avant son père, ce fut Abou-Yakoub-Yousef qui lui succéda sous le
nom d'En-Naser-li-din-Allah.
Ayant d'abord renouvelé
les traités que son père avait passés avec le roi de Castille ,
il consacra la première année de son règne à combattre les révoltes
qui s'étaient produites dans le Draa et la province de Marrakech. En 1288,
il reçut à Fès une ambassade du roi de Grenade,
auquel il rendit la ville de Cadix
qui était demeurée entre les mains des Mérinides. Sur ces entrefaites,
son fils Abou-Amer qui avait tenté de se faire proclamer s'était réfugié
avec son entourage à la cour de Tlemcen. Il n'en fallait pas tant pour
provoquer une nouvelle rupture avec les Abd-el-Oued, et, dès le commencement
de mai 1290,
la lutte recommence. Abou-Yakoub sort de Fès, à la tête d'une armée
importante où se remarquaient les milices chrétiennes et kurdes; mais,
après un siège de quarante jours, il quitte Tlemcen, pour revenir les
années suivantes opérer contre Oudjda, et finalement, en 1299,
commence l'investissement de la ville. Ce fut là l'opération la plus
mémorable dont les annales de l'Afrique septentrionale aient gardé le
souvenir. Le camp des assiégeants s'était insensiblement transformé
en une véritable ville qui reçut le nom d'El-Mansoura, mais au moment
où Tlemcen allait se rendre, quand la population affamée et réduite
à la dernière extrémité ouvrait presque les portes, Abou-Yakoub est
assassiné par un de ses esclaves, et le siège est levé en 1307.
L'émir des Mérinides
laissait deux petits-fils, fils d'Abou-Amer; l'aîné, Amer-Abou-Tsahet,
fut choisi par la plus grande partie des Beni-Merin, bien que sur ces entrefaites
le frère cadet d'Abou-Yakoub, Mansour-Abou-Salem, se fasse reconnaître
dans le camp de Mansoura; mais Abou-Tsabet, grâce à l'appui des Abd-el-Ouad
auxquels il avait fait certaines promesses, parmi lesquelles celle de lever
le siège, l'emporte sur son rival et entre dans Mansoura. Quant à Abou-Salem,
il s'enfuit et est massacré à Nedroma, tandis qu'une partie de la famille
impériale, effrayée des exécutions auxquelles on procède, se réfugie
dans le Rif chez les Ghomara où la rébellion ne tarde pas à éclater.
Au reste, ce très court règne du nouveau souverain n'est consacré qu'Ã
combattre la révolte générale qui règne à Tanger, à Ceuta
et à Marrakech, jusqu'au moment où il meurt le 23 juillet 1308
à Tétouan, ville qu'il venait de fonder. Son frère, Abou-Rebia-Sliman
lui succède et entre à Ceuta, grâce à l'appui du roi Jaime d'Aragon
(juillet 1309).
Il meurt, l'année suivante après avoir vaincu la révolte des grands
chefs de l'armée, parmi lesquels Gonzalve, chef de la milice chrétienne.
Abou-Rebia fut enterré à Taza; un de ses parents, Abou-Saïd-Othman,
qui avait gagné la faveur des soldats par ses largesses, est proclamé,
et de suite, cédant à la haine de sa famille contre la maison de Tlemcen,
il se met en marche contre les Abd-el-Ouad, mais la campagne est infructueuse;
il est en effet rappelé par la rébellion que son fils Abou-Ali avait
organisée à Fès durant son absence. La lutte
s'engage sous les murs de Taza, et le nouveau sultan aux termes d'un traité
humiliant abdique en faveur de son fils, en ne conservant pour lui que
l'administration de la ville et de la province de Taza. Peu après,
grâce à l'appui de son fils aîné Abou l'Hasen, auquel il donne le titre
d'hériter présomptif, il réussit à rentrer à Fès tandis qu'Abou-Ali
s'enfuit à Sidjilmassa où il s'installe en roi (1315).
En 1320,
ce dernier lève à nouveau l'étendard de la révolte. Ayant établi sa
domination sur toutes les provinces au Sud de l'Atlas, il s'empare ensuite
de la ville de Marrakech. Son père marche sur Sidjilmassa, emporte la
ville, mais pardonne à son fils avant de mourir en 1331.
