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Les sept Sages

Les historiens ne sont pas d'accord sur les noms des sept personnages en qui la légende a personnifié la sagesse primitive (Philosophie gnomique). Tout ce qu'on nous rapporte de ces personnages est suspect : les détails de leur vie sont racontés diversement et appartiennent à la légende plus qu'à l'histoire; les sentences qu'on leur attribue sont mêlées d'éléments ultérieurs et de proverbes d'une autre origine. Mais tous les fragments conservés présentent le même caractère; ce sont des sentences morales, des règles ou maximes pratiques, analogues à celles que nous avons rencontrées chez Phocylide et Théognis (Poésie gnomique). 

Bien que les traditions aient varié sur le nombre et même sur les noms des Sages de la Grèce, sans admettre qu'ils aient jamais formé une institution spéciale, une espèce d'académie qui s'occupât à rédiger des maximes, le genre sentencieux qui distingue leurs pensées, caractérise une époque de réveil pour l'esprit humain; ces hommes nés dans les diverses parties de la Grèce, durent aux situations à peu près semblables des petites cités où ils vivaient, une certaine communauté d'idées, et rendirent également des services à leur cité, quelques-uns comme chefs de l'Etat, et d'autres comme législateurs.

Une légende naïve, conservée par Diogène Laërce, nous fait connaître les rapports d'amitié et de haute estime qui existaient entre les hommes à qui les Grecs firent l'honneur de les compter au nombre des sept Sages. Voici ce qu'elle rapporte : 

« On connaît l'histoire du trépied trouvé par des pêcheurs, et que les Milésiens offrirent aux sept Sages. Des jeunes gens achetèrent, dit-on, un coup de filet à des pêcheurs de Milet; un trépied ayant été tiré de l'eau, une contestation s'éleva, et les Milésiens, ne pouvant accorder les parties, envoyèrent consulter l'oracle de Delphes. La divinité répondit en ces termes : Enfants de Milet, vous m'interrogez au sujet du trépied : je l'adjuge au plus sage. En conséquence, on le donna à Thalès qui le transmit à un autre, et celui-ci à un troisième; enfin Solon le reçut et l'envoya à Delphes, en disant que le premier des sages était le dieu. » (Diogène Laërce, liv. Ier , c. 1er).
Le même auteur donne plusieurs variantes de la même anecdote. Mais une autorité plus grave, Platon, dans son Protagoras, nous a conservé les noms de ceux qui furent les sept Sages. Socrate dans un dialogue où il se joue si spirituellement de Protagoras; veut établir que le caractère de la philosophie ancienne a été une briéveté vraiment laconique; et il s'exprime ainsi :
« On n'a qu'à converser avec le dernier Lacédémonien, dans presque tout l'entretien on verra un homme dont les discours n'ont rien que de très médiocre; mais à la première occasion qui se présente, il jette un mot court, serré et plein de sens; tel qu'un trait lancé d'une main habile, et celui avec lequel il s'entretient ne paraît plus qu'un enfant. Aussi, a-t-on remarqué de nos jours comme déjà, anciennement, que l'institution lacédémonienne consiste beaucoup plus dans l'étude de la sagesse que dans l'exercice de la gymnastique : car, il est évident que le talent de prononcer de pareilles sentences, suppose en ceux qui le possèdent une éducation parfaite. De ce nombre ont été Thalès de Milet; Pittacus de Mytilène, Bias de Priène, notre Solon, Cléobule de Linde, Myson de Chènes, Cléobule de Lacédémone, que l'on compte pour le septième de ces Sages. » (Traduction de V. Cousin).
Cependant une tradition plus générale, et qui a prévalu, substitue le nom de Périandre, tyran de Corinthe, à celui de Myson, dans la liste des sept Sages. A cet égard, les divers auteurs fournissent plus d'une variante, et Diogène Laërce, tout en rétablissant à sa place le nom de Périandre, ne laisse pas d'admettre Myson, avec deux ou trois autres, tels qu'Epiménide, Phérécyde de Scyros, et même le Scythe Anacharsis, pour compléter sa liste. Si l'on admettait le témoignage du Banquet des sept Sages,écrit attribué à Plutarque, la liste s'élèverait jusqu'à seize. On remarquera aussi que quatre noms, ceux de Thalès, Bias, Pittacus et Solon figurent dans toutes les listes.
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Les Sept Sages.
Les sept Sages, selon la Chronique de Nuremberg (fin du XVe siècle).

