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La physique nucléaire
La physique nucléaire est la branche de la physique qui étudie les constituants et les propriétés du noyau atomique. Le noyau, constitué de protons et de neutrons, appelés collectivement nucléons. Le noyau est extrêmement dense : une sphère de 1 cm³ de "matière nucléaire" pèserait environ 100 millions de tonnes. Comprendre cette densité, la cohésion des nucléons et leurs interactions fondamentales est au coeur de cette discipline.

Le noyau atomique

Les noyaux atomiques sont principalement composés de deux types de particules subatomiques : les protons (p) et les neutrons (n), qui ensemble forment les nucléons, dont le nombre total définit le nombre de masse A. Les protons possèdent une charge électrique positive de +1 unité, tandis que les neutrons n'ont pas de charge électrique. Le nombre total de protons dans un noyau donne le numéro atomique Z de l'élément, caractérisant ainsi son identité chimique (He, Li, C, Fe, U, etc.). Par exemple, tout noyau contenant un proton est de l'hydrogène, deux protons correspondent à l'hélium, trois protons au lithium, et ainsi de suite.

On note un noyau atomique en faisant précéder le symbole de l'élément chimique considéré par le nombre de masse A en exposant et le numéro atomique Z en indice. Par exemple pour l'lélium-4 :  (A = 4 nucléons, Z = 2 protons), ou encore pour l'uranium-235- (A = 235 nucléons, Z = 92 protons). Z étant redondant avec le symbole de l'élement chimique, on l'omet couramment.

Le nombre de neutrons (N = A−Z) peut varier pour un même élément, donnant lieu à différents isotopes. Par exemple, le carbone-12, le carbone-13 et le carbone-14 sont tous des isotopes du carbone, mais avec des nombres de neutrons différents (6, 7 et 8 respectivement). La masse d'un noyau est essentiellement la somme des masses des protons et des neutrons, bien que la liaison nucléaire entraîne une légère perte de masse appelée défaut de masse (Δm). L'énergie de liaison d'un noyau, énergie qu'il faudrait fournir pour séparer tous ses nucléons, est reliée au défaut de masse selon la relation d'Einstein : E = Δm. c² . 

À l'intérieur du noyau, les protons et les neutrons interagissent via trois forces fondamentales : l'interaction nucléaire forte, attractive, qui est responsable de la cohésion du noyau, l'interaction électromagnétique, répulsive entre les protons chargés positivement, et l'interaction nucléaire faible, impliquée dans certaines transformations nucléaires comme la désintégration radioactive bêta. Ces interactions définissent les conditions de stabilité des noyaux atomiques.

La courte porté de l'interaction forte explique le très petit rayon R des noyaux, qui dépend aussi du nombre de nucléons (numéro atomique A) qu'il contient, selon la relation  R ≈ R0A1/3​, avec R0 ≈ 1,2.10−15 m.  (Cet ordre de grandeur permettant de définir l'unité de distance communément utilisée dans ce contexte, le femtomètre (fm) : 
1 femtomètre 10−15 m). La densité nucléaire , très uniforme, est d'environ 1017 kg/m3 pour tous les noyaux atomiques.

La structure interne des noyaux est également déterminée par des phénomènes quantiques, tels que le principe d'exclusion de  Pauli, qui interdit à deux fermions (comme les protons et les neutrons) de se trouver dans le même état quantique. Cela contribue à la distribution des énergies internes des particules dans le noyau. Enfin, les noyaux peuvent participer à divers processus nucléaires, tels que la fission ou la fusion.

Interactions fondamentales dans le noyau

À l'intérieur du noyau atomique, la cohésion des protons et des neutrons résulte d'un équilibre subtil entre différentes interactions fondamentales. L'interaction nucléaire forte est une attraction intense de tous les nucléons mais de courte portée, l'interaction électromagnétique qui explique la répulsion électrostatique des protons, et l'interaction faible à l'origine des réarrangements internes dans le nombre de protons et de neutrons. La combinaison de ces forces détermine la stabilité des noyaux, leurs modes de désintégration et les gigantesques quantités d'énergie que libèrent leurs transformations. (La gravitation, qui affecte toutes les formes de matière et d'énergie, est la quatrième interaction fondamentale, mais son action est largement négligeable dans le contexte de la physique nucléaire).

Interaction nucléaire forte.
L'interaction nucléaire forte agit à très courte portée, de l'ordre de quelques femtomètres (typiquement : ~1 à 3 fm, soit l'ordre de grandeur du diamètre d'un nucléon), au-delà de cette distance, son effet devient négligeable. Son intensité intrinsèque est environ cent fois plus puissante que la force électromagnétique, ce qui permet de maintenir ensemble les nucléons malgré la répulsion électrostatique entre les protons.  Elle est attractive et pratiquement identique pour les couples proton–proton, neutron–neutron et proton–neutron, ce qui explique que les neutrons jouent un rôle essentiel de « colle » dans le noyau, stabilisant les protons qui autrement se repousseraient violemment. On peut la modéliser par le potentiel de Yukawa, proposé par Hideki Yukawa en 1935 : V(r) = −g2 e−r/r0/r, où g est une constante de couplage, r la distance entre nucléons et r0 ≈ 1.4 fm,  une échelle caractéristique de portée. Ce potentiel traduit le fait que la force est attractive, très intense à courte distance, mais décroît de manière exponentielle au-delà de quelques femtomètres.

Interaction électromagnétique.
L'interaction électromagnétique agit entre toutes les particules chargées électriquement. Dans le noyau, elle se manifeste uniquement par la répulsion coulombienne entre protons et est décrite par la loi de Coulomb : VC(r) = (1/4πε0) (q1q2/r), où q1 et q2 sont les charges des protons et ε0 la permittivité du vide. Cette force est ici toujours répulsive, et agit donc dans le sens de la désagrégation du noyau. Plus le nombre de protons augmente, plus cette répulsion est forte et plus la stabilité devient difficile à maintenir. C'est pourquoi les noyaux lourds nécessitent un excès de neutrons pour compenser cette tension et rester liés. Lorsque la répulsion électrostatique dépasse la capacité de la force nucléaire à maintenir l'ensemble, le noyau devient instable et tend à se désintégrer spontanément.

