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Des chiens et des humains
Le chien dans les anciennes civilisations

« Le monde ne subsiste que par l'intelligence du chien ». Ces paroles sont écrites dans le Vendidad, la partie la plus ancienne et la plus authentique d'un des premiers textes de l'humanité, le Zend-Avesta. Elles étaient une vérité pour les temps les plus reculés de la civilisation, elles en sont encore une maintenant. Les humains de la fin du Néolithique, pas plus que les humains actuels, ne peuvent se comprendre sans chien. L'humain et le chien se complètent à chaque instant.

« Le chien, dit Frédéric Cuvier, est la conquête la plus remarquable, la plus complète, la plus utile que l'homme ait jamais faite; toute l'espèce, est devenue notre propriété. Le chien appartient entièrement à son maître, se conforme ses besoins, le connaît, le défend, lui. reste fidèle jusqu'à la mort. Et ce n'est ni la crainte ni le besoin qui le font agir, mais l'amour et l'attachement. La rapidité de sa course, la finesse de son odorat, en ont fait un auxiliaire des plus utiles, peut-être même indispensable au maintien de la société humaine. Le chien est le seul animal qui ait suivi l'homme sur toute la surface de la terre.-»
Toutes ces qualités, comme l'attestent les livres des auteurs anciens, ont de tout temps été appréciées et tenues en grande estime. L'on peut dire aussi qu'elles ont été célébrées dans toutes les langues.

Dans l'Inde actuelle, le chien est un objet de répulsion, et tenu pour tellement impur que son regard, son ombre même, suffisent à souiller un sacrifice ou la nourriture d'un brahmane. Cependant, il n'en a pas toujours été ainsi, et le dieu Shiva, soit sous sa forme de Bhairava, soit sous celle de chasseur montagnard qui lutta contre Ardjouna, est quelquefois représenté en compagnie d'un dieu ou monté sur cet animal, et le Yajour-Veda contient une formule d'adoration pour les chiens et les seigneurs des chiens.

Dans le récit du départ des Hébreux d'Égypte (L'Ancien Testament), nous trouvons le chien mentionné et ses facultés de surveillance, et son aboiement clairement désignés en ces termes : 

« pas un chien n'ouvrira la bouche. » 
Salomon ou du moins l'auteur des Proverbes (XXX, 31) applique une épithète complexe, comme celles d'Homère, à un animal noble et renommé dans lequel l'on a vu un lévrier. Ce qui peut faire supposer que le chien comptait déjà plusieurs variétés. Le Livre d'Isaïe (V. 10-12), mentionne les usages familiers du chien et signale une infraction au devoir, commise par les chiens des Juifs
« Ses gardiens sont aveugles, ils sont tous ignorants, ce sont tous des chiens sourds, ils ne peuvent aboyer, dormant couchés, n'aimant que le sommeil. Oui, ce sont des chiens avides qui jamais ne sont rassasiés. » 
Les anciens Juifs méprisaient le chien, comme on peut le voir par plusieurs autres passages de la Bible. Qui ne se rappelle cependant le chien de Tobie qui, quoique aveugle, reconnut son maître?

Les Egyptiens ont domestiqué le chien de toute antiquité. On voit représentés sur leurs monuments des lévriers, des bassets, des dogues, des roquets de race mêlée, et l'on a retrouvé dans les cimetières de chiens sacrés les squelettes ou les momies de toutes ces variétés. On employait pour la chasse, outre les lévriers qui forçaient la gazelle et l'autruche, de grosses espèces qui ne craignaient pas d'attaquer le lion. Comme aujourd'hui, les chiens sans maître vivaient par bandes dans les villes et dans les villages, dont ils infestaient les rues pendant la nuit. 

Chiens de l'Egypte ancienne.
Meute de chiens du tombeau de Phathhotpou.

Le chien incarnait. plusieurs génies secondaires, et aussi deux grandes divinités : Ouapouaitou et Anubis l'aboyeur (latrator [Anubis des poètes latins]), qui sont aussi représentés par le chacal. Il y avait des cimetières de chiens comme de chats, et l'on en connaît à Assiout, à Sheikh-Fadl, à Feshn, à Saqqarah, à Thèbes. Les momies sont, en général, roulées en forme de cylindre dans un linceul grossier, recouvert d'un réseau de fines bandelettes; la tête est souvent emboîtée dans un masque en carton qui donne la physionomie de l'animal.

Les anciens Égyptiens es estimaient beaucoup. Elzéar Blaze nous a essayé de donner une raison de estime que les Egyptiens portaient aux chiens. Voyant à l'horizon une superbe étoile qui apparaissait toujours à l'époque précise où commençait le débordement du Nil, dit cet auteur, ils lui donnèrent le nom de Sirius ou Siris ( = l'aboyeur), parce qu'elle semblait se montrer avec l'intention expresse de prémunir le cultivateur contre l'inondation. "Ce Sirius est un dieu, disaient-ils, le chien nous oblige, c'est un dieu! Son apparition correspondant avec le débordement. périodique du Nil, le chien bientôt fut regardé comme le génie du fleuve, et le peuple représenta ce génie ou ce dieu avec la figure d'un homme et la tête d'un chien". On lui créa une généalogie. Il prit le nom d'Anubis, fils d'Osiris; son image fut placée à l'entrée du temple d'Isis et d'Osiris, et plus tard à la porte de tous les temples d'Égypte. Le chien étant l'emblème de la vigilance, on prétendait ainsi rappeler aux princes leur obligation constante de veiller au bonheur de leur peuple. Le chien était honoré principalement à Hermopolis la Grande, et bientôt après dans toutes les villes d'Égypte.

