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Les
Ligures sont un peuple de l'Antiquité
que les Grecs et les Romains
trouvèrent établis sur les côtes de la mer Méditerranée ,
dans le Sud-Est de la Gaule
et le Nord-Ouest de l'Italie .
Cette contrée était appelée Ligurie, Liguria, depuis les temps
les plus anciens. Les principaux établissements en étaient Genua (Gênes),
Asta (Asti), Dertona (Tortone), AIbium Ingannum
(Albinga) et Albium Intemelium (Vintimille). Les Ligures étaient divisés
en un grand nombre de tribus, lorsqu'ils furent soumis par les Romains,
entre l'an 200
et l'an 163 av. J.-C.
Origine
des Ligures
L'origine des Ligures
reste énigmatique. Les maigres informations linguistiques dont on dispose
font penser à deux composantes, l'une aurait une origine antérieure Ã
l'arrivée des populations de langues
indo-européennes, l'autre (celle dans laquelle on voyait des
congénères des Ambrons) correspondrait à des populations qui auraient
formé un rameau des Celtes (ou des Proto-Celtes).
(A une époque antérieuse aux temps historiques, il se serait séparé
d'une souche plus ancienne, peut-être de la même, que celle dont descendaient
les Celtes et qu'avant ceux-ci ils ont paru dans l'Europe occidentale,
supposait déjà Arbois de Jubainville). Toujours est-il que de nombreuses
spéculations à ce sujet ont été faites. Il est intéressant de les
examiner, tout en sachant que leur conclusions doivent être considérées
avec prudence.
Plutarque
(Vie de Marius, 19) prétend que du temps de Marius,
les Ligures se considéraient comme parents des Ambrons. Denys
d'Halicarnasse (I, 9-40), d'après le témoignage de Porcius
Caton, croit qu'ils descendaient de Grecs,
émigrés longtemps avant la légendaire guerre de Troie .
C'est à ces deux passages que se réduisent à peu près les renseignements
sur les origines des Ligures, fournis par les auteurs anciens. Cependant
il faut ajouter que plusieurs d'entre eux font une distinction entre les
Ligures d'une part et les Celtes et même les Ibères
d'autre part. Enfin on a cru un temps avoir découvert en Asie
les traces de leur berceau; mais il a été démontré que le passage d'Hérodote
(V, 42), où figure le nom des Ligyes d'Asie, offre une indication
suspecte et que le texte de Lycophron (V. 1312),
où se trouve le mot ligustikhndoit
être rectifié en libustikhn
( Rev. archéol., 1876, XXXI).
C'est seulement à la fin du XIXe siècle
qu'on a fait des efforts sérieux pour remonter jusqu'au berceau de ce
peuple obscur. Dans son Histoire des Gaules, Amédée
Thierry essaya, à tort, de le rattacher à une souche ibérienne;
quoique très peu connues, les langues des deux
peuples ne semblent avoir aucune affinité entre elles. De plus, si les
Ligures et les Ibères avaient été de même origine, Scylax
n'aurait pas pu dire qu'il existait sur les côtes de la mer Méditerranée
à l'Ouest du Rhône, une peuple mixte formé de Ligures et d'Ibères.
Müllenhoff,
dans son étude sur les sources de l'ora marïtima de Festus
Aviénus, émit l'opinion que le nom de Ligures ne s'appliquait pas
primitivement seulement aux Ligures proprement dits, mais doit avoir ou
une signification plus étendue et plus vague, comprenant également des
peuples d'origine celtique ,
qui occupaient déjà le Nord-Ouest de la Gaule ,
à l'époque où les documents utilisés par le géographe-poète ont été
rédigés. L'érudit, dans une longue et savante dissertation, examinait
les degrés de parenté qui pourraient exister entre la langue
des Ligures et celles de la famille
indo-européenne; mais, surpris par la mort, il n'eut le temps d'arriver
à aucune conclusion ( Deutsche
Alterthurnskunde, III, 179-193). Dans le premier volume du même ouvrage,
il range les Ligures, en même temps que les Rhétiens
du Tyrol
et les Ibères des Pyrénées, parmi les
populations pré-indo-européennes de l'Europe
occidentale.
De ces hypothèses
d'Amédée Thierry et de Müllenlloff, nous rapprocherons les résultats
auxquels, par une autre voie, est arrivé Issel, l'auteur d'une savante
étude sur la Ligurie géologique et préhistorique, qui admettait
que les Ligures sont d'origine ibérique; mais, dans ses intéressantes
recherches paléontologiques sur le territoire de l'ancienne Ligurie, il
remonta, en poursuivant les traces humaines, jusqu'aux temps les plus reculés
et acquit la certitude que les Ligures mésolithiques, néolithiques et
proto- historiques appartiennent à un seul et même type dolichocéphale
et que ce type est identique à celui de l'homme de Cro-Magnon. Cette population,
autochtone en Italie ,
en France
et même en Belgique ,
n'aurait conservé son caractère original que dans la Ligurie proprement
dite, et là seulement jusqu à la première période des temps historiques.
