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La république est une forme de gouvernement d'un État régi par plusieurs, et dont le chef suprême, s'il y en a un, est élu. Tel n'est pas toujours le sens du mot. L'étymologie étant chose publique, J.-J. Rousseau a pu écrire : « J'appelle République tout État régi par les lois, sous quelque forme d'administration que ce puisse être: car alors l'intérêt publie domine, et la chose publique est quelque chose » (Contrat social, Il, 6).Cette équivoque, tirée du latin, n'est plus admissible en français, et c'est à l'Esprit des lois qu'il convient en principe de se référer pour la définition de la république, et pour les distinctions que cette définition comporte : « Lorsque, dans une république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c'est une démocratie; lorsque la souveraine puissance est entre les mains d'une partie du peuple, cela s'appelle une aristocratie ».En pratique, les régimes politiques qui se définissent comme républicains peuvent reposer sur des bases assez diverses : ainsi, un peuple dirigé par un corps sacerdotal est constitué en république théocratique; Sparte, régie par un Sénat, fut une république aristocratique; au Moyen âge, Venise forma une république oligarchique; Athènes, où le pouvoir était exercé par l'assemblée du peuple, était une république démocratique. L'ancienne Rome eut un gouvernement républicain mixte, renfermant tout à la fois des éléments aristocratiques et des éléments démocratiques. Dans les temps modernes, les Provinces-Unies (L'Histoire des Pays-Bas), sous le gouvernement des stathouders, avaient encore un système républicain d'une nature particulière. La Suisse et les États-Unis ont été les premiers à former des républiques démocratiques fédératives, c.-à-d. composées de cantons et d'États indépendants quant à leur souveraineté intérieure, mais unis les uns aux autres par un lien fédéral, tandis que la République française, par exemple s'est définie en 1792 et en 1840, comme une et indivisible. La base de toute république démocratique est le suffrage universel. Cicéron signalait, dès l'Antiquité, les écueils des républiques démocratiques : « Lorsque l'ardeur du peuple s'est enflammée d'une soif intarissable d'indépendance, et que, servi par des complaisants pervers, il a bu avidement la coupe remplie de liberté sans mélange, alors si ses magistrats et ses chefs ne sont tout à fait mous et obéissants, s'ils ne lui versent à flots la liberté, il les poursuit, les incrimine, les accuse, il les appelle dominateurs, rois, tyrans. La courte durée du pouvoir, incessamment renouvelé par l'élection, encourage les ambitieux, et fait naître les flatteurs des peuples. La multitude choisit trop souvent, en haine de toutes les supériorités, des chefs nouveaux, hardis, acharnés contre tout ce qui est grand. On ne tarde pas à passer de la démocratie à la démagogie, et l'on ne sort de celle-ci que par le despotisme.En Grèce et à Rome. Dans les démocraties anciennes, grecques ou romaines, le peuple constituait lui-même une véritable aristocratie, composée des citoyens libres, excluant les esclaves, les affranchis (et, bien entendu, les femmes) ainsi le gouvernement pouvait-il demeurer direct et toutes les questions importantes être soumises au suffrage populaire, tant que le territoire de la République était restreint à une cité. D'autre part, l'aristocratie, en se concentrant, aboutit à une oligarchie qui ne supprime pas la forme républicaine, quoique la naissance confère le pouvoir. Enfin, l'aristocratie primitive peut inversement se transformer plus ou moins vite en démocratie (par l'action des tyrans populaires en Grèce, par celle des tribuns de la plèbe à Rome). La république du monde romain fut la domination d'une cité maîtresse (d'où l'idée de capitale), se gouvernant elle-même, sur les peuples qu'elle avait subjugués : le nombre et la diversité de ces peuples, leur admission progressive à tout ou partie des droits civiques, finirent par rendre le gouvernement républicain impossible et par le transformer en triumvirats, en dictatures, en principat héréditaire : mais la forme républicaine survécut dans le mode d'administration locale des cités subordonnées (municipes). L'exemple de Rome a longtemps persuadé les politiques qu'une condition essentielle de durée pour une république, c'était l'exiguïté du territoire. On peut y ajouter la prédominance des instincts conservateurs sur l'esprit d'agression et de conquête; une armée destinée à l'offensive ne saurait en effet être conçue sous la forme d'une république : le chef consacré par d'éclatantes victoires devient souverain par la volonté même de ses compagnons d'armes, et, pour peu que les circonstances le soutiennent, fonde une dynastie. Le Moyen âge et la Renaissance. Au contraire, l'Italie eut dès le Moyen âge ses républiques marchandes (Venise, Gênes, Pise, Florence). Si