Interation faible.
L'interaction nucéaire faible est plus subtile mais essentielle. Elle n'assure pas directement la cohésion, mais permet des transformations internes des nucléons. Par exemple, un neutron peut se convertir en proton par désintégration bêta négative :
n    →    p + e ou inversement, un proton peut se transformer en neutron par émission d'un positon (désintégration bêta positive) : p    →    n + e+.​ Ces processus, régis par les bosons intermédiaires W±, modifient le rapport neutrons/protons et permettent au noyau d'évoluer vers une configuration énergétique plus stable. Cette interaction est plus spécialement impliquée dans les dans les phénomènes radioactifs.

Gravitation.
L'interaction gravitationnelle entre deux nucléons de masse m séparés d'une distance r s'exprime par : VG(r) = − Gm2/r, où G est la constante gravitationnelle. La comparaison des ordres de grandeur montre que cette force est environ 1036 fois plus faible que l'interaction forte, ce qui justifie son insignifiance dans la cohésion du noyau.

La stabilité nucléaire 

La stabilité nucléaire repose sur l'ajustement précis entre répulsion électrostatique et cohésion nucléaire, sur la proportion optimale de neutrons et de protons, et sur la recherche d'un état énergétique minimal.

L'énergie de liaison nucléaire.
La stabilité d'un noyau atomique peut être comprise en examinant l'énergie de liaison nucléaire, c'est-à-dire l'énergie qu'il faudrait fournir pour séparer tous ses nucléons et les éloigner les uns des autres à l'infini. Cette grandeur reflète directement l'intensité de la cohésion interne : plus l'énergie de liaison est grande, plus le noyau est stable. En pratique, on considère souvent l'énergie de liaison par nucléon, qui permet de comparer des noyaux de tailles différentes.

L'énergie de liaison par nucléon varie en fonction de la taille du noyau. Pour les petits noyaux (moins de 20 nucléons), l'énergie de liaison par nucléon augmente rapidement avec la taille du noyau.  Cela signifie que l'association de protons et de neutrons dans des noyaux plus massifs rend le système plus stable qu'une collection de petits noyaux isolés. Cette croissance traduit l'efficacité de la force nucléaire forte, qui agit de manière attractive entre nucléons voisins et ne dépend pas de leur charge. Cependant, elle n'agit qu'à courte portée : chaque nucléon n'interagit significativement qu'avec quelques voisins immédiats. 

Au-delà d'une certaine taille, la répulsion électrostatique entre protons devient plus importante et limite la stabilité. L'énergie de liaison par nucléon atteint un maximum autour du fer et du nickel, où elle vaut environ 8,8 MeV. Ces noyaux se trouvent dans une configuration optimale, où le compromis entre attraction nucléaire et répulsion coulombienne donne une cohésion maximale. C'est pourquoi le fer-56 et le nickel-62 sont parmi les noyaux les plus stables que l'on connaisse.

Pour les noyaux plus lourds que le fer, l'énergie de liaison par nucléon diminue progressivement. La force nucléaire, bien que toujours attractive, n'arrive plus à compenser totalement l'augmentation de la répulsion électrique, car chaque proton est soumis à l'influence de nombreux autres protons du noyau. Cette décroissance explique que les noyaux lourds puissent libérer de l'énergie en se fragmentant par fission, en donnant naissance à deux noyaux plus petits, plus proches du maximum de stabilité. À l'inverse, les noyaux plus légers que le fer peuvent libérer de l'énergie en fusionnant, car leur énergie de liaison par nucléon augmente en s'approchant de la zone la plus stable.

Ainsi, l'énergie de liaison nucléaire permet de comprendre la répartition de la stabilité à travers les différents noyaux, ainsi que les deux grands processus énergétiques naturels et technologiques, la fusion et la fission. Elle met en évidence que la stabilité d'un noyau ne dépend pas seulement de son rapport N/Z, mais aussi de la répartition de son énergie interne et des interactions globales qui maintiennent l'assemblage de protons et de neutrons.

Le rapport N/Z.
Le rapport entre le nombre de neutrons (N) et le nombre de protons (Z)  traduit l'équilibre entre les deux forces antagonistes qui s'opposent dans le noyau. D'un côté, les protons, tous chargés positivement, se repoussent à cause de la force électrostatique de Coulomb. Cette répulsion tend à déstabiliser le noyau et augmente fortement avec le nombre de protons. De l'autre côté, la force nucléaire forte, qui agit aussi bien entre protons qu'entre neutrons et qui est attractive à courte portée, tend à maintenir les nucléons liés. Or, cette force est indépendante de la charge et fait que la présence des neutrons joue un rôle déterminant dans cet équilibre,  car ils n'exercent pas de répulsion électrostatique mais participent pleinement à l'interaction forte. Ils agissent ainsi comme un ciment qui compense la répulsion croissante entre protons lorsque le nombre atomique augmente. 

Pour les noyaux légers (Z ≤ 20), la stabilité est assurée lorsque N et Z sont proches. C'est le cas de l'hélium-4 ou du carbone-12, par exemple, dont les noyaux sont particulièrement stables. Mais au fur et à mesure que Z augmente (Z > 20), la répulsion électrostatique devient plus intense, et il faut un excès croissant de neutrons pour contrebalancer cette répulsion et maintenir la cohésion nucléaire. Ainsi, pour les noyaux moyens et lourds, le rapport N/Z s'éloigne de 1 et peut dépasser 1,5 dans les noyaux stables les plus massifs, comme le plomb-208 (N/Z ≈ 1,54).

