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Au commencement
de 1634, le cardinal de Richelieu, ayant appris
que quelques gens de lettres se réunissaient chez Conrart
pour causer de littérature et se communiquer leurs ouvrages, leur proposa
de former un corps qui s'assemblerait régulièrement et sous une autorité
publique. Comme on n'exigeait pas le sacrifice de leur indépendance, puisqu'ils
ne seraient pas salariés, ni de leur dignité, puisqu'ils devaient rester
libres d'augmenter leur Compagnie et de se donner des règlements; comme
il eût été dangereux de mécontenter le tout puissant ministre, ils
acceptèrent, et des lettres patentes du 2 janvier 1635 les constituèrent
en Académie française. Parmi les articles des statuts, dont quelques-uns
ont été modifiés depuis ou sont tombés en désuétude, on remarque
les suivants : L'Académie doit avoir un sceau
où se trouve gravée l'image de son fondateur, et un contre-sceau où
est représentée une couronne de laurier avec ces mots : à l'immortalité.
Ses membres sont au nombre de 40, tous égaux, c.-à -d. qu'on ne peut être
admis qu'à titre d'homme de lettres, et qu'on n'a droit à aucun honneur
distinctif, quelque élevé qu'on soit dans la hiérarchie sociale.
Elle a un Directeur qui préside les assemblées
et recueille les avis, un Chancelier qui tient les sceaux et scelle les
actes expédiés par ordre de l'Académie, un Secrétaire perpétuel et
à vie qui enregistre les décisions et signe tous les actes. Les deux
premiers sont désignés par le sort, et changés de trois mois en trois
mois; le 3e est élu par la Compagnie.
Si le sort tombe sur le secrétaire pour la charge de chancelier ou de
directeur, il peut la remplir; elle n'est pas incompatible avec la sienne.
- Le recrutement de l'Académie se fait par l'élection; nul ne peut être
élu, s'il n'a sollicité cet honneur, et s'il n'a été agréé par le
protecteur. L'élection a lieu au scrutin secret. Après une délibération
du 2 janvier 1721, il fut décidé, que tout académicien nouvellement
reçu signerait sur le registre qu'il promet sur son honneur de n'avoir
aucun égard pour les sollicitations, de n'engager jamais sa parole et
de conserver son suffrage libre, pour ne le donner, le jour d'une élection,
qu'à celui qui lui en paraîtra le plus digne. - L'Académie ne juge que
les ouvrages de ses membres, et si elle doit; par quelque considération
importante, en examiner d'autres, elle exprimera seulement son avis, sans
faire aucune censure et sans donner son approbation. - Les matières de
religion lui sont interdites; elle doit traiter les sujets de politique
et de morale conformément à l'autorité du prince, à l'état du gouvernement
et aux lois du royaume. - Elle a pour objet de régler et de perfectionner
la langue, et embrasse dans son domaine toutes les matières de grammaire,
de poésie et d'éloquence.
L'institution de l'Académie inaugurait
la représentation nationale des lettres françaises; cependant, à son
début, on n'en comprit, même parmi les Académiciens, ni l'utilité ni
la grandeur : dans le public, elle fut louée ou blâmée, non pour ses
mérites et ses défauts, mais dans la mesure de l'affection ou de la haine
qu'on éprouvait pour Richelieu. Le Parlement
ne vérifia ses lettres patentes que le 10 juillet 1637, après 2 ans et
demi de résistance; encore mit-il ces clauses restrictives, que les Académiciens
"ne
connaîtraient que des livres faits par eux, et par d'autres personnes
qui le désireraient et voudraient [...], à la charge que ceux de ladite
Assemblée ne connaîtront que de l'ornement, embellissement et augmentation
de la langue française."
En ce moment le Cid
excitait partout l'admiration et l'enthousiasme. L'Académie, invitée
à juger on plutôt à condamner cet ouvrage, ne pouvait le faire sans
le consentement de l'auteur, qui finit par l'accorder d'une manière assez
dédaigneuse: elle n'accepte, du reste, qu'avec répugnance un rôle si
opposé à l'esprit de son institution, et il fallut à Richelieu
cinq mois de négociations pour l'amener à publier ses Sentiments sur
le Cid (1638). Si la sentence fut inique, elle fut du moins tempérée
par la courtoisie de la forme et par toutes sortes de ménagements envers
Corneille.
