.
-

Samothrace

Samothrace est une île grecque de la mer Egée, à 38 kilomètres de la Turquie d'Europe, à plus de 60 km de la Turquie d'Asie (dont elle dépendait avant 1891). Située au large de la côte d'Enos et de l'embouchure de la Maritza, à quelque distance et vis-à-vis de l'entrée du golfe de Saros, elle a, au Nord, le littoral de la Turquie, à l'Ouest-Nord-Ouest, assez loin, l'île de Thasos, au Sud-Sud-Ouest, également assez loin, celle de Lemnos, au Sud-Est, à 24 kilomètres, celle d'Imbros, laquelle est voisine du débouché du détroit des Dardanelles dans la Méditerranée. 177 km², autour du Phengari (Fengari), mont de 1593 m ; en réalité, l'île n'est qu'une montagne nue, d'aspect grandiose, aux rives sans golfes, sans haies, si pauvre d'abris que Pline la qualifiait d'Omnium importuosissima. Pas plus de 5000 habitants, vivant sobrement de quelques troupeaux de chèvres et de brebis depuis qu'ils ont cessé de faire du charbon, ce pourquoi ils ont détruit les forêts, qui furent denses et profondes. 
-
Samothrace (carte).
Carte de Samothrace.
(Altitudes en pieds; 1 pied =0,3048 m).

C'est des ruines de son ancienne capitale, appelée comme elle Samothrace, qu'on a tiré la fameuse Victoire Aptère ou Victoire de Samothrace, l'un des beaux chefs-d'oeuvre de la statuaire, maintenant au musée du Louvre. D'abord appelée Dardania ou Leucosia, cette île fut le centre du culte des Cabires et n'eut, à l'époque historique, d'importance que celle du sanctuaire; Philippe V de Macédoine s'y fit initier, Persée s'y réfugia; les pirates le pillèrent au temps de Sylla. La cité antique était sur la côte Nord, près du bourg actuel de Kastro. Conze y a déterré les restes d'un temple dorique et d'un édifice rond du IIIe siècle av. J.-C. - Les Turcs s'emparèrent de l'île en 1457 et la conservèrent cinq siècles; lors d'un soulèvement en 1821, la population fut presque entièrement massacrée. Finalement Samothrace fut rattachée à la Grèce en 1912.

Les différents noms de Samothrace.
Le mot composé de Samothrace n'était pas en usage du temps d'Homère, qui appelle cette île la Thracienne Samos, ou la Samos de Thrace, pour la distinguer de la Samos voisine des côtes d'Ionie. Il ne la désigne par le nom seul de Samos que lorsqu'il énumère avec elle quelqu'une des îles environnantes, comme Imbros et Lemnos; ce qui sert à éviter toute confusion. Les poètes latins se servent ordinairement de la dénomination homérique, et le nom de Threicia Samoa revient souvent dans les vers de Virgile et d'Ovide

La fusion de ces deux noms était déjà opérée du temps d'Hérodote, qui , écrivant, comme Homère, dans le dialecte ionien, emploie le mot Samothrace. Plus tard celui de Samothrace prévalut , et resta seul usité des géographes et des historiens. D'après Strabon, cette île aurait porté primitivement le nom de Mélite, nom commun, comme celui de Samos, à plusieurs îles de la Méditerranée. Certains scoliastes lui donnent aussi celui de Leucosia, ou Leuconia, ou Leucania. Enfin, selon Diodore, elle aurait eu pour premier nom celui de Saonèse, que lui donna Saon, son premier roi. Strabon ne croit pas que Samothrace ait dû son nom à l'établissement de colons venus de la Samos ionique.

