 |
Alfred Jules Emile
Fouillée
est
un philosophe français, né
à La Pouëze (Maine-et-Loire) le 18 octobre1838, mort en 1912.
Il professa d'abord aux collèges de Louhans, Dole
et Auxerre, puis au lycée de Carcassonne.
En 1864, il fut reçu le premier à l'agrégation de
philosophie
récemment rétablie. Professeur de philosophie aux lycées
de Douai,
Montpellier,
Bordeaux,
puis à la faculté des lettres de Bordeaux, il fut deux années
de suite (1867 et 1868) couronné par l'Académie des sciences
morales dans les concours sur Platon et sur Socrate.
Cette Académie l'élut en 1872 correspondant pour la section
de philosophie sans qu'il eût fait acte de candidature. La même
année, il fut nommé maître de conférences à
l'Ecole normale, et reçu docteur avec ces deux thèses dont
la soutenance eut du retentissement :
Platonis Hippias minor, sine Socratica
contra liberum arbitrium argumenta (in-8), et la Liberté
et le Déterminisme (1872, in-8; 2e éd., 1883).
Après trois années d'un brillant
enseignement à l'Ecole normale, sa santé ébranlée
par l'excès de travail, sa vue menacée l'obligèrent
à une retraite prématurée (1875). Retraite laborieuse,
s'il en fut; Alfred Fouillée avait publié jusque-là,
outre ses thèses la Philosophie de Platon (Paris, 1869, 2
vol. in-8; 28 édit., 1888; la Philosophie de Socrate (Paris,
1874, 2 vol. in-8); Histoire de la Philosophie (1875, in-8; 6e
édit., 1892). Il a donné ensuite, sans interruption l'Idée
moderne du droit en Allemagne, en Angleterre et en France (Paris, 1878,
in-18 ; 2e édit. 1883); la Science
sociale contemporaine (1880, in-18; 2e
édit., 1885); la Propriété sociale et la Démocratie
(1884, in-18); Critique des systèmes de morale contemporains
(1883, in-8; 2e édit. 1887);
la Morale, l'Art et la Religion d'après Guyau (1889 , in-8);
l'Avenir de la métaphysique fondée sur l'expérience
(1889, in-8); l'Évolutionnisme des idées-forces (1890,
in-8); l'Enseignement au point de vue national (1891, in-18);
la Psychologie des idées-forces (1893, 2 vol.); la Morale
des idées-forces (1908): Humanitaires et libertaires
(1914), etc.. Alfred Fouillée a été un des collaborateurs
habituels de la Revue des Deux Mondes et de la Revue philosophique.
La méthode
de Fouillée est la « méthode de conciliation »;
sa doctrine, la « théorie des idées-forces
». La méthode de conciliation diffère de l'éclectisme
en ce qu'elle est spéculative, non historique. Elle ne part pas
de ce principe, que tout a été dit et qu'il ne reste qu'à
choisir; elle cherche des idées nouvelles qui fournissent la synthèse,
ou permettent au moins le rapprochement des systèmes adverses, préalablement
rectifiés, ramenés à leur forme typique. Le principal
besoin de notre temps étant la conciliation du naturalisme, auquel
semble aboutir la science, et de l'idéalisme,
que réclame la morale, Alfred Fouillée s'est proposé
surtout de travailler à cette conciliation. De là son «
évolutionnisme des idées-forces », en opposition à
l'évolutionnisme exclusivement mécaniste de Herbert
Spencer. Tout en admettant la loi de transformation graduelle des êtres,
il restitue aux idées l'action efficace dont le naturalisme brut
les dépouille. Par idées, Fouillée
entend, comme Spinoza, tous les états
mentaux conscients d'eux-mêmes et de leur objet.
Quant à la force des idées,
il l'entend en un triple sens. Au point de vue psychologique, c'est l'élément
actif et « appétitif » que tout état de conscience
renferme, outre son élément représentatif, et qui
fait qu'il tend à réaliser son objet. Au point de vue physiologique,
la force des idées consiste, non dans une action qu'elles exerceraient
mécaniquement, mais dans la loi qui unit tout
état de conscience à un mouvement conforme, lequel, s'il
n'est pas empêché, réalise l'idée au dehors.
Enfin, au point de vue de la philosophie générale, la force
des idées consiste en ce que le mental, au lieu d'être un
simple reflet accessoire de l'évolution
universelle, en est un des facteurs primordiaux : c'est même le seul
facteur ou ressort véritable, dont le mécanisme n'est que
le symbole, car le mécanisme exprime les rapports réciproques
et les lois de réalités qui en elles-mêmes sont mentales,
c.-à-d. douées de sensation et
d'appétition. Sous ces trois rapports, Fouillée oppose ses
idées-forces aux « idées-reflets » de Spencer
et de Huxley. Développant cette théorie
sous tous ses aspects, il en a fait le centre d'une construction qui embrasse
la psychologie, la morale,
la sociologie et même la cosmologie.
La synthèse entre le déterminisme
et l'indéterminisme, opérée au moyen de l'idée
de liberté, fut la première et
la plus originale application de cette doctrine. Déterministes et
indéterministes ont également l'idée de la liberté,
c.-à-d. du « maximum d'indépendance possible pour le
moi intelligent et aimant ». Or, ainsi définie, la liberté
n'est plus irréalisable. L'idée de puissance indépendante
arrive, en se concevant, à se réaliser elle-même par
une « approximation progressive » et à produire dans
la pratique une liberté relative. Les analyses psychologiques par
lesquelles Alfred Fouillée l'établit ont une valeur durable.
En montrant l'influence exercée par l'idée même de
liberté, il a « rectifié » à la fois le
déterminisme et l'indéterminisme et comblé une lacune.
Comme l'idée de liberté, les idées morales de bien,
de responsabilité, de désintéressement, d'amour
universel, de société universelle des consciences, deviennent
progressivement réalisables par la tendance même à
se réaliser qu'elles enveloppent. « Concevoir et désirer
l'idéal, c'est en commencer la réalisation. »
D'autre part, cette réalisation
de l'idéal n'est plus en opposition avec les lois et l'essence même
de la nature. Le mécanisme
n'est, en effet, qu'une manière de nous
représenter les rapports des choses
dans l'espace et dans le temps.
A ce qui nous apparaît comme mouvement et figure, correspond, dans
le fond même des réalités, quelque chose d'analogue
à notre vie sensitive et appétitive : c'est le mental, non
le physique, qui est le fond de tout; aux états mentaux appartient
partout, avec la véritable réalité,
la véritable force. Dès lors, le monde entier est «
une vaste société en voie de formation », où
les consciences peuvent de plus en plus se dégager, se connaître
et s'unir entre elles. L'évolutionnisme à facteurs purement
mécaniques emprisonne dans des limites fixes l'action du moral,
si même il ne la nie : il ferme donc la porte à l'espoir d'un
progrès moral dans le monde. Au contraire, la doctrine des idées-forces
nous montre la puissance pratique de l'idéal, donc la possibilité
d'un progrès peut-être indéfini.
C'est pourquoi son auteur l'appelle une « philosophie de l'espérance
».
La mère du philosophe et poète
Guyau
a épousé en secondes noces Aldred Fouillée. Elle a
publié sous le pseudonyme de G. Bruno de remarquables ouvrages d'éducation,
dont les plus populaires sont : Francinet, couronné par l'Académie
française; le Tour de la France par deux enfants, le
plus lu et le plus aimé des livres de lecture en usage dans les
écoles primaires à la fin du XIXe
s., enfin les Enfants de Marcel. Tous trois, le second surtout,
furent souvent réédités. (H. M.). |
|