Dans d'autres régions, elle se serait graduellement éteinte au contact
de nouvelles populations, venues de l'Est. Quoi qu'il en soit, peu de temps
avant notre ère, les Ligures n'occuperont plus que le pays compris entre
le Var, la Magra, les Apennins et la mer. Vaincue et subjuguée par les
Romains, la Ligurie perd son indépendance
politique et en même temps son individualité anthropologique ( Issel,
Ligurie geologica e preistorica; Gênes, 1892, II, 356-357).
La
Ligurie primitive
Il est difficile
d'assigner des frontières à la Ligurie primitive, c.-à -d. à l'ensemble
des pays soumis à la domination ligurienne pendant la dernière période
du Néolithique. Dans un ouvrage sur la Gaule avant les
Gaulois d'après les monuments et les textes, Alexandre Bertrand a
montré que les Gaulois, après avoir passé
le Rhin, trouvèrent le Nord et le centre de la France
occupés par des populations innomées, à peine sorties de la période
néolithique et que la région méridionale était habitée à l'Ouest
par les Ibères et à l'Est par les Ligures.
Il est de fait que, dès la plus haute antiquité, les Grecs
considéraient déjà les Ligures comme un peuple puissant et leur pays
comme un territoire très étendu. Hésiode dans
un vers conservé par Strabon (VIII, III, 7),
mentionnant les Ligures entre les Scythes
et les Éthiopiens, semble considérer
la Ligurie comme une des principales parties du monde. Ainsi, selon Hésiode
qui écrivait vers l'an 580, les Ligures, au IVe
siècle avant notre ère, auraient occupé
le même territoire que plus tard les Celtes
auxquels, en effet, Ephore, au IVe
siècle, assigne également les vastes
contrées qui d'un côté touchent aux Ethiopiens et de l'autre aux Scythes.
D'après Artémidore,
cité par Etienne de Byzance, les Ligures
auraient, à une certaine époque, dominé sur le bassin de la Loire; il
croit même que la mot Ligure est un dérivé de Liger (Loire). Les linguistes
n'admettent pas que l 'e du Liger puisse avoir engendré l'u
de Ligus; mais, par contre, les noms de deux localités du Limousin ,
Saint-Jean-de Ligoure et Saint-Priest-de-Ligoure (Ligora), pourraient
bien être considérés comme les vestiges que les Ligures ont laissés
dans cette région. S'il était permis d'identifier avec Arbois de Jubainville
le fleuve Sicanos avec la Sequana, et les Sicanes avec les Ibères, nous
aurions un passage de Thucydide (VI, 2) nous
relatant la conquête ligurienne du bassin de la Seine sur les Ibères.
D'après cette interprétation, les Ligures auraient été les maîtres
du Nord-Ouest de la France .
Il est donc possible que là , sur la côte occidentale de la Gaule ,
ils aient été visités par les Phéniciens,
allant chercher l'étain dans les îles
Britanniques et l'ambre sur les côtes de la
mer du Nord et qu'un souvenir de ces relations se reflète dans les débris
du périple phénicien du VIe
siècle, conservés par Festus
Aviénus. Dans un passage bien obscur, il est vrai, cet auteur dit
que les Ligures habitent au Nord des îles Oestrymniques (Or., mar.,
429-133). D'après l'explication de ce texte, donnée par Müllenhoff,
l'Oestrymnie serait la Bretagne armoricaine et la Ligurie s'étendrait
le long des côtes de la Manche
et atteindrait, même suivant Arbois de Jubainville, le littoral de la
mer du Nord. Festus Aviénus signale également la présence des Ligures
dans le Nord de l'Espagne .
Il les place au Nord des Kempses ibères, près de la ville d'Ophiussa,
aujourd'hui Oyarzun (Or. mar., 205). Plus loin (Or. mar.,
284-285) il dit que le fleuve Tartesse prend sa source dans le marais ligustin.
Etienne de Byzance, d'autre part, nous apprend que les Ligures avaient
près de l'Ibérie
occidentale, non loin du Tartesse, une ville appelée Ligustine. Si le
Tartesse est le Bétis des anciens et le Guadalquivir
d'aujourd'hui, on peut dire que les Ligures étaient maîtres des sources
du Guadalquivir.