Lorsque le rapport N/Z s'écarte trop de la bande dite de stabilité (ou vallée de la stabilité), le noyau devient instable et tend à se transformer par des désintégrations radioactives. Au-delà de Z = 83 (bismuth), tous les noyaux sont instables (radioactifs). Un excès de neutrons favorise la désintégration bêta moins, au cours de laquelle un neutron se convertit en proton afin de réduire le rapport N/Z. À l'inverse, un excès de protons entraîne la désintégration bêta plus ou la capture électronique, qui transforment un proton en neutron pour augmenter ce rapport. Dans les cas extrêmes, lorsque le déséquilibre est trop important, la force de cohésion ne suffit plus et le noyau peut subir une fission spontanée ou émettre des particules α ( = noyaux d'hélium-4).

Le cas du fer-56 permet de mieux comprendre la stabilité nucléaire. Son noyau contient 26 protons et 30 neutrons, ce qui donne un rapport N/Z ≈ 1,15. Ce rapport légèrement supérieur à 1 est attendu pour un noyau de taille moyenne, car quelques neutrons supplémentaires sont nécessaires pour compenser la répulsion électrostatique entre protons. Si l'on examine son énergie de liaison, on constate que le fer-56 possède l'une des valeurs les plus élevées connues. Cela signifie qu'il faudrait fournir une énergie considérable pour séparer ses nucléons. En termes de stabilité, cela place, comme on l'a dit, le fer-56 au sommet de la courbe de l'énergie de liaison, aux côtés du nickel-62. Cette position particulière explique plusieurs phénomènes fondamentaux :
+ Les noyaux plus légers que le fer peuvent libérer de l'énergie en fusionnant, car leur énergie de liaison par nucléon augmente en se rapprochant de la valeur du fer-56. C'est le mécanisme qui produit l'énergie des étoiles.

+ Les noyaux plus lourds que le fer peuvent libérer de l'énergie en fissionnant en noyaux plus petits, car cela rapproche leurs fragments du maximum de stabilité représenté par le fer-56. C'est le principe exploité dans les réacteurs nucléaires et les bombes à fission.

+ Le fer-56 lui-même ne peut ni fusionner ni fissionner de façon exothermique : toute transformation demanderait plus d'énergie qu'elle n'en libérerait. C'est pourquoi on le qualifie parfois de point d'équilibre naturel de la matière nucléaire.

Dans l'évolution stellaire, cette stabilité se traduit par le fait que les étoiles massives, en fin de vie, produisent du fer dans leur coeur par fusion successive des éléments plus légers. Comme le fer-56 ne peut plus servir de combustible de fusion, la production d'énergie cesse, menant à l'effondrement gravitationnel de l'étoile qui crée les conditions d'une explosion de supernova.
L'effet pair-impair.
La stabilité des noyaux atomiques dépend aussi de la parité — c'est-à-dire de la nature paire ou impaire — du nombre de protons (Z) et du nombre de neutrons (N). Ce phénomène, découle des propriétés quantiques des nucléons et de la manière dont ils s'organisent au sein du noyau. 

En vertu du principe d'exclusion de Pauli, deux nucléons identiques (même type, même spin) ne peuvent occuper le même état quantique. Lorsqu'un nombre pair de nucléons d'un même type (protons ou neutrons) est présent, ils peuvent s'apparier : chaque paire occupe un même niveau d'énergie mais avec des spins opposés (+½ et -½), ce qui minimise l'énergie totale du système. Ce couplage spin-spin favorise une configuration plus stable, car l'énergie de liaison par nucléon est plus élevée dans les paires que dans les configurations impaires. Sur cette base, on peut distinguer plusieurs catégories de noyaux :

Noyaux pairs-pairs. - Les noyaux ayant à la fois un nombre pair de protons (Z pair) et un nombre pair de neutrons (N pair) sont généralement les plus stables. Ils représentent la grande majorité des noyaux stables connus. Cette stabilité accrue s'explique par le fait que tous les nucléons  peuvent s'apparier, maximisant les interactions attractives entre eux et minimisant l'énergie résiduelle. De plus, ces noyaux ont souvent un spin nucléaire total nul, ce qui est un indicateur supplémentaire de symétrie et de stabilité. 

Noyaux impairs-impairs . - Les noyaux avec Z impair et N impair sont extrêmement rares parmi les noyaux stables. Seuls quatre existent dans la nature : deutérium (²H), lithium-6 (⁶Li), bore-10 (¹⁰B) et azote-14 (¹⁴N). Leur instabilité relative provient du fait qu'au moins un proton et un neutron restent non appariés, ce qui crée un excès d'énergie et une configuration moins favorable. Ces noyaux sont souvent sujets à la désintégration bêta pour atteindre une configuration plus stable (pair-pair ou pair-impair). 

Noyaux pair-impair ou impair-pair. Les noyaux avec un nombre pair d'un type de nucléons et impair de l'autre occupent une position intermédiaire en termes de stabilité. Ils sont plus stables que les impairs-impairs, mais moins que les pairs-pairs. Dans ces cas, la moitié des nucléons (ceux en nombre pair) peuvent s'apparier complètement, tandis que le nucléon célibataire (proton ou neutron) reste non apparié, créant une certaine instabilité localisée. Cependant, cette instabilité est atténuée par la présence du grand nombre de paires stables. 