"La Grèce, si féconde en fameux personnages
Que l'on vante tant parmi nous,
Ne put jamais trouver chez elle que sept sages :
Jugez du nombre de ses fous! " (Grécourt).

Quoi qu'il en soit des légendes dont on a enveloppé l'histoire de ces Sages, il est à remarquer que les noms les plus accrédités qui figurent sur ces listes, nous rappellent des législateurs, ou des hommes qui ont exercé de grandes fonctions publiques dans, leur cité. Et il faut souscrire au jugement de Dicéarque quand il considère les sept sages comme des hommes habiles et de grands législateurs, et non comme des philosophes au sens péripatéticien du mot.

Les renseignements biographiques que les divers auteurs de l'Antiquité nous fournissent sur chacun d'eux, nous les montrent comme des hommes d'Etat, à l'expérience, aux lumières et à la vertu desquels on avait recours dans les circonstances critiques, lorsqu'il s'agissait, soit de relever des villes détruites, soit de rétablir l'ordre par des lois équitables. Les dates que l'on a recueillies sur la naissance ou la mort de ces hommes célèbres, les placent tous dans le cours du VIe siècle avant l'ère chrétienne à cette époque de fermentation où les cités de la Grèce et de l'lonie, travaillées d'un besoin d'améliorations politiques, cherchaient à s'affranchir du joug des vieux gouvernements, et où l'histoire nous révèle dans ces pays un mouvement général vers la liberté et vers la démocratie.

Périandre était né la première année de la 29e olympiade, ou 615 ans av. J.-C., il vécut 80 ans, et mourut l'an 535; la Chronique d'Eusèbe le fait mourir quatre ans plus tôt, ol. 48, 1 = 539. D'après le témoignage d'Apollodore, Thalès était né ol. 35, 1 = 639 av. J.-C.; il mourut à 78 ans, ol. 54, 3 = 561. Pittacus, né également ol. 35, 1 = 639, est mort à 70 ans, ol. 52, 3 = 569. Solon, né dans l'île de Salamine, ol. 35, 2 = 638, donna ses lois dans la 46e olympiade, et mourut à 80 ans dans l'île de Chypre, ol. 55, 2.= 558. Les dates sont moins précises pour les autres; mais tous les témoignages attestent qu'ils, furent contemporains.

Avant d'entrer dans quelques détails nécessaires pour donner une idée suffisante de chacun des sept Sages, il est à propos de remarquer que le caractère général de leur philosophie était tout pratique. Elle se résume en quelques maximes d'une application usuelle, sous la forme de sentences concises, propres à se graver dans la mémoire. La plupart d'entre eux n'étaient ni des philosophes proprement dits, ni des écrivains; c'étaient des hommes distingués par leurs talents; et respectables surtout par leur caractère, et par les services qu'ils avaient rendus à leur cité. À leur époque, le caractère de l'enseignement moral ne pouvait être que d'une, extrême simplicité. C'étaient donc les résultats de leur expérience personnelle qu'ils communiquaient à leur concitoyens, ou à ceux qui les approchaient : c'est ainsi qu'ils rédigeaient un petit nombre de vérités de la morale et de la politique en maximes assez claires pour être facilement saisies, et assez précises pour être ou paraître profondes . 

Pour mieux les fixer dans la mémoire, dans ces temps où l'art d'écrire n'était pas encore très commun, on les mettait le plus souvent en vers; on les gravait sur des plaques de marbre exposées dans les temples, et particulièrement dans celui d'Apollon à Delphes. Ces règles de prudence pratique, exprimées avec énergie et brièveté, ne sont pas encore la philosophie; mais elles l'annoncent, elles la préparent : c'est la naissance de la réflexion, qui marque déjà un progrès dans la civilisation; et une raison déjà assez formée pour entrer dans les voies de la science.

Thalès.
Selon la tradition à laquelle souscrivaient les anciens Grecs, ce chemin sera d'ailleurs emprunté en premier par un des sept Sages, c'est Thalès de Milet, le père de la philosophie naturelle. Issu d'une famille phénicienne venue en Grèce avec Cadmus, et fixée d'abord à Athènes, puis établie à Milet, lors de la fondation de cette ville par Nélée, fils de Codrus, Thalès avait été élevé dans une des villes les plus florissantes de cette riche et commerçante Ionie, où brillait déjà l'aurore des lumières qui devaient éclairer la civilisation grecque.