" Une opinion plus probable, dit-il, est que Samothrace fut originairement nommée Samos, parce que le terme Sami désigne des lieux élevés, tel qu'est le terrain de Samothrace. Quelques-uns veulent que cette dénomination primitive, Samos, dérive du nom des Saji, peuples thraces, qui jadis, occupant toute la côte continentale dont Samothrace n'est pas éloignée , s'étaient pareillement établis dans l'île. Ces Saji, selon certains auteurs, ne diffèrent point, soit des Sapaei, soit des Sinti, appelés Sinties par Homere. »
Samothrace est située au Nord-Ouest d'Imbros, à trente-huit milles au sud des côtes de Thrace, et presqu'en face l'embouchure de l'Hèbre. Elle a trente-deux milles de tour. Cette île n'est, à proprement parler, que la base de l'immense cône qui la surmonte, et que l'on appelle le mont Saoce, dont la cime, plus élevée, dit-on, que celle de l'Athos, domine de sa hauteur de cinq à six mille pieds toutes les îles, toutes les mers et toutes les côtes environnantes. Aussi Poséidon pouvait-il du haut de cette montagne
regarder le combat des Grecs et des Troyens.
" Car, dit Homère, de là on découvrait le mont Ida , la ville de Priam et les vaisseaux des Grecs. »
On s'est demandé quelquefois si Homère était resté fidèle, dans ce détail, à la vérité géographique, et on en a quelquefois douté. Voici un témoignage qui doit suffire pour mettre désormais l'exactitude du texte homérique à l'abri de toute contestation. 
"En entrant dans la plaine de Troie, une charmante surprise vint frapper mes yeux. Pendant notre séjour à Constantinople, nous avions, Methley et moi, pâli ensemble sur la carte. Nous étions tombés d'accord sur ce point, que, quel qu'ait été d'ailleurs le véritable emplacement de Troie, le camp des Grecs devait se trouver presqu'en face de l'intervalle que laissent entre elles les îles d'Imbros et de Ténédos. Mais mon camarade Methley (qui regorgeait d'Homère, et l'adorait de toute la sincérité de son coeur) me fit souvenir d'un passage de l'Iliade où Neptune [= Poséidon] est représenté regardant la scène des grands combats qui se livraient devant Troie assis sur le plus haut sommet de Samotlerare. Et cependant Samothrace, selon notre carte, nous paraissait rester non seulement hors de la vue de la Troade , mais encore tout à fait cachée derrière Imbros île plus grande, qui s'allonge precisement en travers de la ligne droite tirée de Samothrace à Ilion. Tout en admettant dévotement que le grand agitateur de notre globe aurait fort bien pu des profondeurs même de son royaume azuré voir ce qui se passait sur notre globe, je n'en pensais pas moins que, voulant choisir une place d'où l'on vît l'action, le vieil Homère, si positif dans ses énoncés, si ennemi de toute mystification et de toute tromperie , aurait dû assigner à Neptune une station que l'on pût apercevoir de la plaine de Troie; et il me semble que cette confrontation des vers du poète avec la carte et la boussole avait un peu ébranlé ma foi en ses lumières géographiques. - C'est bien; maintenant j'arrive sur les lieux. J'avais en effet à droite Ténédos et Imbros à gauche, comme dans ma carte; mais voilà qu'au-dessus d'Imbros, bien loin par-delà, dans le ciel, se dressait Samothrace, la guérite de Neptune. Tout était donc ainsi qu'Homère l'avait déterminé. La carte avait de son tâté parfaitement raison; mais elle ne pouvait, comme le poète, examiner la vérité tout entière. Voilà comment sont vaines et fausses les conjectures purement humaines, et comment contre les souverains arrêts d'Homère viennent se briser toutes les incertitudes et tous les doutes. »  (Eothen, 1846).
L'île de Samothrace n'offrait aucun avantage pour le commerce. Elle n'avait pas de port, à moins qu'on n'appelle de ce nom le mouillage de Déméter, le Démétrium, qui est situé sur le rivage septentrional, en face de la Thrace, et près duquel on croit reconnaître les ruines d'un temple de Déméter. Aussi Pline lui donne-t-il l'épithète d'importuosissima. Son territoire était peu fertile. Elle produisait cependant une espèce d'oignons renommée. On y trouvait aussi une plante médicinale appelée le peucedanum :
"La tige en est menue, dit Pline, longue, semblable au fenouil, garnie de feuilles près de terre; la racine, noire, épaisse, d'une odeur forte, juteuse, il croît sur les montagnes couvertes de bois. On le tire de terre à la fin de l'automne. On recherche les racines les plus tendres et les plus longues. On les coupe de quatre doigts en quatre doigts avec de petits couteaux d'os, et ou les laisse rendre leur suc à l'ombre [...]. Ce suc, ainsi que la racine et sa décoction, entre dans beaucoup de compositions médicamenteuses; toutefois, c'est le suc qui a le plus de vertu : on le délaye avec des amandes amères ou de la rue, et on le prend en boisson contre le venin des serpents. Il garantit aussi ceux qui s'en frottent avec de l'huile. "
Les hauteurs boisées de cette île étaient peuplées de chèvres sauvages. On mentionnait aussi une pierre de Samothrace, qui était noire, légère et semblable à du bois; Pline n'en indique pas l'usage. Le seul produit de l'industrie des habitants de cette île était ces anneaux de fer appelés Samothracia ferrea, qui étaient ornés d'or, et dont les esclaves aimaient à se parer.

