Jalons |
Les
empires de Cyrus et
d'Alexandre avaient principalement étendu
vers l'Orient le domaine de la géographie
: la domination romaine, qui forme la troisième grande époque
de la géographie ancienne, fit principalement connaître l'Occident
et le centre de l'Europe. L'Afrique carthaginoise fut décrite par
Polybe
à la suite des guerres puniques
: les conquêtes de César dans la Gaule
et les expéditions de ses successeurs dans la Grande-Bretagne et
la Germanie doublèrent presque l'étendue du monde ancien.
Mais la géographie mathématique semble oubliée pendant
deux siècles, et la science se borne à la géographie
descriptive et aux itinéraires ,
comme le prouvent les ouvrages de César lui-même, de Strabon,
de Pline, de Pomponius Méla,
de Tacite, les Périples de Denys
le Périégète et d'Arrien,
et les Stathmes Parthiques (stations des routes) d'Isidore
de Charax
: ces ouvrages étaient sans doute accompagnés de cartes itinéraires.
César, et, après lui, Auguste,
avaient ordonné à trois géomètres grecs, Théodote,
Zénodote
et Polyclète, de mesurer la surface de l'empire romain, et le gendre
d'Auguste, Agrippa,
avait exposé à Rome une carte du monde dont Pline fait souvent
mention. C'est sans doute de cette carte que les Romains avaient extrait
les itinéraires dont quelques-uns sont parvenus jusqu'à nous.
Au Ier
siècle,
la Germanie fut parcourue en tous sens, l'île de Bretagne
conquise et la géographie de l'Europe éclaircie; comparez
avec les assertions aristotéliques et vous mesurerez le progrès
réalisé. En même temps, les expéditions de Petionus
en Éthiopie ,
de Balbus dans la Phazanie (Fezzan ),
de Gallus en Arabie étaient très
instructives. Des rapports commerciaux se nouaient par delà la Bactriane
avec le pays des Sères, la Chine ,
qui entre enfin en contact avec l'Occident. Sous le règne d'Auguste
s'accomplit une opération colossale, le relevé topographique
et la mensuration de tout l'Empire. Le cosmographe
Ethicus
a raconté cette opération ordonnée par Jules
César : en quatorze ans, cinq mois et dix jours, Zénodote
mesura l'Orient; en vingt ans, huit mois et dix jours, Théodote
mesura le Nord; en vingt-cinq ans, un mois et dix jours, Polyclète
mesura le Midi; on cite parfois un quatrième géomètre,
Didyme, qui aurait mesuré l'Occident. Commencé par l'ordre
de César, ce travail fut achevé par les soins d'Agrippa,
vers l'an 19 av. J.-C.
Celui-ci fit construire un portique
sous lequel il voulait placer la carte de l'empire romain; il rédigea
des commentaires renfermant un itinéraire complet, avec indications
de distances. Celles-ci étaient rapportées au fameux Milliarium
aureum, la colonne d'où étaient censées partir
toutes les voies militaires.
Sur les traces du
Grec Strabon s'illustra le premier géographe
latin, Pomponius Méla; son ouvrage est perdu
; on sait qu'il connaissait les Orcades et les Hébrides, la Scandinavie
qu'il prenait pour une grande île. Peu après reprirent les
navigations régulières entre la côte de l'Inde et le
golfe d'Aden, favorisées par les moussons; une ambassade vint de
Ceylan (Sri Lanka) voir l'empereur Claude. Les
informations sur les Sères (Chinois) se précisaient; on savait
qu'ils avaient des Scythes au Nord, des Indiens au Sud. Dans les Scythes,
il faut décidément reconnaître les populations turco-mongoles .
Néron
fit explorer l'Ethiopie
et envoya deux centurions à la recherche des sources du Nil; ils
ne purent dépasser d'immenses marécages situés entre
9° et 7° de latitude Nord (Souddoud). Ils relevèrent très
exactement les distances d'Assouan
à Méroé .
