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Chapelain

Jean  Chapelain est un écrivain français né à Paris le 4 décembre 1595, mort à Paris le 22 février 1674. Il était fils d'un notaire au Châtelet. Ses parents, qui, nous dit-il, révèrent pour lui la gloire des lettres, le firent instruire avec soin : il eut notamment pour maître le fameux poète latin Nicolas Bourbon. Il apprit les langues anciennes, outre l'italien et l'espagnol, qu'il parlait et écrivait comme le français. Après avoir avoir enseigné l'espagnol au baron du Pec, fils du marquis de Vardes, il fit l'éducation du fils de M. de La Trousse, dans la maison duquel il demeura longtemps. De bonne heure, sa conversation solide et savante lui acquit dans le monde un crédit que sa préface de l'Adone du cavalier Marin fortifia. 

Très écouté à l'hôtel de Rambouillet (Catherine de Rambouillet), loué de Malherbe et de Guez de Balzac, respecté de Corneille, estimé de Richelieu, il passa longtemps pour l'homme qui se connaissait le mieux à la poésie et à toute sorte d'ouvrages. Son Ode à Richelieu et le dessein d'un poème épique le firent reconnaître pour le plus grand poète du temps. On reçut avec idolâtrie ce qu'il voulut communiquer de son plan et de ses vers : il n'en fit point de mystère et consulta sur son travail tous ses amis et protecteurs. Le duc de Longueville lui fit une rente viagère de deux mille livres, pour qu'il ne fût point diverti de son couvre par les soucis de l'existence.

Pendant plus de vingt cinq ans qu'il travailla à la Pucelle (Jeanne d'Arc), tout le public crut que la France allait avoir son Iliade et son Enéide. Après l'impression des douze premiers chants (1656), il fallut en rabattre, et les épigrammes tombèrent dru comme grêle sur le poème et le poète. Mais malgré cette chute désastreuse, on continua de considérer Chapelain comme un critique excellent et sûr. Montauzier, son ami de quarante ans, fut longtemps à ne pas pardonner à Boileau les attaques qu'il dirigea contre l'auteur de la Pucelle. Retz, après 1670, maintenait qu' « enfin » Chapelain « avait de l'esprit ». Même jusqu'à sa mort, Chapelain fut auprès de Colbert une sorte de premier commis pour les belles-lettres. Il rédigea en 1663 une liste de gens de lettres et savants proposés aux libéralités du roi. Il contribua à fonder l'Académie des inscriptions.

Il s'est accrédité sur sa mort une ridicule légende : on a dit qu'il avait pris une pleurésie en se rendant à l'Académie française, un jour qu'il pleuvait fort, et que, n'ayant pas voulu donner un sou pour passer un ruisseau sur une planche, il était entré dans l'eau jusqu'aux mollets. J'ai peur qu'il n'y ait beaucoup de fantaisie et de légende dans toutes les anecdotes que Tallemant, Ménage et autres ont mises en circulation sur l'avarice de Chapelain. Il est possible qu'il ait porté des habits usés et une perruque dégarnie, et qu'il ait fait maigre feu dans sa chambre. Il nous confie lui-même qu'il faisait ses visites éloignées les jours de fortes gelées, afin de ne pas « se charger de crotte ». Il avait eu des pensions qu'il appelle « considérables » de Richelieu, de Mazarin, du duc de Longueville, du prince de Conti, de Louis XIV, et il se peut qu'on ait trouvé cinquante mille écus dans son coffre à sa mort. Mais cet avare prétendu préféra toujours sa dignité et l'étude à la fortune.

Richelieu allait le nommer secrétaire d'ambassade à Rome : il refusa parce que l'ambassadeur, M. de Noailles, voulait le charger de ses affaires domestiques; sa fierté ne consentait à servir que le roi. Mazarin lui offrit de l'envoyer avec le même titre de secrétaire au congrès de Munster, et le fit conseiller d'État, pour qu'il y parût avec plus de dignité. Il ne profita point de ces bonnes dispositions, quoiqu'il aimât avec
passion la politique. En 1662, il refusa la place de précepteur du dauphin, que lui offrait Montauzier : vu l'âge du prince, ce n'était qu'une riche sinécure. Il prêta 
de fort bonne grâce son argent à ses amis, aux Flamarens, aux Rambouillet, et à ceux-ci jusqu'à trente mille livres. Il supporta très noblement d'assez grosses pertes en diverses occasions et s'en expliqua en homme que la passion de l'argent ne travaille point. En somme, Chapelain est un fort honnête homme, économe peut-être ou de mise peu soignée, mais désintéressé, fier, sans ambition et sans envie, dévoué à ses amis, serviable aux étrangers, protecteur de tous les talents. Il était vraiment patriote : on l'était en ce temps-là, avant que Louis XIV eût absorbé l'État, et que l'idolâtrie de la personne royale eût effacé des coeurs le sentiment de la patrie.

