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Vies des hommes illustres
de Plutarque
Vies parallèles, communément Vies des hommes illustres, par Plutarque (commencement du IIe s. de notre ère). Le recueil était dédié à Sossius Sénécion. Quelques biographies sont perdues; mais nous en possédons encore cinquante. La plupart sont accouplées deux à deux, par suite d'une singulière préoccupation, celle d'opposer les grands hommes grecs aux grands hommes romains, de montrer, pour ainsi dire, la fécondité égale de l'un et l'autre peuple, et de relever ainsi le mérite de sa patrie vaincue. 

Cet ouvrage diffère absolument de l'histoire proprement dite; l'auteur y veut peindre surtout le caractère intime de ses héros, leurs vertus ou leurs vices. Pour cela, il les suit dans la vie ordinaire, pénètre dans leur demeure. Ainsi, l'auteur procède surtout par anecdotes; il ramène l'histoire à la morale, et à une morale qui s'accorde mal avec l'histoire.

Ce recueil de biographies n'en est pas moins très précieux par tous les faits qu'il contient. Ces Vies sont un précieux complément à l'histoire des Grecs et des Romains, dont elles révèlent avec tant de vérité les moeurs et les habitudes. L'ouvrage a eu un très grand succès, surtout chez les Modernes, depuis la traduction d'Amyot (Paris, 1559). (NLI / JMJA).
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Entrevue de Coriolan et de sa mère au camp des Volsques

« Coriolan était assis sur son tribunal, environné de tous ses officiers. La vue de ces femmes le surprit d'abord; mais lorsqu'il eut reconnu son épouse qui marchait à leur tête, il voulut soutenir son caractère d'obstination et d'inflexibilité. Bientôt, vaincu par sa tendresse et n'étant plus maître de son émotion, il n'a pas le courage de l'attendre sur son tribunal, il descend avec précipitation, s'élance au-devant d'elle, se jette à son cou et la tient longtemps embrassée. Puis il prodigue à ses enfants les plus tendres caresses, les baigne de ses larmes et s'abandonne au sentiment de la nature, comme à un torrent qu'il ne saurait contenir et qui l'entraîne malgré lui.

Quand il eut rassasié, pour ainsi dire, sa tendresse, et qu'il vit que sa mère voulait parler, il se fit entourer par des officiers volsques et écouta Volumnie [d'autres historiens donnent le nom de Véturie à la mère de Coriolan], qui prit la parole en ces termes :

-Tu vois, mon fils, à notre habillement et à la pâleur de notre visage, quelle vie solitaire et triste nous avons menée depuis ton exil. Tu peux en juger maintenant que nous sommes les plus malheureuses de toutes les femmes; ce qu'il nous était le plus doux de contempler, la fortune en a fait pour nous l'objet le plus terrible, en nous montrant, à moi mon fils, et à elle son époux, assiégeant les murs de notre patrie [...].

Pour moi, je n'attendrai pas que la fortune termine de mon vivant cette guerre. Si je ne puis te persuader de faire cesser les maux qui en sont la suite, en nous rendant la paix et l'union, et d'être le bienfaiteur des deux peuples plutôt que le fléau de l'un d'entre eux, ne doute pas, mon fils, que tu ne doives te préparer à n'approcher de Rome qu'après avoir passé sur le corps de celle à qui tu dois la vie. Dois-je attendre le jour où je verrai les Romains triompher de mon fils, ou mon fils triompher de sa patrie! [...].

Dans cette guerre dont l'événement est douteux, il y a du moins cela de certain, que si tu es vainqueur, tu seras le fléau de ta patrie; si tu es vaincu, on dira que, pour satisfaire ton ressentiment, tu as plongé dans les plus grandes calamités tes bienfaiteurs et tes amis. 

Coriolan avait écouté le discours de Volumnie sans proférer un seul mot. Lorsqu'elle eut fini de parler, il fut longtemps sans rien répondre; alors Volumnie, reprenant la parole :
- Pourquoi, mon fils, dit-elle, gardes-tu le silence? est-il donc beau de tout donner à la colère et au ressentiment? et ne l'est-il pas d'accorder quelque chose à une mère qui te prie pour de si grands intérêts? Est-il d'un grand homme de conserver le souvenir des maux qu'on lui a faits? [...].

D'ailleurs n'es-tu pas assez vengé déjà de ta patrie, tandis que tu n'as donné encore à ta mère aucun témoignage de ta reconnaissance? Et ne devais-je pas, quand même la nécessité serait moins pressante, obtenir de ta piété filiale des demandes si justes et si raisonnables? Si je ne puis rien gagner sur toi, pourquoi ménagerais-je encore ma dernière espérance (ma vie)? 

En disant ces mots, elle se jette à ses pieds, avec sa femme et ses enfants : 
« Que faites-vous, ma mère? » s'écrie Coriolan. 
En même temps il la relève, et lui serrant la main : 
« Vous avez vaincu, lui dit-il, et cette victoire est aussi heureuse pour votre patrie que funeste pour moi. Je me retire, vaincu par vous seule. » 
(Plutarque, Vies parallèles).
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Dictionnaire Le monde des textes
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