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A moins d'aimer
forcer le trait jusqu'à remonter à de temps immémoriaux
et premier usage qui a été fait de l'eau (qui est un dissolvant)
pour se laver les mains, on pourrait faire commencer l'histoire de la chimie
à l'époque de la maîtrise du feu, il y a environ 500.000
ans. A partir de là, une emprise nouvelle sur la matière
apparaît. On peut transformer les aliments par la cuisson; on peut
durcir la pointes des armes en bois par le feu; on dispose aussi avec lui
d'un extraordinaire outil de destruction. De nouveaux modes de transformation
de la matière apparurent ensuite : certains allaient encore impliquer
le feu (la poterie, la métallurgie, etc.), mais d'autres allaient
s'avérer très différents. Et déjà dans
la préparation des aliments.
Pain. vin. vinaigre.
huile.
La fabrication du pain et du vin marqua
une première avancée importante. Depuis un nombre inconnu
de siècles, les humains mangeaient, sans aucune préparation,
les graines de certaines graminées
et les baies de la vigne
sauvage, lorsqu'il vint, on ne sais ni d'où ni comment, à
l'un ou à plusieurs d'entre eux, l'idée de broyer les graines
et d'exprimer le jus des baies, de faire avec la farine une pâte,
de ne la manger que cuite ou grillée, et de ne boire le jus des
raisins qu'après l'avoir laissé fermenter. Ces premiers produits
de la première industrie humaine, méritaient bien qu'on leur
attribue des divinités, qui vinrent se placer aux côtés
des dieux associés aux phénomènes naturels. Démeter
fut ainsi, en Grèce ,
la déesse des céréales,
et Dionysos
(Bacchus) le dieu de la vigne. Les poètes - grands pontifes des
temps archaïques - chantèrent ces divinités, et les
peuples les adorèrent...
La
fabrication du pain.
La pratique précède la théorie
: c'est ce que montre l'antique usage des premiers produits de la fermentation.
La théorie de cet important phénomène chimique, démonstration
évidente, naturelle, de la métamorphose de la matière,
ne date pour ainsi dire que d'hier; mais il y a plus de trois mille ans
qu'on savait mettre la fermentation à profit pour varier le goût
des aliments et des boissons.
Les auteurs de la Genèse ,
rédigée à partir du VIe
siècle av. notre ère, connaissaient déjà
l'emploi du levain dans la panification. Car, en prescrivant aux Israélites
la manière de manger l'agneau pascal, ils leur faisaient défendre
par Moïse ,
entre autres, de manger du khamets, c'est-à-dire du pain
fermenté. Pourquoi? Sans doute parce que la fermentation, dont on
ne pouvait pas méconnaître l'analogie avec la putréfaction,
était regardée comme impure. Mais le pain non fermenté
ne formait pas la nourriture habituelle des Hébreux,
ainsi que cela résulte d'un passage explicite d'un des livres du
Pentateuque ,
où il est dit
«
que les Israélites, lors de leur sortie d'Égypte, mangèrent
du pain sans levain et cuit sous la cendre, parce que les Egyptiens les
avaient si fort pressés de partir, qu'ils ne leur avaient pas même
laissé le temps de mettre le levain dans la pâte (Exode, XII,
39). »
L'histoire, qui perpétue la mémoire
de tant de héros inutiles, n'a pas conservé le nom des observateurs
qui les premiers découvrirent qu'un morceau de pâte aigrie,
d'un goût détestable, faisait gonfler la pâte fraîche
à laquelle on l'ajoutait, et que celle-ci donnait, par la cuisson,
un pain plus léger, plus savoureux et d'une digestion plus facile.
Pour arriver à ce résultat, il fallut incontestablement beaucoup
de temps et plus d'un observateur.
La
fabrication du vin et du vinaigre.
La découverte du vin devait être
incomparablement plus aisée. Exprimer le suc des raisins, et mettre
en réserve celui qu'on ne buvait pas immédiatement, c'était
là une idée qui pouvait se présenter à l'esprit
du premier venu. Or il suffisait de conserver ce suc dans des vases
ouverts pour le faire fermenter et le convertir en vin. Une chose digne
de remarque, c'est que le mot hébreu yine, qui veut dire
vin, signifie, d'après son étymologie, produit de la fermentation.
Ce même mot se retrouve, avec de légères modifications,
non seulement dans toutes les langues sémitiques
(phénicienne, syriaque, arabe),
mais dans tous les idiomes indo-européens,
car l'inos (oinos)
des Grecs ou le vinum des Romains
a passé dans toutes les langues néolatines
et germaniques, comme l'attestent
les mots vino, wein, wine, etc. Le vin, en tant que
simple produit de la fermentation alcoolique, s'offrit donc en quelque
sorte spontanément à ceux qui en firent les premiers usage.
Nous laissons ici, bien entendu, de côté les raffinements
qu'y apporta plus tard l'industrie. Mais, pour faire adopter le vin comme
boisson, il fallut soumettre l'appareil gustatif à une véritable
éducation; car toutes les choses, même celles qui finissent
par flatter le palais, répugnent naturellement à celui qui
n'en a pas l'habitude. Ainsi, l'eau-de-vie ne fut longtemps qu'un médicament;
et pendant plus d'un siècle on ne put s'accoutumer au goût
de la pomme de terre ,
du moins en France .