Au sortir de cette épreuve dangereuse pour son indépendance, l'Académie
rentra dans les attributions spéciales que lui avait reconnues le Parlement,
et s'occupa d'épurer la langue, tâche immense et inévitablement lente,
surtout à cette époque de transition entre la langue du XVIe
siècle, qui disparaissait, et la langue classique qui n'était pas encore
née. C'est alors qu'elle conçut le plan d'un Dictionnaire
de la langue française, à la rédaction duquel se consacra Vaugelas,
qui faisait autorité en matière de grammaire.
-
Discours
de Racine prononcé à l'Académie française
le 2 janvier 1685,
pour la réception de Thomas Corneille.
Corneille jugé
par Racine
«
L'Académie a regardé la mort de M. Corneille comme un des plus rudes
coups qui la pût frapper; car, bien que, depuis un an, une longue maladie
nous eût privés de sa présence, et que nous eussions perdu en quelque
sorte l'espérance de le revoir jamais dans nos assemblées, toutefois
il vivait, et l'Académie, dont il était le doyen, avait au moins la consolation
de voir dans la liste où sont les noms de tous ceux qui la composent,
de voir, dis-je, immédiatement au-dessous du nom sacré de son auguste
protecteur, le fameux nom de Corneille.
Et
qui d'entre nous ne s'applaudirait pas en lui-même, et ne ressentirait
pas un secret plaisir d'avoir pour confrère un homme de ce mérite? Vous,
monsieur, qui non seulement étiez son frère, mais qui avez couru longtemps
une même carrière avec lui, vous savez les obligations que lui a notre
poésie; vous savez en quel état se trouvait la scène française lorsqu'il
commença à travailler. Quel désordre! quelle irrégularité! Nul goût,
nulle connaissance des véritables beautés du théâtre. Les auteurs aussi
ignorants que les spectateurs, la plupart des sujets extravagants et dénués
de vraisemblance, point de moeurs, point de caractères; la diction encore
plus vicieuse que l'action, et dont les pointes et de misérables jeux
de mots faisaient le principal ornement; en un mot toutes les règles de
l'art, celles mêmes de l'honnêteté et de la bienséance, partout violées.
Dans
cette enfance, ou, pour mieux dire, dans ce chaos du poème dramatique
parmi nous, votre illustre frère, après avoir quelque temps cherché
le bon chemin et lutté, si je l'ose ainsi dire, contre le mauvais goût
de son siècle, enfin, inspiré d'un génie extraordinaire et aidé par
la lecture des anciens, fit voir sur la scène la raison, mais la raison
accompagnée de toute la pompe, de tous les ornements dont notre langue
est capable, accorda heureusement la vraisemblance et le merveilleux, et
laissa bien loin derrière lui tout ce qu'il avait de rivaux, dont la plupart,
désespérant de l'atteindre, et n'osant plus entreprendre de lui disputer
le prix, se bornèrent à combattre la voix publique déclarée pour lui,
et essayèrent en vain, par leurs discours et par leurs frivoles critiques,
de rabaisser un mérite qu'ils ne pouvaient égaler.
La
scène retentit encore des acclamations qu'excitèrent à leur naissance
le Cid, Horace, Cinna, Pompée, tous ces chefs-d'oeuvre représentés depuis
sur tant de théâtres, traduits en tant de langues, et qui vivront Ã
jamais dans la bouche des hommes. A dire le vrai, où trouvera-t-on un
poète qui ait possédé à la fois tant de grands talents, tant d'excellentes
parties, l'art, la force, le jugement, l'esprit? Quelle noblesse, quelle
économie dans les sujets! Quelle véhémence dans les passions, quelle
gravité dans les sentiments! Quelle dignité, et en même temps quelle
prodigieuse variété dans les caractères! Combien de rois, de princes,
de héros de toutes nations nous a-t-il représentés, toujours tels qu'ils
doivent être, toujours uniformes avec eux-mêmes, et jamais ne se ressemblant
les uns les autres! Parmi tout cela, une magnificence d'expression proportionnée
aux maîtres
du
monde qu'il fait souvent parler; capable néanmoins de s'abaisser quand
il veut, et de descendre jusqu'aux plus simples naïvetés du comique,
où il est encore inimitable; enfin, ce qui lui est surtout particulier,
une certaine force, une certaine élévation qui surprend, qui enlève,
et qui rend jusqu'à ses défauts, si on lui en peut reprocher quelques-uns,
plus estimables que les vertus des autres : personnage véritablement né
pour la gloire de son pays, comparable, je ne dis pas à tout ce que l'ancienne
Rome a eu d'excellents poètes tragiques, puisqu'elle confesse elle-même
qu'en ce.genre elle n'a pas été fort heureuse, mais aux Eschyle, aux
Sophocle, aux Euripide, dont la fameuse Athènes ne s'honore pas moins
que des Thémistocle, des Périclès, des Alcibiade, qui vivaient en même
temps qu'eux.