Sur l'ensemble de
ces indications, quelque vagues qu'elles soient, il est permis de baser
l'hypothèse que les Ligures, après avoir conquis une grande partie de
la France
sur les Ibères, refoulèrent ce peuple
toujours vers le Sud et pénétrèrent à sa suite dans le Nord de l'Espagne,
où, pour un certain temps, ils se sont fixés, au pied des Pyrénées,
au fond du golfe de Gascogne. Toutefois, il est vraisemblable qu'Ã cette
époque antérieure au VIe
siècle av. J.-C., ils n'aient pas réussi
à déloger les Ibères de cette partie de la Gaule
méridionale que les Romains connurent sous
le nom d'Aquitaine ,
ni du littoral méditerranéen à l'Ouest du Rhône. Par contre, leur présence
sur le territoire entre le Rhône et les Alpes est formellement attestée
par les historiens grecs. C'est peut-être de là qu'ils partirent pour
faire la conquête de l'Italie ,
en chassant devant eux les Sicanes, habitants ibériens de la péninsule
et en les forçant à se réfugier en Sicile
(Thucydide, VI, 2). La guerre, par laquelle
les Sicules contraignirent les Sicanes à se réfugier en Sicile, peut
être considérée comme l'événement le plus ancien de l'histoire des
Ligures mentionné par les auteurs de l'Antiquité .
En Italie, une partie
des Ligures semblent avoir porté les noms de Sicules et d'Aborigènes.
En effet, Denys d'Halicarnasse (I,
10) prétend que quelques-uns des peuples aborigènes de l'Italie se disaient
descendants des Ligures, et Philiste de Syracuse
affirme que Sicules était fils d'Italus
et que les Ligures, ses sujets, prirent de lui le nom de Sicules ou Sikèles.
Les Ligures proprement dits étendirent leur puissance sur le Nord-Ouest
de l'Italie. Rome et le Latium
sont au Sud le point extrême où on les rencontre. La partie méridionale
de la péninsule était occupée par les Sicules ou Ligures du Sud. A l'arrivée
des peuples ombro-latins, les Ligures proprement dits doivent avoir été
refoulés vers les Alpes maritimes, tandis que les Sicules, repoussés
vers le Sud, pénétrèrent en Sicile .
Cependant en s'établissant dans cette île, vers l'an 1034, ils ne cédèrent
pas aux Ombro-Latins toutes leurs possessions en Italie. Nous savons par
Polybe qu'ils restèrent maîtres de la Calabre
jusque vers l'an 700 av. J.-C.;
et, comme Thucydide nous l'apprend, vers la
fin du Ve
siècle, ils n'avaient pas encore complètement
disparu du midi de l'Italie .
Ce n'est qu'un siècle plus tard que le périple de Scylax
ne connaissait plus de Sicules hors de Sicile. Là , après avoir résisté
pendant un certain temps encore, ils disparurent également sans laisser
d'autre trace qu'un terme géographique ( Arbois
de jubainville, les Ligures, dans Rev. archéol., 1875, XXX).
Il faut avouer que
tous ces renseignements, qu'une exégèse aussi savante qu'ingénieuse
a su tirer des textes anciens, sont loin de constituer des preuves convaincantes.
Sans les pénétrer, ils ne jettent qu'une lumière pâle et vacillante
sur les ténèbres planant sur le domaine de la Ligurie primitive. Aussi
serait-on tenté de les rejeter comme des hypothèses peu soutenables,
si les surprenants résultats obtenus un peu plus tard par la linguistique
n'étaient venus compléter et confirmer ces indications obscures et insuffisantes
des auteurs de l'Antiquité .
Arbois de Jubainville
fait la remarque qu'une inscription lapidaire de l'an 117
av. J.-C. ainsi que la Table alimentaire
de Véleia, écrite au commencement du
IIe siècle
de notre ère, contiennent plusieurs noms propres ligures terminés en
-ascus, -asca. Comme ce suffixe ne se trouve ni en latin,
ni en ombrien, ni dans les langues celtiques,
il paraît constituer un caractère propre à la langue des Ligures. Ils
s'en servaient quand ils voulaient, de mots déjà existants, tirer des
noms de lieu. Il est donc vraisemblable que tous les noms de lieu modernes
ou du Moyen âge
terminés en -asco, -asca, -aschi, -usco, -usca,
-osco, -osca sont d'origine ligurienne. Ces noms se rencontrent
en grande quantité non seulement dans la Ligurie proprement dite, mais
encore dans d'autres régions, où les textes des auteurs anciens attestent
l'existence des Ligures. Nous les trouvons non seulement dans le Nord de
l'Italie ,
mais aussi en Suisse
ainsi que dans les bassins du Danube et du Rhin. La limite Nord-Est du
territoire caractérisé par les suffixes ligures serait une ligne qui,
partant de Thionville ,
en Lorraine ,
traverserait la Haute-Bavière
au Sud de Munich et atteindrait le Tyrol
au Nord-Ouest de Trente. Les Ligures auraient donc été maîtres de la
Suisse jusqu'à l'arrivée des Helvetii (Helvètes).