Juvénal écrit :

On adore Anubis dans des cités entières,
Mais l'autel de Diane, hélas! est sans prières.
Postérieurement, Cynopolis, la ville du chien (aujourd'hui Samallout), fut bâtie en son honneur, et les prêtres y célébraient ses fêtes avec un grand éclat.

D'autres écrivains disent que si Anubis est représenté avec une tête de chien, c'est que, quand Osiris entreprit l'expédition des Indes, Anubis l'accompagnait, vêtu de la peau de cet animal. Cette assertion est au moins très douteuse, beaucoup d'auteurs affirmant que, dans cette occasion, Anubis portait une peau de mouton et non pas de chien, Quoi qu'il en soit, l'adoration du dieu-chien fit des progrès rapides à l'Occident, et bientôt fut mêlée aux rites religieux des autres peuples.

Lucain dit :

De ses temples quand Rome, Isis, t'ouvrit la porte, 
Des dieux à front de chien l'aboyante cohorte 
Suivit ...
En Perse, les adorateurs du feu rendirent aussi au chien des honneurs divins, en représentant sous sa forme le bon génie dont le secours les aidait à repousser les assauts du génie malfaisant, et il est toujours tenu en grande vénération par les modernes Parsis

Justin dit que les rois Habis et Cyrus furent dans leur jeunesse nourris par des chiens.
Dans la mythologie grecque, le chien était sacrifié à Arès et à Hermès, à Pan et à Asclépios. Il était le compagnon d'Artémis.

Même les portes redoutables des enfers étaient munies, par les anciens poètes, d'un fidèle et, formidable gardien ayant la figure d'un chien, mais la tâche de surveiller ces terribles limites était regardée apparemment comme une charge peu ordinaire; le chien gardien du vestibule de l'Averne était gratifié de trois têtes au lieu d'une, afin de donner à sa vigilance une triple garantie. Rarement le chien a encouru des reproches, et pourtant, tout doué qu'il est de nobles qualités, il a eu ses moments de faiblesse. Cerbère, lui-même, écouta les sollicitations d'un grossier appétit, et comme plus d'un fonctionnaire, il se laissa corrompre, et trahit son mandat. Homère trouva des accents touchants pour chanter Argos, le chien d'Ulysse.

Les Spartiates offraient un chien au dieu de la guerre; de jeunes chiens à la mamelle pouvaient manger des viandes du sacrifice. Les Grecs ont élevé des statues à leurs chiens; et cependant le mot de chien était chez eux une injure.

Socrate jurait par le chien. Selon Plutarque, Alcibiade paya pour un de ses chiens de chasse la somme de 7000 drachmes. Alexandre reçut du roi d'Albanie un chien de taille énorme; il voulut le faire combattre avec des ours et des sangliers; le chien resta tranquille, ne se leva même pas, et Alexandre, au fond pas si grand que ça, le fit tuer. A cette nouvelle, le roi d'Albanie lui envoya un second chien, semblable au premier, et lui fit dire que ces chiens ne combattaient pas des animaux aussi faibles, mais bien le lion et l'éléphant; qu'il n'avait que deux individus pareils, et qu'au cas où Alexandre ferait aussi tuer celui-ci, on ne trouverait plus son égal. Alexandre fit combattre ce chien avec un lion, puis avec un éléphant; il les tua tous les deux. Alexandre fut tellement affligé de la mort prématurée de son chien favori, qu'il bâtit une ville et des temples en son honneur.

Plutarque célèbre Mélamphilos, le chien du marchand de Corinthe, qui, pour suivre son maître, traversa la mer à la nage. Les inscriptions tumulaires grecques ont assuré l'immortalité au fidèle Philéros. Soter, le seul survivant des chiens qui défendirent Corinthe, reçut aux frais de l'État un collier d'argent avec ces mots : 

« Défenseur et sauveur de Corinthe. »
Tel ne fut pas le sort des chiens préposés à la garde du Capitole ceux-ci, à la vérité, s'endormant à leur poste, avaient bien mérité, par leur incurie, les coups de fouet qui leur étaient publiquement infligés; sans l'alarme donnée par les clameurs des oies vigilantes, Rome était livrée aux Gaulois.

