Jalons |
Les
atomes
Empédocle
(vers 492-432 av. J.-C)
avait en quelque sorte posé les bases de l'atomisme. Mais la première
théorie
des atomes sera développée par Leucippe
et son disciple Démocrite (ca 460-370
avant J.-C.). Les atomistes
de l'Antiquité
considéraient que du principe de ce que rien
ne se fait de rien (ex nihilo fit nihil), découle la
nécessité
d'admettre des atomes comme constituants ultimes de la matière .
Inégaux de grandeur, de poids et de forme, les
atomes sont soumis à un mouvement intérieur, qui est la cause
de toute combinaison, comme de toute décomposition. Leur mouvement est
facilité par l'existence de pores ou d'intervalles
vides. Les atomes sont impénétrables : deux atomes ne pourront jamais
occuper le même espace. Chaque atome résiste
à l'atome qui tend à le déplacer. De là un mouvement oscillatoire qui
se propage de proche en proche à tous les atomes d'un même groupe. Il
en résulte une véritable rotation, qui est le type de tous les mouvements
du monde.
Repoussant comme
imaginaire ou inutile toute intervention d'une divinité quelconque , Leucippe
et Démocrite essayèrent d'expliquer par la
seule action des forces physiques tous les
phénomènes de l'univers. Cette idée a été
reproduite depuis par toutes les écoles matérialistes
( Les Présocratiques).
Leucippe.
Leucippe
(vers 460 avant J. C.), ne renonce
pas aux éléments
invoqués par ses prédécesseurs, mais selon lui, comme cela était aussi
l'idée d'Empédocle, la terre, l'eau, l'air
et le feu, que quelques philosophes avaient considérés comme des éléments
simples, ne sont que des corps composés. Les dernières particules des
corps composés n'admettent plus de division; elles sont immuables;
leur changement de position, leur séparation et leur combinaison, expliquent
toutes les variations des corps qui sont tellement petites que les sens
ne les perçoivent pas, portent le nom, d'insécables ou d'atomes
(atoma). Les atomes sont soumis à un mouvement intérieur, cause
de toute combinaison et de toute décomposition. Les atomes sont inégaux
de grosseur et de forme; les atomes ronds se meuvent avec le plus de rapidité.
Aussi le feu a-t-il, ainsi que l'âme, les atomes ronds.
Les corps contiennent des pores ou des
intervalles vides qui favorisent le mouvement des atomes; car l'expérience
enseigne qu'un vase rempli de cendres peut contenir en même temps son
volume d'eau; que le vin peut être comprimé dans une outre, etc.
Leucippe expliqua
la création du monde par la seule action des agents physiques, sans faire
intervenir aucune intelligence supérieure.
En matérialiste
conséquent avec lui-même, Leucippe considérait
l'âme également comme un être
matériel composé d'atomes ronds, comme le feu. Selon sa doctrine,
le mouvement de ces atomes constitue la pensée.
L'âme est un être igné, peut-être identique avec le feu. C'est ce qui
explique la respiration
comme un phénomène absolument nécessaire à la vie; car la vie, tout
comme le feu, a besoin d'air pour continuer à exister.
Démocrite.
Démocrite
(470 av. J.-C.), natif d'Abdère ,
est un des philosophes les plus célèbres de l'Antiquité .
Il passa pour un grand physicien; à l'exemple de ses prédécesseurs,
il acquit des connaissances, et les perfectionna semble-t-il dans de longs
voyages en Orient. Les auteurs racontent comme des merveilles la vie et
les aventures de ce philosophe, qu'il ne faut pas confondre avec le pseudo-Démocrite,
auquel
les alchimistes
attribuent différents ouvrages de physique et de chimie.
Diogène
Laërce et Suidas donnent la liste
des différents ouvrages attribués à Démocrite,
parmi lesquels on n'en regarde que deux comme parfaitement authentiques;
l'un, intitulé Le grand diacosme, et l'autre, Sur la nature
de monde.
