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Aux siècles de foi religieuse, les livres de dévotion primaient tous les autres, comme s'adressant à tous ceux qui savaient lire. Parmi ces manuels de piété, les livres d'heures, appelés aussi « heures » tout court, d'un usage quotidien obligatoire, occupaient tout naturellement la première place. L'instruction ayant été pendant des siècles l'apanage pour ainsi dire exclusif du clergé, les livres de prières ne furent à la portée des laïques que tardivement, c.-à-d. au XIIIe siècle seulement. Ils se présentent d'abord sous la forme de psautier , suivi ou non de Cantiques, auxquels on ajouta ensuite les Litanies, des Oraisons et la Passion de Jésus-Christ. La composition de ce qu'on appelle le livre d'heures ne fut fixée qu'au XIVe siècle, sans exclure toutefois l'usage des psautiers. Son nom lui vient de la distribution des prières d'après les heures canoniales (ci-dessous). Il comprenait un Calendrier, les quatre Évangiles, les Heures de la Vierge, les Heures de la Croix, les Heures du Saint-Esprit, les sept Psaumes de la pénitence et les Litanies, les Vigiles des morts, les Suffrages ou le Propre des Saints, diverses Oraisons, quelquefois encore les Heures de la Conception, celles du Saint-Sacrement, etc. Les Oraisons n'étaient subordonnées à aucun programme déterminé et variaient à l'infini, de même que toute une série d'additions secondaires, en vers et en prose. Les heures canoniales. - Les catholiques nomment heures canoniales des prières vocales qui doivent être chantées ou récitées tous les jours, au temps marqué, par les personnes qui sont destinées à cet office. On les appelle heures parce qu'elles se font à certaines heures du jour ou de la nuit, suivant l'usage des lieux; canoniales, parce qu'elles ont été instituées par les règlements de l'Eglise. Les Constitutions apostoliques n'en indiquent que six; la règle de saint Fructueux en marque dix; la règle de saint Colomban, neuf. On s'est arrêté au nombre sept, pour se conformer à ces paroles du psalmiste : Septies in, die laudem dici tibi; et on a trouvé que ce nombre représente les sept dons du Saint-Esprit, les sept principaux bienfaits de Dieu : création, conservation, rédemption, prédestination, vocation, justification, glorification, et les sept mystères de la passion de Jésus-Christ. Les sept heures canoniales sont : 1° matines et laudes, qu'on a réunies dans l'énumération officielle, parce que toute heure proprement dite doit être terminée par une collecte, et que les matines n'ont point cette oraison finale. L'heure de matines et laudes appartient à la nuit; c'est pourquoi on lui a donné le nom d'office nocturne. Autrefois, les nocturnes se disaient au milieu de la nuit et se partageaient même, comme trois heures différentes, dans les grandes solennités; 2° prime ; 3° tierce; 4° sexte ; 5° none ; 6° vêpres ; 7° complies.Pour ce qui concerne la France, ces livres étaient le plus souvent en latin, avec des parties en français. Dans les Heures des pays des Flandres, les Heures de la Vierge sont généralement placées après celles du Saint-Esprit, et on y trouve souvent le Psautier de saint Jérôme. Dans les Heures italiennes, les Psaumes de la pénitence figurent en tête, suivis des Cantiques, de l'Office de la Vierge, de l'Office des morts, de l'Office de la Passion (qui correspond aux Heures de la Croix), des Préfaces, du Canon de la messe et de plusieurs messes. L'illustration des livres d'heures. Les thèmes iconographiques de l'illustration. L'illustration des Offices spéciaux qui suivent comprend avant tout des scènes de la Vie et de la Passion de Jésus-Christ, avec quelques sujets de la Vie de la Vierge, auxquels s'ajoutent, dans les volumes riches, des scènes de l'Ancien Testament. Dans les manuscrits, le minimum habituel d'images pour les Heures de la Vierge, celles de la Croix et celles du Saint-Esprit, est de dix à douze, et les sujets consacrés sont : l'Annonciation à la Vierge, la Visitation de sainte Elisabeth, la Nativité de Jésus, l'Annonciation aux bergers, l'Adoration des rois mages, la Présentation au temple, la