Animé du désir d'apprendre et de connaître, il fit, du moins à en croire la légende, ce que firent presque tous les hommes les plus éclairés de son temps : il se mit à voyager; il alla chercher la science dans le pays qui passait alors pour en être l'asile et le berceau : il alla en Egypte. Il obtint, dit-on, d'être initié aux mystères des prêtres égyptiens

Nous consacrons un article spécial à aux opinions philosophiques et spéculatives de Thalès, fondateur de l'école ionienne : nous ne rapporterons ici que les maximes de sagesse qui lui sont attribuées dans le sens antique et primitif du mot.

« Il y e trois choses, avait-il coutume de dire, dont je remercie la fortune : de m'avoir fait membre de l'espèce humaine, plutôt que bête; homme plutôt que femme; Grec et non barbare ».
Voici quelques-unes de ses sentences, rédigées sous forme de réponses a des questions qu'on lui adressait : 
« Qu'y a-t-il de plus ancien? - La divinité, car elle n'a pas eu de commencement. - De plus beau ? - Le monde, car c'est l'oeuvre de la divinité. - De plus grand? - L'espace, car il contient tout. De plus rapide? - La pensée, car elle s'élance partout. -De plus fort? - La nécessité, car elle soumet tout. - De plus sage? -Le temps, car il découvre tout. - De plus commun? - L'espérance, car elle reste même à ceux qui n'ont plus rien. - De plus utile? - La vertu, car elle fait bien user de tout. - De plus nuisible? - Le vice, car il corrompt tout. - De plus facile? - Ce quiest selon la nature, car on se lasse même du plaisir ».
Solon.
Le rôle de Solon, comme législateur, est bien connu : rien n'est plus authentique, dans l'histoire, que les témoignages réunis d'Hérodote, de Platon, d'Aristote, de Plutarque sur le compte de ce Sage. Nous renvoyons, pour l'examen de son oeuvre législative, à l'article spécial qui lui est consacré dans ce site.

Pittacus.
Aristote nous apprend (Politique, liv. II, c. 9) que Pittacus de Mytilène, a fait des lois, mais n'a pas fondé de gouvernement. Une loi qui lui est propre est celle qui punit d'une peine double les fautes commises pendant l'ivresse. Le même auteur, à propos de la tyrannie élective, rapporte (ib., liv. III, c. 9) que Mytilène élut Pittacus pour repousser l'invasion des bannis que commandaient Antiménide et le poète Alcée. Alcée lui-même, ce poète violent et passionné, dans un de ses Scolies (chansons), dont il nous reste un fragment, reproche à ses concitoyens :

« d'avoir pris un Pittacus, l'ennemi de son pays; pour en faire le tyran de cette ville, qui ne sent ni le poids de ses maux, ni le poids de sa honte, et qui n'a pas assez de louanges pour son oppresseur. » 
Le souvenir de la haine dont Alcée poursuivait Pittacus, s'est conservé dans quelques épithètes ou surnoms, d'assez mauvais goût, dont il se plaisait à l'affubler; cependant, au dire d'Héraclite, cité par Diogène Laèrce, Pittacus aurait rendu la liberté à Alcée, devenu son prisonnier, en disant :
« Il vaut mieux pardonner que punir. »
Plusieurs des sentences conservées sous le nom de Pittacus, sont surtout les conseils d'un homme politique, qui enseigne l'esprit de conduite à ceux qui veulent faire leur chemin. Par exemple :
« Saisis l'à-propos. - N'annonce jamais ce que tu dois faire; car, si tu échoues, on se moquerait de toi. - Ne dis pas de mal de ton ami, ni de bien de ton ennemi. - Supporte les légers inconvénients de tes voisins. »
 Dans d'autres maximes pourtant, Il montre un esprit plus généreux : 
« Ne fais pas toi-même ce que tu reproches à ton prochain. - Ne reproche pas au malheureux sa mauvaise fortune, car c'est un tort que punit la vengeance des, dieux. - De tous les animaux sauvages, le pire est le tyran; des animaux domestiques, c'est le flatteur. » 
On lui demandait si les mauvaises actions échappaient aux dieux : 
« Pas même les mauvaises pensées, répondit-il. , Qu'y a-t-il -de plus obscur? L'avenir. - Le commandement est l'épreuve de l'homme. - En quoi consiste la perfection? - A bien faire ce qu'on fait naturellement. - Les véritables victoires sont celles qui ne coùtent pas de sang. »
Crésus lui demandait quelle est l'autorité la plus grande. 
« C'est celle-des tables gravées (par allusion aux lois).» 
Une de ses maximes était aussi, qu'il est difficile de rester vertueux. On peut voir dans le Protagoras de Platon, la réponse en vers que fit Simonide, à Pittacus, et le spirituel commentaire de Socrate sur ces vers.