Ce témoignage est en quelque sorte confirmé
par celui de Vitruve, qui dit que Démocrite
avait écrit plusieurs livres sur la nature des choses, et qu'il avait
coutume de sceller de son anneau les expériences qu'il avait vérifiées
par lui-même. Cette coutume s'est plus tard reproduite chez les alchimistes,
qui ne manquaient jamais d'apposer sur leurs fioles le sceau d'Hermès .
Columelle
(XI , 3) nous a conservé le titre d'un ouvrage de Démocrite, intitulé
Sur les pierres.
Démocrite savait, dit Pétrone,
extraire les sucs de toutes les plantes ;
et il passa sa vie à faire des expériences, afin d'approfondir les secrets
des règnes végétal
et minéral. Sénèque nous apprend que c'est
au philosophe d'Abdère
qu'est due l'invention du fourneau à réverbère, des moyens d'amollir
l'ivoire ,
d'imiter la nature dans la production des pierres précieuses, et particulièrement
des émeraudes.
Démocrite défendit et perfectionna le
système atomistique de Leucippe,
son maître. Du principe, dit-il, que rien ne
se fait de rien, découle la nécessité d'admettre
des atomes; car si tout corps est divisible Ã
l'infini, et que la division ne s'épuise jamais,
il n'en restera rien, ou il en restera toujours quelque chose. Dans le
premier cas, le corps ne se composerait de rien, ou il se composerait d'une
réalité apparente. Dans le second cas, on peut
demander Que reste-t-il? une quantité, ou une
étendue? Mais alors la division n'est pas encore
épuisée. Des points? Mais, quel que soit le nombre des points qu'on additionne,
ils ne donneront jamais une étendue. Donc, il faudra admettre des éléments
réels, indivisibles et insécables. Tels sont le raisonnement
et la conclusion de Démocrite, qui donne aux atomes les caractéristiques
suivantes :.
• Les
atomes sont variables, non seulement en grosseur, mais en poids. Les atomes
plus petits sont aussi plus légers. Tous les atomes sont entre eux dans
un état actif ou passif, qui constitue leur mouvement propre.
• Les atomes sont
impénétrables : deux atomes ne peuvent pas occuper simultanément le
même espace. Chaque atome résiste à l'atome qui tend à le déplacer.
Cette résistance donne lieu à un mouvement oscillatoire (palmos)
qui se communique à tous les atomes voisins, qui, à leur tour, le transmettent
aux atomes plus éloignés. De là un mouvement giratoire, un tourbillon,
qui est le fondement nécessaire de tous les mouvements de ce monde.
• La réunion des
atomes donne naissance à un nombre infini de mondes, dont les uns se ressemblent,
tandis que les autres ne se ressemblent pas.
Comme Leucippe,
Démocrite
essaya d'expliquer la création et tous les phénomènes
du monde par la simple action des forces ou
des agents physiques, sans l'intervention de la Divinité,
dont il n'est pas question dans ce système, exclusivement matérialiste.
Pas
plus que Leucippe, Démocrite ne rejette les quatre éléments .
Mais s'ils ne sont plus le principe ultime,
ils interviennent dans l'explication des phénomènes
immédiatement après les atomes, comme une couche
supplémentaire. L'air, par exemple, est mentionné dans sa conception
du monde. Enveloppé par une nappe sphérique d'atomes étroitement unis
les uns les autres, il est suspendu dans le vide infini.
Au milieu de cette sphère se trouve la Terre ,
et l'espace compris entre le centre et l'enveloppe
solide de la périphérie est rempli par l'air où se meuvent les astres.
La Terre est un cylindre plat que sa largeur maintient suspendu au-dessus
de l'air. Quant au feu, il intervient il acquiert une valeur spéciale
dans la psychologie démocritéenne.