L'effet pair-impair se manifeste aussi dans les énergies de séparation des nucléons. L'énergie nécessaire pour retirer un nucléon d'un noyau pair-pair est généralement plus élevée que pour un noyau impair, car cela brise une paire stable. Inversement, ajouter un nucléon à un noyau impair pour le rendre pair libère souvent plus d'énergie, car cela permet la formation d'une nouvelle paire. Ce phénomène est également visible dans les courbes d'abondance isotopique : les isotopes pairs sont généralement plus abondants que leurs homologues impairs, même lorsqu'ils ne sont pas nécessairement plus lourds ou plus légers. De même, dans les courbes d'énergie de liaison par nucléon, on observe des “bosses” ou des “creux” systématiques selon la parité de Z et N, confirmant l'impact de l'appariement. 

Sur les ~340 noyaux stables connus,  ~160 sont pair-pair, ~100 sont pair-impair ou impair-pair, seulement 5 sont impair-impair (dont ²H, ⁶Li, ¹⁰B, ¹⁴N, ⁵⁰V — ce dernier étant très faiblement radioactif). 

Le modèle de la goutte liquide.
Le modèle de la goutte liquide du noyau atomique est une description phénoménologique introduite par George Gamow et Niels Bohr à la fin des années 1930 pour expliquer certaines propriétés collectives des noyaux. Il assimile le noyau à une goutte de liquide incompressible constituée de nucléons, où les forces nucléaires de courte portée jouent un rôle analogue à la tension de surface dans un liquide. Cette approche permet de comprendre globalement l'énergie de liaison nucléaire, la stabilité et les phénomènes de fission.

L'énergie totale d'un noyau est exprimée comme la somme de plusieurs termes analogues aux contributions énergétiques d'une goutte. 

• Le terme de volume (a1) provient des forces de liaison à courte portée qui saturent : chaque nucléon est lié à ses voisins, ce qui donne une contribution proportionnelle au nombre total de nucléons.

• Le terme d'asymétrie (a2(N-Z)²A-²) rend compte de la différence d'énergie selon que le nombre de neutrons et de protons est déséquilibré, car l'énergie de Fermi est plus élevée pour l'espèce excédentaire. 

Le terme de surface (a3A-1/3) traduit le fait que les nucléons situés en périphérie sont moins liés, exactement comme les molécules à la surface d'une goutte liquide. 

Le terme coulombien (a4Z²A-4/3) introduit la répulsion électrostatique entre protons, proportionnelle au carré de leur nombre et inversement au rayon du noyau. 

Enfin, un terme de couplage, dit terme d'appariement, prend en compte la tendance des nucléons à former des paires de spins opposés, ce qui abaisse l'énergie dans les noyaux pairs-pairs et l'augmente dans les noyaux impairs-impairs : a5A-2δ (noyaux pairs-pairs : δ = 1; noyaux impairs-impairs : δ = 0; pairs-impairs ou impairs-pairs : δ = -1)

Cette formulation conduit à la formule de Weizsäcker ou formule semi-empirique de masse, qui permet de calculer avec une bonne précision les énergies de liaison et de prédire la stabilité des noyaux : E = a1 + a2(N-Z)²A-² + a3A-1/3 + a4Z²A-4/3+ a5A-2δ, où les paramètres a1, ..., a5 prennent des valeurs qui ont été déterminées expérimentalement. Cette formule explique pourquoi l'énergie de liaison par nucléon atteint un maximum pour le fer et le nickel, ce qui éclaire à la fois les réactions de fusion dans les étoiles et les réactions de fission des noyaux lourds. Elle fournit également une base pour comprendre qualitativement le mécanisme de la fission : comme une goutte chargée qui se déforme et se sépare sous l'effet de la répulsion électrique, un noyau lourd peut se scinder en deux fragments plus stables.

Malgré sa puissance descriptive, ce modèle a des limites. Il ne rend pas compte des effets quantiques liés à la structure en couches des nucléons dans le potentiel nucléaire, qui expliquent la stabilité des « nombres magiques » (nombres de protons ou de neutrons particuliers). Pour cette raison, il a été complété par le modèle en couches, plus adapté aux propriétés fines des niveaux d'énergie. 

Le modèle en couches nucléaires.
Le modèle en couches nucléaires complète l'explication de la stabilité en introduisant une structure quantique au sein du noyau. Contrairement au modèle de la goutte liquide, qui traite le noyau comme un fluide homogène, le modèle en couches considère que les nucléons évoluent dans un potentiel moyen créé par tous les autres nucléons. De la même manière que les électrons dans un atome se répartissent sur des niveaux d'énergie bien définis, les protons et les neutrons occupent des niveaux dans ce potentiel nucléaire. Chaque nucléon occupe ainsi un état quantique défini par des nombres quantiques (n, l, j, mj), et ces états sont regroupés en niveaux d'énergie — ou couches — séparés par des écarts énergétiques.  Ces niveaux se remplissent selon le principe d'exclusion de Pauli (chaque état quantique ne peut être occupé que par un seul nucléon).

Les noyaux magiques.
Dans ce cadre, certaines configurations présentent une stabilité particulière : ce sont celles où tous les niveaux d'énergie jusqu'à une certaine couche sont complètement remplis. Les nombres de nucléons correspondants sont appelés nombres magiques. Comme pour les électrons dans les gaz nobles, cette configuration saturée confère une grande stabilité, car il faut beaucoup plus d'énergie pour exciter un nucléon vers le niveau supérieur (grand fossé énergétique), l'énergie de liaison par nucléon maximale pour cette configuration et es noyaux magiques ont souvent un spin nul et une parité positive, signes d'une symétrie élevée.

Les nombres magiques connus sont 2, 8, 20, 28, 50, 82 et 126. Lorsqu'un noyau possède un nombre de protons ou de neutrons égal à un de ces nombres magiques, il bénéficie d'une cohésion accrue, car il se trouve dans une situation d'énergie minimale. Cette stabilité est encore renforcée lorsque les deux catégories de nucléons atteignent simultanément un nombre magique : on parle alors de "noyaux doublement magiques", comme l'hélium-4, l'oxygène-16, le calcium-40 ou le plomb-208. Ces noyaux ont des énergies de liaison plus élevées que leurs voisins et sont souvent des points d'accumulation dans les chaînes de désintégration radioactive.