En France ,
on a 26 départements, la Corse
comprise, où la présence des Ligures est attestée par 90 noms de lieu
que terminent les suffixes -asca, -asca, -usca, -osca,
-osco, -usco. En Espagne ,
20 localités, portant des noms avec la même désinence, se trouvent surtout
dans les provinces septentrionales, c.-à -d. là où les documents utilisés
par Festus Aviénus signalent la présence de
tribus liguriennes. Les 25 départements continentaux français, dans lesquels
on a pu constater des suffixes ligures, forment la région Sud-Est., c.-à -d.
le pays ligure par excellence. C'est en effet la contrée de la Gaule
transalpine, où la dominations des Gaulois était d'une durée relativement
courte, et où la langue ligure persistait le plus longtemps et probablement
était parlée, au moins dans les classes populaires, encore après la
conquête romaine. Dans le Nord-Ouest de la Gaule, entre la Garonne et
le Rhin, où les Gaulois étaient maîtres pendant une période de 450
ans au moins, les noms de lieux habités avec suffixe ligure ont disparu
avec la langue ligure. Le même phénomène s'est produit en Italie .
Les noms ligures, très abondants dans le Nord de la péninsule, deviennent
plus rares à mesure qu'on avance vers le Sud et disparaissent dans l'Italie
centrale, c.-à -d. là où la longue domination des Ombro-Latins
a également fini par effacer toute trace de leurs prédécesseurs vaincus.
Arbois de Jubainville
a fait en quelque sorte la contre-épreuve de sa doctrine en procédant
par une autre voie. Il émet l'hypothèse que, dans les parties de l'Italie
et de la France
continentale et en Corse ,
où la présence des suffixes - asco, - asca, etc., établit, d'accord
avec les textes historiques, l'antique domination des Ligures, les noms
de montagnes, de sources et de rivières sont également d'origine ligure,
quand ils ne s'expliquent pas par une langue plus moderne. Pour ne citer
des exemples, donnés par le celtiste, que le plus caractéristique, nous
rappellerons que le Rhône était connu des Grecs
avant l'arrivée des Gaulois sur les côtes
de la mer Méditerranée .
Müllenhoff l'a déjà relevé, le mot grec
Rhodanos n'est pas grec, mais est emprunté à la langue des Ligures. Comme
ce même nom se retrouve en Corse, où les Celtes
n'ont jamais mis le pied (Rotanos
[Ptolémée, III, II, 5], aujourd'hui le Tavignano),
en Emilie
dans le bassin du Pô (aujourd'hui le Rodano), dans le bassin du Rhin (Rodanus
[Fortunat, III, XII, 7], aujourd'hui Ron ou
Ren, affluent de la Moselle), dans le bassin de la Loire (aujourd'hui le
Rône, affluent de la Sarthe) et enfin dans celui de la Garonne (en Quercy
dans le département du Lot), on peut admettre avec quelque vraisemblance
que dans la plus grande partie de la France moderne, dans la Rhénanie,
en Corse et dans l'Italie du Nord les Ligures ont précédé les Gaulois.
De son étude sur
les noms de lieu, Arbois de Jubainville a tiré la conclusion que le domaine
de la Ligurie primitive, avant les conquêtes des Ombro-Latins
et des Celtes, s'étendait non seulement
sur les pays ou la puissance des Ligures est formellement attestée par
des textes historiques de l'Antiquité ,
mais encore en Gaule, sur les bassins de la Garonne, de la Loire, de la
Seine, sur les côtes de l'Océan, de l'Elbe et du Danube, sur les îles
Britanniques, sur une partie de la péninsule ibérique, sur le centre
et le midi de l'Italie, sur la Corse et la Sicile .
D'après cette manière
de voir, Eratosthène, cité par Strabon,
aurait donc eu raison d'appeler l'Europe
occidentale une presqu'île ligustique ( Arbois
de Jubainville, les Premiers Habitants de l'Europe; Paris, 1889-1894,
I, 308-393 ; II, 1-2.15; Rev. celtique, XI).
La
Ligurie proprement dite
Les Phocéens,
en débarquant vers l'an 600 avant notre
ère sur les côtes de la Provence ,
pour y fonder la ville de Marseille, trouvèrent
le pays occupé par les Ligures. Hécatée de Milet,
qui écrivait vers l'an 500 av. J.-C.,
dit que de son temps Marseille était en Ligurie. Scylax,
dans la seconde moitié du IVe
siècle, et le Pseudo-Scymnus, au IIIe,
confirment cette assertion. Il est difficile de déterminer l'étendue
de ce pays, aux frontières flottantes, auquel les plus anciens auteurs
grecs donnaient le nom de
h Ligustikh et que les écrivains
postérieurs ainsi que les Romains appelaient
Liguria, ou Liguris. Dans beaucoup de cas il est même impossible
de se prononcer sur la nationalité des différents peuples qui, dans ces
temps reculés, s'étaient partagés le territoire, dont la délimitation
nous est si imparfaitement connue. D'une manière générale, on peut dire
que la Ligurie des auteurs grecs et latins, que nous appellerons la Ligurie
proprement dite et que Tite-Live divisait en
Ligurie cisalpine ou italienne et en Ligurie transalpine ou gauloise, s'étendait
sur la portion orientale du bassin du Rhône, sur les Alpes-Maritimes,
le versant méridional des Apennins ainsi que sur le littoral de la mer
Méditerranée depuis Marseille jusqu'à Pise .