Abou l'Hasen lui succède, et, à peine monté sur le trône, il vient
mettre le siège devant Tlemcen où les Abd-el-Ouad, après avoir mal reçu
une ambassade qu'il leur avait envoyée, refusent d'abandonner les opérations
qu'ils avaient fait commencer devant Béjaïa. Cette fois encore Tlemcen
résiste victorieusement, et ce ne sera qu'en 1337,
après s'être débarrassé, en le faisant étrangler, de son frère Abou-Ali,
que le chef des Mérinides aura la gloire d'emporter d'assaut la ville.
Le siège avait duré deux ans. Cependant Abou l'Hasen, usant d'une grande
modération, conserva aux différentes tribus leurs franchises, enrôlant
leurs soldats dans son armée.
La prise de Tlemcen
le rendait maître du Maghreb central. Rentré à Fès
en 1338,
il apprend que la Castille
était toujours divisée par les factions. Une expédition est alors résolue;
il fait réunir son armée et après avoir pardonné à son fils Abou-Malek
qui venait de susciter une nouvelle révolte, s'embarque à la suite d'une
flotte de 250 navires. Il est battu le 30 août 1340,
au rio Salado, près de Tarifa ,
et dans ce combat il perd ses femmes, un de ses fils, l'élite de ses guerriers,
et rentre au Maghreb. Ce souverain était infatigable. En 1347,
il entreprend en partant de Mansoura une grande expédition qui le mène
jusque dans l'Ifrikia (Tunisie-Tripolitaine).
Mais il est battu à Kairouan et le bruit de sa défaite s'étant répandu
au loin encourage le démembrement et les révoltes. Le fils d'Abou l'Hasen,
Abou-Inan, qui gouvernait à Tlemcen, croyant à la mort de son père,
se fait proclamer sultan. Il organise son pouvoir et part pour Fès où
il fait mettre à mort El-Mansour qui en était gouverneur, tandis qu'il
se fait reconnaître ans tout le pays. La lutte se continue alors dans
le royaume de Tlemcen, tandis que, d'autre part, Abou l'Hasen est demeuré
à Tunis et d'où, harcelé par les Arabes,
il ne peut intervenir dans les affaires des deux Maghreb. Plus tard, il
s'embarquera pour Alger, et, après des infortunes
multiples, il, gagnera le djebel Amour et Sidjilmassa d'où Abou-Inan le
chassera. Il est finalement battu sur les bords de l'Oum-Errebia et, meurt
en 1351,
au moment où il abdique en faveur de son fils, pour faire cesser toute
cause de discorde. On raconte qu'Abou-Inan en manifesta une profonde douleur.
Maître du pouvoir, le nouveau souverain recommence la lutte contre Tlemcen,
s'avance jusqu'à Médéa, fait prendre possession de Béjaïa, conquête
que la révolte ne tarde pas à lui faire perdre. Une autre expédition
avait mené ses troupes jusqu'au M'Zab et dans
l'oued-Guir. Abou-Inan, devenu vieux et infirme, est étouffé à Fès,
le 3 décembre 1358,
par ses ministres désireux de hâter sa fin pour reconnaître son jeune
fils Es-Saïd, âgé de cinq ans. Quant à l'héritier présomptif, Abou-Zeyan,
il est mis à mort. Le vizir Ibn-Hasen est nommé régent de l'empire et
rentre en possession de Tlemcen, mais une défaite des troupes mérinides,
non loin d'Oudjda, encourage le prétendant El-Mansour, arrière-petit-fils
de Yakoub-ben-Abd-et-Hakk, qui vient assiéger Fès. Sur ces entrefaites,
un frère d'Abou-Inan, nommé Abou-Salem, débarque d'Espagne sur la côte
du Rif; accueilli avec enthousiasme par les populations, il s'empare facilement
de Ceuta ,
puis de Tanger. Cette nouvelle jette le trouble dans L'armée d'El-Mansour;
la lutte s'engage néanmoins et Abou-Salem venait d'être battu à Ksar-Ketama,
quand le régent El-Hasen lui fait parvenir de Fès sa soumission, et contre
toute attente c'est Abou-Salem qui monte sur le trône.
