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Les Romains
ne firent pas preuve d'un esprit original et créateur dans les arts :
après avoir reçu des Etrusques les premières notions de l'architecture,
ils devinrent les élèves des Grecs .
Inférieurs à ces derniers par le goût, ils mirent dans leurs constructions
moins de pureté et de simplicité; mais ils imprimèrent à leurs oeuvres
un caractère remarquable de solidité et d'utilité pratique, et s'appliquèrent
à divers genres de monuments que les Grecs avaient négligés, tels que
cloaques, aqueducs, amphithéâtres,
mausolées, voies publiques, arcs de triomphe,
thermes, etc.
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Une
vue du Forum de Rome. Source : The World Factbook.
Dans leurs imitations des ordres grecs,
ils s'attachèrent peu au dorique et
à l'ionique; mais ils s'approprièrent
le corinthien, qui devint pour ainsi
dire leur ordre national, et auquel ils surent donner des formes nouvelles,
sans qu'il perdit ses traits distinctifs. Ainsi, le temple de Vesta
à Tivoli diffère autant de celui de Jupiter
Stator à Rome, que celui-ci du monument
choragique de Lysicrate à Athènes,
et cependant tous les trois comptent parmi les modèles les plus beaux
de l'ordre corinthien. Les Romains ont porté cet ordre dans toutes les
contrées soumises à leur domination, en Espagne ,
en Gaule ,
en Istrie ,
en Syrie, en Égypte ,
etc.
L'emploi de l'arc,
et, par suite, de la voûte, est un autre caractère
de l'architecture romaine: plus de plates-bandes, plus de toits aigus comme
dans le style grec, mais des arcades et des
coupoles. A la place des poutres et des pierres d'un seul morceau et d'une
étendue nécessairement limitée, qui formaient les plafonds et les entablements
grecs, les Romains, par le moyen de l'arc, purent se servir de petits matériaux,
surtout de briques, qui offraient encore l'avantage d'être peu dispendieuses
et de pouvoir se préparer sur le lieu même où on en avait besoin. Dans
les monuments qui nous sont parvenus, on ne trouve qu'une très petite
quantité de colonnes et d'entablements en
marbre ou en granit, et fort peu d'édifices en pierre travertine; le reste
est en briques. Le Colisée, le Mausolée
d'Hadrien, le temple de la Fortune Virile et les anciens ponts du Tibre
sont en travertin; les colonnes des principaux
temples, les colonnes intérieures du Panthéon,
l'extérieur des arcs de triomphe, les
colonnes des cénotaphes de Trajan
et d'Antonin, sont en marbre: mais tous les autres
monuments, tels que le Panthéon (excepté le portique
et les colonnes), les temples de la Paix, de Vénus et Rome, les thermes
de Titus, etc., sont en briques.
On doit attribuer à l'emploi de l'arc
les vastes dimensions des édifices romains : mais ce moyen nouveau exigeait
des points d'appui dont la masse fût assez solide, assez homogène pour
résister au poids et à la poussée des voûtes;
il fallait des matériaux d'une parfaite cohésion, et dont toutes les
parties, dépourvues d'élasticité,se maintinssent par leur parfaite adhérence.
A la différence des Grecs, qui obtenaient
la solidité par la seule observation des lois de la pesanteur et sans
usage des mortiers, les Romains composèrent
leurs maçonneries avec de petits matériaux, des pierrailles et des cailloux
jetés à bain de mortier, et enfermèrent ces blocages dans un encaissement
de brique, de moellon ou de pierre de taille. Ils formèrent leurs voûtes
sur cintres au moyen d'arcs de brique ou de pierre en tête et de béton
battu sur couchis de bois.
C'est une opinion généralement admise,
que les Romains s'adressèrent, pour la construction de leurs monuments,
à des architectes grecs : toutefois, il ne faut rien exagérer à cet
égard. II serait étrange que des Grecs, devenus esclaves de maîtres
barbares, eussent abandonné leurs traditions artistiques pour se plier
si vite aux exigences d'un goût tout différent. Or, de même qu'on a
trouvé à la villa d'Hadrien (près
de Tivoli), à Herculanum et à Pompéi,
des candélabres, des vases et autres objets
en style grec, qui prouvent qu'on les avait importés de la Grèce
ou que les artistes grecs employés en Italie
avaient conservé leur genre propre de travail, de même il faut admettre
qu'il y eut en architecture une direction essentiellement romaine.