L'interaction spin-orbite.
La séquence des nombres magiques observée ne s'explique complètement que si l'on prend aussi en compte le rôle joué par l'interaction spin-orbite forte, qui conduit à ajouter un paramètre supplémentaire à l'expression du potentiel nucléaire.

Dans le noyau, le moment orbital (l) d'un nucléon interagit fortement avec son spin intrinsèque (s), ce qui lève la dégénérescence des niveaux. Chaque niveau caractérisé par les nombres quantiques n et l se scinde en deux sous-niveaux selon la valeur du moment cinétique total j = l ± 1/2. L'écart entre ces sous-niveaux est beaucoup plus grand dans le noyau que dans l'atome — d'où le qualificatif d'“interaction spin-orbite forte”. 

Le niveau 1f (l = 3), par exemple, se scinde en 1f7/2 (j = 7/2) et 1f5/2 (j = 5/2). Le niveau 1f7/2 peut accueillir 2j + 1 = 8 nucléons. Lorsqu'on accumule les capacités des niveaux remplis successivement, on obtient bien des sauts de remplissage à 2, 8, 20, 28, 50, 82, 126...

Les fossés importants après ces nombres correspondent aux fermetures de couches : ajouter un nucléon supplémentaire nécessite de le placer dans une couche nettement plus haute en énergie, ce qui rend le noyau moins stable. 

Manifestations expérimentales et effondrement de la magie.
Les effets des nombres magiques se voient clairement dans les données expérimentales : Les noyaux avec Z ou N magique ont une énergie de liaison par nucléon plus élevée que leurs voisins. L'énergie nécessaire pour retirer un proton ou un neutron chute brutalement après un nombre magique. Les isotopes ou isotones magiques sont généralement plus abondants (ex. : ⁴He, ¹⁶O, ⁴⁰Ca, ²⁰⁸Pb). Les noyaux doublement magiques (Z et N magiques) comme ⁴He (2p, 2n), ¹⁶O (8p, 8n), ⁴⁰Ca (20p, 20n), ⁴⁸Ca (20p, 28n), ²⁰⁸Pb (82p, 126n) sont parmi les plus stables connus. Les noyaux magiques sont généralement sphériques, et leurs premiers états excités sont à plus haute énergie que la moyenne.

Dans les noyaux très riches en neutrons ou protons (loin de la vallée de stabilité), de nouveaux nombres magiques peuvent apparaître (ex. : N = 16, 34) ou d'anciens disparaître (ex. : N = 20 dans la région du néon-32, phénomène appelé l'effondrement de la magie), en raison de la modification du potentiel moyen par l'asymétrie neutron-proton. Cela montre que la structure en couches est sensible à l'environnement nucléonique, et que les nombres magiques ne sont pas absolus, mais dépendent de la composition du noyau. 

Les îlots de stabilité.
Au-delà des noyaux connus et relativement stables, les physiciens ont anticipé l'existence de régions hypothétiques (îlots de stabilité) de la carte nucléaire où pourraient se trouver des noyaux superlourds dotés d'une stabilité inattendue. L'idée est que, même si l'augmentation du nombre de protons entraîne normalement une répulsion électrostatique croissante qui fragilise le noyau, certains nombres précis de protons et de neutrons pourraient coïncider avec des fermetures de couches nucléaires. Dans ce cas, l'effet de blindage quantique procurerait une énergie de liaison plus élevée, ce qui ralentirait considérablement la désintégration.

Selon le modèle en couches, des nombres magiques supérieurs à ceux connus devraient exister pour les noyaux très lourds. Par exemple, des calculs théoriques suggèrent que des noyaux présentant environ 114, 120 ou 126 protons, associés à environ 184 neutrons, pourraient se trouver dans une zone où la stabilité relative est renforcée. Ces noyaux ne seraient pas absolument stables comme ceux de la vallée de stabilité, mais leurs demi-vies pourraient atteindre des secondes, des minutes, voire davantage, ce qui est considérable comparé aux fractions de millisecondes qui caractérisent la plupart des noyaux superlourds produits en laboratoire.

Les expériences menées dans les grands centres de recherche, notamment à Dubna en Russie, à Darmstadt en Allemagne et à Berkeley aux États-Unis, ont permis de synthétiser plusieurs noyaux au-delà de l'uranium, jusqu'à l'oganesson (Og, Z=118). Certains d'entre eux montrent déjà des demi-vies plus longues qu'attendu, ce qui alimente l'hypothèse que l'on se rapproche d'un îlot de stabilité. La confirmation expérimentale reste difficile, car ces noyaux doivent être créés atome par atome dans des collisions extrêmement énergétiques, et leur observation nécessite des détecteurs d'une sensibilité extrême.

La radioactivité

La radioactivité est un phénomène physique découvert à la fin du XIXe siècle par Henri Becquerel et approfondi par Pierre et Marie Curie. Elle correspond à la transformation spontanée de noyaux atomiques instables en noyaux plus stables, accompagnée par l'émission de particules ou de rayonnements. Ce processus est gouverné par des lois statistiques : il est impossible de prédire quand un noyau précis se désintégrera, mais on peut caractériser un grand ensemble par sa demi-vie, temps au bout duquel la moitié des noyaux initiaux se sont transformés.

Les origines de la radioactivité sont variées. Elle existe naturellement dans certains isotopes présents sur Terre depuis sa formation, comme le potassium-40, le carbone-14 ou l'uranium-238. Elle peut également être produite artificiellement, dans des réacteurs nucléaires ou des accélérateurs de particules, où l'on génère des isotopes radioactifs pour des usages médicaux ou industriels. La radioactivité joue un rôle fondamental en datation, notamment avec le carbone 14 pour les restes organiques ou l'uranium-plomb pour les roches anciennes. Elle est également utilisée en médecine nucléaire, par exemple pour l'imagerie fonctionnelle (scintigraphie, TEP) ou le traitement de cancers par radiothérapie.