Le jus de la treille eut bientôt
ses succédanés. Le suc du palmier et celui d'autres végétaux
furent transformés en liqueurs alcooliques par la fermentation.
Les céréales ne servaient pas seulement à donner le
pain; on les faisait fermenter dans l'eau, pour en retirer une boisson
enivrante. La bière était une boisson aimée des nations
les plus diverses : elle se rencontrait chez les Egyptiens
et chez les Gaulois. Et les Germains faisaient,
au rapport de Tacite,
«
un breuvage avec de l'orge, et converti, par la fermentation, en une sorte
de vin : Potus ex hordeo factus et in quarndem sirnilitudinem vini corruptus.
»
C'était, en effet, de la véritable
bière. Hâtons-nous d'ajouter que, le houblon étant
d'un emploi récent, la bière des Anciens
devait facilement tourner à l'aigre.
La connaissance du vin et de la bière
fait supposer celle du vinaigre. Car ces liquides, quoique déjà
fermentés, peuvent, dans les conditions atmosphériques ordinaires,
éprouver une seconde fermentation : dans celle-ci il se produit
de l'acide acétique aux dépens de l'alcool, de même
que dans la première fermentation l'alcool s'était formé
aux dépens du sucre contenu dans le suc fraîchement exprimé.
Mais ce qui mérite surtout d'être signalé, c'est que
le mot hébreu khometz, qui se retrouve dans toutes les langues
sémitiques, a pour racine khamets, qui signifie ferment,
de même que yine, vin, dérive du verbe yavane,
faire effervescence, comme pour indiquer le mouvement (dû au dégagement
de l'acide carbonique) qui se produit pendant la transformation du moût
en vin.
La
fabrication de l'huile.
L'idée d'écraser les fruits
pour en retirer, soit la fécule, soit le suc, devait conduire à
la découverte de l'huile. Concurremment avec le pain et le vin,
on voit en effet l'huile, particulièrement l'huile d'olive, entrer
dans l'alimentation primitive, aussi bien que dans les pratiques religieuses
des peuples de l'Orient. L'huile avait reçu encore un autre usage
: dès l'époque des Pharaons
on employait en Égypte
les lampes à mèche imprégnée d'huile comme
moyen d'éclairage.
La métallurgie
antique
La haute antiquité de la métallurgie
est d'abord attestée par les objets en or, argent, airain, fer trouvés
dans les plus vieilles sépultures, comme celles de la Mésopotamie.
Quant à l'importance que la métallurgie, art du feu
par excellence, prit chez les peuples qui possédaient cette technologie,
elles transparaît dans toutes leurs traditions mythologiques. Dans
la mythologie grecque ,
on connaît le mythe de Prométhée
ravissant le feu du ciel, celui, surtout, de Héphaïstos
forgeant avec ses cyclopes
les foudres
de Zeus ,
les Cabires
et autres peuplades réelles ou imaginaires habiles à travailler
les métaux, etc. Dans l'Ancien Testament ,
apparaissent les idoles d'or, Tubal-Caïn, habile à forger toutes
sortes d'instruments d'airain et de fer, Abraham
et ses richesses en argent;
Parmi les découvertes
métallurgiques de l'Antiquité, il faut mettre au premier
rang celles dont nous sommes redevables à la civilisation grecque
: la soudure, inventée par Glaucos vers le VIIe
siècle av. J.-C., et le moulage, qui permit à
Théodoros, un insulaire de Samos
contemporain de Périclès, de couler
d'un jet la première statue d'airain
par ce procédé à cire perdue encore en usage aujourd'hui.
Dans l'Odyssée ,
Homère
(VIIIe s.)
compare le bruit que fit l'épieu enflammé plongé par
Ulysse
dans l'oeil de Polyphème
à celui que fait une hache quand, après l'avoir chauffée
au rouge, on la plonge dans l'eau froide. Ce trait paraît montrer
que les Grecs connaissaient et appliquaient
le phénomène de la trempe.
Substances diverses.
Le
soufre.
Le soufre naturel, si commun autour du
Vésuve
et de l'Etna, était connu dès la plus haute antiquité.
C'est celui que les Grecs et Romains
appelaient qeion apuron,
sulphur
vivum, parce qu'il n'avait pas besoin d'être préalablement
traité par le feu comme une autre espèce de soufre, nommé
gleba
(minerai de soufre). L'odeur caractéristique qu'il répand
par sa combustion (odeur due à la formation de l'acide sulfureux)
et la flamme livide avec laquelle il brûle et qui, comme dit Pline,
«-communique, dans l'obscurité,
aux figures des assistants, la pâleur des morts-»,
l'avaient fait choisir de bonne heure
pour l'accomplissement de certaines cérémonies religieuses .
A raison de sa prétendue origine on lui supposait aussi une vertu
purificatrice; car le soufre passait pour « renfermer en lui une
grande force de feu, ignium vim magnam einesse. »
Ce n'était là qu'une vue
théorique. Mais elle fut avidement recueillie et singulièrement
commentée : le soufre fut pendant longtemps regardé comme
une condensation de la matière du feu, dont on fit plus tard une
singulière entité sous le nom de phlogistique.