En juillet 1359,
il entre à Fès, éloigne puis fait périr l'ancien
régent dont il redoute la puissance, fait conduire au supplice El-Mansour
et son fils, et exiler à Ronda les malheureux princes de la famille impériale,
qui devaient plus tard être noyés en mer. Après un court règne, Abou-Salem
ne tarde pas à être massacré, et l'on proclame un de ses frères, un
dément, Abou-Omar-Tachfin, en 1361.
L'anarchie est alors à son comble; le trésor impérial est pillé; la
situation se complique encore par L'arrivée d'un nouveau prétendant,
Abd-el-Halim, neveu d'Abou l'Hasen; il échoue devant Fès où il vient
mettre le siège, puis, soutenu par les gens de Tlemcen, il se fait reconnaître
à Sidjilinassa. Un autre compétiteur surgit ensuite dans Abou-Zeyane-Mohammed
qui débarque d'Andalousie
à Ceuta ;
il est acclamé par toutes les tribus du Nord et entre triomphalement Ã
Fès. Il ne tarde pas non plus à être assassiné en 1366
par son grand vizir Omar qui, après ce crime audacieux, retire d'une prison
où il le détenait le jeune prince Abd-el-Aziz, fils d'Abou l'Hasen, et
le fait élever au pouvoir. Omar est ensuite massacré à son tour dans
une conspiration de palais par ceux qu'il avait maltraités, et Abd-el-Aziz
engage la lutte aux environs de Marrakech où il dompte la grande révolte
dite d'Abou l'Fadel (1368);
il réussit également dans la répression des troubles qui éclatent l'année
suivante dans la région berbère et que commandait
le chef des Hentata, Le 7 août 1370,
le sultan entre dans la ville de Tlemcen, contre laquelle il avait recommencé
la lutte de ses ancêtres, mais il meurt deux ans après, le 23 octobre
1372,
au moment où la puissance mérinide allait s'étendre de nouveau sur le
Maghreb central. Le règne d'Abd-el-Aziz avait brillé de quelque éclat;
le prince avait eu parmi ses conseillers le célèbre Ibn-Khaldoun,
l'auteur de l'Histoire des Berbères.
A sa mort, le sultan
ne laissait qu'un fils en bas âge qui fut proclamé à Fès
sous le nom d'Es-Saïd, tandis que Ibn-Ghazi, lieutenant d'Abd-el-Aziz,
prenait la direction des affaires; mais les Mérinides allaient bientôt
perdre les résultats obtenus durant ce dernier règne. On assiste en effet
à la restauration des Abd-el-Ouad à Tlemcen, et Abou l'Abbas-Ahmed, fils
d'Abou-Salem, qui était détenu à Tanger, profite d'une rupture entre
la cour de Grenade et celle de Fès
pour se faire reconnaître par Ibn-Ghazi, grâce à des secours arrivés
d'Andalousie ,
tandis que l'émir Abderraman obtient le gouvernement de Marrakech. Le
jeune Es-Saïd est envoyé à Grenade, tandis qu'Ibn-Ghazi, après avoir
tenté de se révolter, est ensuite train à la mort. La lutte s'engage
entre les royaumes de Fès et de Marrakech, mais elle se termine à l'avantage
d'Abou l'Abbas et par la mort d'Abderraman et de ses fils (1382).
Le sultan de Fès se dirige de suite vers Tlemcen qu'il prend et pille
afin d'en châtier la population qui avait secouru Abderraman; mais le
roi de Grenade, allié à l'émir Abou-Hammou qui commandait Tlemcen, suscite
un rival à Abou l'Abbas. Un certain Moussa, fils du sultan Abou-Inan,
après avoir proclamé à Ceuta
la suzeraineté de Grenade, s'empare de Fès et s'y fait reconnaître (14
mai 1384).
Les troupes de Moussa, expédiées de Tlemcen, arrivent trop tard et lui-même
est pris à Taza et expédié à Grenade. Peu de mois après, Moussa meurt;
il est remplacé par El-Ouatsek, fils d'Abou l'Fadel, que le roi de Grenade
conservait auprès de lui et qu'il expédie. Il est proclamé à Fès en
1386,
et règne sous la tutelle du vizir de Moussa, Ibn-Massaï, mais ce dernier
ayant commis la faute de provoquer une rupture avec la cour de Grenade,
en voulant reprendre la ville de Ceuta, nous ne tardons pas à voir passer
au Maghreb Abou l'Abbas qui recommence la lutte. Après s'être rendu maître
de Tanger et d'Asilah, il rentre à Fès, fait périr Ibn-Massaï et expédie
El-Ouatsek à Tanger où il meurt. Abou l'Abbas rétablit l'ordre grâce
à sa fermeté, mais en 1393
il meurt à son tour à Taza au moment où il surveillait une expédition
menée contre Tlemcen. Son fils, Abou-Farès, monte sur le trône.