Bias.
On ignore si Bias de Priène exerça des fonctions publiques dans sa cité, mais le témoignage d'Hérodote (Histoires, liv. I , c. 27 et 170) ne laisse pas à douter qu'il n'ait exercé une influence heureuse par ses conseils. Pendant la guerre que fit à Priène le roi de Lydie, Alyatte, père de Crésus, qui tenait la ville assiégée, on raconte que Bias fit engraisser deux mulets, qu'il chassa ensuite vers le camp des assiégeants. Alyatte fut surpris de voir les animaux eux-mêmes si bien nourris, et, songeant à lever le siége, il envoya un messager reconnaître l'état de la place. Bias avait fait recouvrir de blé des monceaux de sable qu'il montra à l'envoyé; et, sur le rapport de ce dernier, Alyatte fit la paix avec Priène. 

Lors de l'invasion de l'Ionie par les Perses, sous la conduite d'Harpagon, dans une assemblée générale du Panionium, Bias avait ouvert un avis plein de sagesse. Il conseillait aux Grecs de cette province de réunir leurs vaisseaux en une seule flotte, de s'y embarquer tous, et de se rendre en Sardaigne pour y fonder une ville, qui serait l'asile commun de tous les fugitifs de l'Ionie. Il leur montrait que ce parti était le seul par lequel ils pussent se soustraire à la servitude, et assurer en même temps leur existence, en cultivant une grande île, où ils pourraient fonder avec le temps une puissance redoutable. 

Bias se distinguait par son talent oratoire; et ce qui le faisait surtout honorer, c'est qu'il ne le consacrait qu'à défendre de bonnes causes. De là, ce mot de Démodicus de Léros :

 « Si vous êtes juge, rendez la justice comme à Priène. » 
Hipponax dit aussi : 
« Dans vos jugements, surpassez même Bias de Priène. » 
Un jour, Bias était en mer avec des impies; une tempête s'éleva, et ses compagnons de voyage se mirent à invoquer les dieux : 
« Silence! leur dit-il; les dieux pourraient s'apercevoir que vous êtes ici. »
Un impie lui demandait ce que c'était que la piété; il garda le silence. L'autre voulut en savoir la raison : 
« Je me tais, dit-il, parce que tu m'interroges sur des choses qui ne te regardent pas. »
Il se plaisait à dire : 
« Pendant que vous êtes jeunes, faites-vous de la sagesse un viatique pour la vieillesse; car c'est là le moins fragile de tous les biens. - Soyez lent à entreprendre, mais ce que vous avez commencé, poursuivez-le avec persévérance. - C'est le propre d'une âme malade, de désirer l'impossible et de ne pas songer aux maux d'autrui. - Les gens de bien sont faciles à tromper. » 
A côté de ces maximes, où l'on reconnaît une morale bon teint, on est surpris de trouver cette sentence d'une philosophie pessimiste, qu'on attribue aussi à Bias  :
« Il faut aimer comme si l'on devait haïr un jour ; parce que la plupart des hommes sont pervers. » 
C'était sans doute à la suite de quelque déception, que ce mot avait échappé au Sage qui avait dit : 
« Quand tu fais quelque chose de bien, fais-en honneur aux dieux, non à toi-même. »
Périandre.
Bayle a témoigné son étonnement de voir figurer au nombre des sept Sages, Périandre, tyran de Corinthe (s'il n'y a pas méprise sur la personne), qui avait asservi sa cité, et dont la vie est souillée de plusieurs crimes : ainsi, dans un accès de colère brutale il fit périr sa femme enceinte, en la précipitant du haut des degrés de son palais; il a été convaincu d'inceste avec sa mère Cratéa. Mais dans le récit de Parthénius (Erotica, c. 17), c'est par une ruse de Cratéa qu'est consommé l'inceste, qui, de la part de Périandre aurait été involontaire. Hérodote (liv. III, c. 47) raconte qu'un habitant de Corcyre ayant fait périr Lycophron, fils de Périandre, celui-ci, fut si irrité, qu'il envoya les enfants des Corcyriens, qu'il gardait en otage, au roi de Lydie, Alyatte, pour en faire des eunuques. Hérodote ajoute qu'ils étaient au nombre de trois cents, des meilleures familles. Mais le vaisseau qui les portait, ayant relâché à Samos, le sort de ces jeunes gens inspira un intérêt général, et ils furent délivrés par les Samiens. A cette nouvelle, selon Diogène Laërce, Périandre mourut de douleur à quatre-vingts ans.