Les auteurs romains parlent du chien d'un supplicié, qui suivit à la nage, en poussant des hurlements de douleur, et de tristesse, le cadavre de son maître, que l'on avait jeté dans le Tibre. Pline vante beaucoup les mâtins et en raconte des traits remarquables; il dit, entre autres, que les Colophoniens qui étaient dans des guerres continuelles, entretenaient de grands troupeaux de chiens, prompts à l'attaque, et qui jamais ne refusèrent le combat. N'oublions pas Virgile, qui parle, dans les Géorgiques, de ce noble animal en maints passages, parmi lesquels l'on ne peut omettre le suivant :

Ménage-toi des chiens le fidèle concours;
Qu'un peu de pain, de lait achète leur secours; 
Nourris l'ardent Molosse avec le chien de Sparte; 
Eux présents, que crains-tu? Leur vigilance écarte 
Des troupeaux endormis, le nocturne voleur,
L'Ibère enclin au mal, et le loup ravisseur; 
Sur la trace du lièvre ou du chevreuil timide, 
Parfois tu lanceras ta meute au pied rapide; 
L'onagre effarouché fuit en vain leurs abois, 
Vaincu, le sanglier quitte à jamais ses bois;
Et sur les monts altiers la clameur éclatante 
Pousse dans tes filets quelque biche tremblante.
Les anciens Germains appréciaient beaucoup le chien. Lors de la victoire de Marius sur les Cimbres, en 108 avant Jésus-Christ, les Romains eurent un violent combat à soutenir avec les chiens qui gardaient les bagages. Chez les anciens Teutons, un limier valait douze sols, un cheval n'en valait que six. Chez les Burgondes, celui qui volait un limier ou lévrier devait lui embrasser publiquement le derrière ou payer sept sols.

Il semblerait également que les anciens Bretons avaient pour le chien un profond respect, car s'ils voulaient se donner à eux-mêmes des titres d'honneur ou de distinction, ils prenaient son nom. Cu, dans la langue des anciens Bretons, signifie un chien, et ne nous rappelons-nous pas les nobles noms de Cunobelin, Cynobelin et Canut. Dans la langue erse, langue primitive de l'Irlande, le mot cu signifie à la fois chien et champion.

En France, le chien a toujours été le favori des souverains. Le lévrier de Charles IX est historique, et Henri III aimait jusqu'à la passion ses caniches.

« Je me souviendrai toujours, dit Sully, de l'attitude et de l'appareil bizarre où je trouvai ce prince un jour dans son cabinet. Il avait l'épée au côté, une cape sur ses épaules, une petite toque sur la tête, un panier plein de petits chiens pendu à son cou, par un large ruban, et il se tenait si immobile, qu'en nous parlant il ne remua ni tête, ni pieds, ni mains.-»
Henri IV possédait un roquet nommé Fanor, qui pensait sans doute que la faveur de son maître lui permettait de chercher impunément noise à un mâtin de race très roturière et fort peu endurant. Le roquet du roi apprit à ses dépens qu'un titre honorifique ne donne pas droit d'insolence. Henri IV envoya Fanor à Dieppe pour guérir ses blessures dans l'eau salée. Le gouverneur de la ville offrit au blessé une réception royale et obtint ainsi la faveur du maître qui disait : 
Qui m'ayme, ayme mon chien.
Les Arabes et, en général, les Musulmans, regardent le chien comme impur.
Les îles Canaries ont reçu, comme le dit Pline, leur nom de leurs chiens.

En Amérique, les Chipiouyans, Indiens de l'extrême Nord, qui gardent, par tradition, des souvenirs mythologiques fort compliqués, font descendre leur nation d'un chien. Selon eux, l'univers n'offrait jadis à sa surface qu'un vaste océan; il n'existait dans ce monde aquatique qu'un oiseau formidable, dont les regards lançaient l'éclair dans l'espace, et dont les ailes agitées produisaient le grondement de la foudre; il descendit du ciel, et plana au-dessus des eaux la terre parut seulement alors, et tous les êtres qui devaient l'animer se montrèrent à sa surface. Les Chipiouyans parurent en dernier lieu : ils étaient nés d'un chien. Fidèles à la tradition qui leur donne ce quadrupède pour ancêtre, les Indiens dont nous venons de parler ne le maltraitent pas.

Au Pérou, d'après Humboldt, quand il y a une éclipse de lune, on bat les chiens jusqu'à ce que l'éclipse soit passée. Suivant de la Vega, les Péruviens, autrefois, adoraient aussi le chien, et chose assez singulière, mangeaient sa chair dans leurs festins. Selon un auteur plus récent, Kaempfer, cet animal était encore vénéré au XIXe siècle par les Japonais sous une forme semblable à celle de l'égyptien Anubis, et sous le nom d'Amida.



Sam Stall, Histoires de Chiens qui ont changé le monde, Editions Fetjaine, 2009. - Découvrez les histoires véridiques et étonnantes de Laika, Snuppy, Rintintin, Belle, et de tant d'autres chiens qui, à leur façon, ont fait avancer la science, l'art et la littérature, mais aussi l'histoire ou la politique. Mystérieuses, touchantes ou amusantes, leurs incroyables aventures ne vous laisseront pas indifférents. Elles témoignent de l'intelligence, de la bravoure et de la nature profondément affectueuse des chiens partout dans le monde. Une jolie façon de rendre hommage au meilleur ami de l'homme. (couv).
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