En 1399,
une flotte armée par le roi de Castille ,
Enrique III, pour combattre les corsaires
africains, s'empare de Tétouan et transporte en Espagne tous les habitants
de cette ville qui devait ensuite demeurer vide jusqu'au moment où, un
siècle plus tard, elle fut réoccupée par des Grenadins expulsés d'Andalousie .
Peu de temps après et dans le même but de réprimer la piraterie, le
roi Jean Ier de Portugal
s'empare de Ceuta
le 14 août 1415.
Abou-Saïd, prince obscur, avait alors succédé à Abou-Farès vers 1409,
mais on ne sait dans quelles conditions. Sur ces entrefaites, la lutte
avait recommencé entre les royaumes de Fès
et de Tlemcen. Dans cette dernière ville était alors Abou-Malek, prince
énergique et hardi qui brûlait, en se débarrassant de la tutelle des
Mérinides, de venger sa famille des humiliations qu'elle avait endurées
des gens de l'Ouest. Il s'empara de Fès, subjugua tout le Maghreb extrême
en y imposant un sultan de son choix nommé Mohammed, petit-fils d'Abou-Inan.
Les documents historiques sur toute cette période étant très frustes,
on ne sait même point si ce prince régna avant ou après Abdallah, fils
d'Abou-Saïd, qui, à la faveur d'une révolte et de la lutte qui s'était
engagée entre les deux frères d'Abou-Saïd, était monté sur le trône.
Au reste, dans toute la partie du Maghreb qui correspond au Maroc actuel,
la plus complète des anarchies régnait et paralysait les forces musulmanes.
L'empire mérinide
sur son déclin s'était fractionné on trois royaumes indépendants, Fès,
Marrakech, Sidjilmassa. Encouragés par leurs succès à Ceuta ,
les Portugais
cherchaient l'occasion de s'emparer de Tanger, mais leur première tentative
en septembre 1437
n'aboutit qu'à un désastre. Un traité intervint où les Portugais obtinrent
de pouvoir se rembarquer à la condition de rendre Ceuta; ils laissaient
comme otage l'infant Ferdinand, pour garantir l'exécution de ce pacte.
Mais les Cortès n'ayant pas ensuite ratifié cet engagement, l'infortuné
don Ferdinand mourut en captivité en 1443.
En 1458,
disposant d'une flotte nombreuse et d'une armée de 17 000 hommes qui avait
été préparée pour une croisade contre les Turcs ,
mais que l'on avait abandonnée à Lisbonne,
les Portugais revinrent à la, charge et s'emparèrent successivement de
Ksar es-Seghir, sur le détroit de Gibraltar, et en 1464 d'Anafé (Casablanca),
sur l'océan Atlantique, deux places qui étaient des repaires redoutés
des corsaires barbaresques
( L'histoire de l'Algérie ).
Une deuxième tentative contre Tanger échoua néanmoins. En 1471,
le sultan mérinide ayant été assassiné, et l'anarchie ayant été portée
à son comble dans tout le pays, les Portugais s'emparèrent habilement
d'Asilah et passèrent un traité avec le prétendant Maulay-Saïd, aux
termes duquel ce dernier reconnaissait leur suzeraineté sur Ceuta, Ksar
es-Seghir, Tanger, Asilah et Anafé. Toute la pointe septentrionale de
la Tingitane tombait donc ainsi aux mains du roi Alphonse V qui reçut
alors le surnom de l'Africain.