Les
« sels ».
Le borith et le neter étaient
employés chez les Hébreux pour le blanchiment des étoffes.
ils préparaient la première de ces substances en filtrant
de l'eau à travers des cendres végétales, et évaporant
jusqu'à siccité la liqueur filtrée. Le borith était
donc du carbonate de potasse (sel végétal) impur. Quant au
neter, c'était, non pas le nitre, comme son nom pourrait le faire
supposer, mais le natron ou carbonate de soude impur, fort commun dans
certains lacs d'Afrique .
On savait qu'il fait effervescence avec le vinaigre; de là son nom
de neter, qui signifie faire effervescence. Le borith se distinguait facilement
du neter parce qu'il est déliquescent au contact de l'air humide,
tandis que le neter (carbonate de soude), placé dans les mêmes
conditions, est efflorescent.
Le nitre (nitrate de potasse) proprement
dit, qui ne fait pas, comme le neter, effervescence avec le vinaigre, on
le retirait en énormes quantités des cavernes de l'Asie ,
appelées calyces, qui rappellent les cavernes de l'Amérique
méridionale ,
si riches en nitrate de soude. L'usage du nitre était très
borné dans l'Antiquité ;
les médecins de Rome
l'employaient comme diurétique. Vers le IXe
siècle, il entra dans la composition de la poudre à
canon; il acquit dès lors une grande importance, et reçut
le nom de sel de pierre ou de sal pêtre (sal petrae).
Le sel marin (chlorure de sodium) était
le sel par excellence. Le nom de sel, sal, vient, d'après
Isidore
de Séville, de exsilire = décrépiter. Le
sel marin décrépite, en effet, sur les charbons ardents.
Dans les premiers temps de Rome ,
les rations militaires consistaient en pain et en sel; de là le
nom de salaire, d'abord appliqué à la solde des troupes.
On obtenait le sel marin par l'évaporation naturelle des eaux de
mer qu'on faisait, au moyen d'écluses, arriver dans des étangs
disposés à cet effet. C'était le système des
marais
salants, tel qu'il se pratique encore aujourd'hui. Il y avait de ces
marais, salinae, dans l'île de Crète
et sur plusieurs points du littoral de l'Italie
et de l'Afrique .
En Sicile
et en Cappadoce
on exploitait des mines de sel gemme (sel fossile), beaucoup plus pur que
le sel marin, qui était également employé pour les
usages culinaires, ainsi que pour conserver les viandes et les poissons .
Certains peuples, tels que les habitants des bords du Rhin, remplaçaient
le sel marin et le sel fossile par les cendres des plantes
qu'ils brûlaient (Varron, De re rustica,
I, 7).
De la Cyrénaïque ,
principalement des environs du temple de Jupiter Ammon ,
venait le sel, nommé arnmos, qui signifie en grec sable.
C'était le sel ammoniac, facile à distinguer du sel marin
par sa forme cristalline, fibreuse.
«
Le sel ammoniac (to ammwniakon)
est, dit Dioscoride, facile à diviser.
»
Les Grecs
et les Romains donnaient le nom d'alumen
et de stypteria non seulement à l'alun, mais à tous
les sels d'un goût astringent, comme le sont les sels de fer. Les
aluns les plus estimés venaient des îles de Milo
et de Chypre .
On les employait, dans les arts, pour la préparation des laines
et des cuirs, et en médecine pour arrêter les hémorragies,
pour nettoyer les plaies putrides, toucher les ulcères de la bouche,
etc. C'est un usage que retiendra la médecine. On en retirait, par
la calcination et le lavage, une poudre blanche, légère,
happant à la langue, connue sous le nom de terre de Samos ,
terre de Chio ,
terre Cimolienne; c'était l'alumine (argile pure). On croyait l'alun
composé de terre et d'eau (ex aqua limoque) (Pline).
La
chaux.
Le nom de calx, chaux, s'appliquait
primitivement à toutes les pierres calcaires, propres à faire
du mortier ou à servir de matériaux de construction. Les
Romains paraissent cependant avoir connu la chaux proprement dite, la chaux
caustique, telle qu'on l'obtient par la calcination du carbonate calcaire;
nous en voyons la preuve dans le passage suivant de Pline
:
«
La chaux est d'un grand usage en médecine; fraîchement préparée,
et non mouillée, elle brûle et dissipe les ulcères
et les empêche de prendre du développement. »
L'argile.
Les anciens étaient loin de se
douter que l'argile, la base de la faïence ,
de la poterie, des briques et des tuiles, était identique avec la
substance blanche (alumine) qui entre dans la composition des aluns. Depuis
les temps les plus reculés, on savait façonner l'argile rouge
(ferrugineuse) de manière à en faire des assiettes,
des coupes, des jattes, des tuiles, etc. Les ruines de Babylone
et de Thèbes
en Egypte
sont là pour l'attester. Les villes de Cumes ,
d'Adria ,
de Rhégium ,
de Tralles, étaient, dans toute l'Antiquité ,
célèbres pour leurs fabriques de poterie. Les amphores de
Cos
étaient particulièrement recherchées. Les principaux
édifices d'Athènes, le temple
de Zeus à Patras, le palais d'Attale à Tralles, le palais
de Sardes, le mausolée à Halicarnasse ,
tous ces monuments, qui existaient encore à l'époque de Pline,
étaient en briques. Le silex tranchant, la roche siliceuse, le cristal
de roche, le sable, étaient primitivement considérés
comme des substances de composition différente. Ce n'est qu'après
de longs siècles d'efforts qu'on reconnut par l'analyse que ces
substances ne sont au fond que de la silice qui, calcinée avec les
bases alcalines et métalliques, se comporte comme un véritable
acide (acide silicique).