Le style romain ne se distingue pas seulement
du style grec par l'adoption presque
exclusive de l'ordre corinthien et par l'emploi systématique de l'arc,
mais encore par le mélange des arcades avec
la disposition en colonnes. Ce mélange,
qui fit naître les entre-colonnements inégaux et les entablements brisés,
détruisit l'harmonie et la simplicité primitives de l'art grec; on en
vint aux combinaisons monstrueuses que présentent le palais de Dioclétien
à Spalatro, le temple de Pallas et les ruines du Forum
de Nerva à Rome. Que l'on compare l'intérieur
du Panthéon dans son état primitif
avec l'église actuelle de Sainte-Marie-des-Anges,
ou le temple de Jupiter Stator avec celui de la Concorde ,
et l'on verra combien la chute fut profonde. C'est peut-être pour avoir
senti qu'on ne pouvait maltraiter de la sorte l'ordre corinthien, que les
Romains imaginèrent le système hybride qu'on nomme ordre
composite.
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Les
arches du Colisée de Rome. Source : The world
Factbook.
Bien que la construction du pont du Danube
par Trajan soit un ouvrage des plus surprenants,
les restes des constructions romaines publiques et privées font supposer
que l'art de la charpenterie n'avait pas pris une grande extension; autrement,
les Romains ne se seraient pas donné la peine d'employer des arcs, lÃ
où la charpenterie aurait été préférable. II ne paraît pas non plus
qu'ils aient connu la menuiserie : les parquets étaient remplacés par
des pavages en mosaïque, et le stuc, destiné
à recevoir ses ornements, tenait lieu de lambris.
Au fil du temps.
Jusqu'à l'époque des guerres puniques ,
l'architecture romaine s'inspira des modèles étrusques. Sous les premiers
rois, les temples furent de petits édifices carrés, couverts de roseaux,
où la statue du dieu pouvait à peine trouver place; les habitations n'étaient
que de misérables cabanes, comme celle de Romulus ,
que l'on conserva soigneusement plusieurs siècles en la réparant. Ancus
Marcius entoura Rome de murs, et creusa le port
d'Ostie. Au temps de Tarquin l'Ancien s'élevèrent
les premiers monuments remarquables, le Cirque,
le temple du Capitole, et la Cloaque Maxime.
Servius
Tullius bâtit un temple à la Fortune sur le marché aux boeufs (Forum
boarium), et la prison appelée de son nom Tullianum. Le plus ancien temple
construit sous la République fut celui que Spurius Cassius dédia à Bacchus ,
à Cérès
et à Proserpine
: Démophile et Gorgase l'ornèrent de statues
et de tableaux; sur les tympans
du fronton étaient des statues d'argile
et d'airain doré. Quand les Gaulois incendièrent
Rome, en l'an 390 av. J.-C., la plupart des temples échappèrent à la
destruction : la ville fut reconstruite avec précipitation et sans plan.
Dans les guerres que les Romains faisaient
aux peuples voisins, les généraux vouaient des temples aux divinités
dont ils imploraient l'assistance, et le butin fait sur les vaincus était
en partie consacré aux dépenses : parmi les édifices de ce genre, celui
de Quirinus ,
bâti par Papirius Cursor après sa victoire sur les Samnites,
excita
un intérêt tout particulier, parce qu'on y avait établi le premier cadran
solaire. A la même époque appartiennent l'aqueduc
et la voie que le censeur Appius Claudius ( Voie
Appienne) fit construire, et le tombeau de Scipion Barbatus.
La conquête de la Sicile ,
et surtout celle de la Grèce ,
développèrent le goût des arts chez les Romains, et substituèrent le
luxe et l'élégance à la simplicité antique. Longtemps encore le progrès
se borna à décorer, avec les statues et autres objets emportés des pays
conquis, les édifices que l'on continuait d'élever dans le goût ancien,
et ce ne fut guère qu'au temps de Sylla qu'on
se mit à imiter l'architecture des Grecs.