Chapelain aimait l'État, son unité, sa grandeur : il aimait Richelieu, dont il comprenait le rôle et l'oeuvre, et, sans flatterie, justifiait par l'intérêt public les coups qui abattaient les grands coupables. Il fut le spectateur passionné de la guerre de Trente Ans, et ses lettres, chaudes d'une émotion qui les rend presque éloquentes, contrastent avec les réponses indifférentes de son ami Guez de Balzac, qui ne prend point d'intérêt à nos désastres non plus qu'à nos succès. Quoiqu'il fût pourvu de quelques bénéfices, on peut se demander s'il était très chrétien. Il respecta assurément la religion, et il parla très décemment de ces matières. Mais je remarque que de "l'admirable M. Pascal" il semble ne connaître que les travaux scientifiques, et qu'il regretta toujours que la dévotion l'y eût arraché. Il est trop juste, trop également bienveillant aux jansénistes et aux Jésuites, pour n'être pas indifférent au sujet de leurs querelles, et je doute un chrétien fervent puisse avoir cette indifférence. Elle apparaît dans le peu de curiosité qu'excitent les disputes religieuses chez cet érudit, amateur passionné de toute connaissance, dans l'ignorance où il assurait être et où il resta toute sa vie de la théologie : c'est la seule science qui ne l'ait pas attiré.

Ses lettres nous font connaître sa philosophie : c'est la sagesse ancienne, un stoïcisme sans raideur, une règle de vie qui consiste essentiellement dans la pratique des quatre vertus socratiques force, justice, prudence et tempérance; ces deux dernières surtout étant chères à l'honnête Chapelain. Ses vrais directeurs de conscience sont Cicéron et Sénèque.

Si l'on veut marquer la place de Chapelain dans le mouvement littéraire du XVIIe siècle, on est assez embarrassé. Chapelain, en effet, est complexe : c'est peut-être confus que je devrais dire. Ce n'est pas un précieux; il a des complaisances de jugement pour le monde et pour les écrivains précieux : il n'est pas atteint lui-même du faux goût des ruelles. Il loue l'Adone sans l'estimer, et il a affirmé qu'avant 1625 il était revenu des Espagnols, qui n'ont que l'imagination sans le savoir et sans le jugement. Il y a dans Chapelain un érudit du XVIe siècle; il y a un classique, ou du moins l'ébauche d'un classique du XVIIe; il y a encore quelque chose de plus. Il est de la Renaissance, à la façon de Rabelais, par l'universelle curiosité et l'universelle érudition.

Il n'est point artiste; il ne cherche pas le plaisir esthétique, mais la joie de savoir et de comprendre. Il étudie la poésie, comme il s'intéresse à l'histoire, à l'archéologie, à la grammaire, à l'astronomie, à la médecine, à la physique. Il a le culte des anciens : il ne cherche seulement pas en eux les formes les plus parfaites de l'art, il leur demande tous les principes de la morale et de la politique, et il les lit en historien, en grammairien, en philosophe, pour en tirer une substantielle doctrine plutôt que de délicates jouissances. Il aime Ronsard, et il le défend contre les injustes dédains de ses contemporains : très sensément, il lui trouve plus de génie que de jugement; très sensément aussi, il estime que Malherbe était moins poète que Ronsard. Il admire dans Malherbe surtout l'élocution, et un style plus oratoire que poétique. Il prononce même que Malherbe ignorait la haute poésie. Il le blâme d'avoir réformé trop rigoureusement la versification, et par une erreur semblable à celle de Baïf, il regrette qu'on ait proscrit de nos vers les inversions et les enjambements, qui font de si beaux effets dans la poésie latine.