Le
verre.
Lorsqu'on commençait à renoncer
aux armes de silex, les roches siliceuses étaient converties en
moules ou l'on faisait fondre des ouvrages d'airain. Le cristal de roche,
qu'on appelait phengite à cause de sa transparence, était
employé en guise de miroir. Le temple de la Fortune de Seïa
avait été tout entier reconstruit en cristal de roche par
ordre de Néron : les phénomènes
de coloration que ce temple présentait dans son inférieur
par suite de la réfraction de la lumière, étaient
mis au nombre des merveilles du monde.
Mais c'est surtout pour la fabrication
des verres incolores et colorés que la silice était utilement
employée. Les Egyptiens paraissent
avoir connu de temps immémorial l'action vitrifiante des sels alcalins,
chauffés au contact de la silice. Il résulte, en effet, de
l'examen des monuments qui nous restent de l'antique Egypte, qu'on fabriquait
du verre à Thèbes
et à Memphis, probablement bien avant
que les Phéniciens eussent établi des verreries à
Sidon .
La fabrication du verre coloré était
presque aussi ancienne que celle du verre blanc ou incolore. Cela se comprend.
Le vert-de-gris, la rouille de fer ou tout autre oxyde métallique
pouvait d'abord colorer accidentellement une pâte vitreuse. Des débris
de verre coloré, imitant l'émeraude, le saphir, l'améthyste,
ne sont pas rares dans les tombeaux d'Egypte. Les pierres bleues, figurant
des scarabées, des perles, etc., paraissent avoir été
obtenues par la fusion d'une masse vitreuse avec l'oxyde de cobalt. Ce
que Hérodote, Théophraste
et Pline nous racontent des statues,
des colonnes et mettre des obélisques
en émeraude de l'Egypte
et de la Phénicie, ne saurait s'appliquer qu'à des basses
vitreries, colorées par un oxyde métallique.
Les carreaux de vitre, qui nous font jouir
du bienfait de la lumière à l'abri de toutes les variations
de température, ne paraissent guère avoir été
connus antérieurement au Ier
siècle de notre ère. Avant cette époque,
les riches employaient, au lieu de vitres, la corne, la pierre spéculaire,
le cristal de roche etc.; les pauvres restaient exposés à
toutes les injures de l'air. On a trouvé dans les ruines de Pompéï
des salles de bain garnies de fenêtres
en verre, aussi belles que les nôtres.
La matière qui servait à
la fabrication des vases murrhins était
probablement du cristal opaque. Ces vases, qui présentaient beaucoup
d'analogie avec les porcelaines de la
Chine
et du Japon ,
ne furent connues à Rome
que vers la fin de la république. Ils étaient fort chers;
car une coupe murrhine, de la capacité d'environ un litre, se vendait
jusqu'à 70 talents. Néron en acheta
une au prix de 300 talents. A cette occasion Pline
se demande, en gémissant, comment un père de la patrie pouvait
boire dans une coupe si chère; et il ajoute que Néron ne
rougissait pas de recueillir jusqu'aux débris de ces vases, de leur
préparer un tombeau et de les y placer, à la honte du siècle,
avec le même appareil que s'il se fût agi de rendre les derniers
honneurs aux cendres d'Alexandre.
Les étoffes.
L'art de tisser remonte aux temps les
plus anciens. Le lin était cultivé en Egypte
de temps immémorial. Il fournissait l'étoffe employée
surtout pour les vêtements des castes inférieures. Le coton
était réservé à l'habillement des personnes
du plus haut rang. Il portait primitivement le nom de byssus, de
boutz
(xylon ou gossipion des Grecs) , et provenait d'une espèce
de noix (capsule) qui croissait sur une espèce d'arbuste.
«
On ouvrait cette noix, pour en tirer la substance, que l'on filait et dont
on faisait des vêlements. » (Philostrate, Strabon).
Cette différence des étoffes
suivant les rangs des personnes se retrouve dans les enveloppes des momies
égyptiennes .
Par ses fibres aplaties, rubannées, le coton (vu au microscope)
est facile à distinguer du lin, qui a les libres arrondies, droites,
garnies d'entre-noeuds comme les bambous.
Les Romains
faisaient venir leurs toiles principalement des Gaules
et de la Germanie ,
où le lin et le chanvre paraissent avoir été depuis
longtemps cultivés et travaillés sur une grande échelle.
A son avènement à la dictature,
Jules
César fit couvrir de toiles le grand forum de Rome ,
ainsi que la Voie Sacrée, qui allait de son palais au Capitole .
Matériaux
et enduits incombustibles.