Le même auteur dit que Périandre est le premier qui ait établi la tyrannie à Corinthe et quise soit entouré de gardes. Mais le témoignage formel d'Hérodote (liv. V, c. 92), nous apprend qu'avant lui, son père Cypsèle avait régné trente ans à Corinthe, et exercé assez durement son autorité. Aristote confirme le fait (Politique, liv. v, c. 9). 

« Périandre, ajoute ce philosophe, était un despote, mais un grand général [...]. C'est à lui qu'on rapporte l'invention de ces expédients politiques, dont la monarchie des Perses peut offrir bon nombre d'exemples. » 
Périandre avait trouvé dans Thrasybule, tyran de Milet, un conseiller digne de lui, comme le témoigne cette lettre citée par Hérodote (liv. II, c. 20) . 
« Je n'ai rien répondu à ton envoyé, mais je l'ai mené dans un champ de blé, où, tandis qu'il me suivait, j'abattais avec un bâton les épis les plus élevés; après cela, je lui ai dit de te rapporter ce qu'il avait vu et entendu. Fais de même, si tu veux conserver le pouvoir : débarrasse-toi des principaux citoyens, amis ou ennemis. L'ami même d'un tyran doit lui être suspect. » 
Voilà un échantillon de la politique antique. Selon Aristote (Politique, liv. III, c. 8), c'est Périandre qui donna ce conseil à Thrasybule. Et plus loin (liv. V, c. 8 ), Aristote ajoute cette explication : 
« La tyrannie emprunte à la démocratie ce système de guerre continuelle contre les citoyens puissants, cette lutte secrète et publique contre eux, les bannissements qui les frappent, sons prétexte qu'ils sont factieux et ennemis du pouvoir car elle n'ignore pas que c'est des rangs des hautes classes que sortiront contre elle les conspirations dont les chefs voudront, les uns se saisir du pouvoir à leur profit, les autres se soustraire à l'esclavage politique. Voilà ce que signifiait le conseil de Périandre à Thrasybule; et ce nivellement des épis qui dépassaient les autres, voulait dire qu'il fallait à tout prix se défaire des hommes éminents. »
Personne assurément ne s'avisera de faire l'apologie des crimes et des
cruautés de Périandre. Néanmoins, on trouve dans Héraclide certains faits à son avantage. Ainsi, il n'imposa jamais aucune taxe aux citoyens; il se contentait des revenus de quelques droits de péage sur l'entrée et la sortie des marchandises. Il paraît avoir veillé avec sollicitude sur les moeurs publiques, et il punissait très rigoureusement les entremetteuses. Il établit un sénat et régla la dépense de ceux qui le composaient par des lois somptuaires. La tradition lui attribue, comme aux autres Sages, des maximes et des sentences, qui ont été recueillies par Diogène Laërce et par Stobée. Il disait que pour régner en sûreté, il faut se faire un rempart, non pas des armes, mais de la bienveillance publique. On lui demandait pourquoi il conservait la tyrannie. 
« C'est, dit-il, qu'il est aussi dangereux de la quitter volontairement, que d'en être violemment dépossédé. - Le gain honteux est un trésor bien lourd. - Soyez modeste dans la prospérité; soyez ferme dans le malheur. Soyez toujours le même avec vos amis, qu'ils soient heureux ou malheureux. - Punissez non seulement le crime accompli, mais même l'intention. »
Périandre paraît avoir gouverné avec modération, pendant un long règne de quarante ou quarante-quatre années. A sa mort, les Corinthiens inscrivirent sur son tombeau une épitaphe dans laquelle ils lui donnaient le nom de Sage.