Oui,
monsieur, que l'ignorance rabaisse tant qu'elle voudra l'éloquence et
la poésie et traite les habiles écrivains de gens inutiles dans les États,
nous ne craindrons point de le dire à l'avantage des lettres et de ce
corps fameux dont vous faites maintenant partie, du moment que des esprits
sublimes, passant de bien loin les bornes communes, se distinguent, s'immortalisent
par des chefs-d'oeuvre comme ceux de monsieur votre frère, quelque étrange
inégalité que, durant leur vie, la fortune mette entre eux et les plus
grands héros, après leur mort cette différence cesse. La postérité
qui se plaît, qui s'instruit dans les ouvrages qu'ils lui ont laissés,
ne fait point de difficulté de les égaler ù tout ce qu'il y a de plus
considérable parmi les hommes, et fait marcher de pair l'excellent poète
et le grand capitaine. Le même siècle qui se glorifie aujourd'hui d'avoir
produit Auguste ne se glorifie guère moins d'avoir produit Horace et Virgile.
Ainsi, lorsque, dans les âges suivants, on parlera avec étonnement des
victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre
siècle l'admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n'en doutons
point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France
se souviendra avec plaisir que sous le règne du plus grand de ses rois
a fleuri le plus grand de ses poètes. On croira même ajouter quelque
chose à la gloire de notre auguste monarque, lorsqu'on dira qu'il a estimé,
qu'il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie; que même deux jours
avant sa mort, et lorsqu'il ne lui restait plus qu'un rayon de connaissance,
il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu'enfin les dernières
paroles de Corneille ont été des remerciements pour Louis le Grand.
Voilà ,
monsieur, comme la postérité parlera de votre illustre frère; voilÃ
une partie des excellentes qualités qui l'ont fait connaître à toute
l'Europe. Il en avait d'autres qui, bien que moins éclatantes aux yeux
du public, ne sont peut-être pas moins dignes de nos louanges, je veux
dire, homme de probité et de piété, bon père de famille, bon parent,
bon ami. Vous le savez, vous qui avez toujours été uni avec lui d'une
amitié qu'aucun intérêt, non pas même aucune émulation pour la gloire,
n'a pu altérer. Mais ce qui nous touche de plus près, c'est qu'il était
encore un bon académicien : il aimait, il cultivait nos exercices; il
y apportait surtout cet esprit de douceur, d'égalité, de déférence
même, si nécessaire pour entretenir l'union dans les compagnies. L'a-t-on
jamais vu se préférer à aucun de ses confrères? L'a-t-on jamais vu
vouloir tirer ici aucun avantage des applaudissements qu'il recevait dans
le public? Au contraire, après avoir paru en maître et, pour ainsi dire,
régné sur la scène, il venait, disciple docile, chercher à s'instruire
dans nos assemblées, laissait, pour me servir de ses propres termes, laissait
ses lauriers à la porte de l'Académie, toujours prêt à soumettre son
opinion à l'avis d'autrui, et, de tous tant que nous sommes, le plus modeste
à parler, à prononcer, je dis même sur des matières de poésie. »
(Racine).