On rencontre çà et là,
dans les roches de formation primitive, une substance minérale,
blanchâtre, filamenteuse, douce au toucher, qu'on prendrait au premier
aspect pour une étoffe végétale; c'est l'amiante.
Son incombustibilité lui fit donner des Grecs
le nom d'asbeste. Les patriciens de Rome
se servaient de nappes d'asbeste, qu'après le repas ils jetaient
au feu pour les blanchir. Avant l'établissement de la république
on enveloppait avec la même substance les corps des rois morts afin
que leurs cendres ne se mélassent pas avec celles du bûcher.
Emerveillés de celle incombustibilité d'une matière
d'apparence organique, les alchimistes lui
donnèrent le nom de laine de salamandre, parce que, d'après
leurs croyances, la salamandre
était à l'épreuve du feu.
Le problème de rendre les constructions
incombustibles a été souvent agité dans les temps
modernes. Or, les architectes grecs
et romains l'avaient déjà
résolu. Pour rendre le bois de construction réfractaire au
feu, ils le trempaient dans des liqueurs alcalines et alumineuses. Sylla,
assiégant le Pirée ,
ne put, malgré tous ses efforts. parvenir à brûler
une tour construite en bois, et qui défendait l'entrée de
ce port d'Athènes. Il se trouva que
le bois de cette tour avait été enduit d'alun (Aulu-Gelle,
Nuits
attiques ).
Embaumement.
L'origine de l'art d'embaumer les morts
parait remonter à plus de cinq mille ans. Hérodote
nous a laissé les détails, les plus circonstanciés
sur les procédés d'embaumement en usage chez les Egyptiens,
et où le vin de palmier, l'huile de cèdre, la saumure de
natron et les aromates de différentes espèces jouaient un
grand rôle.
Dans tous leurs procédés
de conservation, les Anciens avaient
pour but d'empêcher l'accès et l'influence de l'air, comme
s'ils eussent entrevu que ce fluide contient un élément très
propre a hâter la décomposition des substances animales et
végétales. Spiramentum omne udimendum, disaient les
Romains,
comme nous dirions aujourd'hui :
Evitez le contact de l'oxygène.
C'est pourquoi le miel, la cire et la résine passaient pour les
meilleurs préservatifs de la fermentation. Pour conserver les grenades
et d'autres fruits très altérables, ils les recouvraient
d'une couche de résine ou de cire. Ils conservaient les raisins
dans des vases d'argile exactement fermés et enfouis dans du sable
à plusieurs pieds de profondeur. Quelquefois ils faisaient bouillir
les substances fermentescibles dans l'eau, avant de les enfermer dans des
vases. Ce dernier procédé rappelle une méthode (la
méthode d'Appert), qu'on avait cru d'invention
récente.
Teinture. Couleurs.
Dans le Pentateuque
il est souvent parlé d'étoffes teintes, en rouge, en pourpre
et en écarlate. Les héros d'Homère
portaient des ornements en pourpre. Les habitants de Tyr
et de Sidon
s'étaient acquis une grande réputation dans l'art de teindre;
leurs étoffes en pourpre étaient fort estimées.
On a beaucoup discuté pour savoir
d'où les Phéniciens tiraient leur pourpre. Une chose certaine,
c'est qu'il existe plusieurs mollusques
de mer, tels que les murex brandaris, purpura lapithus, janthina prolongata,
qui donnent un liquide pourpre. La dernière espèce paraît
avoir été le plus ordinairement employée dans les
teintureries anciennes. Elle vit dans la Méditerranée ,
et se trouve quelquefois jetée sur les côtes de Narbonne ,
de manière à joncher les grèves. Or, on voyait à
Narbonne, du temps des Romains, des ateliers
de teinture en pourpre, de création phénicienne ou carthaginoise .
Il y avait des pêcheries (le pourpre, non seulement sur les bords
de la Méditerranée, mais encore dans plusieurs endroits de
la côte Atlantique
de l'Europe
et de l'Afrique .
La pourpre, tirée du règne
animal, s'appelait maritime, pour la distinguer de la pourpre végétale.
Celle-ci se préparait avec la garance (erythrodanum de Dioscoride)
et avec une autre plante, que Vitruve et Pline
nomment hysginum, et qui parait être le bleu de pastel (isatis tinctoria).
C'est ainsi qu'avec le bleu et le rouge on obtenait le violet pourpre,
si estimé des Anciens.
Pour fixer les couleurs d'une manière
durable sur les étoffes, il fallait connaître l'usage des
mordants.
Les Egyptiens paraissent avoir été
de bonne heure initiés à cette connaissance. Voici les renseignements
que Pline nous a donnés à cet égard.
«
En Egypte, on teint, dit-il, les vêtements par un procédé
fort singulier. D'abord on les nettoie, puis on les enduit, non pas de
couleurs, mais de plusieurs substances propres à user la couleur.
Ces substances n'apparaissent pas d'abord sur les étoffes; mais,
en plongeant celles-ci dans la chaudière de teinture, on les retire,
un instant après, entièrement teintes. Et ce qu'il y a de
plus admirable, c'est que, bien que la chaudière ne contienne qu'une
seule matière colorante, l'étoffe qu'on y avait trempée
se trouve tout à coup teinte de couleurs différentes suivant
la qualité des substances fixatives (mordants) employées.