Dépourvue de marine, de commerce, d'industrie, Samothrace a dû toute sa célébrité à ses mystères religieux et aux antiques traditions qui s'y rapportent. A l'époque de cette grande révolution physique où les eaux du Pont-Euxin ( = la Mer Noire) se met violemment en communication avec la mer Égée, les hauts sommets de Samothrace devinrent l'asile de l'antique religion. Ce grand bouleversement, attesté par Platon, par Pline et par Strabon, avait laissé dans la mémoire des peuples des souvenirs profonds, transmis sous la forme légendaire particulière à ces temps, et dont Diodore de Sicile nous a conservé les principaux traits.
"Les Samothraces, dit cet historien, racontent qu'avant les déluges arrivés chez les autres nations, il y en avait eu chez eux un très grand, causé par la rupture de la terre qui environne les Cyanées, et par suite de celle qui forme l'Hellespont. Le Pont-Euxin ne formait alors qu'un lac tellement grossi par les eaux des fleuves qui s'y jettent, qu'il déborda, versa ses eaux dans l'Hellespont, et inonda une grande partie du littoral de l'Asie. Une vaste plaine de la Samothrace fut convertie en mer; c'est pourquoi longtemps après quelques pêcheurs amenèrent dans leurs filets des chapiteaux de colonnes de pierre, comme s'il y avait eu là des villes submergées. Le reste des habitants se réfugia sur les lieux les plus élevés de l'île. Mais la mer continuant à s'accroître, les insulaires invoquèrent les dieux; et, sauvés du péril, ils marquèrent tout autour de l'île les limites de l'inondation, et y dressèrent des autels où ils offrent encore aujourd'hui des sacrifices. Il est donc évident que la Samothrace a été habitée avant le déluge". (Didore de Sicile, V, 47 et suiv.).
Les mêmes traditions racontent ensuite comment se recomposa la société humaine, désorganisée par ce déluge. Saon, fils de Zeus et d'une nymphe, ou, selon d'autres, d'Hermès et de Rhénée, rassembla les hommes dispersés, leur donna des lois, et distribua la population de Samothrace en cinq tribus, auxquelles il imposa les noms de ses cinq fils. Peu après, Samothrace vit naître Dardanus, lasion et Harmonie, enfants de Zeus et d'Électre, une des Atlantides. Dardanus alla en Asie jeter les fondements de la ville de Troie et du royaume des Dardaniens. 
« Zeus, voulant également illustrer le second de ses fils, lui enseigna les rites des mystères. Ces mystères existaient déjà anciennement dans l'île, ils furent alors renouvelés d'après la tradition; mais personne excepté les initiés ne doit en entendre parler. lasion paraît y avoir le premier admis des étrangers, ce qui rendit ces mystères très célèbres. Plus tard, Cadmus, fils d'Agénor, cherchant Europe, arriva chez les Samothraces, fut initié, et épousa Harmonie, soeur d'Iasion. Ce fut le premier festin de noces auquel les dieux assistèrent. Déméter, éprise d'lasion, apporta le blé en présent de noces, Hermès la lyre, Athéna son fameux collier, un voile et des flûtes; Électre apporta les instruments avec lesquels on célèbre les mystères de la grande déesse des dieux, les cymbales et les tympanons des Orgies. Apollon joua de la lyre, les muses de leurs flûtes, et les autres dieux ajoutèrent à la magnificence de ce mariage par des acclamations de joie. Ensuite Cadmus, selon l'ordre d'un oracle, vint fonder Thèbes en Béotie. lasion épousa Cybèle, et en eut un fils, appelé Corybas. Après la réception d'Iasion au rang des dieux, Dardanus, Cybèle et Corybas, apportant en Asie le culte de la mère des dieux, vinrent aborder en Phrygie [...]. Les mythes disent que Plutus fut fils d'Iasion et de Cérès ; mais le vrai sens est que Cérès, par suite de sa liaison avec lasion, lui avait donné, aux noces d'Harmonie, le blé, source de la richesse. Mais les détails des cérémonies saintes, on ne les révèle qu'aux initiés. On dit que ceux qui participent à ces mystères sont plus pieux, plus justes et en tout meilleurs. C'est pourquoi les plus célèbres des anciens héros et des demi-dieux furent jaloux de s'y faire initier. lasion, les Dioscures, Héraclès et Orphée, qui y étaient initiés, ont réussi dans toutes leurs entreprises, grâce à l'assistance des dieux. »
Histoire ancienne de Samothrace.
On sait fort peu de chose sur l'histoire de cette île dans l'Antiquité. Le fond de sa population était pélasgique, comme celui des îles d'Imbros et de Lemnos. Des Ioniens de Samos s'y établirent au XIe siècle, et, confondus avec les Pélasges, ils restèrent indépendants jusqu'au temps des guerres médiques. A cette époque les Samothraces possédaient aussi la côte de la Thrace située en face de leur île, où ils occupaient plusieurs villes fortes, telles que Salé, Zoné, Serrhion et Mésambrie. Après l'expédition de Darius contre les Scythes (508), ils se reconnurent sujets du grand roi. Les vaisseaux de Samothrace combattirent contre les Grecs à Salamine, et le courage qu'ils déployèrent dans cette action contribua à confondre les calomnies des Phéniciens, qui accusaient les Ioniens de lâcheté. Du haut du mont Aegailéon, Xerxès avait vu un vaisseau samothrace attaquer un vaisseau athénien et le couler à fond. En même temps un vaisseau éginète avait attaqué ce navire samothrace et l'avait brisé; mais les Samothraces avaient eu le temps de se jeter sur le navire ennemi, et comme ils étaient excellents archers, ils chassèrent à coups de flèches les marins éginètes, et s'emparèrent de leur bâtiment, qui avait coulé le leur. Cet exploit sauva les Ioniens , et les capitaines phéniciens furent décapités, comme calomniateurs.