Le mouvement de l'âme, qui est la pensée,
s'expliquerait par le mouvement des atomes de l'âme, Car, ajoute Démocrite,
l'âme n'aurait pas la faculté de mouvoir le corps, si elle n'avait pas
la force de se mouvoir elle-même. La chaleur est la condition sine
qua non de la vie; cette chaleur suppose un foyer, qui est l'âme;
car l'âme elle-même n'est que du feu, ou un agrégat d'atomes ignés.
Lorsque ces atomes se dissipent, la vie cesse.
Les éléments
interviennent aussi dans l'explication des sensations.
Toutes les sensations, explique Démocrite,
s'opèrent par l'intermédiaire d'objets sensibles. Il conçoit la
vue comme Empédocle : il se dégage des objets
visibles des émanations qui en conservent la forme : l'air est mis en
mouvement par ces images au moment de leur essor, il en reçoit l'empreinte
et touche l'oeil .
L'oeil contient de l'eau, laquelle est l'intermédiaire de la vision .
De même, le son est un courant d'atomes qui part du corps résonnant et
qui met en mouvement l'air placé devant ce corps. L'objet sonore
communique son mouvement d'abord à l'air qui l'entoure, et qui transmet
ce mouvement de proche, en proche, jusqu'à ce qu'il arrive à l'oreille .
Ce mouvement , en s'unissant aux atomes de l'âme, y produit des "vibrations"
qui persistent même après que l'objet qui les a causées n'existe plus;
à peu près comme l'eau, qui continue à s'agiter longtemps après l'éloignement
de la cause de son mouvement. C'est cette persistance
du mouvement oscillatoire qui explique les songes au milieu du calme de
la nuit. A l'aide de cette même théorie, Démocrite peut aussi expliquer
les idées superstitieuses ,
celle du mauvais oeil, par exemple : les yeux des gens envieux émettent
des images qui, portant avec elles quelque chose de leurs sentiments,
tourmentent les personnes en qui elles se logent...
Démocrite
s'occupe ensuite des êtres vivants
: le corps est composé d'atomes,
et entre ceux-ci se glissent les atomes psychiques que la respiration empêche
d'être poussés hors du corps par l'air ambiant. Grâce à celui-ci, elle
remplace constamment les atomes disparus et leur donne la force de résister
à la pression de l'air extérieur. On peut rapprocher de ces vues un passage
analogue de Lucrèce (livre V, vers 276 et suiv.)
:
Semper enim
quodcunque fluit de rebus, id omne
Aeris in magnum
fertur mare, qui nisi contra,
Corpora retribuat
rebus, recreetque fluentes,
Omnia jam resoluta
forent, et in aera versa.
Quand la respiration
s'arrête et que la résistance intérieure est vaincue par la pression
de l'air extérieur, le feu intérieur s'échappe et la mort s'ensuit.
L'âme est répandue dans tout l'univers, et l'air contient beaucoup de
raison, sans quoi nous ne pourrions y puiser la
vie et l'âme.
Démocrite
eut de nombreux disciples empressés de propager les doctrines de leur
maître. On nomme parmi les plus célèbres : Métrodore
le sceptique, Nessus de Chios ,
Diogène
de Smyrne, Anaxarque, contemporain d'Alexandre
le Grand, et Nausiphane, maître d'Epicure.
Anaxagore.
On voit que, dans les théories de l'école
atomistique, la matière
perd de plus en plus son crédit primitif, comme principed'explication
des choses; la part de l'esprit devient de plus
en plus grande, et nous arrivons au philosophe, qui n'appartient pas Ã
proprement parler à cette école, mais en reprend les mêmes
conceptions
mécanistes, tout en donnant au monde une cause
spirituelle et prononce pour la première fois le mot de Nous (=
intelligence). Il s'agit d'Anaxagore.
L'Asie Mineure (Ionie ),
la Sicile, l'Italie Méridionale (Grande Grèce )
avaient été jusqu'ici le siège principal des sciences et des lettres.
Anaxagore de Clazomène
(né vers 493 av. J. -C.), philosophe
ionnien par l'origine, sinon par la doctrine, transporta ce siège à Athènes.