Et ces couleurs, non seulement ne peuvent plus être enlevées
par lavage, mais les tissus ainsi teints sont devenus plus solides. »
Voilà comment les teinturiers égyptiens
faisaient de la chimie, sans s'en douter. Ils connaissaient, par la pratique,
l'action que les alcalis ( = bases), les acides et certains sels métalliques
peuvent exercer sur les matières colorantes. Lorsqu'une première
immersion de l'étoffe dans le bain tinctorial ne suffisait pas pour
fixer la couleur, ils l'y plongeaient une seconde fois. C'est ce qui avait
lieu particulièrement pour l'écarlate. Les étoffes
ainsi préparées s'appelaient dibophes, c'est-à-dire
deux fois trempées.
Les couleurs employées dans la peinture
à fresque étaient appliquées humides à
la surface d'un stuc formé de marbre
pulvérisé et lié par de la chaux. Les stucs des bains
de Titus et de Livie, ainsi que des Noces Aldobrandines ,
sont d'un très beau blanc, presque aussi durs que le marbre, et
on y distingue facilement la pierre calcaire pulvérisée à
différents degrés de finesse. Les couleurs
y étaient fixées par une sorte d'encaustique.
Théophraste,
Dioscoride,
Vitruve,
Pline,
parlent d'un grand nombre de matières colorantes. Mais comment s'assurer
de leur identité avec les couleurs qu'on trouve sur les monuments
anciens, dans les peintures et les ornements des bains de Titus, dans les
ruines appelées les bains de Livie, dans les débris des autres
palais de l'ancienne home, et dans les ruines de Pompéi?
La démarche paraît évidente aujourd'hui, aucun chimiste
ne s'y était livré avant Humphrey Davy
qui, au commencement du XIXe
siècle
soumit à une patiente analyse toutes les
couleurs antiques dont il avait pu se procurer des échantillons.
Davy trouva, en résumé, que
le rouge pourpre était un mélange d'ocre rouge et de bleu
de cuivre, que le rouge vif était tantôt du minium (oxyde
de plomb), tantôt du cinabre (sulfure de mercure); que le rouge pâle
était un mélange d'ocres jaune et rouge; qu'il y avait trois
sortes de jaunes, dont deux étaient des ocres mêlées
avec des quantités variables de carbonate de chaux, et le troisième
une ocre jaune, mêlée avec de l'oxyde rouge de plomb; que
le fameux bleu d'Alexandrie et de Pouzzoles,
dont Vitruve a donné la description, était une espèce
de fritte, résultant de la fusion de la soude avec l'oxyde de cuivre
: elle avait été employée pour l'ornementation de
quelques moulures détachées du plafond
des chambres des bains de Titus; que les couleurs vertes étaient
des carbonates de cuivre, résultant probablement d'une transformation
lente des acétates originairement
employés; enfin que les couleurs noires ou brunes étaient
principalement composées de poudre de charbon ou de noir de fumée,
ainsi que l'avaient indiqué les auteurs classiques. Dans un vase
antique, rempli de couleurs mélangées, Davy décela
différentes espèces de brun : l'une d'elles avait la couleur
du tabac, une autre était d'un rouge brun, et la troisième
d'un brun foncé. Les deux premières furent reconnues pour
des ocres mêlées d'une matière organique (noir de fumée);
la troisième contenait de l'oxyde de manganèse et de l'oxyde
de fer.
L'oxyde de manganèse entrait aussi
dans la composition des verres colorés. Un vase pourpre romain,
dont Davy avait analysé deux fragments, avait été
coloré par cet oxyde, qui se rencontre dans la nature à l'état
d'une poudre noire.
Encres
et papier.
Autant, dans l'Antiquité,on aimait,
en teinture, les couleurs éclatantes, autant on préférait,
pour l'écriture, les couleurs sombres.
L'encre la plus ancienne avait pour principal ingrédient le noir
de fumée : c'était une espèce d'encre de Chine. On
faisait encore usage, quoique rarement, de l'encre rouge ou bleue, que
l'on appliquait, comme l'encre noire, avec des pinceaux. L'encre proprement
dite (tannate de fer), préparée avec du vitriol vert (sulfate
de fer) et une infusion de noix de galle (solution d'acide tannique), est
d'invention plus récente : elle ne remonte guère au delà
de trois siècles avant notre ère.
Dès le IIe
siècle av. J.-C., la ville d'Alexandrie
était renommée pour la fabrication du papier. Ce papier était
fait avec la moelle de la tige du papyrus (cyperus papyrus), coupée
par tranches très minces, disposées en croix, collées
et fortement aplaties.
La science des
poisons .
