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Plaute

Plaute est l'un des plus anciens poètes comiques romains; il est, avec Térence, le seul dont mais possédions autre chose que des fragments épars. Comme le savant érudit Ritsehl l'a démontré, son nom complet était T. Maccius Plautus. Né vers l'année 254 av. J.-C. dans la petite ville de Sarsina en Ombrie, Plaute vint à Rome de bonne heure. Il y travailla soit comme entrepreneur de représentations dramatiques, soit comme constructeur de ces théâtres improvisés, bâtis en bois, qui furent pendant longtemps les seules salles de spectacles connues des Romains. Il amassa ainsi quelque argent; mais il le reperdit entièrement dans des spéculations financières ou commerciales, et il fut obligé, pour vivre, de se louer comme manoeuvre dans un moulin. Tout en tournant la meule, il composa ses premières pièces, probablement vers l'année 224. Elles obtinrent beaucoup de succès, et bientôt Plaute put quitter son dur métier pour se consacrer exclusivement au théâtre. Pendant près de quarante ans, il écrivit des comédies. Il mourut à l'âge de soixante-dix ans environ, en l'an 184 av. J.-C.

Plaute fut un auteur très fécond. On ignore le nombre exact des pièces qu'il donna. Cette incertitude régnait dès l'Antiquité. Déjà Varron, au Ier siècle av. J.-C., croyait nécessaire de distinguer, parmi les oeuvres attribuées à Plaute, trois catégories différentes : 

1° Les comédies écrites certainement par Plaute, d'après le témoignage unanime de la tradition et des érudits;

2° Les comédies dues probablement à Plaute, sans que pourtant l'origine en fût incontestable;

3° Les comédies qui n'étaient certainement pas de notre auteur.

Varron cite 21 pièces certaines et 19 douteuses; le nombre des pièces apocryphes devait être considérable, puisque certains auteurs attribuaient à Plaute 100 et même 130 comédies. Les critiques, tant anciens que modernes, ont donné aux 21 comédies certaines, énumérées par Varron, le nom de Fabulae Varronianae. Elles nous sont toutes parvenues, sauf une, intitulée la Vidularia, qui était la dernière dans les manuscrits, et qui a disparu presque entièrement. Des autres pièces, que l'Antiquité attribuait à Plaute avec plus ou moins de raison, nous ne possédons que de courts fragments ou même le titre seul.

Principales comédies de Plaute. 
Les vingt comédies de Plaute, que nous pouvons lire aujourd'hui, sont : l'Amphitryon, l'Asinaria, l'Aulularia, les Bacchides, les Captivi (les Captifs), la Casina, la Cistellaria, le Curculio ou le Charançon, nom symbolique donné au parasite, qui dans cette pièce joue le rôle principal, l'Epidicus ou le Querelleur, que Plaute mettait au-dessus de toutes ses autres comédies, les Menaechmi (les Ménechmes, ou les Frères jumeaux), le Mercator, le Miles Gloriosus, la Mostellaria ou le Revenant, le Persa, le Poenulus ou le petit Carthaginois, le Pseudolus, le Rudens ou le Câble, le Stichus, le Trinummus, le Truculentus. Quelques-unes de ces pièces sont incomplètes : ainsi la fin de l'Aulularia et une grande partie de la Cistellaria manquent dans les manuscrits. D'autre part, le texte, qui nous a été transmis, est rempli d'interpolations. L'établissement de ce texte a été l'une des oeuvres philologiques les plus remarquables du XIXe siècle (Sur ce point, voir la préface de E. Benoist, Morceaux choisis de Plaute; Paris, 1877).

L'Aululaire.
L'Aululaire ou la Marmite est une comédie de moeurs, dont le caractère principal est tracé avec un art achevé. Euclion, digne précurseur de l'Harpagon de Molière, a trouvé une marmite pleine d'or, qu'il cache au prix de mille sollicitudes. Plus de repos désormais, tout lui devient suspect. Dès le début de la pièce, l'avare se révèle de la manière la plus piquante :

« Sors, mauvaise espionne ! crie-t-il à sa vieille esclave Staphyla; que cherches-tu là, avec tes yeux de furet? ...  (à part). Je crains qu'elle ne m'ait arraché malicieusement quelques paroles, et qu'elle ne soupçonne où mon or est caché. » 
Il consent à donner la main de sa fille à un vieillard riche et libéral, mais ce sera sans dot; cette condition revient plus d'une fois dans le contrat; on sait avec quel comique Molière a fait de ce même mot l'argument suprême de son Harpagon.

