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La nucléosynthèse stellaire


Aperçu
A l'issue du big bang, seuls existaient les éléments les plus légers, ceux dont le poids atomique est le plus faible. Il s'agit principalement de l'hydrogène et de l'hélium, et secondairement du deutérium et du lithium. Les éléments plus lourds ont une origine plus récente. Ils ont été fabriquées et injectés progressivement dans le milieu interstellaire par les étoiles. Certains éléments sont fabriqués au coeurmême des étoiles, d'autres se forme au cours de processus qui se déroulent "hors" des étoiles mais qui continuent de les impliquer (explosions stellaires, rayons cosmiques...).

On désigne la formation de ces nouveaux éléments, c'est-à-dire synthèse de nouveaux noyaux atomiques, sous le nom de nucléosynthèse. Ce jeu de construction qu'est la nucléosynthèse stellaire s'avère également à l'origine de la production d'énergie rayonnée par les étoiles. La raison générale en tient à ce que pour rapprocher deux noyaux, qui normalement se repoussent du fait de leurs charges électriques de même signe (répulsion coulombienne), il est nécessaire que certains de leurs protons expulsent leur charge pour devenir des neutrons. Or, la masse d'un proton et d'un neutron n'est pas exactement la même. Il existe une petite différence de masse "inutile". Cette elle qui est convertie en énergie (essentiellement en photons-gamma, c'est-à-dire en rayonnement de très haute énergie).

Le jeu des quatre forces - La charge électrique des particules implique un premier type d'interaction. La transmutation d'un proton en neutron (ou à un niveau plus fondamental, celle du changement de saveur d'un quark à l'intérieur du proton) met en jeu une seconde interaction, l'interaction faible. Enfin, l'assemblage, le "collage", de deux noyaux en un noyau plus gros est garanti par une troisième interaction, l'interaction forte. Si l'on note que tout cela n'aurait pas été possible sans la gravitation qui sert à confiner et à procurer l'échauffement initial à tout ce petit monde en fusion, on voit que les quatre interactions fondamentales envisagées en physique sont requises pour assurer la richesse chimique de l'univers et faire briller durablement les étoiles...
L'énergie des étoiles

Rouages
De toutes les explications avancées dans le passé pour expliquer l'origine de la lumière des étoiles deux seulement ont tenu. L'échauffement du gaz stellaire du fait de la contraction de l'astre sous l'effet de son propre poids, et les réactions thermonucléaires responsables de la nucléosynthèse. Et encore, la première n'est elle valable que pour une courte phase de la vie stellaire. Au moment de sa formation, une étoile passe par un stade nommé T Tauri; l'astre brille alors (intensément) seulement du fait de la conversion de l'énergie gravitationnelle en énergie lumineuse; cela dure quelques centaines de milliers d'années, au mieux.

Quand la température et la pression atteignent une niveau suffisant au centre de la T Tauri, les réactions de fusion des noyaux peuvent démarrer, et elles prennent le relais. Et maintenant c'est pour longtemps. La raison en est double : d'une part, parce les étoiles contiennent des masses considérables de combustible à transformer, mais surtout parce que les réactions de fusion des noyaux sont en quelque sorte modérées par l'implication dans le processus de l'interaction faible.

Cette dernière, comme son nom le suggère, est très peu active (la probabilité pour qu'un proton donné bascule en neutron est faible, et c'est seulement le très grand nombre de protons dans une étoile qui fait que cela se passe malgré tout!). L'interaction faible représente dès lors un goulet d'étranglement qui empêche les étoiles de dilapider leur énergie en un rien de temps. Pour les moins massives des étoiles (naines rouges), qui sont aussi les plus économes, la fusion des noyaux d'hydrogène peut s'étaler sur des milliers de milliards d'années.
 

La conversion masse-énergie
La source de l'énergie émise par les étoiles n'a pu être comprise que du moment où Albert Einstein (vers 1907) a montré qu'il existe une équivalence entre la masse et l'énergie. Ce que résume la fameuse équation d'Einstein, E=mc², où E figure l'énergie, et m la masse au repos. Le terme multiplicatif c² (carré de la vitesse de la lumière) pouvant être ici considéré comme un simple facteur de conversion.