Lorsqu'après la prise de Syracuse Marcellus
rapporta à Rome de riches dépouilles, on tira
du butin les ouvrages d'art pour en décorer un temple de l'Honneur et
de la Vertu, dont C. Mutius fut l'architecte; de même, des dalles de marbre
enlevées au temple de Junon
Lacinienne à Crotone servirent à couvrir
le toit du temple que Fulvius Flaccus avait voué à la Fortune Équestre
pendant la guerre des Celtibères.
Architecture romaine.
- 1. Arc de Constantin; 2. Thermes de Caracalla;
3. Colonne du temple de
Vesta (Tivoli); 4. Partie d'un théâtre (Rome).
Vers cette époque, les riches Romains,
qui avaient vécu jusque-là à la campagne, se fixèrent à la ville,
et Rome commença de s'embellir : Caton l'Ancien
bâtit la basilique Porcia, et Titus Sempronius
la basilique Sempronia; les censeurs Fulvius Flaccus et A. Postumius Albinus
contribuèrent surtout à l'embellissement de la ville; ils la firent paver
et orner de portiques, agrandirent le Cirque,
et établirent des voies publiques et des ponts au dehors de la ville.
Le péperin et la brique avaient été employés presque exclusivement
dans tes constructions; Métellus le Macédonique fit bâtir le premier
temple en marbre, celui de Jupiter Stator, oeuvre d'Hermodore de Salamine
: toutefois on continua à se servir de briques pour remplir l'intérieur
des murs et pour les voûtes, et de pierres
de taille pour les parois des murs, le marbre étant généralement réservé
pour les colonnes. Bien peu de Romains s'appliquaient à l'architecture
et allaient l'étudier en Grèce
: outre Mutius, que nous avons cité, on mentionne Cossutius, qu'Antiochus
Épiphane prit à son service pour réédifier le temple de Jupiter
Olympien à Athènes, et les frères Caïus
et Marcus Stallius chargés par Ariobarzane, roi de Cappadoce ,
de reconstruire Odéon incendié pendant le siège de la même ville par
Sylla.
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L'amphithéâtre
de Dougga (Tunisie). Photo : © Angel Latorre,
2008.
De ce personnage date une période nouvelle
de l'architecture romaine. Peu de temps avant la 3e
guerre Punique ,
le Sénat avait refusé au censeur Messala l'autorisation d'élever
un théâtre à Rome
: à partir de Sylla, les constructions de ce genre se multiplièrent.
Le théâtre de Scaurus, construit en bois, fut assez vaste pour contenir
80 000 spectateurs; Pompée en fit bâtir un en
pierre; Curion imagina les amphithéâtres.
A cette époque appartiennent le Tabulaire (Archives et Trésor), qui se
dressait sur la pente du Capitole, le temple de la Fortune Virile (auj.
Ste-Marie-l'Egyptienne ),
et le temple de la Fortune à Préneste. Les constructions particulières
se ressentirent aussi de cet essor des arts : on vit un Clodius habiter
une maison qui lui coûtait 15 millions de sesterces; les Scaurus et les
Lucullus
rivalisèrent de magnificence dans leurs palais et leurs villas.
La
période impériale.
Mais c'est surtout le règne d'Auguste
qu'on peut regarder comme l'apogée de l'architecture romaine. L'ancien
triumvir avait voulu faire de Rome la ville
la plus belle de l'univers, et il put dire qu'après avoir trouvé une
ville bâtie en briques, il en laissait une bâtie en marbre. Alors. en
effet, s'élevèrent les portiques du cirque
Flaminius, le portique d'Octavie ,
la pyramide de Cestius ,
le théâtre de Marcellus ,
le temple de Jupiter Tonnant, le mausolée d'Auguste, le Panthéon d'Agrippa ,
l'amphithéâtre de Statilius Taurus, une foule d'aqueducs ,
de bains, de fontaines, etc. Des architectes
grecs furent amenés à Rome comme esclaves, d'autres y vinrent librement,
mais nous n'en connaissons qu'un très petit nombre, Cyrus, Posphorus,
Saurus, Batrachus. Parmi les Romains, on remarque : L. Coccéius Auctus,
qui creusa sous la montagne cette route qu'on appelle la Grotte de Pouzzoles,
et que l'on suppose avoir bâti le temple de Pouzzoles dédié à Auguste;
Valérius d'Ostie, architecte du Panthéon, et qui imagina de couvrir les
amphithéâtres;
enfin Vitruve, le plus important dont le nom
nous reste connu grâce à son Traité d'architecture, le seul ouvrage
qui soit resté de l'Antiquité
sur cette matière.