C'est encore l'avare de Plaute qui, hors de lui, après avoir perdu son trésor, poursuit un esclave sur lequel il a des soupçons, lui fait ouvrir les deux mains et réclame ensuite la troisième; ce que notre grand poète a rendu avec plus de naturel encore : 

« Montre-moi tes mains? - Les voilà. - Les autres? » 
Enfin, ce célèbre monologue d'Euclion, pris de désespoir : 
« Je suis perdu ! Je suis mort! On m'assassine! Où aller? Où ne pas aller? Arrêtez! au voleur!... » 
Il a été reproduit presque mot pour mot par Molière, si habile à s'approprier les meilleurs endroits des auteurs dont il s'inspire.

Les Captifs.
Le bonheur d'un père qui retrouve ses deux fils, grâce au dévouement d'un généreux esclave, tel est le fond du sujet, plutôt sérieux et touchant que gai. Néanmoins le côté plaisant n'y fait pas complètement défaut; les joyeuses facéties et les tribulations d'un parasite, consommé dans son art, Ergasile, sont d'un parfait comique. Cette pièce et la suivante se rattachent de près au drame moderne. 
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Vicissitudes d'un parasite

« Ergasile, seul. - C'est une malheureuse condition que celle de chercher un dîner en ville et de ne le trouver que difficilement. Plus malheureux encore est celui qui se donne tant de peine pour ne rien trouver. Mais le plus malheureux de tous est celui qui a faim et qui n'a rien pour mettre sous sa dent. Maudit jour! je lui arracherais volontiers les yeux, pour l'influence fatale qu'il exerce sur tous ceux a qui je m'adresse depuis ce matin! Jamais homme n'eut l'estomac plus affamé, plus creux que le mien, et ne réussit plus mal dans toutes ses entreprises pour le remplir [...].

Tantôt, en partant d'ici, j'ai abordé vingt jeunes gens sur la place : Je vous salue, leur ai-je dit, où dîne-t-on aujourd'hui? Point de réponse. Quoi! personne ne me dit : Venez chez moi! ils sont muets; ils ne se moquent même pas de moi! Un signe de tête me répond : Point de souper. J'ai recours à l'un de mes plus joyeux contes, un de ces contes qui jadis m'assurait à dîner pour un mois entier. Personne ne rit. J'ai vu que c'était un parti pris. Nul d'entre eux n'a même daigné faire la grimace d'un chien en colère : s'ils ne voulaient pas rire, ils pouvaient au moins montrer le bout des dents. Voyant que j'étais leur dupe, je les quitte; j'en vais trouver d'autres, puis d'autres, et encore d'autres : même accueil. Ils s'entendent tous comme des marchands d'huile sur le quai de Velabre.

Bafoué de nouveau, je quitte encore la place. D'autres parasites se promenaient aux environs et sans plus de succès. Je suis résolu d'avoir recours à la loi, et d'intenter un bel et long procès à toute cette jeunesse coalisée pour nous faire mourir de faim. Je les ajournerai, je requerrai une forte amende, je les ferai condamner à me donner dix repas à discrétion, d'autant que les vivres sont fort chers. Voilà ce qu'il faut faire. Je m'en vais de ce pas au port; c'est le seul endroit où j'espère encore accrocher un souper. Si cet espoir est trompé, mon pis aller sera de revenir chez Hégion et de manger son dîner, quelque maigre qu'il soit. » (Plaute, les Captifs).

Rudens.
Rudens, le Câble ou le Naufrage, est une des meilleures comédies de Plaute, qui en a résumé le sens moral dans son prologue : 

« Le crime et la vertu, dit-il, sont inscrits, par l'ordre de Jupiter, sur des registres éternels.-»
Palestra, jeune Athénienne, enlevée dans son enfance par un marchand d'esclaves, a été transportée en Afrique. L'avide trafiquant fait naufrage, au moment où il passait en Sicile pour y spéculer sur les victimes de ses rapines. Palestra réussit à gagner le rivage; elle est accueillie avec bonté par une vieille femme, prêtresse de Vénus. La jeune fille, ainsi qu'une de ses compagnes, tiennent embrassé l'autel de la déesse, lorsque leur maître brutal, échappé lui-même des flots, vient réclamer ses esclaves. Démonès, vieillard d'Athènes que la misère a exilé sur ces côtes, protège les jeunes inconnues. Pendant la discussion, un pêcheur apporte une valise trouvée dans ses filets, près du navire échoué; on l'ouvre, et le vieillard y reconnaît avec attendrissement les jouets de son enfant, dont il pleure depuis si longtemps la mort; Palestra se jette dans les bras de son père. Le marchand est puni de sa cruauté par la perte de ses esclaves, tandis que le pécheur Gripus reçoit la liberté, en récompense de son heureuse capture.