Le philosophe n'y fut pas pourtant bien accueilli. De fait, La
théorie atomistique de Leucippe
et de Démocrite déplaisait singulièrement
à tous les partisans des croyances religieuses traditionnelles, et Anaxagore,
qui avait pris cette théorie pour base de son enseignement, fut accusé
d'impiété pour cela par la majorité des Athéniens. Cette accusation
était particulièrement basée sur ce que le philosophe avait enseigné
que le Soleil
est un globe de feu, que la Lune
a des montagnes et des vallées, une mer et un continent, et qu'elle est
habitée; que les éclipses
proviennent de causes toutes naturelles, etc. Il
n'échappa que par la fuite à l'exécution de la sentence de mort, portée
contre lui. Abreuvé de chagrins, Anaxagore se rendit à Lampsaque ,
où il ne tarda pas à mourir.
La doctrine d'Anaxagore
concernant la matière
était la suivante : tout est dans tout; chaque atome est un monde en miniature.
Nous mangeons du pain, nous buvons de l'eau . Et ces aliments nourrissent
les muscles ,
le sang ,
les os ,
en un mot, toutes les parties du corps .
Cela serait-il possible, s'il n'y avait pas dans le pain et dans l'eau
des atomes ou des molécules identiques avec celles dont se composent
les muscles, le sang, etc.? La nutrition
n'est possible que parce que les aliments sont composés des mêmes particules
similaires que les organes de la vie qu'ils entretiennent. Ces particules
similaires, éléments indestructibles, atomes insécables, portent, dans
le système d'Anaxagore, le nom d'homéoméries
(ou homoéoméries). Le nombre des homéoméries ne peut être ni
augmenté ni diminué. Voilà pourquoi la quantité
de matière dont se compose le monde demeure constante, quelles que soient
les transformations qu'on y observe. C'est par une erreur de langage que
la combinaison des éléments ,
et leur séparation sont appelées naissance et mort.
Il n'y a pas d'espace vide. Les intervalles
(pores), qui séparent les atomes sont, non pas vides, mais remplis d'air.
La cause de l'ordre
et du mouvement de la matière
est en dehors de celle-ci. En cela Anaxagore
s'éloigne encore de la doctrine des autres écoles, qui avaient presque
toutes placé le principe du mouvement dans la matière elle-même. Ainsi,
la matière de la création et le principe de la création sont deux choses
différentes : la première tombe sous les sens, tandis que le dernier
échappe à l'observation directe. La matière
subtile (éther, feu), que les autres philosophes avaient considérée
comme la cause du mouvement de la matière compacte plus grossière, et
des changements que ce mouvement entraîne, est comprise, par Anaxagore,
dans la même catégorie, à laquelle est opposé le principe actif (nous).
Ce principe actif possède tous les attributs
de l'intelligence suprême, qui ne peut être représentée sous aucune
forme matérielle.
A l'origine, explique
encore Anaxagore, tous les éléments
sont mélangés. L'intelligence produit un mouvement en tourbillon
dont la rapidité extraordinaire sépare les
substances.
Elles viennent se grouper selon les oppositions les plus générales du
chaud et du froid, de l'humide et du sec en deux grandes masses, qui président
à la formation des choses : l'éther et l'air. L'éther représente le
chaud, le ténu, le feu; l'air représente le froid, le sombre, le lourd.
Par la rotation, le lourd (l'air) est poussé vers le milieu, et le ténu
(l'éther) vers le dehors; comme dans les tourbillons d'eau et d'air, la
partie la plus lourde occupe le milieu. L'eau se dégage des vapeurs et
la terre de l'eau; des pierres isolées se détachent de la terre par la
violence de la rotation et deviennent lumineuses en s'enflammant dans l'éther
: ce sont les astres qui éclairent la terre. Quant à celle-ci, elle est
plate et large et flotte au milieu de l'air. Dans le monde des êtres,
Anaxagore poursuit sa distinction de l'air et de l'éther en disant que
les germes des plantes proviennent de l'air et ceux des animaux de l'éther. |
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