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On appelle sorcellerie
des pratiques fondées sur l'invocation et la manipulation de forces
surnaturelles. Il est assez difficile de distinguer la sorcellerie de la
magie. Toutefois, on peut dire que la magie a
pour but, en général, de soumettre les puissances supérieuses à la
volonté de l'humain; la sorcellerie vise particulièrement à amener l'intervention
des génies malfaisants, plus spécialement des démons
ou du Diable, pour des sortilèges destinés
surtout à produire la mort ou l'amour.
C'est en Thessalie ,
aussi loin que les documents permettent de remonter, que doit être placé
le berceau de la sorcellerie, telle qu'on la connaît dans le monde occidental.
De Thessalie, la sorcellerie se propagea dans la Grèce
proprement dite, où elle prit le nom de goétie et recula les limites
de cet art infernal, dans lequel les poisons jouèrent le principal rôle.
Rome
connut à son tour les philtres, les envoûtements et les évocations de
la sorcellerie, où ses pratiques ténébreuses et criminelles furent couvertes
dans les laboratoires secrets sous la dénomination de mathématiques,
tandis que les réunions nocturnes de ses adeptes avaient lieu dans les
cavernes du mont Esquilin. Dès les premiers temps de la propagation du
christianisme, la sorcellerie se spécialisa
dans la démonialité. Satan ou Belzébuth
fut l'objet d'un nouveau culte mystérieux, et la sorcellerie inaugura
le pacte avec le Diable. C'est alors que furent
instituées les réunions nocturnes du sabbat,
présidées par Satan sous la forme d'un bouc monstrueux, lors desquelles
avaient lieu toutes les profanations, toutes les orgies et les pratiques
criminelles qui se perpétuèrent jusqu'au Moyen âge .
Les principales pratiques de la sorcellerie
consistaient en un pacte avec le Diable, par
lequel le sorcier lui livrait son âme pour l'éternité
en échange d'une délégation temporaire de son pouvoir malfaisant; en
la préparation de philtres amoureux, de breuvages mortels, d'onguents
étranges, selon des recettes et des formules macabres et souvent horribles;
dans l'évocation des morts, dans des scènes d'une lubricité exacerbée,
où les adeptes commerçaient charnellement avec les incubes
et les succubes; dans les incantations, les
envoûtements, les sorts et les maléfices, dont les formules composaient,
des grimoires mystérieux, etc.
L'une des pratiques les plus horribles
de la sorcellerie est la messe noire, qui alliait les cérémonies
du culte aux pratiques de la magie. Au moment
de l'offertoire, un enfant était égorgé et son sang versé dans un calice.
Ces messes étaient généralement dites pour l'amour, et l'officiant célébrait
sur le corps nu de l'intéressée. A côté de pratiques telles que les
poisons et les avortements, les sorcières distribuaient aussi des recettes
efficaces contée les maladies. Paracelse,
le grand médecin de la Renaissance ,
après avoir jeté au feu tous les livres de médecine de son temps, déclare
que c'est des sorcières qu'il a appris tout ce qu'il sait de pratique
et de bienfaisant. Néanmoins, Michelet, en
traçant le portrait de la sorcière, en a fait un tableau indulgent.
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Scène
de sorcières (Escena de brujas), par Goya.
La sorcellerie, condamnée à toutes les
époques, a été l'objet des persécutions les plus sévères qui ont
souvent atteint un réprouvable degré d'atrocité et de barbarie, Dans
l'Antiquité ,
aussi bien que chez les Hébreux, puis en Grèce
et à Rome ,
ses adeptes étaient punis de mort. Depuis Chilpéric,
les bûchers se dressèrent et s'étendirent à l'Europe
entière. Les papes lancèrent à la sorcellerie leurs excommunications,
pendant que les monarchies déchaînaient contre elle juges et bourreaux.
Le pouvoir répressif, d'abord exercé par les tribunaux ecclésiastiques,
fut revendiqué, à la fin du XVe siècle,
par la juridiction laïque; mais on vit plus d'une fois des tribunaux d'exception
créés spécialement pour instruire et juger des procès de sorcellerie
qui intéressaient à la fois l'Etat, la morale publique et la religion.
Tel fut celui des quatorze commissaires, présidé par Laubardemont, institué
pour juger Urbain Grandier et les ursulines de Loudun. C'est presque exclusivement
pour instruire les procès de sorcellerie que fut instituée la chambre
ardente.