Plaute et le théâtre antique.
Le théâtre de Plaute appartient au genre appelé à Rome la Comaedia Palliata, c.-à-d. la comédie en pallium ou manteau grec. Plaute a en effet beaucoup emprunté aux poètes comiques de la Grèce. Il n'a pas imite Aristophane ni les auteurs de la Comédie ancienne, parce que le gouvernement romain défendait, sous les peines les plus sévères, que l'on se servit du théâtre pour attaquer ses ennemis ou pour exposer des opinions politiques : le poète Naevius, presque contemporain de Plaute, fut jeté en prison parce qu'il n'avait pas ménagé dans ses vers deux puissantes familles romaines, les Métellus et les Scipions. Plaute s'inspira surtout de la Comédie nouvelle; il puisa la plupart des sujets de ses pièces dans les oeuvres de Ménandre, de Philémon et de Diphile. Ménandre lui fournit la Cistelluria, les Bacchides, le Miles Gloriosus, le Paenulus, le Stichus; de Philémon, il tira la Mostellaria, le Mercator, le Trinummus; à Diphile il prit la Casina.

La scène se passe toujours, au moins en apparence, dans une ville grecque; les personnages portent des noms grecs : Amphitryon, Euclion, Philocrates, Aristophontes, Menaechmus Sosiclès, Pleusidippus, Antiphon, Philumena, Pamphila, Megaronides, Calliclès, Pyrgopolinice, etc. Les caractères eux-mêmes, dans leurs traits principaux, sont simplement transposés de la Comédie nouvelle : chez Plaute comme chez Ménandre et Philémon, abondent les esclaves fripons et rusés, les marchands perfides et voleurs, les procureuses sans vergogne ni scrupules, les vieillards imbéciles ou débauchés, les fils irrespectueux, les cuisiniers escrocs, les entremetteurs impudiques, les parasites toujours affamés, les soldats toujours fanfarons. Ce serait pourtant une erreur et une injustice de croire que Plaute a été seulement un traducteur, ou qu'il s'est contenté d'adapter au goût des spectateurs romains les oeuvres des poètes grecs.

D'abord Plaute a observé par lui-même et il connaît, par sa propre expérience, tous ces types de la Comédie nouvelle; il les a vus soit dans les ports de la Grèce et de l'Orient, qu'il visita au moment où il se livra à ces spéculations financières et commerciales qui engloutirent son pécule; soit à Rome, où il fréquentait de préférence les petites gens, et où les esclaves grecs affluèrent dès la fin du IIIe siècle et le début du IIe av. J. C. Et d'autre part, il a introduit dans ses pièces une foule de traits de moeurs, d'incidents et de mots qui sont exclusivement romains. Le poète s'adressait à un public peu lettré, qui. ne connaissait pas ou qui connaissait mal la Grèce; il devait assaisonner, pour ainsi dire, d'une sauce romaine les plats grecs qu'il lui servait. Plaute dépouilla ses modèles de la finesse attique et du charme délicat qui caractérisent la Comédie nouvelle; sa verve souvent grossière, toujours vive, ses mots crus, ses calembours pittoresques, les «-coups de gueule et les coups de poing » devant lesquels il ne recule pas, rappelleraient plutôt Aristophane, si les uns et les autres n'avaient une saveur vraiment originale et toute romaine.

Ce n'est pourtant pas dans cette modification de la matière comique, qui lui était fournie par la Grèce, que réside essentiellement le génie de Plaute. 

Plaute « possède deux dons innés, celui de la scène et celui du style. C'est un inventeur inépuisable, un dénicheur de situations et d'expressions. Il lui manque la science des préparations, des transitions, des développements logiques; mais il possède l'art de camper ses personnages en face l'un de l'autre dans des situations imprévues. Au plus bas degré, ce sont les trucs du vaudeville. Un peu plus haut, ce sont les artifices de la comédie d'intrigues. Plus haut encore, ce sont des traits de caractère frappants. Plaute sait également tirer parti des contrastes » (R. Pichon, Histoire de la littérature latine; Paris, 1897).
Les pièces de Plaute sont emportées par un mouvement rapide; jamais l'action ne languit; les péripéties se succèdent, les coups de théâtre éclatent; la vie bouillonne et déborde de toutes parts.

Le style répond à l'action. Il est vivant comme elle, varié autant et plus qu'elle. Gracieux, tendre, presque idyllique dans les scènes d'amour, il devient d'une violence truculente quand deux personnages se disputent ou s'injurient. Ailleurs la verve du dialogue se modèle sur la vivacité du drame; la fantaisie du langage ne le cède en rien à l'imprévu des péripéties. La langue de Plaute est d'ailleurs d'une richesse admirable : les expressions pittoresques, les images originales, les épithètes frappantes, les métaphores éclatantes y abondent; comme artisan de mots, comme créateur d'images, il soutient la comparaison avec Aristophane et Rabelais. Il est même puissamment lyrique dans les Cantica, dans ces parties de la Comédie romaine qui étaient chantées ou tout au moins accompagnées de musique.