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Après la mort de Richelieu (1642), l'Académie
choisit pour protecteur le chancelier Séguier, et l'hôtel de ce magistrat
devint le lieu fixe de ses réunions, qui jusque-là s'étaient tenues
tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre de ses membres. Quelques mois après,
elle se vit menacée dans son existence même par la réaction politique
qui suivit la mort de Louis XIII : on croit
qu'elle fut sauvée par Voiture, qui était en
faveur auprès d'Anne d'Autriche. Sous le
protectorat du chancelier, qui dura 30 années, elle admit beaucoup de
grands seigneurs, la plupart d'ailleurs esprits cultivés; c'était sans
doute un abus, mais il était corrigé par l'égalité académique, et
tournait à l'avantage des lettrés de profession, qui ne pouvaient que
gagner au contact des gens de cour. La liberté des élections, quoique
souvent entravée par des sollicitations puissantes, ne fut atteinte par
aucun acte de despotisme déclaré. En 1671, l'Académie adopta une innovation
importante au point de vue de son action extérieure, qui avait été nulle
jusque-là ; elle décida que ses séances seraient publiques les jours
consacrés aux réceptions et aux distributions de prix. Cette même année,
le prix d'éloquence fondé par Balzac fut
décerné pour la première fois. Celui de poésie, dont les frais avaient
été d'abord faits par quelques académiciens, puis par la Compagnie tout
entière, commença aussi à être donné plus régulièrement.
A la mort de Séguier (1672), Louis
XIV prit le patronage direct de l'Académie. Sur la demande de Colbert,
il lui donna une salle au Louvre (au rez-de-chaussée
de la cour du Louvre, Ã gauche du pavillon de l'Horloge) pour y tenir
ses séances, forma sa bibliothèque,
encouragea l'assiduité de ses membres en instituant les Jetons de présence,
lui fit faire un fonds annuel pour ses fournitures de bureau, et remplaça
les chaises des Académiciens par 40 fauteuils, afin que les gens titrés
n'eussent plus à alléguer, pour se tenir éloignés des assemblées,
le prétexte d'y manquer de sièges dignes d'eux. II intervint rarement
dans les élections, ne força point les choix, et permit qu'on résistât
aux demandes des princes de sa famille. II fit échouer le projet de quelques
grands seigneurs qui, pour ne pas être confondus avec les gens de lettres
pensionnés, voulaient, sous le titre d'Académiciens honoraires, former
une classe à part dans l'Académie. Pour témoigner sa gratitude envers
un monarque à qui elle devait tant et qui était avide de louanges, l'Académie
épuisa les formules de la flatterie, et célébra sur tous les tons et
à tout propos les vertus et les hauts faits de Louis XIV : cependant,
en cette attitude soumise, elle ne fit que se conformer à l'opinion et
suivre l'exemple général.
La première édition du Dictionnaire
(qui en est aujourd'hui à sa dixième) fut publiée en 1694 : c'était
le moment le plus favorable, celui où l'art d'écrire avait atteint la
perfection. Recommencée plus d'une fois depuis 50 ans, fruit des plus
judicieuses investigations, écrite jour par jour sous la dictée de l'usage,
cette oeuvre de patience, à laquelle les plus grands génies de cette
époque mémorable avaient participé, soit par leurs conseils, soit par
leurs ouvrages, paraissait à point pour consacrer l'unité de la langue
peu de temps après la consommation de l'unité nationale. L'Académie
voit finir avec le XVIIe siècle la période
de son histoire la plus glorieuse au point de vue purement littéraire.
Au XVIIIe
siècle, les Académiciens deviennent plus remuants, plus hardis, et aux
polémistes peu dangereux pour l'État, qui ont vécu, non sans éclat
ni sans profit pour la langue, dans les querelles littéraires et les controverses
religieuses ( jansénisme,
quiétisme),
succède une génération plus militante, travaillée d'une agitation jusque-lÃ
inconnue, et qui lutte pour le triomphe des droits de la pensée. L'écrivain
devient une puissance que les grands courtisent à leur tour. L'Académie
ne donna pas le signal du mouvement des esprits, mais elle en subit le
contrecoup, et le seconde malgré l'intervention despotique du pouvoir
dans les élections. Les partis qui divisent la société, quoique s'appuyant
ailleurs sur des forces plus vives et plus libres, tiennent à se faire
représenter dans son sein. Le cardinal Fleury
et son successeur en défendent l'entrée aux candidats entachés de jansénisme;
Louis
XV en repousse les philosophes.