Les types de radioactivité.
On distingue plusieurs types principaux de rayonnements émis lors de la désintégration radioactive, chacun définissant un type de radioactivité. 

La désintégration alpha (α) résulte de l'éjection par un noyau instable d'une particule α, composée de deux protons et deux neutrons, identique au noyau d'hélium. Ce processus se produit surtout chez les éléments lourds comme l'uranium, le thorium ou le radium. La perte de deux unités de charge et de quatre unités de masse modifie l'identité chimique de l'atome, le rapprochant d'un noyau plus stable. Ces particules sont relativement massives et peu pénétrantes, stoppées par une simple feuille de papier ou la peau humaine, mais très ionisantes lorsqu'elles atteignent les tissus.

La désintégration bêta (β⁻/β⁺) correspond à une transformation interne du noyau : un neutron peut se convertir en proton, libérant un électron et un antineutrino (bêta moins, β⁻), ou bien un proton peut se transformer en neutron, avec émission d'un positon (= anti-électron) et d'un neutrino (bêta plus, β⁺). Ces processus modifient la charge du noyau tout en conservant presque la même masse. Ils permettent aux noyaux trop riches en neutrons ou en protons de retrouver un meilleur équilibre. Les particules bêta sont plus pénétrantes que les particules alpha, traversant plusieurs millimètres d'aluminium, mais leur pouvoir ionisant reste inférieur.

La désintégration gamma (γ) se distingue par l'émission de photons de très haute énergie et le fait qu'aucune autre particule n'est expulsée du noyau. Celui-ci, après une désintégration alpha ou bêta, se trouve parfois dans un état excité et libère l'excès d'énergie sous forme d'un photon gamma (γ), rayonnement électromagnétique extrêmement énergétique. Le noyau passe aisni d'un état excité à un état plus stable. Les photons gamma ont un pouvoir de pénétration très élevé, nécessitant des épaisseurs importantes de plomb ou de béton pour les atténuer. Ils accompagnent souvent d'autres désintégrations et représentent une source majeure de danger en radioprotection.

Il existe encore d'autres types de radioactivité, en particulier la radioactivité proton, la radioactiovité neutron, la radioactivité diproton et  la désintégration double-bêta. Ces modes de désintégration sont plus rares, mais présentent un intérêt particulier en physique théorique.

La loi de décroissance radioactive.
La loi de décroissance radioactive repose sur la nature aléatoire des désintégrations nucléaires. Pour un noyau donné, il est impossible de prévoir le moment précis de la transformation, mais sur un grand nombre de noyaux, la probabilité de désintégration est constante dans le temps. Cette propriété conduit à une décroissance exponentielle du nombre de noyaux instables. Mathématiquement, si l'on note N(t) le nombre de noyaux restants à l'instant t, la relation est N(t) = N0 e−λt, où N0 représente le nombre initial de noyaux et λ la constante de décroissance. La demi-vie ou période radioactive T1/2 correspond au temps nécessaire pour que la moitié des noyaux se désintègrent, et se relie à la constante par T1/2 = ln⁡2/λ. Cette loi universelle explique la prévisibilité collective des phénomènes radioactifs malgré l'imprévisibilité individuelle, et elle constitue le fondement des applications de datation, de médecine nucléaire et de gestion des matériaux radioactifs.

Les réactions nucléaires

Définitions.
Une réaction nucléaire correspond à une transformation qui met en jeu le noyau atomique, contrairement aux réactions chimiques qui concernent les électrons de la couche externe des atomes. Ces réactions impliquent une modification de la structure interne du noyau, ce qui peut entraîner une libération ou une absorption d'énergie bien plus importante que celle des réactions chimiques. Dans toutes ces réactions, l'énergie mise en jeu provient, en effet, de la différence de masse entre les noyaux et les particules avant et après la réaction. Selon la relation d'Einstein E = mc², une petite variation de masse correspond à une énergie immense, ce qui explique le pouvoir énergétique considérable des réactions nucléaires. Elles surviennent lorsque des noyaux sont bombardés par des particules (protons, neutrons, particules α, etc.) ou lorsqu'un noyau instable se désintègre spontanément. Le processus se décrit généralement par une équation nucléaire où apparaissent les noyaux initiaux, les particules incidentes et les produits formés, tout en respectant deux lois fondamentales : la conservation du nombre de nucléons (protons + neutrons) et la conservation de la charge électrique.

La radioactivité fourni des exemples de réactions nucléaires. Un autre type de réaction nucléaire est la fission, dans laquelle un noyau lourd comme l'uranium-235 ou le plutonium-239, après avoir capturé un neutron, se scinde en deux noyaux plus légers, libérant d'autres neutrons ainsi qu'une grande quantité d'énergie. Cette réaction peut déclencher une chaîne d'autres réactions, car les neutrons émis peuvent à leur tour provoquer d'autres fissions. La fusion nucléaire est un troisième type de réaction nucléaire : deux noyaux légers, par exemple deux isotopes de l'hydrogène comme le deutérium et le tritium, s'assemblent pour former un noyau plus lourd, comme l'hélium, en libérant une énergie considérable. La fusion est le mécanisme qui alimente le Soleil et les étoiles, mais elle est difficile à maîtriser sur Terre à cause des températures et pressions extrêmes nécessaires. On rencontre aussi des réactions de spallation, où un noyau est bombardé par une particule de haute énergie et éjecte plusieurs nucléons, ainsi que des réactions de capture radiative, dans lesquelles un noyau absorbe un neutron ou un proton sans se briser, émettant un rayonnement γ. 