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Porte
dite d'Auguste, à Nîmes.
Après Auguste,
l'architecture ne tarda pas à décliner. Déjà l'arc
de triomphe élevé par Tibère à son prédécesseur
est démesurément large, soutenu par des piliers de maçonnerie, avec
deux maigres colonnes, et un fronton mal posé qui les relie; dans celui
de Titus, les colonnes ont jusqu'à 9 diamètres
et demi, et ce défaut sera encore exagéré dans la suite. Celui de Trajan
à Ancône pêche par l'excès contraire,
écrasé qu'il est entre deux piliers, et les soubassements, très élevés,
sont surchargés de moulures insignifiantes.
Le goût des empereurs devait nuire aux beaux-arts : après l'incendie
de Rome sous Néron,
ce prince employa Céler et Sévérus à la reconstruction de plusieurs
édifices, et principalement à cette Maison dorée. Le Colisée
de Vespasien et la colonne
Trajane sont les seuls monuments de Rome qui portent encore un caractère
de grandeur. Il n'y a pas de prince qui ait ordonné autant de constructions
qu'Hadrien, et son nom était écrit sur tant
d'édifices, qu'on l'avait surnommé le Pariétaire : il fit bâtir le
Môle ou Mausolée qui porta son nom (c'est aujourd'hui le Château
Saint-Ange) et le pont Aelius à Rome, une villa à Tivoli ( Villa
d'Hadrien), un amphithéâtre Ã
Capoue,
une muraille destinée à protéger les Bretons contre les incursions des
Pictes et des Scots ( Le
Mur
d'Hadrien), etc. Les architectes connus de cette période sont Frontin,
Rabirius, Apollodore de Damas, Julius Lacérus, Détrianus. Entre autres
innovations qui éloignaient des modèles grecs les monuments romains,
nous citerons les piédestaux sous les
colonnes, les colonnes accouplées, les bas-reliefs
sur les cotés extérieurs du bâtiment, les frontons ronds et de profil.
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La
Maison dorée (palais de Néron), imaginée par Johann von Erlach (1721).
Sous les Antonins,
on remarque le temple d'Antonin et de Faustine ,
la colonne Antonine et celle de Marc-Aurèle .
Puis, on ne rencontre plus, avec des traces de déclin de plus en plus
visibles, que l'arc de Septime Sévère ,
les thermes de Caracalla ,
le palais de Dioclétien à Spalatro, et l'arc
de Constantin. La translation du siège de
l'Empire à Byzance porta le dernier
coup aux arts. (B.).
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Pierre
Gros, L'architecture romaine volume 1, et volume 2,
Editions A&J Picard, 2006-2011.
Collectif,
Théorie
et pratique de l'architecture romaine : La norme et l'expérimentation,
Publications de l'Université de Provence, 2005.
Yvan
Maligorne, L'architecture romaine dans l'Ouest de la Gaule,
PU Rennes, 2007.
Collectif,
La
Rome antique : Plan relief et reconstitution virtuelle (1Cédérom),
PU de Caen, 2005.
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Les
pages sur la Maquette
de Rome du site Maquettes
historiques.
Site
de l'Institut de Recherche sur
l'Architecture Antique (IRAA), (site de la Maison
de l'Orient et de la Méditerranée, université Lyon 2).
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La
Porte Noire, à Trèves (Allemagne). Construite entre 186 et 200 de
notre ère, elle
est
la porte de ville romaine la mieux conservée au nord des Alpes.
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