Quand les Athéniens devinrent maîtres de la mer Égée, Samothrace reconnut leur domination. Une inscription citée dans les Éléments d'épigraphie grecque de Franz nous apprend qu'elle payait a Athènes un tribut de 2400 drachmes. Samothrace subit les mêmes vicissitudes que les îles voisines; tour à tour perdue et recouvrée par les Athéniens, elle leur fut définitivement enlevée par Philippe, et resta à la Macédoine jusqu'au temps des Romains. Elle n'avait plus d'indépendance; mais ses mystères des dieux Cabires lui conservaient un reste de célébrité. Le temple de ces divinités était un lieu d'asile. Arsinoé, soeur de Ptolémée Céraunus, s'y réfugia après le meurtre de ses deux fils. Lorsque Anthiochus Épiphane s'empara de l'Égypte (170), Ptolémée Physcon se retira à Samothrace avec tous ses trésors, tandis que son frère Ptolémée VI, Philométor, restait prisonnier du roi de Syrie. Cette île appartenait alors à Persée, qui bientôt après, vaincu à Pydna, et dépouillé de son royaume, courut aussi chercher un asile dans le sanctuaire vénéré des dieux de Samothrace. Il transportait avec lui 2000 talents, qui lui restaient de ses trésors, et il était accompagné du Crétois Évandre, agent fidèle et dévoué, qui autrefois, sur l'ordre de son maître, avait essayé d'assassiner Eumène, roi de Pergame, dans le temple même de Delphes.

Aussi les dieux de Samothrace, que Plutarque appelle les Dioscures, refusèrent-ils de protéger ces suppliants sacrilèges. Peu de temps après l'arrivée du roi dans l'île, un jeune Romain de distinction. Atilius, qui se trouvait alors à Samothrace, se présenta sur la place publique de la ville, où le peuple était assemblé avec ses magistrats. 

« Samothraces, nos hôtes , s'écria-t-il, est-il vrai ou faux que cette île soit sacrée, et que son territoire soit tout entier auguste et inviolable, comme la renommée le publie? » 
Il n'y eut qu'une voix pour répondre que Samothrace, était bien réellement une île sainte. 
« Pourquoi donc, reprit alors Atilius, la laissez-vous violer par un meurtrier encore souillé du sang du roi Eumène? Pourquoi, au mépris de la formule des sacrifices, qui écarte de l'autel tous ceux qui n'ont pas les mains pures, permettez-vous que le sanctuaire soit profané par un assassin tout couvert de sang? »
Cette accusation ne désignait que le Crétois Évandre, mais le Romain savait combien elle embarrasserait Persée, dont Évandre n'avait été que l'instrument. Il y avait à Samothrace un tribunal chargé de juger ceux qui s'étant rendus coupables d'un sacrilège avaient pénétré dans l'enceinte sacrée du temple. Théondas, roi de Samothrace, car les insulaires donnaient ce titre à leur premier magistrat, fit assigner Évandre devant le tribunal.