Ce territoire, vers
l'an 600
avant notre ère, avait comme frontière occidentale le Rhône qui le séparait
de la terre ibérienne (Festus Aviénus, Or.
mar., 608). Eschyle parle du Rhône comme
d'un fleuve en Ibérie, et c'est en Ibérie que les Grecs de Marseille
se rendirent pour y fonder Agathe (Agde
dans le département de l'Hérault) et Rhodanousie, ville depuis détruite
près de Beaucaire ,
sur la rive droite du Rhône. Cependant quelque temps après la fondation
de Marseille, les Ligures passèrent le
fleuve, et avancèrent vers l'Ouest le long des côtes de la mer et firent
sur les Ibères la conquête de cette région
que les Romains appelleront plus tard la Narbonnaise
trans-rhodanienne. En effet, Festus Aviénus signale dans cette contrée
la présence des Elesyces on Elisyces, et Hécatée,qui
écrivait vers l'an 500,
range ce peuple parmi les nations liguriennes. Par contre, le Périple
de Scylax, reproduisant probablement un document
du commencement du IVe
siècle, fait une distinction entre les
habitants de la Ligurie proprement dite et le peuple mixte des Ibéro-Ligures
occupant la contrée à l'Ouest du Rhône. Peu de temps après, les Ligures
disparaissent de ce pays. Déjà vers l'an 300,
la présence des Celtes y est signalée
par un passage tiré d'un ouvrage de Timée de l'an 264
et conservé dans le traité De Mirabilibus auscultationibus, qu'on
avait faussement attribué à Aristote. Quand,
en 218,
Hannibal franchit les Pyrénées et traversa
la Gaule
méridionale pour pénétrer en Italie ,
il paraît que les Ligures ne comptaient déjà plus. D'après Polybe,
le célèbre Carthaginois ne rencontra sur
sa route que des Volcae, peuples gaulois.
Les Ligures, qui,
auparavant déjà , avaient probablement cédé le Nord et le centre de
la France
aux Celtes, durent se retirer devant ces
nouveaux conquérants non seulement sur les côtes de la Méditerranée ,
mais encore dans le bassin du Rhône. Au IVe
siècle, quand eut lieu l'invasion celtique
en Italie ,
la vallée du Rhône appartenait encore aux Ligures sinon en entier, du
moins presque toute. Mais déjà , au siècle suivant, leur puissance entre
le fleuve et les Alpes était bien diminuée. Reculant peu à peu devant
les Gaulois du Nord au Sud comme auparavant
ils avaient probablement du reculer du Sud au Nord devant les Grecs,
ils furent refoulés dans les vallées alpines de l'Est. D'autre part,
il faut admettre que les anciennes populations ne disparaissaient pas complètement
devant les envahisseurs venant du Nord. Comme avec les Ibères
vaincus, les Ligures se fusionnèrent avec les Gaulois vainqueurs. Timée
parle en effet de Keltoligyes et d'autres auteurs mentionnent des Gallo-Salluvii.
Müllenhoff prétendait qu'au Nord de la Durance,
les peuples liguriens, dominés par les Gaulois, finirent par devenir Gaulois.
Arbois de Jubainville partageait cette manière de voir et allait même
plus loin. Partant d'un texte de César, il dit
qu'il y avait en Gaule deux classes sociales, une aristocratie
et une plèbe. L'aristocratie, minorité belliqueuse et dominant au milieu
d'un peuple pacifique, ce sont les Celtes conquérants. La grande masse
de la population en Gaule, ce sont au contraire les Ligures vaincus que
les maîtres du pays ne cessent d'opprimer et de traiter en esclaves,
plebs pene servorum habetur loco (César, VI, 13). A l'époque
de la conquête romaine, les vaincus avaient presque tous oublié leur
langue primitive en apprenant le gaulois, comme plus tard ils oublieront
le gaulois en apprenant le latin.
Parmi les peuples
de la Ligurie gauloise, nous citerons en première ligne les Salluvii,
la nation la plus puissante à l'époque de la fondation de Marseille,
qui semble avoir eu dans sa clientèle plusieurs petits peuples comme les
Avatici, les Tricores, les Camatullici, les Segobrigii, y compris peut-être
les Deciates et les Oxybii. Plus au Nord habitaient les Anatilii, les Desuviates,
les Cavares, les Tricolli, les Vocontii, les Segovellauni et les Allobroges.