Et cependant, ce critique de Malherbe est déjà un classique; cette victime de Boileau prépare et annonce Boileau. L'Ode à Richelieu est d'un bon élève de Malherbe, du plus sévère, du plus raisonnable, du plus laborieux élève de Malherbe, et les beautés sont tout à fait du genre de celles que présente l'Ode à Louis XIII. La Pucelle même, aux vers près, qui sont ridiculement plats et lourds, est un poème classique tout à fait selon les principes de Malherbe et de Boileau : l'idée que Chapelain se fait de l'épopée est celle même qui est développée au troisième chant de l'Art Poétique, et dans le livre du P. Le Bossu. Il s'est hâté lentement, il a médité, mûri son oeuvre; il a ordonné sa matière avec réflexion, travaillant cinq ans entiers à disposer son plan. Il a écrit ensuite son poème avec sagesse, avec précision, regardant la nature et la décrivant consciencieusement, mais par malheur en style de notaire plutôt que de poète.

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Dieu

« Loin des murs flamboyants qui renferment le monde, 
Dans le centre caché d'une clarté profonde, 
Dieu repose en lui-même, et, vêtu de splendeur, 
Sans bornes est rempli de sa propre grandeur. 
Une triple personne en une seule essence, 
Le suprême pouvoir, la suprême science, 
Et le suprême amour, unis en trinité, 
De son règne éternel forment la majesté. 
Sous son trône étoilé, patriarches, prophètes, 
Apôtres, confesseurs, vierges, anachorètes, 
Et ceux qui par leur sang ont cimenté la foi, 
L'adorent à genoux, saint peuple du saint roi...
Au même tribunal où tout bon il réside, 
La sage providence à l'univers préside; 
Et plus bas, à ses pieds, l'inflexible destin 
Recueille les décrets du jugement divin. 
De son être incréé tout est la créature;
Il voit rouler sous lui l'ordre de la nature, 
Des éléments divers est l'unique lien, 
Le père de la vie et la source du bien. 
Tranquille possesseur de sa béatitude,
Il n'a le sein troublé d'aucune inquiétude,
Et, voyant tout sujet aux lois du changement, 
Seul, par lui-même, en soi, dure éternellement.
Ce qu'il veut une fois est une loi fatale,
Qui, toujours, malgré tout, à soi-même est égale, 
Sans que rien soit si fort qu'il le puisse obliger 
A se laisser jamais ni fléchir ni changer. 
Du pécheur repenti la plainte lamentable, 
Seule, peut ébranler son vouloir immuable, 
Et, forçant sa justice et sa sévérité, 
Arracher le tonnerre à son bras irrité. »
 

(J. Chapelain, extrait de La Pucelle).

Comme critique, il a presque fondé la critique dogmatique : il en a indiqué les bases, l'exemple des anciens et l'autorité de la raison. Il a maintes fois affirmé la nécessité de tout soumettre au jugement, au bon sens. Il a recherché les règles de tous les genres. Il a contribué plus que personne à deux faits qui donnent au XVIIe siècle littéraire sa physionomie propre car il a imposé les trois unités à la poésie dramatique; Mairet les avait le premier révélées, mais Chapelain les fit triompher, et gagna Richelieu en 1635. En second lieu, il a déterminée rôle et l'influence de l'Académie française; il lui donna pour mission de travailler à la pureté de la langue; il conçut et fit adopter le plan du Dictionnaire. Enfin, il sut rendre justice aux grands classiques : si Boileau ne fut jamais pour lui qu'un « fripon », il distingua Racine encore inconnu, et le fit avoir part aux libéralités du roi; et si la note qu'il écrivit pour recommander Molière nous paraît un peu bien sèche, souvenons-nous qu'elle est de 1663, et qua Chapelain a nommé plus tard Molière « le Térence et le Plaute de notre siècle ». ll y avait même quelque chose en Chapelain qui n'était ni du XVIe ni du XVIIe siècle. Il ne méprisait pas toute notre vieille littérature : il lisait et goûtait nos vieux romans; il aimait les moeurs du Moyen âge et l'honneur chevaleresque dans le poème de Lancelot. Il connaissait Dante, dont je doute qu'un autre écrivain ait prononcé le nom au XVIIe siècle.