la ligue des cités lombardes contre le joug impérial ne se transforma pas en république fédérative, il n'en fut pas de même des cantons suisses, des Pays-Bas, qui firent reconnaître leur indépendance républicaine, les unes par la maison d'Autriche, les autres par l'Espagne. A cette liste il convient d'ajouter Genève, la république de Calvin et la Suisse de Jean-Jacques. C'est, en somme, de la restauration des Stuarts, honteusement liés à la politique française et papiste, que date l'opposition dogmatique de l'idée monarchique et de l'idée républicaine : encore est-il bon d'ajouter que. Bossuet lui-même en veut moins à la République qu'à l'anarchie religieuse et sociale, et à « l'usurpation ». Cependant, à la monarchie qui prétendait monopoliser à son profit le droit divin, Pascal, avait déjà répondu (au dire de Mme Périer) : « Dans un Etat en république comme Venise, c'est un grand mal de contribuer à mettre un roi, et opprimer la liberté des peuples à qui Dieu l'a donnée ».Au XVIIIe siècle, la révolte des « insurgents » de l'Amérique du Nord (L'histoire des Etats-Unis) contre l'oppression de l'Angleterre obligea les treize colonies à se fédérer pour la guerre; elles conservèrent naturellement, en la précisant et en la fortifiant, la forme de gouvernement qui leur avait donné la victoire sans les exposer à la dictature militaire : l'on sait comment la plus vieille monarchie de l'Europe, la France, contribua puissamment, par haine de l'Angleterre, à fonder la plus puissante et la plus progressive des Républiques modernes : les États-Unis. Sans doute, cette République fédérative fut d'abord bien faible. Nul n'imagine pourtant qu'elle puisse jamais retomber sous le joug de la métropole (qui d'ailleurs a sagement renoncé à une revanche fratricide), et tous les penseurs lui prédisent un avenir indéfini. Mais devaient-ils rester unis, ces États, à mesure qu'ils se multipliaient et s'étendaient? Les plus riches d'entre n'étaient-ils pas, comme Athènes ou Sparte, fondés sur l'esclavage? Si des dissensions s'élèvent, les organes fédéraux suffiraient-ils à les apaiser, et les appels à la force ne détruiraient-ils pas la forme républicaine? Ces questions, toutes théoriques à l'origines, se posèrent concrètement quelques décennies plus tard, au moment de la Guerre de Sécession. Mais en attendant, à la veille de la Révolution française, l'exemple des Etats-Unis n'a pas plus propagé l'idée républicaine en France, que les exemples bien plus voisins et bien plus anciens de Venise ou des Treize-Cantons : en fait le « héros de la liberté dans les deux mondes », Lafayette, est le moins répuplicain des révolutionnaires. L'honneur, principe de la monarchie tempérée, le service du prince, semblaient suffire aux français, qu'effrayaient plutôt cette « vertu » rigide, cette fermeté et cette vigilance civiques, sans lesquelles les républiques tombent dans la corruption et dans l'anarchie. Si quelques individus se disent alors républicains, c'est par réminiscence scolaire, et dans le sens de « bons citoyens », aimant leur pays, voulant le bien public, même à l'encontre d'un souverain égaré par son entourage, mais inviolable et sacré malgré tout. De fait, de nombreux auteurs n'ont pas hésiter, au cours des décennies précédentes, à reconnaître que la république exige des citoyens un assemblage bien rare de qualités, désintéressement, instruction, patriotisme à toute épreuve, respect absolu de la loi, obéissance aux magistrats, etc. « Il ne faut pas beaucoup de probité, disait Montesquieu, pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l'un, le bras du prince toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un État populaire, il faut un ressort de plus, la vertu."J.-J. Rousseau a dit à son tour : « Que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce gouvernement! Premièrement, un État très petit, où le peuple soit facile à rassembler, et où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres; secondement, une grande simplicité de moeurs, qui prévienne la mul titude d'affaires et les discussions épineuses; ensuite, beaucoup d'égalité dans les rangs et dans les fortunes, sans quoi l'égalité ne saurait subsister longtemps dans les droits et l'autorité; enfin, peu ou point de luxe; car, ou le luxe est l'effet des richesses, ou il les rend nécessaires; il corrompt à la fois le riche et le pauvre, l'un par la possession, l'autre par la convoitise; il vend la patrie à la mollesse, à la vanité; il ôte à l'État tous ses citoyens pour les asservir les uns aux autres, et tous à l'opinion... Ajoutons qu'il n'y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines, parce qu'il n'y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement changer de forme, ni qui demande plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la sienne. S'il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement; un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes » (Contrat social, III, 4).Au temps de la révolution française. Pour beaucoup, la république est un gouvernement idéal et inacessible : l'état des moeurs, la misère et l'ignorance du peuple, sa résignation et son humilité chrétienne, enfin et toujours l'étendue du territoire qu'une révolution intérieure exposerait à mille dangers sur ses frontières, voilà les objections pratiques qui longtemps rivent au trône des Bourbons les novateurs les plus hardis. Il ne s'agit donc d'abord, en 1789, que de limiter la monarchie, de la constituer, et de régénérer le royaume par la destruction des privilèges ecclésiastiques et nobiliaires. Ce fut seulement après la fuite de Varennes que la France fit, non sans effroi, l'expérience de la République. Le 23 juin 1791, le constituant Thomas Lindet écrit à son frère Robert : « La France est en état de donner l'exemple d'un peuple qui sait se passer de roi ».La foule, sur ce point, devança la timidité de ses chefs, et Paris devança la France. Mais les partisans de la déchéance de Louis XVI sont massacrés au Champ de Mars, le roi est rétabli dans ses fonctions après avoir prêté serment à la Constitution de 1791. Robespierre rédige, pendant la Législative le journal le Défenseur de la Constitution et, le 2 mars 1792, déclare en séance des Jacobins qu'il est « royaliste par raison ». Brissot disait encore, en juillet 1792 : « S'il existe des hommes qui tendent à établir une République sur les ruines de la Constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les partisans de Coblentz.»La langue politique française n'est d'ailleurs pas plus claire, que les tendances qu'elle exprime : l'on peut encore se dire républicain, c.-à-d. patriote, et repousser comme impossible et antinationale la solution républicaine. C'est probablement pourquoi, dans la prudente réponse que fit Sieyès au défi que lui adressait Thomas Paine, sur la meilleure forme de gouvernement (8 juillet 1791), le célèbre théoricien désigne les républicains proprement dits sous le nom de « polycrates ». A la tribune de la Législative, il fut question de la « République universelle » (discours de Clootz, 21 avril 1792) bien avant que le moment fût venu de proclamer la République française, et la scène significative du baiser Lamourette est du 7 juillet suivant. Il y eut une seconde République de fait, depuis le 10 août jusqu'à la première séance de la Convention, qui abolit la royauté en France (21 septembre) et décida le lendemain que les actes publics seraient datés de l'an I de la République. Alors la cause de la République se confondit chez nous avec celles de la Révolution et de l'indépendance nationale. Au fédéralisme, allié du royalisme, s'opposa le dogme de la République une et indivisible (25 septembre) ; les conquêtes eurent en général pour conséquence, non des annexions pures et simples, mais la fondation de républiques-filles sur les bords du Rhin et en Italie. Le XIXe siècle. Mais la République-mère n'arriva pas à se constituer et retomba sous le pouvoir personnel, puis dynastique, de Napoléon Ier. Depuis lors et surtout de 1814 à 1848, le mot république devint, dans l'opinion des « classes dirigeantes », synonyme de terreur et d'anarchie, tandis que la classe populaire des villes en faisait son mot d'ordre, sa religion, et confondait dans le même culte la mémoire de Napoléon. La Deuxième République (24 février 1848) fut mise par ses apôtres au-dessus même du suffrage universel; or ce suffrage - celui des paysans - choisit après les journées de juin des législateurs monarchistes, et comme président de la République, un neveu de l'empereur. C'est au nom de « salut de la République » que L.-N. Bonaparte fit le coup d'Etat du 2 décembre 1851 : pendant un an encore, le titre de République subsiste, tandis que les républicains sont poursuivis et proscrits. Sous le Second Empire, l'idéal républicain ressuscite, et le parti se reforme; toutefois, les républicains ont recours ou à des complots, ou à des coalitions avec les anciens partis monarchistes, jusqu'au désastre de Sedan et à la révolution du Quatre-Septembre, origine du gouvernement de la Défense nationale et de la troisième République. A deux reprises, en 1888-1889, et en 1898-1899, un parti qui s'est surnommé boulangiste, puis nationaliste, a fait campagne contre la République constitutionnelle ou parlementaire, soit en lui opposant les élections multiples (tant qu'elles furent autorisées) d'un seul candidat dans un grand nombre de circonscriptions, soit, en prêchant une révision violente qui enlèverait l'élection du président au Congrès et la « rendrait » au suffrage universel direct; ce ne serait, à vrai dire, que la « plate-forme » d'une restauration monarchique (mot du général Fleury), ainsi que l'a montré l'expérience de 1848-1852. Et après... |
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