Il est ainsi apparu que les étoiles fabriquent de l'énergie, émise ensuite sous principalement forme de rayonnement électromagnétique, à partir d'une fraction de leur masse. Le mécanisme lui-même est très économique, puisque le facteur c² correspond à un nombre très grand, et que donc peu de masse convertie correspond à beaucoup d'énergie. Dans le détail, cette conversion s'opère au niveau des noyaux atomiques.

Pour s'en tenir au seul processus par lequel quatre noyaux d'hydrogène (protons) fusionnent pour donner un noyau d'hélium, on peut faire le constat suivant : un proton a une masse atomique de 1,008, et un noyau d'hélium une masse de 4,004 (toujours en unités atomiques de masse); or, si l'on pose 1,008 X 4, il vient 4,032. Le noyau d'hélium a donc une masse inférieure à celle des ingrédients qui servent à le construire. On peut dès lors, en conclure que le défaut de masse constaté (4,032 - 4,004 = 0,028) correspond bien à la fraction de masse convertie en énergie, et dont l'équation d'Einstein permet de calculer la valeur.

Dans la première phase de leur vie nucléaire - séquence principale - les étoiles vivent entièrement sur leurs réserve d'hydrogène. Autrement dit, toute cette période correspond exclusivement la fusion des noyaux d'hydrogène en noyaux d'hélium. Une transformation qui s'effectue selon deux filières : la chaîne proton-proton et le cycle CNO. La première domine dans les petites étoiles, et contribue par exemple aux neuf dixièmes de la production d'énergie de notre Soleil. Mais elle perd très rapidement de l'importance au profit du cycle CNO à mesure que la masse de l'étoile concernée est importante. Le cycle CNO devient ainsi prédominant dans les étoiles dont le centre dépasse les 20 millions de K, soit celles dont la masse est supérieure à celle du Soleil de seulement 20 à 30%.

Le cycle proton-proton (chaîne pp)
Le cycle démarre à partir d'un double processus de fusion entre protons ou atomes d'hydrogène-1 (H). Former un noyau dans ces conditions n'est possible que si l'un des noyau se transforme en neutron, par l'expulsion de sa charge positive (ce qui se produite grâce à l'émission d'un anti-électron ou positon) et d'un neutrino. Le noyau ainsi formé est du deutérium (isotope lourd de l'hydrogène ou hydrogène-2). En absorbant un proton, ce noyau forme un noyau d'hélium-3 (He). Ce processus donnant lieu à un dégagement d'énergie sous la forme d'un photon gamma. Les moins massives des étoiles ne vont généralement pas plus loin. Mais dans les étoiles de masse intermédiaire, on assiste encore à la fusion des noyaux d'hélium-3 apparus au terme de séquences parallèles. La fusion forme un noyau d'hélium-4, et libère deux protons disponibles pour de nouvelles rencontres.


La chaîne proton-proton.
Le cycle Carbone-Azote-Oxygène (CNO)
Plus complexe que le précédent, le cycle CNO, ou cycle de Bethe-Weizsäcker du nom de ses découvreurs en 1938-1939, implique la présence préalable de noyaux de carbone et suscite temporairement celle d'azote et d'oxygène. Ceux-ci jouent un rôle de catalyseurs ou d'intermédiaires, mais n'interviennent pas dans le bilan du cycle, qui comme pour la chaîne proton-proton concerne la seule transformation d'hydrogène en hélium.

Le cycle CNO

Le cycle démarre par la capture d'un proton (H) par un noyau de carbone-12 (C) pour former un noyau d'azote-13 (N). Instable, l'isotope formé se désintègre en émettant un neutrino et un positon pour donner naissance à un noyau de carbone-13. 

Celui-ci capture maintenant un nouveau proton. Le phénomène s'accompagne de l'émission d'un photon gamma et donne naissance à un noyau d'azote-14. 

Une nouvelle capture de proton reproduit la situation presque à l'identique : émission d'un photon gamma et formation d'une nouveau noyau, en l'occurrence de l'oxygène-15. Isotope instable, celui-ci se désintègre par émission d'un neutrino et d'un positon pour donner naissance à un noyau d'azote-15. 