Il avait une idée de l'histoire, qui n'était pas celle des rhéteurs de la Renaissance ou de son siècle, copistes de Tite-Live, dont ils ne prenaient que la phrase oratoire et les belles moralités. Il voulait une histoire sérieuse, faite sur les documents originaux, écrite avec simplicité, d'un style net et rapide, par un homme qui eût étudié les moeurs et les institutions des peuples, qui connût les affaires et sût juger des campagnes en soldat, de la politique en homme d'État : une histoire, en somme, scientifique et politique, qui ne ressemble guère à celles des Paul Émile, des du Haillan, et des Mézeray.

Est-ce à dire qu'il faille réhabiliter Chapelain, et taxer Boileau d'erreur ou d'injustice? Non : car tout cela était confusément en lui, et tandis que les idées du passé et celles de l'avenir se mêlaient dans son cerveau, il n'en avait pas une claire conscience, et il embrouillait encore ce chaos par des concessions malheureuses aux modes du jour. Il n'eut point de vues générales, ou il ne sut pas les dégager. Il rencontra quelquefois par hasard les principes de l'art classique, il n'en pénétra pas le sens profond et les sacrifia maintes fois par préjugé ou par faiblesse.

N'ayant point de doctrine arrêtée, il n'eut point de suite ni de courage dans sa critique; il n'eût point la haine des mauvais livres, non plus que l'enthousiasme des chefs-d'oeuvre. Quand Boileau débuta, Chapelain couvrait de son autorité souveraine toute la méchante littérature, précieuse, romanesque, où la nature et l'art étaient offensés également. Il fallait le détruire pour atteindre les autres. Et puis, ce que Chapelain avait de bon, de commun avec Malherbe et Boileau, n'était connu que de ses amis : tout autre était le Chapelain officiel, vu dans ses trois oeuvres, dans les trois actes publics de sa vie littéraire. Il avait fait la Pucelle, le plus dénué de poésie de tous les poèmes du temps. Il avait fait la préface de l'Adone, extravagante et lourde apologie d'un mauvais poème; il l'avait faite par complaisance, c'était une gageure, un paradoxe, je le veux; mais le publie l'avait admirée sérieusement. Il avait rédigé les Sentiments de l'Académie sur le Cid, critique inintelligente et mesquine d'un chef-d'œuvre. Il avait écrit ce morceau par ordre, sans trop y croire, en essayant de glisser quelques mots des beautés de la pièce; mais le public n'avait vu que la critique. Par ces trois ouvrages, et par sa manie complimenteuse que son autorité aggravait, Chapelain représentait pour Boileau le goût de l'école, à laquelle les jeunes et lui faisaient une guerre impitoyable. Il en était, sinon le chef, du moins la personne la plus illustre, le maître et le docteur. Quoi qu'il eût de commun avec Boileau, bien qu'il eût au fond plus aidé que nui à l'éclosion de l'art classique, il était devenu, en 1660, un obstacle à son progrès. Son rôle était fini : il fallait en débarrasser la littérature qu'il ne faisait plus qu'encombrer, et dont il retardait l'évolution décisive.

Les Lettres de Chapelain sont aujourd'hui son meilleur titre. Elles ont peu de valeur littéraire : le style en est lourd, incorrect, hérissé de locutions latines, italiennes, espagnoles, bizarres, triviales. Mais cette correspondance a un intérêt historique réel. Elle se divise en deux parties séparées par une lacune de près de vingt ans. Dans l'une (1632-1640), Chapelain, correspondant assidu du duc de Longueville, de Montauzier, de Godeau et de Balzac, nous fait assister comme jour par jour à la vie du monde précieux, et à celle de l'Académie naissante.

Dans l'autre (1659-1673), il correspond sous l'oeil de Colbert, à qui il rend compte de toutes ses démarches avec Huet, Le Fèvre, Heinsius, Huygens, Vossius, Boeclerus, Hévelius, Gronovius, Conrinlius, Graevius, Reinesius, Waghenseil, Spanheim, Ferrari, Graziani, Viviani, Carlo Dati, tous les savants de France et d'Europe. Il leur transmet les libéralités du roi, mais il en indique, il en exige âprement le prix; ce prix, ce sont les belles dédicaces, qui proclament de tous les points de l'Europe la grandeur du roi. Il y eut là une vaste entreprise de réclame et d'apothéose, que Chapelain conduisit habilement, et qui créa en grande partie le mouvement d'opinion dont Louis XIV se laissa enivrer. (G. Lanson).

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