Profitant de cette
même époque troublée, les Espagnols occupèrent en 1496
et sans coup férir, sous la conduite du duc de Medina-Sidonia, la petite
place de Melilla. En 1503,
une attaque des Portugais
dans l'intérieur des terres coutre Alkasar el-Kebir échoue; en 1506,
le roi Emmanuel envoie de Lisbonne une flotte
qui fonde Mazagan, entre Azemmour et Safi. Les Portugais étendaient leur
action et se ménageaient des appuis dans les tribus, car un certain Yahia-ben-Tafour
avait reconnu sur ces entrefaites leur suzeraineté et entra en lutte en
leur nom contre le sultan de Fès. A cette époque,
les chefs des Haha et quelques-uns du Sous, une partie des Doukkala et
des environs de Marrakech étaient leurs tributaires, tandis que le souverain
mérinide, de la branche des Beni-Ouattas, qui régnait à Fès, assistait
impuissant à cet envahissement de l'influence chrétienne; seule la campagne
environnante de Fès lui demeurait soumise; les intrigues de palais et
les compétitions de pouvoir achevaient de rendre encore plus débile cette
ombre de royaume, dernier vestige de l'empire fondé par Abd-el-Hakk. Tout
le Sud était déjà aux mains des chérifs et, dans l'anarchie générale,
on discerne les degrés de cette période de transition que va traverser
le Maghreb el-Acsa. Nous venons de voir en effet combien la condition misérable
où était réduite la dynastie mérinide avait ouvert le pays aux puissances
étrangères.
Après la prise de
Grenade en 1492,
qui avait eu un énorme retentissement dans tout le monde musulman, les
Espagnols se mirent aussi en mouvement. Imitant l'exemple des Portugais ,
ils combattirent la piraterie sur toute la côte barbaresque .
Le testament d'Isabelle la Catholique,
qui datait de 1504,
ne portait-il pas qu'il ne faudrait jamais interrompre la conquête de
l'Afrique, ni cesser de combattre pour la foi contre ses habitants? Ces
coups nombreux frappés sur l'Afrique musulmane, depuis les rivages de
l'Atlantique jusqu'aux Syrtes, amenèrent bientôt la réaction de l'islam.
Provoquée par les agressions portugaises ou espagnoles, elle affecta au
Maroc la forme du chérifat et, dans la région de Tunis et d'Alger,
ce fut la conquête ottomane .
L'histoire des chérifs
saadiens
qui vont occuper le trône au Maghreb el-Acsa est en réalité celle de
la fondation du Maroc tel qu'il existe encore de nos jours. Au milieu de
l'anarchie si considérable qui y régnait au début du XVIe
siècle, et de la confusion où se débattait la dynastie mourante des
Mérinides, il était à peu près impossible de songer à discipliner
les populations berbères, mais on pouvait essayer de donner au pouvoir
politique l'autorité morale qui lui manquait. C'est à cette dernière
tâche que se dévouèrent les chérifs saadiens et l'on peut dire que,
pour le Maroc, ils ont réussi à l'accomplir. Aux veux des tribus ils
avaient tous les titres; leur noble origine était à peu près incontestée;
la bravoure dont ils avaient fait preuve, lors des luttes contre. les chrétiens
dans le Sous, avait enflammé leurs partisans, et, quoique d'origine arabe,
un long séjour au Maghreb les avait, en quelque sorte nationalisés berbères.
On manque singulièrement de données sur les luttes intestines qui marquèrent
les dernières années des Mérinides. Nous savons que les Portugais
tentèrent d'affermir leur autorité durant les années 1515
et 1517
et qu'un certain Lope Barriga s'y distingua particulièrement. Mais bientôt
la face des choses changea; l'action des Saadiens commence de se manifester.
Les Portugais subirent de cruels revers, perdirent leurs meilleures troupes,
et leurs garnisons demeurèrent livrées à elles-mêmes, l'affaiblissement
de la métropole empêchant le gouvernement de leur envoyer des secours.
Le royaume des chérifs saadiens dans le Sous en 1516
était aux mains d'Abdallah-el-Kaïm. Ses fils s'emparent de Lope Barriga;
Yahia-ben-Tafout, l'allié des Portugais, est assassiné; dès lors leur
puissance est ruinée : c'est le commencement de la décadence irrémédiable.