Après capture d'un dernier proton, le noyau d'azote se scinde pour restituer d'une part le noyau de carbone-12 initial, et d'autre part pour former un noyau d'hélium-4.

Au-delà de la séquence principale
Lorsque tout l'hydrogène disponible dans le coeur d'une a fusionné en hélium, les réactions de thermonucléaires s'arrêtent purement et simplement. L'étoile n'est plus alors sur la séquence principale, mais si elle est suffisamment massive (soit plus d'un tiers de la masse du soleil), elle peut encore connaître une nouvelle phase de production d'énergie à partir de la la fusion des noyaux d'hélium disponibles. Ce processus est typique du stade de géante rouge et prend le nom de réaction triple-alpha (alpha étant le nom que les spécialistes de la radioactivité donnent aux noyaux d'hélium). 
Ce processus est essentiel pour la production de carbone dans l'univers commence par la collision de deux noyaux d'hélium-4 pour produire un noyau de béryllium-8, qui est très instable et se désintègre rapidement en deux noyaux d'hélium-4. Cependant, si un troisième noyau d'hélium-4 entre en collision avec le noyau de béryllium-8 avant qu'il ne se désintègre, les trois noyaux d'hélium-4 peuvent se combiner pour former un noyau de carbone-12.
Le procédé triple alpha nécessite des températures et des densités très élevées pour   surviennent, typiquement de l'ordre de 100 millions de kelvins et 105 g/cm3

Des noyaux plus lourds, habituellement appelés métaux par les astronomes, pourront encore être synthétisés. Si l'étoile renferme une masse suffisante, il sera possible que ses nouveaux noyaux fusionnent eux aussi pour fabriquer des éléments encore plus lourds.

La logique qui préside à tous ces processus, souvent très compliqués, est celle du bilan d'énergie. Si les réactions de fusion produisent plus d'énergie qu'elles n'en consomment pour rapprocher les noyaux, l'affaire est rentable, sinon florissante comme c'était le cas au temps de celles de l'hydrogène et de l'hélium, sinon c'est la banqueroute. Quelque chose qui se produit à partir de la synthèse des noyaux de fer. Les étoiles qui parviennent à ce stade (en gros, celles dont la masse initiale dépassait les 8 masses solaires) n'ont plus aucune issue. Leur coeur s'effondre sur lui-même, leur enveloppe explose - c'est le phénomène de supernova.

Le pic du fer
Chaque étape, c'est-à-dire chaque synthèse d'un élément plus lourd que le précédent est moins efficace que celle qui l'a précédée. Elle est donc plus courte, et elle produit aussi moins de noyaux nouveaux. Cela permet de comprendre en partie pourquoi certains éléments sont plus abondants que d'autres dans l'univers. Mais si l'on s'en tenait là, on ne comprendrait pas pourquoi l'on peut aussi rencontrer des éléments plus lourds que le fer (plomb, or, uranium, etc...). La solution tient à ce que la nucléosynthèse ne se déroule pas exclusivement au sein des étoiles, en tout cas pas seulement au cours de leur longue et paisible existence. Les éléments les plus lourds bénéficient ainsi de l'énergie phénoménale de l'explosion en supernova pour se former.

On peut également ajouter que certains éléments légers, trop fragiles pour subsister dans les conditions qui règnent à l'intérieur des étoiles (bore, béryllium, par exemple) se forment non par fusion, mais par la scission de noyaux plus gros présents dans le milieu interstellaire causée par la collision avec des rayons cosmiques (particules animées de grandes vitesses et de très haute énergie). Ce processus est appelé spallation.

Les neutrinos et leurs problèmes

Les réactions thermonucléaires qui se déroulent au coeur des étoiles produisent des photons qui sont porteurs de l'essentiel de l'énergie issue des fusions nucléaires, quelques antiparticules vite annihilées au contact des électrons environnants, et également de grandes quantités de neutrinos, qui peuvent avoir leur part dans l'évacuation de l'énergie de l'astre. Ces neutrinos posent également depuis plusieurs décennies une énigme dont la résolution aujourd'hui n'est peut-être que partielle.