Les connaissances doivent, chose triste
à noter, beaucoup de ses progrès aux moyens inventés
par les fraudeurs, par les faux monnayeurs et par les empoisonneurs. Les
Anciens mêmes sont extrêmement réservés en ce
qui concerne la préparation des poisons,
ce qui n'empêchait pas leurs contemporains d'avoir à cet égard
des connaissances très précises. Les seuls qui se soient,
au rapport de Galien, étendu sur la matière
toxicologique, sont Orphée, surnommé le Théologue,
Horus, Mendésius le Jeune, Héliolore d'Athènes, Arate
et quelques autres, légendaires ou historiques. Tout en avouant
qu'il est imprudent de traiter des poisons et d'en faire connaître
la composition au vulgaire qui pourrait en profiter pour commettre des
crimes, Galien ne se fait aucun scrupule d'indiquer une série de
substances réputées vénéneuses, et qui se retrouvent
aussi dans Nicandre, Dioscoride,
Pline
et Paul d'Egine. On tirait les poisons du règne
animal (venins de cantharides, de serpents (aspics), de crapauds, etc.),
végétal (opium, jusquiame, aconit, ciguë, champignons,
etc.) et minéral (cinabe, litharge, céruse, chaux vive, etc.
Eaux. Eaux minérales.
La division des eaux en pures et en impures,
en limpides et en troubles, est si naturelle qu'elle devait, dès
l'origine, venir à l'esprit de tout le monde. Suivant Rufus,
les eaux qui bouillent plus vite sont plus pures que celles qui bouillent
lentement. On sait, en effet, que la présence du sel marin et d'autres
matières solubles peut retarder l'ébullition de l'eau de
2 à 3 °C.
Les eaux troubles étaient clarifiées
au moyen de filtres (cola), et bouillies avec du blanc d'oeuf. La
clarification des liquides troubles par le blanc d'oeuf est une pratique
assez ancienne. Les matières qui troublent l'eau sont en général
non volatiles. Aussi reconnaissait-on, au rapport de Vitruve,
la pureté des eaux à ce que les légumes y cuisent
bien et que, après avoir été réduites en vapeur,
elles ne laissent aucun dépôt au fond du vase. Ce dépôt
salin dont on connaissait depuis longtemps l'origine, tout en en ignorant
la composition, fut plus tard regardé comme le résultat de
la transmutation de l'eau en terre. C'est ainsi que l'erreur vient souvent
obscurcir les faits les plus simples.
Les Anciens avaient des idées très
intéressantes sur l'origine des eaux minérales :
«
Chauffées dans le sein de la terre, et pour ainsi dire cuites dans
les minéraux à travers lesquels elles passent, ces eaux,
dit Vitruve, acquièrent une nouvelle force et un tout autre usage
que l'eau commune. »
C'est pourquoi ils divisèrent les eaux
minérales en sulfureuses, alumineuses, salines, bitumineuses et
salées, suivant les terrains où elles avaient passé.
«
Il existe au sein de la terre, dit Sénèque,
des routes dont les unes sont parcourues par l'eau, et les autres par des
souffles (spiritus). La terre présente l'image du corps de
l'homme : de même que le cerveau est logé dans le crâne,
la moelle dans les os, qu'il y a de la salive, des larmes, du sang, de
même il y a aussi dans la terre des humeurs diverses, dont les unes
durcissent et les autres restent liquides. »
Cette idée, reprise par les alchimistes,
fut entièrement dénaturée par les théories
imaginaires sur la maturation des métaux au sein de la terre sous
l'influence des planètes ,
sur la grossesse de la Terre ,
mettant au monde l'or et l'argent après un grand nombre de lunes,
etc.
Air. - Corps aériformes.
L'air contient, suivant Héraclite,
un élément
subtil qui alimente le feu et la respiration. L'énoncé de
ce fait important était-il le résultat de l'observation,
ou ne s'était-il présenté à l'esprit du philosophe
grec que par une sorte, d'inspiration? Voilà ce qu'il est impossible
de décider. La démonstration n'en fut donnée que plus
de vingt-deux siècles après la mort d'Héraclite. Euripide,
disciple d'Anaxagore, dit qu'aucun être
ne peut vivre sans air, que la matière ne périt pas, qu'elle
subit seulement des transformations, et que tout ce qui est d'air retourne
dans l'espace voilà encore une de ces propositions, étonnantes
par leur justesse, dont la démonstration n'a été faite
que bien plus tard.
Les mots de spiritus, flatus, aura,
halitus, etc., qu'on rencontre souvent chez les auteurs classiques,
montrent que les anciens avaient quelques notions des corps aériformes
que nous appelons gaz. Selon Galien, la flamme
est un air incandescent, et le roseau brûle, non parce qu'il est
sec, mais parce qu'il contient beaucoup d'air susceptible de s'enflammer.
La flamme est, en effet, un gaz hydrogène
bicarboné incandescent.
A en juger par un passage de Clément
d'Alexandrie, certains auteurs ont déduit qu'on connaissait
l'air vital, plus tard appelé oxygène, dès
les premiers siècles de notre ère.
«
Les esprits se divisent,
y est-il dit, en deux genres un esprit pour le feu divin, qui est l'âme,
et un esprit corporel, qui est la nourriture du feu sensible et la base
de la combustion. »
Toujours est-il, que de temps immémorial
les ouvriers mineurs savaient que dans beaucoup de galeries souterraines
leurs lampes s'éteignaient tout à coup, et qu'ils s'exposaient
à périr asphyxiés. Ces accidents étaient primitivement
attribués, avec raison, à des airs irrespirables. Mais l'erreur
des siècles subséquents transforma ces airs en démons
ou esprits malins.