Ces peuples, dans lesquels, probablement de bonne heure déjà , des éléments
celtiques s'étaient infiltrés, restèrent fixés dans la vallée du Rhône,
sauf quelques tribus que les Gaulois entraînèrent
avec eux lors de leur expédition dans le Nord de l'Italie .
D'autres tribus, par contre, probablement sous la pression simultanée
des Gaulois et des Grecs, allèrent
s'établir dans les hautes vallées des Alpes. Par Caton
nous savons que les Lepontii dans la vallée supérieure de la Dora Baltea,
comme les Salassi établis aux sources du Rhône et du Rhin, descendaient
des Taurini, établis autour de Turin ,
et que les Taurini étaient eux-mêmes une antique Ligurium stirps. A la
même branche doivent avoir appartenu tous les petits peuples disséminés
dans les hautes vallées alpines autour du Petit-Saint-Bernard, comme les
Ceutrones, les Ucenni, les Graioceli et les Acitavones. Même les Caturiges,
bien que leur capitale porte le nom celtique
d'Embrodunum, ne doivent pas avoir été des Gaulois à l'origine; car
aux Vagienni, qui habitaient au delà des Alpes et qui étaient leurs descendants,
Pline attribue une origine ligurienne, et comme
les Medulli ils faisaient partie du royaume de Cottius. Strabon
rattache aux Ligures tous les petits peuples, sujets de Donnus et de Cottius,
dont on ne connaît les noms que par les inscriptions de l'arc
de Suse
et par celles du trophée des Alpes et qui habitaient les deux versants
des Alpes depuis le mont Genèvre
jusqu'Ã la mer. Ce sont probablement les tribus montagnardes que certains
auteurs comprennent sous le nom plus général de Ligures comati
ou capillati, parce qu'ils portaient la chevelure longue.
Jusqu'à l'époque
de la conquête gauloise, la partie de l'Italie
septentrionale, que les Romains appelleront
plus tard la Gaule cisalpine, était occupée à l'Est par les Etrusques
et à l'Ouest par les Ligures. En Italie, la Ligurie proprement dite, c'est-à -dire
la région de laquelle les Ligures n'ont jamais été dépossédés par
les Gaulois, comprenait les pentes orientales des Alpes, le versant méridional
des Apennins et la rivière de Gênes. Mais, d'après les auteurs anciens,
ils avaient étendu leur domination au delà de ces limites. Ils avaient
pénétré dans la vallée du Pô jusqu'au centre de la Gaule cisalpine
pour y fonder Ticinum (Pavie ).
Au Sud du Pô, ils s'étaient avancés jusqu'à l'embouchure de l'Arno
et en suivant la crête des Apennins ils avaient même atteint le bassin
supérieur du Tibre, de sorte que beaucoup de villes étrusques comme Luna,
Lucques, Pise, Pistoie
et Fiesole se trouvaient sur le sol ligurien.
Longtemps après la conquête étrusque et depuis la conquête romaine,
les Ligures continuèrent à former entre l'Arno et les Apennins la majorité
de la population des campagnes. Leur possession la plus orientale au Nord
du Pô paraît avoir été Pavie. Parmi les peuples ligures de l'Italie
nous ne citerons que les Intemelii (Vintimiglia), les Ingauni (Alberga),
les Apuani dans les Apennins, les Taurini (Turin) et les Vagienni dans
la vallée supérieure du Pô, les Laevi et les Marisci (Pavie) dans la
vallée du Tésin, et les Ilvates, dont on a rapproché le nom de celui
d'Ilva (île d'Elbe ),
dans le bassin supérieur de la Bormida.
Quant aux villes,
il est difficile de dire quelles étaient celles d'origine ligurienne.
Les auteurs anciens mentionnent souvent des villes « en Ligurie »; Hécatée,
par exemple, dit : « Marseille, ville
de Ligurie »; mais on aurait tort d'attribuer toutes ces villes aux Ligures.
Excellents marins, les Ligures doivent avoir eu des possessions dans la
mer appelée Mare ligusticum. Ils occupaient en effet la Corse ,
probablement aussi l'île d'Elbe (Ilva), et enfin, près de Marseille,
les petites Stoechades (îles d'Hyères ),
que du temps d'Apollonius de Rhodes on appelait
encore Ligustidae insulae.
Histoire
Nous ne savons rien
de positif sur l'histoire des Ligures pendant les temps obscurs antérieurs
à l'établissement des Grecssur les
côtes de la mer Méditerranée .
Les anciens auteurs ne nous renseignent ni sur les conquêtes des Ligures
sur les Ibères, ni sur leurs luttes avec
les Celtes. Un seul passage, quelques vers
d'Aviénus (Or. mar., 131-136), reproduisant
un document du VIe
siècle, nous montre les Ligures rejetés
dans les Pyrénées, près de l'Océan, au milieu des neiges, où les ont
chassés les Celtes, après avoir dévasté leur pays par de nombreux combats.
