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Memphis

Memphis (Mennofirou, égyptien ancien; Memphi, copte; Manouf, arabe). Une des anciennes capitales de l'Égypte,  sans doute même la première à mériter se qualificatif. Elle s'élevait un peu au Sud de la pointe du Delta, sur la rive gauche du Nil, dans la grande plaine qui s'étend entre les villages modernes de Bédrescheîn et de Mit-Rahineh. Diodore lui attribue 150 stades de circuit. Son nom sacré était Haîtkaouptah, la ville du château des doubles de Ptah, dont les Grecs semblent avoir fait Aigyptos - Égypte. Plusieurs légendes relatives à son origine sont parvenues jusqu'à nous. La plus accréditée attribue sa fondation au roi semi-légendaire Narmer (Ménès) qui, après avoir régularisé le cours du fleuve, aurait, par un habile endiguement, conquis l'emplacement sur lequel il édifia sa nouvelle capitale. Mais ce n'est là qu'une tradition faite après coup, comme tant d'autres, par les historiens classiques, qui ont vu dans le prince thinite le héros éponyme de la ville, d'après une étymologie populaire qui faisait de Mennofirou la transcription de Meninofirou,  « la ville de Méni (Ménès) le bon ». Cette donnée ne répond que partiellement à la réalité. Il semble bien, en effet que l'on puisse faire remonter la fondation de la ville à l'époque de Narmer, le reste est plus douteux.

Quoi qu'il en soit, il semble que Memphis n'eût de véritable rayonnement que vers l'époque de Pepi Ier, de la VIe dynastie, qui, au début de son règne, fit construire à proximité la pyramide qui porte le même nom. Ce qui équivaut à une nouvelle fondation, si l'on remarque, en s'appuyant sur des faits analogues, que chaque pharaon, à son avènement, édifiait, en même temps que son tombeau, une ville proche de celui-ci, qui devenait, durant toute sa vie, sa résidence habituelle; les deux étaient souvent nommés de même. Il y aurait donc tout lieu de traduire Mennofirou par « la ville de la pyramide, le bon port (ou le port du bon) », d'accord en partie avec Plutarque qui, confondant sans doute la ville et le tombeau, nous rapporte que la première s'appelait « le port des bons », ce qui rentre très exactement dans l'onomastique funéraire. Elle succéda à un bourg ancien, où se trouvait une forteresse, Anoubou-hadj, le Mur Blanc, et dont le sanctuaire de Ptah était renommé. 

Son éclat fut très grand sous les VIe, VIIe et VIIIe dynasties; mais la puissance croissante des princes héracléopolitains entraîna sa déchéance momentanée, en transportant plus au sud l'activité politique du pays. L'arrivée des Thébains au pouvoir la relégua au second rang, jusqu'au jour on les rois de la XXIIe dynastie vinrent l'habiter de nouveau, en même temps que Bubastis. Néanmoins, les divers rois qui se succédèrent pendant ce long intervalle se plurent à embellir sans cesse, en multipliant les temples et les palais, en augmentant de nouvelles constructions ceux qui existaient auparavant ou en les réparant. Ahmosis Ier restaura le grand sanctuaire du dieu Ptah, après avoir chassé les Hyksos du Delta, leur dernière possession. Aménophis IV (c'est évidemment de son règne que date le temple d'Aton mentionné par les inscriptions), Thoutmosis Ier, Séti Ier, et surtout Ramsès II y ont laissé de nombreuses traces de leur activité. Minéphtah et Ramsès III ajoutèrent au temple de Ptah de nouvelles chambres. Sheshonk Ier paraît avoir édifié sa chapelle funéraire, son « château de millions d'années », dans la nécropole. 

La topographie exacte de la ville ne nous est pas complètement connue, à cause du bouleversement considérable du terrain et de la difficulté qu'il y a de dresser un relevé certain des constructions de toutes les époques, au milieu de la grande forêt de palmiers qui recouvre les ruines et interdit en partie les fouilles. Des renseignements nombreux sont fournis par les documents hiéroglyphiques, démotiques et grecs; les deux dernières catégories, contrats, pétitions, rapports administratifs ou récits de voyageurs, ne sont utilisables que pour une période relativement moderne. Les textes les plus anciens mentionnent surtout les temples et les fondations pieuses faites par les pharaons. Ils parlent aussi d'un port situé sur le Nil, vraisemblablement dans le voisinage de la ville vieille, Anoubou-hadj, et de plusieurs quartiers formés par les bourgades incorporés à la ville, à mesure qu'elle prenait plus d'étendue. Ils étaient, pour la plupart, désignes aux étrangers comme lieux de résidence. Le Mur Blanc recevait la garnison perse au temps d'Hérodote; Ankhtaouî, où se trouvait le temple de Bast, était habité par des Syriens, des Juifs et des Asiatiques de toutes origines; les Phéniciens y avaient fondé des factoreries à une époque qu'on ne peut encore fixer. Il y avait aussi le quartier des Grecs, celui des Cariens, celui des Tyriens. Tous ces colons, soldats mercenaires, marchands ou simples émigrants avaient apporté leurs dieux avec eux ; ils leur avaient élevé des chapelles à côté de celles des divinités indigènes, encouragés par l'extrême tolérance des Égyptiens; c'est ainsi qu'Hérodote put voir, dans le camp de Tyriens, un petit temple d'Aphrodite phénicienne (c'est-à-dire en fait d'Astarté).

