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Les Erinyes

Les Erinyes, également appelées par euphémisme Euménides (= les Bienveillantes) sont les divinités grecques de la vengeance. Primitivement les Grecs ne reconnaissaient qu'une Erinye - ils la désignaient justement sous le nom d'Erinnys (= vengeresse). Puis ils en ont désigné trois : Alecto, Mégère et Tisiphone. On les représente avec un corps ailé et une chevelure de serpents. Les Furiessont leur équivalent romain, mais elles n'ont pris place que dans la mythologie poétique, et non dans le culte des Romains. 

Homère connaît leur nom et leurs fonctions morales, sans rien dire d'ailleurs de précis sur leur nombre et leur origine. Selon Apollodore, les Erynies avaient été formées dans la mer du sang de la plaie faite par Cronos à Ouranos. Hésiode les fait plus jeunes d'une génération; il dit qu'elles naquirent de Gaïa, qui les avait conçues du sang de Cronos. Ailleurs, il les représente comme filles d'Eris (la Discorde), et nées le cinquième jour de la Lune. Lycophron et Eschyle veulent qu'elles soient filles de  l’Achéron et de Nyx. L'auteur d'un hymne adressé aux Euménides assure qu'elles devaient la naissance à Hadès et à Perséphone. Sophocle les fait sortir de la Terre et de l'Erèbe; et Epiménide les suppose soeurs d'Aphrodite et des Moires, et filles de Cronos et d'Evonyme.

Les mythologues du XIXe siècle ont misouligné la parenté entre l'image que les Anciens ce faisaient des Erinyes et et celle d'un nuage sombre qui amène la tempête. D'autres auteurs, comme Kuhn ont suggéré une relation étymologique avec la Saranyû védique et l'Erinys des Grecs. Celle-ci étant une personnification de l'Aurore

Homère les appelle perophoites = celles qui marchent enveloppées de ténèbres; d'autres qualificatifs expriment leur marche rapide, leur souffle dévorant; on les représente portées sur des ailes sombres, lançant des regards terribles et chargés de flammes. Les serpents qu'elles brandissent dans leurs mains ou qu'elles portent enlacés dans leurs chevelures, les torches qu'elles secouent, les fouets qu'elles font claquer et dont les coups remplissent de délire, les aboiements furieux qui les assimilent tantôt à des chiens, tantôt à des taureaux, les pieds d'airain, infatigables, retentissants, dont elles frappent la terre, font aussi penser à la tempête et à l'orage qui traverse le ciel et ébranle la terre. 

Leur séjour cependant n'est pas dans le ciel; elles habitent les sombres profondeurs de l'Erèbe d'où elles s'élancent, apportant les ténèbres dans l'empire propre du soleil. Elles sont des divinités chthoniennes, c.-à-d. souterraines, des figures du monde infernal, ministres de Hadès et gardiennes du Tartare. Mannhardt a montré l'universalité, chez les populations de langues indo-européennes, de la croyance aux démons féminins qui, sous la forme du nuage, sortent des entrailles de la terre, apportant avec elles et les ténèbres et les châtiments divins.
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Les Euménides (Erinyies). Les Euménides endormies (bienveillantes, donc...) entourent Oreste
qu'Apollon purifie avec un porcelet. Cratère grec. Musée du Louvre.

De cette manière de se figure les Erinyes découle chez les poètes grecs leurs fonctions morales. Elles sont les puissances exécutives des divinités infernales, les chiennes ténébreuses chargées de poursuivre, dans une sorte de chasse fantastique, les grands coupables, les parjures, les enfants ingrats et dénaturés; par extension, elles deviennent les gardiennes de la loi morale, des droits sacrés qui président aux familles, qui garantissent les pauvres et les faibles ici-bas; elles sont les vengeresses de toute espèce de crimes commis contre l'ordre de la nature, de toutes les fautes qui menacent de troubler les lois du partage établies entre les êtres du monde par la volonté supérieure de Zeus