Chilon.
Chilon, de Lacédémone, se rendit célèbre parmi les Grecs, surtout par la prédiction qu'iI fit au sujet de l'île de Cythère, sur les côtes de la Laconie. Faisant allusion à la situation de cette île, il s'écria :

« Plût aux dieux qu'elle n'eût jamais existé, ou qu'elle fût abîmée dans la mer! » 
Il prévoyait qu'un jour cette île deviendrait fatale à ses compatriotes, et il redoutait une expédition entreprise sur ce point par les ennemis de Lacédémone. La prédiction fut justifiée par l'événement : car lorsque Démocrate, fugitif de Sparte, eut trouvé un asile auprès de Xerxès, qui venait d'envahir la Grèce, il conseilla au roi de Perse d'envoyer trois cents vaisseaux s'emparer de l'île de Cythère; et si Xerxès eût suivi ce conseil, la Grèce, dit-on, aurait été perdue (Les Guerres médiques). Plus tard, Nicias en fit la conquête sur les Lacédémoniens, y mit une garnison athénienne, et fit de là beaucoup de mal à Sparte

On peut voir dans le VIIe livre d'Hérodote le discours où Démarate, ouvrant cet avis, fait l'éloge de Chilon. Celui-ci fut nommé éphore vers la 55e olympiade. On prétend qu'il fut le premier à qui celte dignité fut conférée; on ajoute même que ce fut lui qui donna les éphores pour adjoints aux rois de Lacédémone, quoique Satyres fasse remonter cette institution à Lycurgue. On lui attribue la fameuse sentence : 
« Connais-toi toi-même. » 
Une sentence qui est devenue la devise de la philosophie d'observation. Parmi celles qui nous restent sous son nom, citons-en quelques-unes : 
« Etes-vous puissant? soyez bienveillant, afin d'inspirer plus de respect que de crainte. - Plutôt une perte qu'un gain honteux : l'un n'afflige qu'une fois, l'autre est une source éternelle de regrets. - Que le malheur d'un ami vous trouve plus empressé que sa bonne fortune. - Que ta langue ne devance pas ta pensée. »
On a conservé l'inscription qui fut gravée sous sa statue : 
« Sparte, terrible par sa lance, a donné le jour à Chilon, le plus grand des sept Sages. »
Cléobule.
Cléobule, le dernier dont il nous reste à parler, était de Linde, ville de l'île de Rhodes, nommée dans l'Iliade, liv. II, v. 656. Il avait cherché l'instruction en voyageant loin de sa cité, et s'était fait initier aux doctrines des prêtres (La religion grecque). Sa maxime favorite, metron ariston, la mesure (ou le juste milieu) est ce qu'il y a de meilleur, devint la base de la morale d'Aristote. Presque toutes celles qu'on cite de lui sont de sages principes de conduite, et annoncent l'expérience de la vie : 
« Ne sois ni fier dans la prospérité, ni humble dans l'adversité. Marie-toi parmi tes égaux, car si tu prends femme dans un rang plus élevé, tu auras des maîtres et non des parents.-»
Il pensait qu'on devait donner un soin particulier à l'éducation des filles. Il avait composé un assez grand nombre de chants lyriques et d'énigmes en vers. (A. D).


Bertrand Puard, Le Secret des Sept Sages (roman), Flammarion, 2010. -  431 av. J.-C. La guerre du Péloponnèse qui débute voit s'affronter les deux grandes citées de l'Hellade: Athènes la magnifique, fière de ses monuments grandioses, dirigée par Périclès le stratège adulé, où l'on croise Sophocle, Phidias et Socrate; et Sparte où les hommes sont, toute leur vie, au service de l'armée. Si les plus sages cherchent la paix, des forces obscures rôdent, comme Cléon, l'ennemi juré de Périclès, un vil démagogue qui aspire à gouverner en usant des plus sordides moyens. Au milieu de ce chaos, Drakon, jeune espion aux yeux de serpent, assassine sans le moindre état d'âme, persuadé que les Dieux sont à l'origine de chacun de ses gestes, tandis que Périctioné, descendante de Solon, un des sept sages de l'Hellade, cherche le secret consigné par son aïeul. Un secret qui pourrait bien changer la face du monde. Intrigues politiques, assassinats, sociétés secrètes, coups bas, aventures et guet-apens, passions amoureuses, Le Secret des Sept Sages nous entraîne tambour battant dans cette période fondatrice de notre civilisation. Des ruelles pestiférées d'Athènes aux glorieuses Olympiades de 428 av. J.-C., les démocrates luttent contre les tyrans, le savoir contre l'ignorance, pour écrire les siècles à venir. 
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