Néanmoins, Montesquieu
en 1728, Voltaire en 1740, parviennent à y
pénétrer, et, l'irrésistible courant de l'opinion aidant, Duclos,
D'Alembert,
Saurin,
Marmontel,
Thomas, Condillac, etc., sont successivement
élus. Sur la proposition de Duclos (1758), les sujets des prix sont changés,
mais non encore affranchis du contrôle de la Sorbonne;
cet affranchissement ne viendra qu'en 1768 : à l'éternel panégyrique
de Louis XIV, et aux lieux communs pris dans
la morale, on substitue l'éloge historique
des grans hommes de la nation; l'éloquence théologique, qui régnait
depuis 1671, est remplacée par une éloquence plus mondaine. Dans les
harangues de réception, comme dans les pièces de concours, on remarque
des attaques à peine déguisées contre les abus et les fautes du gouvernement.
En les faisant lire publiquement et en les couronnant, l'Académie s'en
s'approprie les patriotiques hardiesses, et habitue les esprits à entrevoir
dans l'avenir, à ambitionner pour la liberté de la parole un théâtre
plus vaste et plus retentissant.
Cette indépendance irrite et inquiète
les défenseurs des vieilles institutions; les élections sont vivement
disputées, et passionnent toutes les coteries de la cour et des salons
: les opinions sont en cause, bien plus que les titres littéraires. II
y avait deux camps : celui des Chapeaux, qui combattaient pour la
philosophie elle résistance à l'arbitraire; celui des Bonnets,
qui soutenaient l'autorité; ces bizarres surnoms étaient empruntés aux
partis qui divisaient la Suède .
Vers la fin du règne de Louis XV, les philosophes
l'emportaient; mais, oubliant leurs propres principes, ils manquèrent
de tolérance à leur tour. L'Académie, sous leur domination, se montre
si partiale et si exclusive dans le choix de ses membres, qu'elle commence
à perdre de sa popularité. A mesure que la Révolution approche, le vide
se fait autour d'elle; ses séances sont abandonnées : au lieu de lui
tenir compte des services qu'elle a rendus à la cause de la liberté,
on lui reproche ses sentiments monarchiques; on la suspecte comme constituant,
en un temps d'égalité absolue, une aristocratie intellectuelle. Un décret
de la Convention, en date du 8 août 1793, la supprima.
Deux ans plus tard, la même assemblée
créa l'Institut des Sciences, des Lettres, et des Arts, divisé en 5 classes
qui réunirent les attributions des anciennes Académies.
Mais ce fut seulement dans l'organisation du second Institut, en 1803 que
l'Académie française, qui tenait alors ses séances
avec les autres classes, au collège des Quatre-Nations ,
retrouva
quelques-uns des éléments essentiels de sa vie antérieure, tels que
son nombre de 40 membres, le droit de nommer aux places vacantes dans son
sein, l'usage des discours de réception et des séances pubiiques annuelles.
Elle composa la 2e classe de l'Institut
sons le titre de Classe de la langue et de la littérature française
et fit revivre même son nom, quoiqu'elle n'en eut pas officiellement le
droit. Se considérant comme l'héritière de la Compagnie du XVIIIe
siècle, dont elle avait conservé l'esprit, elle en imita en plus d'une
occasion le libre langage; parfois aussi elle se rapprocha, par l'adulation,
de l'Académie de Louis XIV. En général, Napoléon
Ier, quoiqu'il
il n'eût pas à en attendre un dévouement sacs bornes, fut tolérant
à son égard; il lui fit une bonne part dans les bienfaits qu'il accorda
à l'Institut, et mit à sa disposition des sommes importantes pour l'établissement
de nouveaux prix, et pour la 5e édition
du Dictionnaire, 1813 (la 2e
avait paru en 1718, la 3e en 1740, la 4e
en 1762).
La seconde Restauration rendit aux Académies
qui composaient l'Institut leur nom et leur constitution particulière.
L'Académie française reprit donc ses anciens statuts, et fut placée
sous la protection immédiate du roi : mais sa joie fut troublée par l'esprit
de contre-révolution qui dicta l'ordonnance du 21 mars 1816 , par laquelle
crise académiciens furent exclus, et d'autres introduits sans élection.