Ensuite, nous avons un texte de Justin (XLIII, 3) qui nous parle de grandes
guerres que les Grecs de Marseille eurent à soutenir pour étendre leur
puissance et pour fonder leurs colonies sur le territoire ligurien. On
suppose que les Marseillais ont fini par conclure un traité avec leurs
voisins. Par un fragment d'un ouvrage de Timée, contenu dans le traité
De Mirabilibus auscultationibus, nous apprenons, en effet, que,
jusqu'au IIIe
siècle avant notre ère, les Ligures
vivaient en bonne intelligence avec les colons grecs et laissaient libre
l'ancienne route de commerce, le long des côtes, connue sous le nom de
voie d'Hercule.
Ce n'est qu'après
les guerres puniques que les Ligures commencèrent à prendre une attitude
hostile vis-Ã -vis de Marseille et ses
alliés et protecteurs, les Romains. En 154
av. J.-C., le signal de la lutte avec
Rome fut donné par les Déciates et les Oxybes.
Ces deux peuples habitaient près du Var et étaient les seuls Ligures
qui soient restés libres du joug gaulois de ce côté-ci des Alpes. Ils
attaquèrent les établissements marseillais de Nicaea (Nice )
et d'Antipolis (Antibes ),
barrèrent le chemin de la côte, et, par leurs pirateries, infestèrent
les eaux du golfe ligustique. Les Romains, appelés au secours de Marseille,
mais empêchés par les Ligures de débarquer près d'Aegitna, rebroussèrent
chemin et revinrent par les Apennins, battirent sur les bords de l'Apron
(Loup) d'abord les Oxybes, puis les Déciates, donnèrent aux Phocéens
une portion du pays des vaincus et y placèrent des garnisons pour passer
l'hiver. Les Ligures, continuant néanmoins à ravager les terres des Marseillais,
fournirent aux Romains l'occasion d'intervenir une seconde fois. Le consul,
M. Fulvius Flaccus, en 125,
entreprit une nouvelle expédition dans le Sud de la Gaule
transalpine, et, après une victoire décisive, soumit les peuples ligures
de cette région. L'année suivante, son successeur, C. Sextus Calvinus,
acheva la soumission, et, après avoir détruit la capitale des Salluvii,
fonda près de ses ruines le castellum d'Aquae Sextim qui, plus tard, devint
la ville d'Aix .
Comme Teutomalius, roi des Salluvii, se réfugia, après sa défaite, chez
les Allobroges, c'est à ce peuple ligure celtisé que les Romains déclarèrent
la guerre. A la suite de la victoire remportée par les Romains, le pays
de Ligurie, situé à l'Ouest du Var, fut annexé à la Gaule narbonnaise,
tandis que le pays ligure, s'étendant le long de la côte, entre le Var
et la ville de Gênes, fut rattaché à la Gaule cisalpine. Les Ligures
des Alpes Maritimes gardèrent leur indépendance encore pendant quelque
temps. Ils payèrent tribut; on leur imposa d'abord un procureur impérial
et plus tard un praefectus Alpium maritimarum; mais ils restèrent encore
libres jusqu'en 14 avant notre ère.
Les Ligures Comati se soumirent et leur pays alpin fut définitivement
réduit en province romaine. Sous l'empereur Auguste,
on forma au Nord-Ouest de l'Italie une province, nommée Liguria, dont
les frontières étaient, du côté de la Gaule, le Var et les Alpes Maritimes;
du côté de l'Italie ,
au Sud-Est la Macra, au Nord-Est la crête des Apennins, au Nord le Pô
et au Sud le golfe ligustique. Cette province embrassait Nice, Gênes,
le Sud du Piémont ainsi que la partie Ouest de Parme
et de Piacenza.
La
civilisation ligurienne
D'après les renseignements
que nous trouvons dans les auteurs grecs et latins (qui ont d'évidence
exagéré le côté sauvage de ces « Barbares »), les Ligures portaient
la barbe épaisse et la chevelure longue et ondoyante; en fait d'habits,
ils avaient de préférence des toisons de brebis et des peaux d'animaux
sauvages. Ils se nourrissaient de lait, de racines et de fruits; le gibier
et la viande de leurs animaux domestiques remplaçaient ce qui manquait
à leurs récoltes, nécessairement peu abondantes dans les terres stériles
et pierreuses de leur pays. Ils se servaient de l'orge pour préparer une
sorte de bière. Ils habitaient de misérables huttes construites en bois
ou en pierres sèches; le plus souvent, ils passaient la nuit dans des
cavernes. Sénèque raconte que, pendant leurs
guerres contre les Romains, ils savaient si
bien se cacher dans leurs grottes qu'il était plus facile de les vaincre
que de les trouver. Ils n'avaient guère de villes importantes; exception
doit être faite de Gênes, où une importante
nécropole ligurienne du Ve
siècle a été découverte, et il existait
aussi un certain nombre de places fortifiées d'ordre secondaire que Tite-Live
désigne du nom de castella. Comme armes, ils portaient des arcs,
des flèches probablement garnies de pointes en pierre ou en os, des frondes,
de courtes épées en fer, de petites haches pareilles à celles des Grecs
et des boucliers d'airain de forme oblongue. Excellents guerriers, ils
se distinguaient surtout comme frondeurs. Au moment de l'attaque et pour
effrayer l'ennemi, ils jetaient des cris stridents.