La fission nucléaire.
La fission nucléaire est un processus dans lequel un noyau atomique lourd se divise en deux fragments plus légers, généralement accompagnés de l'émission de neutrons et d'une quantité considérable d'énergie. Ce phénomène est particulièrement observé avec des isotopes lourds comme l'uranium-235, l'uranium-233 ou le plutonium-239, qui sont dits fissiles parce qu'ils peuvent subir la fission après avoir capturé un neutron.

Lorsqu'un neutron entre en collision avec un noyau fissile, il est absorbé et forme un noyau composé excité. Cet état est instable, car le noyau devient trop lourd et trop énergétique pour rester intact. Très rapidement, il se déforme et se scinde en deux noyaux plus petits, appelés fragments de fission. Ces fragments sont eux-mêmes radioactifs et se désintègrent en émettant des particules β et des rayonnements γ.

Le bilan de la réaction inclut aussi l'émission de deux ou trois neutrons libres, qui peuvent peuvent être capturés par d'autres noyaux fissiles présents dans le milieu, provoquant une nouvelle fission. Si le nombre moyen de neutrons produits et absorbés est suffisant pour entretenir le processus, on parle de réaction en chaîne. 

Le mécanisme de réaction en chaîne est un processus auto-catalytique qui se produit lorsqu'un noyau fissile, comme l'uranium-235 ou le plutonium-239, subit une fission sous l'effet d'un neutron incident. Ce neutron libère d'autres neutrons lors de la fission, ce qui peut entraîner d'autres fissions, créant ainsi une réaction en chaîne. Chaque fission libère généralement 2 à 3 neutrons. Ces neutrons peuvent ensuite frapper d'autres noyaux fissiles, provoquant ainsi d'autres fissions et générant encore plus de neutrons. Si le nombre de neutrons disponibles pour provoquer des fissions dépasse un certain seuil critique, une réaction en chaîne se maintient. La croissance ou la décroissance de cette réaction dépend de la probabilité qu'un neutron libéré par une fission atteigne un autre noyau fissile avant d'être absorbé par un autre isotope ou perdu hors du matériau fissile. Cela dépend des paramètres tels que la densité du combustible fissile, la présence de modérateurs, qui ralentissent les neutrons pour augmenter leur probabilité de collision avec un noyau fissile, et des barrières ou absorbeurs de neutrons, comme le béryllium ou le cadmium. Dans un réacteur nucléaire, la réaction en chaîne est contrôlée grâce à des dispositifs de contrôle comme les barres de contrôle en carbone ou en baryum, qui absorbent une partie des neutrons et empêchent la réaction de devenir incontrôlable. Dans une bombe atomique, en revanche, l'objectif est de maximiser la vitesse de la réaction en chaîne pour générer une explosion massive. Si le taux de multiplication des neutrons (le facteur k, représentant le rapport entre le nombre de neutrons produits par une fission et celui qui participe à la réaction en chaîne) est supérieur à 1, la réaction en chaîne est auto-soutenue et croissante. Si k est inférieur à 1, la réaction diminue et s'éteint. Si k vaut exactement 1, on dit que la réaction est critique.
L'énergie dégagée provient essentiellement de la différence de masse entre le noyau initial et les produits finaux. Les fragments de fission et les neutrons produits ont une masse légèrement inférieure à celle du noyau de départ plus le neutron incident. Cette différence est convertie en énergie cinétique, suivant la relation E = mc². L'ordre de grandeur est de l'ordre de 200 MeV par fission, ce qui est des millions de fois plus que l'énergie produite par une liaison chimique classique.

La probabilité qu'une fission se produise dépend fortement de l'énergie du neutron incident. Certains noyaux fissiles, comme l'uranium-235, peuvent être fissionnés aussi bien par des neutrons lents (ou thermiques) que par des neutrons rapides. D'autres, dits fertiles comme l'uranium-238, ne fissionnent qu'avec des neutrons rapides mais peuvent se transformer en isotopes fissiles par capture et désintégration radioactive.

La fusion nucléaire.
La fusion nucléaire est un processus dans lequel deux noyaux atomiques légers s'assemblent pour former un noyau plus lourd. Ce phénomène se produit parce que, pour les noyaux légers, l'énergie de liaison par nucléon augmente avec la masse, de sorte que le noyau final est plus stable que les noyaux de départ. La différence de masse entre les réactifs et le produit est convertie en énergie selon la relation d'Einstein E = mc², ce qui explique la libération d'une quantité considérable d'énergie.

Dans la fusion la plus étudiée, deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritium, se combinent pour former un noyau d'hélium-4 et un neutron très énergétique. Cette réaction libère environ 17,6 MeV, ce qui en fait l'une des plus efficaces pour produire de l'énergie. D'autres réactions de fusion existent, comme celles mettant en jeu le deutérium seul ou le cycle proton-proton qui alimente le Soleil, mais elles nécessitent des conditions encore plus extrêmes ou produisent moins d'énergie utilisable.

Le principal obstacle à la fusion est la répulsion électrostatique entre les protons des noyaux. Pour qu'ils puissent s'approcher suffisamment et que l'interaction forte prenne le dessus, il faut que les noyaux atteignent des vitesses très élevées, ce qui correspond à des températures de l'ordre de plusieurs dizaines ou centaines de millions de degrés. Dans ces conditions, la matière se trouve à l'état de plasma, un gaz ionisé où électrons et noyaux sont séparés.

Dans les étoiles, la fusion est rendue possible par les températures et pressions colossales au cœur du plasma stellaire. Sur Terre, plusieurs approches sont développées pour tenter de maîtriser ce processus. L'une repose sur le confinement magnétique, comme dans le tokamak ou le stellarator, des dispositifs où un champ magnétique très intense emprisonne le plasma chaud afin de lui donner le temps nécessaire pour que les réactions de fusion se produisent. Une autre approche est le confinement inertiel, qui utilise des lasers ou des faisceaux de particules pour comprimer et chauffer des pastilles de combustible en un temps extrêmement bref.