Dans l'Encyclopédie
de Pline, la géographie occupe quatre livres.
Il ignore Strabon, mais a compulsé presque
tout le reste de la littérature géographique. Il a accumulé
une masse énorme de noms, de renseignements de tout ordre. Il ajoute
à ses prédécesseurs une géographie précise
du Nord de la Germanie, de la Chersonèse cimbrique
(Danemark) et cite l'île de Nérigos (Norvège?) où
l'on s'embarque pour Thulé
(Islande, îles Shetland?). Dès la fin du Ier
siècle de l'ère chrétienne
date le périple de la mer Erythrée, document remarquable
qui décrit la côte africaine de Bérénice jusqu'au
Sud du cap des Aromates (Gardafoui) à une distance de vingt-cinq
jours jusqu'au port de Rhapta, près de l'île Menuthias (Pemba
ou Zanzibar). Au delà l'auteur croit que l'Océan tourne vers
l'Ouest et va rejoindre l'Atlantique. Il décrit ensuite la route
maritime de l'Égypte à l'Inde, navigation de soixante-dix
jours depuis Berénice jusqu'à Muziris (Mangalore?), notant
soigneusement les stations, les distances, les accidents de la côte,
les peuples, les produits de chaque contrée, ses besoins commerciaux.
Il ajoute des renseignements plus vagues sur l'Inde jusqu'aux bouches du
Gange, puis des indications très vagues sur ce qui est au delà
: l'île de Chrysé, dernière partie du monde, habite
vers l'Orient; au Nord de celle-ci les Thinae, producteurs de la soie,
sur le parallèle de la Caspienne, jusqu'à laquelle se prolonge
leur pays. L'empire chinois
commerçait par terre (route de Bactres)
ou par l'intermédiaire de l'Inde avec le monde romain. Vers la même
époque, les îles Britanniques et la Germanie sont bien décrites;
Tacite
introduit dans l'histoire les Slaves Vendes
et les Finnois. Mentionnons l'excellent
périple du Pont-Euxin dressé par Arrien.
Ptolémée
avait été le dernier des grands géographes anciens.
Son système fut accepté par ses successeurs aussi bien dans
l'aire grecque que latine; aucun n'eût été capable
de recommencer un tel effort. Nous n'avons plus à citer que des
manuels ou des ouvrages particuliers la description de la Grèce
de Pausanias; les abrégés d'Agathémère
de Pappus; le recueil anecdotique de Solin;
le remaniement du Périégèse de Denys par Marcianus
d'Héraclée; les poèmes d'Avienus
et d'Éthicus d'Istrie ,
lequel eut du moins ce mérite de conserver un routier ou itinéraire
de l'empire romain. Ceux de ces itinéraires qui ont été
conservés et surtout la fameuse carte routière dite de Peutinger,
sont très précieux pour l'étude de la géographie
historique. Citons encore un périple ou stadiasme de la Méditerranée,
et nous aurons une nomenclature suffisante des ouvrages conservés
des géographes gréco-romains qui peuvent servir pour l'histoire
de la géographie. La décadence de l'empire romain fut très
rapide dans l'ordre intellectuel.
L'influence du christianisme
fut contraire aux études géographiques, surtout à
cause de l'attachement aux textes bibliques, rédigés par
des écrivains bien moins instruits que les savants
alexandrins. Lactance traite de mauvaise
plaisanterie la notion des antipodes. Saint Augustin
la nie également; il se contente de douter de la sphéricité
de la Terre ,
mais refuse catégoriquement d'admettre qu'il puisse y avoir d'autres
parties habitées :
«
D'une part, l'Écriture
dit que tous les hommes viennent d'Adam
et elle ne peut mentir; d'autre part, il y a trop d'absurdité à
dire que les humains auraient traversé une si vaste étendue
de mer pour aller peupler cette autre partie du monde.»
Pendant tout le Moyen
Âge ,
la substitution du principe d'autorité au rationalisme
et à l'observation allait paralyser la géographie et ruiner
sa base scientifique. |
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