Le portrait d'un
peuple fruste ainsi tracé doit être nuancé, car les Ligures étaient
aussi connus comme marins audacieux; dans leurs petites embarcations, ils
se livraient à un commerce très actif et, éventuellement, s'adonnaient
à la piraterie, et, dans leurs expéditions intrépides, ils s'aventuraient
jusqu'aux colonnes d'Hercule .
Rougé croit même que déjà au XIVe
siècle avant notre ère, les Sicules,
rameau méridional des Ligures, auraient eu une puissance maritime et auraient
compté parmi les peuples navigateurs du Nord coalisés contre l'Egypte .
Les annales
de l'Egypte parlent d'une victoire remportée en Egypte par Menephtah Ier,
fils de Ramsès II dans laquelle 222 Shakalash
ou Sicules auraient péri. Nombre de chercheurs, à commencer par Maspero,
se sont cependant refusé à voir dans les Shakalash les Sicules de l'Italie
et de la Sicile .
Quoi qu'il en soit,
les Romains, aigris par l'opiniâtre résistance que leur opposait le petit
peuple si vaillant, avec lequel ils durent lutter pendant plus de quatre-vingts
ans, qu'ils finirent bien par soumettre, mais qu'ils ne réussirent pas
à dompter, les Romains se montrent sévères, peut-être injustes à l'égard
des Ligures. Leurs auteurs nous les dépeignent comme menteurs, perfides,
rusés, intéressés, adonnés à la rapine et à la piraterie. Les auteurs
grecs sont peut-être plus bienveillants. Ils admirent leur sobriété
et la simplicité de leurs moeurs. Ils nous les représentent comme des
hommes infatigables et durs envers eux-mêmes, comme de vaillants guerriers
et d'intrépides marins. Les femmes ligures étaient honorées et écoutées;
elles intervenaient avec une singulière autorité dans les querelles civiles,
ainsi que dans les transactions politiques. De constitution robuste, elles
prenaient part aux mêmes travaux pénibles que les hommes. On raconte
d'elles qu'il leur arrivait souvent d'accoucher pendant leurs travaux,
en plein champ. Dans ce cas, elles allaient plonger le nouveau-né dans
les eaux de la source voisine, puis revenaient tranquillement reprendre
le travail interrompu. Diodore de Sicile dit
que les femmes ligures avaient la vaillance et la vigueur des hommes et
que les hommes avaient celles des bêtes sauvages.
Les Ligures s'adonnaient
à l'agriculture sur les côtes de la mer et dans la plaine du Pô; leurs
récoltes semblent avoir été maigres et le peu de vin qu'ils cultivaient,
selon les anciens auteurs, avait un goût acerbe sentant la poix, ce qui
ne l'empêchait pas d'en faire commerce. Ils étaient plutôt pâtres et
bûcherons. Leurs montagnes étaient couvertes d'immenses pâturages et
de superbes forêts. Gênes était leur centre
commercial. C'est là qu'ils faisaient leurs provisions d'huile et de vin
et qu'ils apportaient les produits de leurs montagnes. Ils exportaient
des bestiaux, des peaux, du miel et surtout du bois pour les constructions
navales. Les céramiques découvertes à Gênes, notamment grecques ou
apuléennes, attestent par ailleurs de la grande extension de leurs
relations commerciales. Dans leurs vastes forêts, ils avaient de magnifiques
arbres de 8 pieds de diamètre, avec des veines de plusieurs couleurs,
dont ils faisaient des tables valant celles de citronnier (Diodore
de Sicile). Ils élevaient en plein air des chevaux de petite taille
et des mulets, appelés ginnoi.
Comme produits caractéristiques de la Ligurie, Pline
mentionne un délicieux fromage fabriqué de lait de brebis et une herbe
officinale appelée ligusticum qui doit avoir été une espèce de livèche
(levisticum officinale Koch, ligusticum levisticum L.). Enfin Strabon
assure qu'on trouve en Ligurie une pierre semblable à l'ambre, appelée
lingurium, qu'on employait à la fabrication d'anneaux à cacheter. (L.
Will.). |
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