Le monument le plus important de Memphis était le grand sanctuaire de Ptah, l'Hephaesteon. Entouré d'une vénération générale, il s'était peu à peu accru sous tous les rois. Les voyageurs grecs ne tarissent pas sur son compte. Ils rapportent, d'après le dire des drogmans qui les conduisaient, la liste des pharaons qui y travaillèrent. Le fondateur ne nous en est pas connu. Herodote nomme Menès (selon Diodore, ce serait Euchoreus); nous avons vu ce que vaut ce témoignage. Amenemhat III construisit le portique nord; Sésostris plaça aux alentours des colosses monolithes (le fait est démontré par la découverte de nombreuses statues gravées aux cartouches de Ramsès Il); Rhampsinite éleva les propylées de l'ouest et les deux images de l'Été et de l'Hiver, hautes de soixante-cinq coudées; Asychis édifia les propylées de l'est, les plus renommés de tous; Psammétique, ceux du midi et la cour entourée d'un portique couvert de sculptures et orné de statues adossées à des piliers, formant caryatides, où le taureau Hâpi (Apis) était enfermé; Amasis consacra une statue de 75 pieds qu'on voyait couchée à la renverse et aux côtés de laquelle se dressaient deux colosses en pierre de Nubie. Au Sud de l'enceinte sacrée, on remarquait un enclos dont la construction était, au rapport des prêtres, attribuée à Protée et datait du séjour d'Hélène en Égypte. Presque tous les noms donnés sont déformés ou appar tiennent à la légende, mais les descriptions ont un fond de vérité facile à isoler. 

Les fouilles ont mis à jour, dans l'aire du temple, deux très belles statues du dieu Ptah Rîsanbouf, datées du règne de Ramsès II, de 3 m de haut environ, et une barque sacrée en granit de 3,60 m de long. Deux autres colosses de Ramsès II, en granit rose, ont été exhumés dès 1820 et 1852; on les voit encore en place lorsqu'on traverse la forêt de Bédreshein. Le plus grand devait précéder l'un des pylônes du grand temple. Il mesure encore à l'état actuel, bien que le bas des jambes soit brisé, 10,30 m de haut. La présence de nombreux monuments du grand conquérant en cet endroit décèle, outre son désir connu de laisser son nom partout, la dévotion particulière qu'il ressentait pour le dieu de Memphis, dont son fils aîné Khâmmolsit, était grand pontife. La ville renfermait encore plusieurs temples consacrés à Osiris, Hathor, Anubis, Sokhit, etc., qui recevaient chaque année une foule de pèlerins attirés par les grandes fêtes et par les solennités périodiques des enterrements du taureau Apis et l'intronisation de son successeur. Son collège de prêtres avait une renommée presque universelle de science; on venait de fort loin pour le consulter. Le temple d'Imhotpou (Asclépieion) conservait une bibliothèque très estimée, surtout pour la matière médicale.

La nécropole occupait une étendue considérable de terrain, en bordure du désert libyque. Elle contenait les pyramides de plusieurs rois des IIIe, Ve et VIe dynasties, Djoser, Ounas, Teti, Pepi Ier; Pépi Il, Mihtimsaouf, les sépultures des grands fonctionnaires de la cour et le Sérapeum, signalé par Strabon et retrouvé par Mariette en 1851, Le nom ancien de ce vaste cimetière était Ha-Kem, ou, par abréviation, Kem « celle du taureau noir », « celle du noir »; il porte actuellement le même que le village, voisin, Saqqarah.

Memphis fut plusieurs fois ruinée. Occupée en premier lieu par les Hyksos, elle avait failli tomber entre les mains des Libyens, sous Mînéphtah, qui avait réussi cependant à repousser les envahisseurs. Mais, à partir de ce moment, par suite de la faiblesse croissante de la monarchie et des compétitions des princes féodaux qui se partageaient l'Égypte, elle fut continuellement menacée. Un soldat de fortune, presque inconnu, originaire de Saïs, Tafnakhti, s'en empara après plusieurs campagnes heureuses dans le Delta. Ce fut le signal de l'invasion. Piônkhi Mtameun, appelé par les roitelets ennemis de Tafnakhti, vint en hâte du fond de la Nubie, où il régnait, mettre le siège devant la ville, qui dût accepter le vainqueur. Elle fut alors tour à tour, malgré les efforts des derniers rois indigènes, possédée par les Ethiopiens, les Assyriens, les Perses et les Grecs. Ces revers de fortune l'avaient diminuée, mais le déclin réel et définitif ne commença qu'au moment de la fondation d'Alexandrie. Strabon toutefois la place encore en second après celle-ci et la dit très peuplée; mais il ajoute que, lorsqu'il la visita, les palais étaient presque tous ruinés et abandonnés. La construction du Caire l'acheva. 

Les temples furent exploités comme de simples carrières; ses tombeaux fournirent le calcaire à profusion. On retrouve encore dans les mosquées et dans les murs de la citadelle des restes de ses édifices. Un voyageur arabe, Abdallatif, la vit encore au XIIIe siècle; il fait une description enthousiaste des ruines qu'il y trouva et dont la traversée demandait une demi-journée de marche. Aujourd'hui il ne subsiste plus que de grandes buttes rougeâtres se dressant irrégulièrement au milieu des troncs des palmiers, coupées, de place en placé, par des murailles démantelées en briques crues ou cuites. (E. Chassinat).

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Dictionnaire Villes et monuments
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