Plaute n'est pas moins original par le rythme de ses vers. La métrique et la prosodie de Plaute ont été longuement étudiées pendant le XIXe siècle; elles ont donné lieu à des controverses très vives entre les érudits. Il paraît certain que Plaute a employé des mètres nombreux et variés, et qu'il a pris d'assez grandes libertés soit avec la quantité des syllabes, soit avec le rythme des mètres. Cette variété, cette richesse, cette liberté même donnent à sa versification un caractère très particulier.

Les comédies de Plaute jouirent à Rome d'une grande popularité, non seulement pendant la vie du poète, mais même longtemps après sa mort. La plupart des prologues, dont elles sont précédées dans les manuscrits, datent du Ier siècle av. J.-C.; ils furent composés pour des reprises, qui eurent lieu à cette époque. Arnobe raconte que l'on jouait encore l'Amphitryon sous le règne de Dioclétien. Plaute fut aussi très goûté par les esprits les plus délicats de Rome; Cicéron l'admirait. Varron disait, après le grammairien L. Aelius, que « si les Muses s'exprimaient en latin, elles parleraient la langue de Plaute ». Horace seul se montra moins enthousiaste; il n'appréciait qu'à demi la verve bouffonne de Plaute. 

Parmi les modernes, Plaute a été imité par les plus grands auteurs dramatiques Shakespeare lui a emprunte le sujet de sa Comédie des erreurs, qui rapelle les Ménechmes; Molière l'a imité dans l'Amphitryon et dans l'Avare (l'Aulularia);  Rotrou s'est inspiré des Captifs et des Ménechmes, Regnard, dles Ménechmes et du Revenant; Destouches, du Revenant; Lessing s'est inspiré du Trinummus dans sa pièce intitulée Der Schatz. Dryden, Addison ont aussi puisé dans le théâtre de Plaute. (J. Toutain / A19).



Principaux manuscrits de Plaute : l'Ambrosianus, palimpseste de Milan; le Vetus Codex de Rome, le Decurtatus de Heidelberg, l'Ursinianus de Rome.

Principales éditions - Ed. princeps des OEuvres complètes, de G. Merula, à Venise, 1472; éd. Gronovius, Leyde, 1664; ibid., 1669; Amsterdam, 1684; éd. H. Bothe, Berlin, 1809-11; Stuttgart, 1829; Leipzig, 1894; éd. Naudet, dans la Collection Lemaire, Paris, 1830-31; éd. Weise, Quedlimburg, 1837-38; ibid., 1847-48; Leipzig, 1875-79; éd. Ritschl, Bonn, 1848-52; éd. Fleckheisen, Leipzig, 1872-74; éd. Ussing, Copenhague, 1875-87; éd. Löwe, Goetz et Schoell, Leipzig, 1878-94; éd. Goetz et Schoell (coll. Teubner), Leipzig 1892-96.

En bibliothèque - Parerga; Leipzig, 1845; Opuscula, t. Il et III Leipzig, 1868-77. - G. Boissier. Quomodo graecos poetas Plautus transtulerit; Paris, 1857. - Benoist, De personis muliebribus apud Plautum; Paris, 1862. Weise, Die Komödien des Plautus; Quedlimburg 1866. - Mueller, Platstinische Prosodie; Berlin, 1869. - Chalandon, De servis apud Plautum.; Paris,1875.- Langen, Beiträge zur Kritik und Erklärung des Plautus, Leipzig, 1880; Plautinische Studien; Berlin, 1886. - Léo, Plautinische Forschungen; Berlin, 1895. - Teuffel, Geschichte der römischen Litteratur; Berlin 1890, 5e éd. - R. Pichon, Histoire de la littérature latine; Paris, 1897. - J. Soubiran et al., Autour du Miles gloriosus de Plaute, univ. Toulouse-Le-Mirail, 1998. - E. Gavoille, Etude sémantique de Plaute à Cicéron, Peeters, 2000.

En librairie - Il existe d'assez nombreuses éditions de poche des principales oeuvres de Plaute (Amphitryon, surtout, mais aussi Pseudolus, la Marmite, etc). On citera aussi l'édition des Oeuvres complètes (avec celles de Térence) chez Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade, 1998) et aux Belles Lettres (Série latine), Oeuvres, en 7 tomes.

Et, parmi les études récentes consacrées à cet auteur : Daniel Mortier et al., Le triomphe du valet de comédie, Honoré Champion, 1998. - M. Crampon, Salve Lucrum, ou l'expression de la richesse et de la pauvreté chez Plaute, Presses universitaires de Franche-Comté, 1989.

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Dictionnaire biographique
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