L'Académie
perdit sans grand préjudice pour les lettres, Cambacérès,
Lucien
Bonaparte, Regnaud de Saint-Jean-d'Angely, Maret, duc de Bassano; mais,
en revanche, elle eut à regretter des hommes tels que Siéyès, Garat,
Roederer, Etienne, Arnault et le cardinal Maury. Etienne et Arnault rentrèrent
en possession de leurs fauteuils en 1829. Surtout, cet acte arbitraire,
qui violait l'inamovibilité des Académiciens et la liberté des choix,
détruisit pour un moment les espérances qu'avait fait naître Louis
XVIII, et fut vivement censuré par l'opinion. L'Académie n'abandonna
pas les proscrits, mais ne put jamais obtenir une réparation complète
de l'injustice dont ils étaient victimes. Favorable aux idées que le
régime constitutionnel développait dans le pays, elle en encouragea l'expression
par le choix de ses sujets de concours. Si l'Académie, de 1816 à 1824,
vécut en paix avec son protecteur, elle eut des démêlés avec la littérature
contemporaine, et prit une part assez vive à la querelle des classiques
et des romantiques, dont les proportions grandirent à mesure qu'on avançait
vers 1830.
Les traditions conservatrices de l'Académie
s'opposaient à ce qu'elle vit les novateurs d'un bon oeil. Mais elle prouva
qu'elle était en communion avec l'esprit public, lorsque, le 29 décembre
1826, Peyronnet présenta à la Chambre des députés la loi restrictive
de la liberté de la presse; en effet, elle rédigea une supplique pour
exprimer au gouvernement son inquiétude et sa douleur. Charles
X refusa de recevoir cette supplique. En même temps que l'Académie
donnait des gages à la liberté politique, elle se relâcha de sa sévérité
littéraire, en ouvrant ses portes à Lamartine
(avril 1830), un des plus illustres représentants de la nouvelle école
poétique. L'Académie française, après la Révolution de juillet, devint
de plus en plus accessible aux grands talents, quel que fût leur drapeau.
Parmi les autres
faits qui ont marqué l'histoire de l'Académie Française au XIXe
siècle, on relèvera seulement qu'en 1812, Chateaubriand
refusa de prendre possession du fauteuil auquel il venait d'être élu,
parce qu'il lui aurait fallu faire l'éloge du révolutionnaire J.-M.
Chénier, auquel il succédait, et subir une présentation à Napoléon;
il était resté académicien sans avoir prononcé de discours. Cela avait
été également le cas de Émile Ollivier,
dont la réception avait été ajournée à cause d'un éloge de Napoléon
III inséré dans sa harangue. Il avait été admis à siéger en 1874
seulement, et sans prononcer de discours. Enfin, l'évêque d'Orléans,
Dupanloup, en refusant de siéger, après l'élection de Littré
en 1871, donna, le premier, l'exemple d'un académicien démissionnaire.
Il y eut d'autres
départs au siècle suivant, volontaires ou imposées. Les démissions
ont été celles de Pierre Benoît, en 1959, en protestation contre le
veto de De Gaulle à l'élection de Paul Morand,
et celle de Pierre Emmanuel, en 1975, qui entendait protester contre l'élection
de Félicien Marceau. Quant aux exclusions, elles ont concerné, en 1946,
des Académiciens compromis avec le régime de Vichy : Abel Bonnard et
Abel Hermant (remplacés aussitôt par Etienne Gilson et Jules Romain),
ainsi que Charles Maurras et le Maréchal Philippe
Pétain, radiés mais remplacées seulement
après leur mort (respectivement par Lévis-Mirepois et A.-F-. Poncet).
Mais s'il fallait retenir une seule date au XXe
siècle
pour cette vieille institution, c'est avant tout celle de 1980, avec l'admission
de Marguerite Yourcenar, la première femme
reçue parmi les Immortels. (P -S).
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En
bibliothèque. - Histoire de
l'Académie Française, par Pellisson et d'Olivet, édit. de M. Livet,
Paris, 1858, 2 vol. in-8°; Tyrstée Tastet, Histoire des quarante fauteuils
de l'Académie française, 1844-1855, 4 vol.; Portefeuille d'un Académicien,
par Ch. Nisard, dans la Revue contemporaine, 1856; Histoire de l'Académie
Française depuis sa fondation jusqu'en 1830, par Paul Mesnard, Paris,
1857, grand in-18. |
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Site
de l'Académie Française. |
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