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Le Livre d'Isaïe

En tête de la collection des prophéties proprement dites qui se trouvent au canon de la Bible hébraïque, a été placé un recueil mis sous le nom d'un personnage appelé Isaïe (Esaïe dans les traductions d'origine protestante). Cet Isaïe aurait été un prophète fameux, contemporain des rois de Juda, Ozias, Jotham, Achaz et Ezéchias, qui vivaient dans la seconde moitié du VIIIe siècle avant notre ère. L'ancienne exégèse, qui prenait les suscriptions traditionnelles pour des indications d'un caractère authentique et indiscutable, a considéré le Livre d'lsaïe comme une sorte de procès-verbal des discours tenus à cette époque par le personnage portant ce nom ; la critique moderne, qui ne se reconnaît pas le droit de faire violence aux textes, fût-ce dans l'intérêt de convictions respectables, a établi depuis le commencement du XIXe siècle que le Livre d'Esaïe est une oeuvre d'un caractère complexe et mêlé, dont la majeure partie ne remonte certainement pas à un contemporain d'Achaz et d'Ezéchias. Ceux-là même qui s'efforcent de maintenir l'antiquité de certains morceaux n'y parviennent qu'en supposant que le texte primitif a subi des remaniements et des interpolations.

Voici l'analyse du Livre d'Isaïe :

Chap. I à XII : prophéties concernant les royaumes d'Israël et de Juda, les unes d'un tour très général, d'autres contenant des allusions à des faits qui nous sont connus par les livres des Rois. L'auteur adresse à ses contemporains des reproches très vifs sur leur manque de foi aux promesses divines et sur leur incurable perversité; il annonce de terribles châtiments qui amèneront le peuple à résipiscence. Après une période d'angoisse sera inaugurée une ère de justice et de bonheur. Chap. XIII à XXXV : morceaux de composition très inégale et de caractère varié, où l'auteur énumère les griefs des Israélites contre les peuples voisins et menace ceux-ci de la vengeance divine; il s'attaque tout particulièrement à Babylone dont il annonce la chute et il prédit l'avenir glorieux réservé au peuple élu.  Chap. XXXVI à XXXIX : reproduction, avec quelques modifications, de plusieurs pages des livres des Rois.

On réserve à l'ensemble formé par les chap. XL à LXVI le titre de Seconde partie du Livre d'Isaïe ou Deutéro-Isaïe. Le prophète y annonce, en des termes d'une éloquence singulièrement pénétrante, la fin de l'exil à Babylone, le retour des captifs sur le sol natal, le relèvement de Jérusalem, qui deviendra la cité sainte, autour de laquelle les nations étrangères viendront se grouper. Après avoir exalté Cyrus et l'avoir désigné comme Messie, l'écrivain s'attache à peindre le « serviteur de Yahvéh », c.-à-d. l'Israël fidèle qui, après avoir traversé une période cruelle d'humiliation, marchera, couvert de gloire, à la tête des peuples pour les conduire dans le chemin de la vérité. Parmi ces peuples, la Grèce (ou les pays de civilisation grecque) figure au premier rang.

Nous nous trouvons ainsi en présence d'une oeuvre, que quelques apparences tout extérieures désignent comme antique, mais dont l'examen révèle indubitablement le caractère plus moderne. D'autre part, si les deux principales parties du livre se distinguent nettement l'une de l'autre (d'une part les chap. I à XXXV, de l'autre les chap. XL à LXVI), elles offrent néanmoins beaucoup de points communs, qui nous engagent à ne pas les rapporter à des époques ou à des milieux fort distants les uns des autres. Si l'on admet que le Deutéro-Isaïe est une oeuvre pseudépigraphe, un de ces livres que leur auteur, selon un procédé dont la Bible offre maint exemple, a placés sous le patronage d'un nom vénéré du passé, la même proposition sera également valable pour le Proto-Isaïe, dont plusieurs parties supposent visiblement la destruction de Jérusalem par les Chaldéens et dont le reste n'offre pas ce caractère de précision, ce détail tout particulier, qui sont la marque des écrivains contemporains des faits qu'ils commentent. L'exaltation du personnage de Cyrus, considéré comme le libérateur d'Israël jeté sur la terre d'exil, la large pensée de propagande religieuse, l'appel fait aux pays de civilisation grecque, tout cela nous oblige, pour la seconde partie du livre, à descendre à une époque postérieure aux conquêtes d'Alexandre; la première partie du livre contient des morceaux assez variés, qui peuvent avoir reçu leur forme vers la fin du IVe siècle avant notre ère ou dans la première moitié du IIIe seulement.

Cette question de date laisse absolument intacte la sublimité et la profondeur qui ont, de tout temps, frappé les lecteurs d'Isaïe. A côté de morceaux d'une facture secondaire, éclatent des pages d'un accent incomparable comme vigueur, grâce ou tendresse pénétrante. Sous ce rapport, Isaïe doit être mis dans une relation étroite avec les Psaumes, dont la composition appartient, elle aussi, aux IVe et IIIe siècles avant notre ère. Sous le masque d'un contemporain des rois Achaz et Ezéchias, deux écrivains, vivant après les conquêtes d'Alexandre, ont entrepris, à quelque distance l'un de l'autre, d'exposer leurs propres vues sur l'avenir, mêlées à leurs réflexions sur le passé du peuple israélite. Cette forme littéraire, qu'ils ont adoptée pour leur oeuvre et que la synagogue, fort peu curieuse des questions de provenance, a naïvement sanctionnée, n'ôte rien à la valeur d'un livre qui, avec la Genèse et Job, constitue le grand titre d'honneur d'Israël à figurer au rang des littératures classiques à côté de la Grèce et de Rome. La critique moderne, en tirant au clair des questions de composition et d'origine très insuffisamment posées et résolues jusque là, ne se propose pas de diminuer les grands monuments du passé; en les replaçant dans le milieu qui les a vu naître, elle prétend, tout au contraire, justifier et confirmer la haute estime en laquelle les a toujours tenus l'admiration reconnaissante de la postérité. 

Le personnage d'Isaïe a été emprunté par l'auteur du livre prophétique aux livres des Rois (2, XIXe et XX), qui font figurer un prophète de ce nom auprès du roi Ezéchias. Ces indications ont suffi pour fournir à l'écrivain pseudépigraphe son point de départ. La légende fait mourir le prophète Isaïe sous le roi Manassès. (M. Vernes).

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Dictionnaire Le monde des textes
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