C'est ainsi que le poète Eschyle les met sur le même rang que les Moires (Moirai), avec cette différence qu'elles résident sous terre et que leur fonction est limitée surtout au châtiment des coupables  Quelques poètes n'en admettaient que trois, Alecto, Mégère et Tisiphoné; Eschyle, dans sa trilogie de l'Orestie, a mis sur la scène un choeur de cinquante Erinyes, et leur a donné, d'accord avec l'opinion athénienne, le nom d'Euménides, c.-à-d. de bienveillantes. Il y a dans cette dénomination plus qu'un euphémisme pieux; elle implique, tout au moins aux yeux du poète, une conception philosophique de leur être. 

Quand, au début des Choéphores, Oreste les entrevoit, parlant de leurs morsures sauvages qui déchirent les chairs, quand il les montre « chiennes enragées des enfers, aux yeux distillant le sang, pareilles aux Harpyes noires et hideuses », il dépeint leur être suivant les conceptions archaïques d'une morale fondée sur la peine du talion : elles sont les vieilles déesses, par opposition avec Athéna et Apollon, ces lumineuses divinités de la miséricorde et de la purification. Mais la conclusion de l'oeuvre nous les montre graves, majestueuses, acceptant des dieux nouveaux la mission de consacrer par le châtiment le triomphe de la justice, et aussi d'assurer le pardon par le repentir, de tempérer l'expiation par la clémence. 

C'est ainsi que dans l'Attique elles sont devenues les gardiennes de la fertilité du sol et de la gloire nationale; leur culte y est lié à l'institution de l'Aréopage, et c'est au voisinage de ce tribunal qui marque la fin des représailles barbares qu'elles possèdent un temple à Athènes. D'autres villes de la Grèce, Sicyone, Argos, le bourg de Colones, Cérine, Myrrhinonte, ville de l'Attique, Mycènes, Mégalopolis, Sotnia, etc., possédaient un culte analogue.

Leurs temples servaient d'asile inviolable aux criminels. Tous ceux qui paraissaient devant l'Aréopage étaient obligés d'offrir un sacrifice dans le temple des Erinyes qui était auprès, et de jurer sur leurs autels qu'ils étaient prêts à dire la vérité. Dans les sacrifices qu'on leur offrait, on employait le narcisse, le safran, le genièvre, l'aubépine, le chardon, l'hièble, et l'on brûlait des bois de cèdre, d'aune et de cyprès. On leur immolait des brebis pleines, des béliers et des tourterelles.

La transformation des Erinyes en Euménides est l'oeuvre des temps où s'élabora dans les esprits la religion morale qui porte le nom d'orphisme. Les représentations artistiques les plus connues sont celles qui nous montrent les Erinyes acharnées à la poursuite d'Oreste, meurtrier de sa mère. L'histoire a gardé le souvenir de l'effet de terreur qu'elles produisirent sur les spectateurs dans le drame d'Eschyle; chez Euripide déjà elles perdent leur être divin et leur expression plastique pour n'être plus que la représentation symbolique du remords. (J.-A. Hild).



Dans les premiers siècles de la Grèce, on se contentait de représenter les Erynies avec des traits sévères : telles étaient leurs statues dans l'Aréopage. Sur des médailles de Cyrène, elles sont couronnées de lotus. 

A partir du siècle de Périclès, l'art leur donna un aspect de plus en plus horrible : elles furent coiffées de serpents, armées d'un fouet de couleuvres, de torches ardentes, de poignards ou d'autres instruments de supplice et de mort; quelquefois on les figura avec des ailes, des pieds d'airain, des mains multiples, ou encore tenant une clef, symbole de leur puissance surnaturelle à pénétrer partout. On imagina meure de les réunir en un corps à trois têtes et à six bras.

Leconte de Lisle les a mises en scène dans un drame tout pénétré du souffle de l'Antiquité, pour lequel Massenet a écrit la musique

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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