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Sorcières
brûlées à Derneburg en 1555.
Plus tard on n'hésita pas à placer dans
les églises des troncs, dans lesquels il
était loisible à chacun et recommandé comme oeuvre pie d'introduire
des billets dénonçant des adeptes de la sorcellerie. Alors, les prisons
furent encombrées d'accusés de sorcellerie, et les bûchers s'allumèrent
dans toute l'Europe. Un devin de Rottembuch, Jean Daniel, à lui seul dénonça
deux cent quinze sorciers, et, en France, Muguet, un berger de Bourgogne ,
qu'on surnomma le Petit Prophète, fut de son côté l'un des grands
pourvoyeurs de la justice. Gofridi, l'abbesse Madeleine de La Croix, Trois-Echelles,
l'astrologue Côme Rugggieri, la maréchale
d'Ancre, La Mole et Coconas, le Dr Poirot, les quatre sorcières d'Ollecourt,
qui confessèrent leur commerce avec le Diable,
furent envoyés à l'échafaud; plus tard, il faut citer la Voisin, le
prêtre Gilles Davot, La Chérou, la sorcière Holf, qui subit cinquante-six
fois la torture; Jean Junius, Charlotte Cedy, Jean Bulotte, les religieuses
de Louviers ,
Elisabeth Mermet, Jeanne Mairet, José-Maria Bonilla et sa femme, furent,
au milieu de milliers d'autres, les victimes les plus marquantes des procès
de sorcellerie, qui terrorisèrent le Moyen âge
et se poursuivirent encore en plein XVIIIe
siècle. Deux procès surtout sont demeurés célèbres dans l'histoire
de France
par les pratiques de sorcellerie : l'un est celui du maréchal de France,
Gilles de Retz (Rais), pendu à Nantes en 1440;
l'autre est la fameuse Affaire des poisons.
Dans les campagnes, la sorcellerie consistait
surtout à jeter des « sorts » ou des «-charmes
» sur les bestiaux, sur les fermes, sur les champs. Le sort le plus connu
est celui que l'on nommait l'aiguillette et qui consistait à empêcher
la personne à laquelle on le jetait d'uriner, ou un fiancé de remplir
ses devoirs conjugaux. Un sort très célèbre est aussi l'envoûtement.
On jetait des sorts aux maisons en battant l'eau avec une baguette, avec
accompagnement de formules rituelles, pour faire tomber un orage de grêle;
on jetait des sorts à la terre en confectionnant ce que l'on appelait
des bruines avec des feuilles d'arbre ensorcelées, que l'on répandait
sur le sol pour leur enlever tout principe de végétation, toute humidité
et toute chaleur, etc. Les sorciers et sorcières eux-mêmes ajoutaient
souvent foi à ces pratiques. De nos jours encore, dans les campagnes comme
dans les villes, ces superstitions ne sont
pas complètement éteintes. (NLI).
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Armelle
Le Bras-Chopard, Les putains du Diable, Plon, 2006. - Entre
le 15e et le 17e siècle, les femmes représentent 80% des condamnés au
bûcher pour sorcellerie. Dans les traités de démonologie, on explique
que c'est par le coït avec le Diable que s'obtiennent
les pouvoirs de la sorcière. La démonologie, doctrine sur le démon,
est élaborée par inquisiteurs et magistrats,
à partir des récits de sorcières qui décrivent - sous la torture -
leurs activités avec Satan : accouplement, 'baiser
au cul du Diable', cuisson des bébés, sabbat
et nous font pénétrer dans un univers grouillant de crapauds, de 'boucs
puants', etc.
Cette
représentation traduit une peur face au fantasme d'une autonomie des femmes
et la volonté, dans cette gestation de l'Etat moderne, de le construire
au masculin. Ce ne sont pas les Lumières qui mettront fin à ces persécutions
: les sorcières disparaissent quand on n'a plus besoin d'elles, quand
les femmes sont bien encadrées par la législation, 'sous tutelle'. Mais
à partir de la Révolution, l'Etat laïcisé récupère à son profit
la toute puissance du Diable, sous forme de la 'Raison d'Etat'. Avec la
féminisation croissante du politique, est-ce la fin du Diable ou le retour
des sorcières? (couv.). |
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