Prévoyant toutes les conséquences de cette affaire, Persée engagea Évandre à échapper par une mort volontaire à une condamnation inévitable. Evandre se montra disposé à mourir; mais il fit en secret des préparatifs pour assurer sa fuite. Persée en fut informé, et, craignant d'attirer sur sa tête le ressentiment des Samothraces, qui l'accuseraient d'avoir soustrait le coupable au châtiment, il lui fit donner la mort. Mais par ce meurtre Persée devenait responsable du sacrilège dont Evandre était accusé; il se chargeait du forfait de sa victime, auquel il ajoutait le sien, et il se trouvait, dit Tite-Live, avoir profané les deux temples les plus respectés de l'univers. Persée savait qu'il devenait à son tour justiciable du tribunal sacré de Samothrace; mais son argent le sauva. Il corrompit le roi Théondas, qui annonça au peuple qu'Évandre s'était donné la mort. Mais les Samothraces ne s'y trompèrent pas : un cri d'horreur s'éleva contre le roi assassin de son dernier et plus fidèle serviteur, et l'île entière passa aux Romains. Persée comprit qu'il ne lui restait plus de ressource que dans une prompte fuite.

Cependant Cnéus Octavius, qui commandait la flotte de Paul Émile, étant abordé à Samothrace, ne voulut pas, par respect pour les dieux, violer l'asile de Persée. Mais il s'occupa de lui ôter les moyens de s'embarquer et de s'enfuir. Néanmoins Persée gagna secrètement un Crétois, nommé Oroandès, qui avait un petit vaisseau, et l'engagea à le recevoir à son bord, lui et ses richesses. Oroandès en usa envers lui à la crétoise; il embarqua à la faveur de l'obscurité tout ce que Persée avait de précieux, et lui dit de se rendre vers le milieu de la nuit au port voisin du promontoire de Démétrium, avec ses enfants et ceux de ses serviteurs qui lui étaient indispensables. Persée parvint avec beaucoup de peine à sortir de sa retraite et à gagner le bord de la mer; mais il n'y trouva pas le navire : Oroandès avait mis à la voile le soir même, emportant les richesses du roi. Le jour commençait à poindre, tout espoir était perdu. Persée se met à fuir vers l'enceinte sacrée. On l'aperçut cette fois; mais il avait gagné son lieu de refuge avant que les Romains pussent l'atteindre. Persée avait encore avec lui ses enfants et quelques-uns de ses serviteurs; mais Octavius ayant promis une amnislie pleine et entière à ceux qui l'abandonneraient, alors la désertion devint générale, et Ion de Thessalonique, à qui Persée avait confié ses enfants, les livra aux mains d'Octavius. Ce dernier coup réduisit Persée au désespoir, et, renoncant à disputer plus longtemps sa liberté, il vint, dit Plutarque, comme une béte féroce à qui on a enlevé ses petits, se rendre lui-même a la discrétion de ceux qui tenaient ses enfants en leur pouvoir. Il sortit du temple en accusant la Fortune et les dieux d'avoir été sourds à ses prières; il oubliait par combien de mauvaises actions il s'était rendu indigne de la protection de çes dieux, qu'il avait tant de fois outragés.

Après la conquête de la Macédoine, Samothrace passa sous la domination des Romains, qui la laissèrent se gouverner par ses lois. Au Ier siècle de l'ère commune, Pline l'appelle encore une ville libre. Au temps de la guerre de Sylla contre Mithridate (85), les pirates, qui infestaient déjà toute la mer Égée, pillèrent le temple de Samothrace, dont le trésor contenait de nombreuses et riches offrandes. Et ce n'étaient pas seulement les Grecs qui avaient enrichi le trésor des Cabires, les Romains aussi y avaient contribué, puisque l'on voit Marcellus consacrer dans leur temple des statues et des tableaux pris au pillage de Syracuse. Aussi les pirates purent-ils enlever de Samothrace un butin de la valeur de mille talents.

Samothrace dans les Temps modernes.
La religion chrétienne en détruisant toutes les croyances et les pratiques du paganisme, et notamment, les mystères de Samothrace, enleva à cette île ce qui avait fait sa célébrité pendant les temps anciens. Aussi à partir de l'ère chrétienne Samothrace ne connaît plus de grands événements. Elle fait partie de l'Empire grec jusqu'en 1204. Alors elle passe aux Vénitiens, et devient, ainsi que quelques îles voisines, le patrimoine de la famille Dandolo. Reconquise par Vatace, elle est encore enlevée aux empereurs grecs par les princes de Lesbos, de la famille des Gateluzi. Elle resta entre leurs mains depuis le XIVe siècle jusqu'en 1462, époque à laquelle ce petit État fut conquis par Mehemet II. Depuis ce temps Samothrace, et jusqu'en 1912, appelée désormais Samahdrachi ou Mandrachi, est restée soumise à la domination des Ottomans, qui la dévastèrent impitoyablement pendant la guerre de l'indépendance. (L. Lacroix).

.


Dictionnaire Territoires et lieux d'Histoire
A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2005 - 2015. - Reproduction interdite.