Les chérifs augmentent
leur empire; en 1520,
ils franchissent l'Atlas et s'emparent de la ville de Marrakech. Ils ont
à leur tête Abou l'Abbas-el-Aaradj, l'aîné des fils du fondateur de
la nouvelle dynastie. Les Mérinides font alors plusieurs tentatives infructueuses
contre le Maroc; ils sont battus à l'oued El-Abid. Une première trêve
s'ensuit, qui accorde aux Saadiens tout le pays jusqu'au Tadela. tandis
que le Nord demeure aux Mérinides. Dans cette même année, en 1536, Mohammed-el-Mehdi,
chérif saadien qui régnait à Taroudant, s'empare d'Agadir ,
en massacre la garnison portugaise et se marie avec la fille du gouverneur
don Guttierez de Monroy. L'année suivante, les Portugais évacuent Safi,
et Mohammed-el-Mehdi, après avoir pris le pouvoir à son frère qui était
à Marrakech, marche vers le Nord, défait les Mérinides et s'empare de
Mequinez, de Fès et enfin atteint Tlemcen, dont
il veut protéger les habitants contre les Espagnols et contre les Turcs;
mais son fils perd la vie dans une rencontre avec les Turcs, qui entrent
à sa suite au Maghreb, et, après une bataille de deux jours, s'emparent
de Fès, tandis que ce chérif se réfugie à Marrakech. Le Mérinide Abou-Hassoun,
qui avait combattu aux côtés des Turcs, reprend le pouvoir (1554)
et verse une large indemnité à leur chef Salah-ben-Raïs pour hâter
leur départ. D'abord quelques succès signalèrent le règne d'AbouHassoun,
mais il est assassiné traîtreusement durant la bataille qu'il livre au
chérif Mohamed-el-Mehdi. Ses fils s'embarquèrent pour l'Espagne et trouvèrent
la mort durant la traversée. Ainsi s'éteignit au Maroc la famille des
Mérinides. (H.-P. de la Martinière).
Chronologie
des émirs mérinides (Beni-Merin) au Maroc :
Othman,
fils d'Abd-et-Hakk, 1217; Mohammed, son frère, 1239; Abou-Yahia-Abou-Bekr,
leur frère, 1244; Omar, son fils, 1258; Abou-Yousef-Yakoub,
1259;
Abou-Yakoub-Yousef, fils d'Abd-el-Ilakk, 1286; Abou-Tsabet-Amer,
son petit-fils, 1307; Abou-Rebia-Sliman, son frère, 1308;
Abou-Saïd-Othman, fils d'Yakoub, 1316; Abou-Ali, son fils, à Sidjilmassa,
1315;
Abou l'Hasen, fils d'Abou-Saïd, son fils, 1331; Abou-Inan, son
fils, 1348; Es-Saïd, son fils, 1358; Abou-Salem-Ibrahim,
son frère, 1359; Abou-Omar-Tachfin, son frère, 1361; Abd-el-Halim,
petit-fils d'Abou-Saïd, 1364; Abou-Zeyan-Mohammed, petit-fils d'Abou
l'Hasen,1361; Abd-el-Kalim, Ã Sidjilmassa, 1361; Abd-el-Moumen,
son frère, à Sidjilmassa, 1362; Abd-el-Aziz, fils d'Abou l'Hasen,
1366;
Es-Saïd II, son fils, 1372; Abou l'Abbas-Ahmed, fils d'Abou-Salem,
1374;
Abderraman, Ã Marrakech, 1374; Abou l'Abbas, 1382; Moussa,
fils d'Abou-Inan 1384; El-Mostasar, fils d'Abou l'Abbas,
1384;
El-Ouatsek, fils d'Abou l'Fadel, 1386; Abou l'Abbas, pour la seconde
fois, 1387; Abou-Farès, son fils,
1393; Abou-Saïd, vers
1411;
Saïd et Yakoub, ses deux frères, vers 1421; Abdallah, fils d'Abou-Saïd,
1423;
Mohammed, fils d'Abou-Inan ?; Ahmed ?; période inconnue; Maulay-bou-Hassoun,
vers 1458; Abdallah, vers
1470; Maulay-Saïd, vers 1471;
Maulay-Ahmed ?; Maulay-Nacer, Ã Marrakech, 1502; Maulay-Mohammed,
1508; Maulay-Ahmed, son fils, à Fès, 1520 à 1550;
interruption par le chérif saadien Mohammed-el-Mehdi,
1550; Maulay-Abou-Hassoun,
le dernier Mérinide, 1554.
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