Des neutrinos (ou, en l'occurrence, pour respecter la convention des physiciens, les antineutrinos stellaires) sont créés chaque fois qu'un proton se transforme en neutron. Comme les neutrinos s'extraient de l'astre sans pratiquement connaître d'interactions avec la matière qu'ils traversent (contrairement aux photons dont le message est complètement brouillé lorsqu'ils arrive jusqu'à nous), leur étude permet théoriquement d'avoir une "vue" plongeante sur les régions centrales de l'astre. En pratique, aucun instrument actuel ne permet de détecter les neutrinos venant des autres étoiles. Seuls les neutrinos d'origine solaire ont été détectés et étudiés depuis les années 1950. Or ceux-ci présentent un déficit considérable, en comparaison de ce que les modèles solaires laissent prévoir. Depuis plusieurs décennies, il apparaît que le Soleil émet trois fois moins de neutrinos que ceux que l'on attend.

Beaucoup d'explications ont été avancées. Certaines invoquent un Soleil plus froid (ou plutôt moins chaud!) que ce que calculent les modèles habituels. Peut-être, a-t-on même parfois ajouté, parce que notre étoile connaîtrait une baisse de régime temporaire, à mettre en rapport avec ses cycles de longue période, et éventuellement des variations périodiques de diamètre. la physique des particules permet une autre explication : les neutrinos, qui n'ont pas de masse dans le modèle standard, pourraient en posséder une en réalité. Dans ce cas, la théorie prévoit que les neutrinos, qui dans le cas de ceux produits dans les étoiles sont des neutrinos électroniques, puissent "osciller", c'est-à-dire se transmuter cycliquement au cours de leur traversée de l'enveloppe solaire, en neutrinos d'autres d'une autre espèce (neutrinos muoniques et tauiques). S'il en est ainsi, on peut comprendre aisément qu'on ne capte au final qu'un tiers des neutrinos électroniques attendus.


Les détecteurs de l'expérience Super-Kamiokande
(Source : Super-Kamiokande Official Homepage).

En 1998, des oscillations (entre neutrinos muoniques et tauiques) ont été mises en évidence lors de l'expérience Super-Kamiokande, conduite au Japon. Plus récemment les résultats obtenus à Sudbury, au Canada, ont paru aller dans le même sens. Cela permet de conclure à la très probable (mais très petite) masse des neutrinos muoniques et tauiques, et de rendre très plausible l'existence d'une masse pour les neutrinos électroniques, même si d'autres options existent.

Outre la porte qu'elle ouvre à la résolution de l'énigme du déficit des neutrinos solaires, la mise en évidence d'une masse pour les neutrinos a plusieurs autres conséquences en astronomie. Il est devenu désormais possible de déterminer une fourchette pour la contribution possible des neutrinos produits lors du big bang à la densité globale de l'univers. Au total, ils pèseraient à peu près du même poids que les étoiles. Par ailleurs, si le rôle des neutrinos dans l'évacuation de l'énergie fabriquée dans une étoile comme le soleil n'est pas quantitativement très important, il n'en est pas de même dans le cas des vieilles étoiles, qui achèvent leur phase de géante rouge et se préparent à former une nébuleuse planétaire. A ce stade, les étoiles le refroidissement stellaire causé par l'évacuation des neutrinos n'est plus négligeable. Savoir si les neutrinos ont une masse devient alors un élément important pour comprendre comment tout cela se passe effectivement.

En librairie - Jean Audouze, Sylvie Vauclair - L'astrophysique nucléaire. PUF, coll. QSJ, rééd. 2003. Un bon panorama des processus de fabrication des éléments dans les étoiles et des thèmes connexes (chapitres sur la cosmochronologie et l'évolution chimique des galaxies, notamment). - Eric Slezak et Fréderic Thevenin, Nucléosynthèse et abondance dans l'univers, la formation des éléments, du big bang aux étoiles, Cépaduès, 1988.

A propos des neutrinos solaires : François Vannucci, Le miroir aux neutrinos, Odile Jacob, 2003. - Michel Cribier, Michel Spiro et Daniel Vignaud, La lumière des neutrinos, Ed. du Seuil, 1995. Tout y est (fort bien) dit.

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