Les produits de la fusion présentent un avantage important par rapport à la fission : ils génèrent beaucoup moins de déchets radioactifs de longue durée. Toutefois, le neutron issu de la réaction deutérium-tritium est très énergétique et peut activer les matériaux du réacteur, ce qui impose des défis en termes de résistance des structures et de gestion des matériaux irradiés.

L'intérêt majeur de la fusion nucléaire est qu'elle pourrait fournir une source d'énergie quasi inépuisable, car le deutérium est abondant dans l'eau de mer et le tritium peut être produit à partir du lithium. Elle ne produit ni gaz à effet de serre ni risque d'accident de type explosion en chaîne comme dans la fission. Le défi reste technologique : atteindre, maintenir et contrôler les conditions extrêmes nécessaires pour que le bilan énergétique soit positif, c'est-à-dire que l'énergie produite par la fusion dépasse celle dépensée pour déclencher et maintenir la réaction.

La spallation.
Les réactions de spallation sont des processus nucléaires qui se produisent lorsqu'un noyau lourd est bombardé par une particule incidente de haute énergie, généralement un proton, un neutron ou un ion léger accéléré à des énergies de l'ordre de plusieurs centaines de MeV à quelques GeV. Le projectile, en pénétrant dans le noyau cible, transfère une grande quantité d'énergie aux nucléons internes et déclenche une série d'interactions complexes. Contrairement aux réactions de fission, qui scindent le noyau en fragments comparables en masse, la spallation conduit à l'éjection d'un grand nombre de nucléons et de fragments légers tout en laissant un noyau résiduel plus léger que la cible initiale.

Le mécanisme de la spallation se déroule en plusieurs étapes. Dans une première phase, dite d'intrusion ou cascade intra-nucléaire, le projectile interagit avec quelques nucléons du noyau, provoquant des collisions successives qui excitent fortement le système. Ces chocs engendrent l'émission rapide de particules légères telles que protons, neutrons et parfois pions. Le noyau restant, encore très excité, entre ensuite dans une phase de désintégration statistique au cours de laquelle il libère son excès d'énergie par évaporation de nucléons, de deutons, de tritons ou d'alpha, voire par fission si sa masse et son excitation le permettent. Le résidu final est un noyau plus léger, souvent radioactif, accompagné d'un flux abondant de neutrons.

Les produits de spallation présentent une distribution en masse et en charge très large. On peut obtenir des noyaux stables ou instables couvrant une grande partie de la table des isotopes. Cette richesse en isotopes est exploitée dans la production de radioéléments pour la médecine nucléaire, comme certains émetteurs β⁺ ou β⁻, ainsi que dans la recherche fondamentale en physique nucléaire et astrophysique. Dans le contexte des accélérateurs, les cibles de spallation constituent une source intense de neutrons utilisés pour l'étude des matériaux, car le flux obtenu peut dépasser largement celui des réacteurs nucléaires de recherche.

Sur le plan astrophysique, la spallation joue un rôle essentiel dans l'évolution chimique du milieu interstellaire. Les rayons cosmiques de haute énergie, en interagissant avec les noyaux d'atomes légers comme le carbone, l'oxygène ou l'azote, produisent des éléments plus légers tels que le lithium, le béryllium et le bore, qui ne sont pas abondamment formés par nucléosynthèse stellaire. La spallation contribue ainsi à expliquer la présence et les abondances relatives de ces éléments dans l'univers.

La description théorique de la spallation combine des modèles de mécanique quantique et de physique statistique. Les codes de simulation, tels que ceux utilisés en physique des hautes énergies et en ingénierie nucléaire, reposent sur la modélisation de la cascade intra-nucléaire suivie d'algorithmes d'évaporation et de fission. Ces outils permettent de prédire les distributions d'énergie et de rendement des particules émises, ce qui est crucial pour la conception de cibles de spallation, pour la radioprotection et pour le dimensionnement des installations de recherche ou de production d'isotopes.

La nucléosynthèse.
La nucléosynthèse est l'ensemble des processus qui concourrent à la formation des noyaux atomiques par l'assemblage de noyaux plus petits (fusion) ou ou par fractionnement de noyaux plus gros (spallation). Ce mécanisme explique comment les éléments légers se sont formés dans les premiers instants de l'univers, comment les éléments plus lourds sont produits dans les étoiles, et comment les éléments les plus lourds encore peuvent être formés lors de phénomènes explosifs. On distingue ainsi :

La nucléosynthèse primordiale s'est produite peu de temps après le début de l'expansion de l'univers, lorsque l'univers était encore très chaud et dense. Les noyaux légers tels que l'hydrogène (H) et l'hélium (He) se sont formés dans les trois  premières minutes.

• La nucléosynthèse stellaire se produit dans les étoiles lors de réactions nucléaires qui fusionnent des noyaux plus légers pour former des noyaux plus lourds. Par exemple, l'hydrogène est converti en hélium par fusion nucléaire dans le coeur des étoiles, libérant une énorme quantité d'énergie sous forme de lumière et de chaleur.

La nucléosynthèse explosive  se produit lors d'événements cataclysmiques tels que les supernovae, et à l'occasion desquelles les températures et les pressions élevées permettent la formation d'éléments plus lourds que le fer (cuivre, argent et or), par des réactions nucléaires rapides.

La nucléosynthèse cosmique ou spallation se produit lors de collisions entre particules cosmiques, telles que les rayons cosmiques, avec des noyaux atomiques dans l'atmosphère terrestre et dans l'espace interstellaire. Ces collisions fractionnent les noyaux impactés et  peuvent créer des isotopes radioactifs et d'autres éléments.

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