Feu grégeois
et poudre à canon.
Les Romains,
qui excellaient dans l'art de s'assommer méthodiquement, s'étaient,
dès les premières guerres de !a république, servis
de résines, de bitume, de poix et d'autres matières inflammables,
pour les lancer sur l'ennemi, pendant le siège des villes. L'ennemi
apprit à se servir des teintes moyens pour se défendre contre
ses agresseurs. Ainsi, les habitants de Samosate
défendirent leur ville assiégée par Lucullus,
en répandant, sur les soldats romains, de la rnaltha (bitume)
em brasée, provenant des environs d'un lac de la Comagène .
On connaissait depuis longtemps les effets
du naphte, dont le nom signifie feu liquide (de na = eau, et phtha
= feu, Vulcain ).
Médée
brûla, dit un ancien mythe grec ,
sa rivale à l'aide d'une couronne enduite de naphte, laquelle prit
feu à l'approche de la flamme de l'autel.
Anthémius de Tralles embrasa la maison de Zénon le Rhéteur,
son voisin, en y lançant la foudre et le tonnerre. Ammien
Marcellin, qui avait servi dans les armées de l'empereur Julien,
parle de flèches creuses, assujetties avec, des fils de fer, et
remplies de matières inflammables. Ces flèches incendiaient
les lieux où elles venaient s'attacher. L'eau qu'on y jetait ne
faisait que ranimer la flamme; le sable pouvait seul l'éteindre.
Athénée
a fait le premier mention du feu automate (pur
automaton), qui paraît être
identique avec le feu grégeois. Jules l'Africain en a donné
la composition.
«
Le feu automate se prépare, dit-il, de la manière salivante
: Prenez parties égales de soufre natif, de salpêtre, de pyrite
kerdonnienne (sulfure d'antimoine?); broyez ces substances dans un mortier
noir, au milieu du jour. Ajoutez-y parties égales de soufre, de
suc de sycomore noir et d'asphalte liquide; puis vous mélangerez
le tout de manière à obtenir une masse pâteuse; enfin
vous y ajouterez une petite quantité de chaux vive. Il faut remuer
la masse avec précaution, au milieu du jour, et se garantir le visage;
car le mélange peut prendre subitement feu. Mettez ce mélange
dans des boîtes d'airain fermées avec des couvercles, et conservez-le
à l'abri des rayons du soleil, dont le contact l'enflammerait. »
Suivant Constantin
Porphyrogénète, le feu grégeois fut communiqué
par un ange
à Constantin, premier empereur
chrétien, qui devait faire jurer à ses successeurs d'en garder
le secret. On voit que ce secret a été assez mal gardé.
Le nom de feu liquide, pur
ugron, que portait le feu grégeois,
était donné aussi à l'essence de térébenthine
et à l'eau-de-vie, appelées aquae ardentes, eaux ardentes.
C'est dans un petit traité latin de Marcus
Graecus, intitulé Liber ignium, que nous avons trouvé
la première description exacte de ces eaux ardentes, ainsi que de
la poudre à canon, comme devant entrer dans la composition du feu
grégeois.
L'eau-de-vie (aqua ardens) se préparait
de la manière suivante :
«
Prenez du vin vieux, ajoutez à un quart de ce vin deux onces de
soufre pulvérisé, deux livres de tartre provenant de bon
vin blanc,, deux onces de sel commun; mettez le tout dans une cucurbite
bien plombée et lutée, et, après y avoir apposé
un alambic, vous obtiendrez par la distillation une eau ardente que vous
conserverez dans un vase de verre bien fermé. »
Le même auteur donne aussi le nom d'eau
ardente à l'huile essentielle de térébenthine, dont
il décrit la distillation en ces termes :
«
Prenez de la térébenthine, distillez-la par un alambic, et
vous aurez une eau ardente qui brûle sur le vin, après qu'on
l'a allumée avec une bougie. »
Ces paroles expliquent pourquoi - ce qui paraissait
si merveilleux - le feu grégeois brûlait sur l'eau c'est que
par eau il fallait entendre, non pas l'eau commune, mais une eau ardente,
telle que l'essence de térébenthine.
Voici en quels termes Marcus Graecus indique
la composition de la poudre à canon :
«
Prenez une livre de soufre pur, deux livres de charbon de vigne ou de saule,
et six livres de salpêtre. Broyez ces trois substances dans un mortier
de marbre, de manière à les réduire en une poudre
très fine. »
Cette poudre servait primitivement à
faire des pétards et des fusées, appelées faux volants.
«
La fusée (tunica ad volandum), dit le même auteur, doit être
grêle, longue et bien bourrée avec ladite poudre, tandis que
le pétard (tunica ad tonitruandum) doit être court, épais,
seulement à demi rempli de poudre et fortement lié aux deux
bouts avec un fil de fer. »
La poudre à canon n'était pas
alors employée à lancer des projectiles meurtriers : l'artillerie
n'était pas encore inventée. Mais le passage de Marcus
Graecus, qui nous apprend qu'on peut faire des feux volants avec des
mélanges explosibles et inflammables, introduits dans des tubes
ou dans des joncs creux, a pu conduire à l'invention des armes à
feu. (F. Hoefer). |
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