Fuite en Egypte ou le Massacre des Innocents, Jésus en croix, la Descente du Saint-Esprit, le Couronnement de la Vierge, et souvent la Vierge dans sa gloire ou avec l'Enfant Jésus. Dans les livres d'heures imprimés, cette illustration est beaucoup plus abondante : le nombre de gravures est généralement de sept à huit pour chacune des séries d'heures ci-dessus, divisées à leur tour d'après les heures canoniales, ce qui représente un ensemble de vingt et un à vingt-deux sujets. En voici la répartition : Heures de la Vierge.Au surplus, l'Evangile de saint Marc sur la Passion est accompagné de l'image de l'Arrestation de Jésus, et suivi de l'Arbre de Jessé ou généalogie de Jésus. Pierre, saint Paul, saint Jean l'Evangéliste, saint Jacques le Mineur, etc.), les plus anciens martyrs (saint Etienne, saint Laurent, saint Sébastien, etc.), et d'autres saints (saint Nicolas, saint Claude, saint Antoine l'Ermite, etc.) ; parmi les saintes : sainte Anne, sainte Marie-Madeleine, sainte Catherine, sainte Barbe, sainte Marguerite, et, dans les heures parisiennes, aussi sainte Geneviève. - Planche du livre d'heures d'Hastings. L'ornementation. Au XVe siècle, cet élément burlesque et satirique fait en partie place à l'élément tragique, et la fragilité des choses humaines est souvent rappelée dans les marges des volumes par une série d'images de la Danse des morts, où figurent des gens de tout âge et de toute condition sociale, images qui, sous le pinceau des miniaturistes français, reflètent toujours une gaieté narquoise, la Mort elle-même ayant un air plutôt goguenard que lugubre. Ces séries de Danses des morts sont très intéressantes et très prisées.
Les écoles, les artistes et les imprimeurs. En France, le principal promoteur des beaux livres fut Jean, duc de Berry; des maîtres flamands tels qu'André Beauneveu (de Valenciennes) Jacquemart de Hesdin, Pol de Limbourg, exécutèrent pour ce prince bibliophile des chefs-d'oeuvre, notamment trois volumes de « grandes heures »; celles conservées à la Bibliothèque nationale, celles de la bibliothèque du duc d'Aumale à Chantilly et celles de la bibliothèque de Bruxelles, auxquelles il faut ajouter les Heures dites de Savoie de la bibliothèque de Turin et celles appartenant au baron Edmond de Rothschild. L'art français du XVe siècle, devenu indépendant, malgré des emprunts faits aux Flandres, puis à l'Italie, a produit encore de plus grands chefs-d'oeuvre de la miniature dans la catégorie de livres dont nous nous occupons. Il suffira de citer les Heures dites du roi René, celles de Louis de Laval, celles d'Anne de Bretagne (reproduites en chromolithographie par Curmer), toutes les trois à la Bibliothèque nationale, et par-dessus tout les Heures d'Estienne Chevalier, peintes par Jehan Foucquet, dépecées depuis longtemps et dont un important fragment a été acquis à la fin du XIXe siècle par le duc d'Aumale (reproduites par Curmer).
L'école flamande a brillé d'un très vif éclat par ses nombreux maîtres qui formèrent Ia célèbre école de Bruges, illustrée par Alexandre Bening, Gérard de Bruges, Gérard David de Gand, Liévin d'Anvers, etc., et à laquelle on doit toute une série de livres magnifiques les Heures dites aux fleurs et les Heures de la dame de Lalaing, à la bibliothèque de l'Arsenal, les petites Heures de la bibliothèque A. Firmin-Didot, les Heures du pape Alexandre VI Borgia (de la collection L. Gruel), les Heures d'Hennessy (bibliothèque de Bruxelles), les Heures d'Isabelle de Castille (British Museum), les Heures de l'empereur Maximilien (bibliothèque de Vienne), etc. L'art italien a produit aussi des livres d'Heures superbes, comme en témoignent entre autres celles de Ferdinand d'Aragon, roi de Naples, conservées à la Bibliothèque nationale (Paris). Les livres d'heure à l'âge de l'imprimerie. L'industrie des livres d'heures est essentiellement française et surtout parisienne, et elle parvint en peu d'années à une réputation européenne, défiant toute concurrence. C'est Paris qui approvisionnait tout l'Occident en livres liturgiques, qu'on y imprimait en anglais, en flamand, en italien et en espagnol; l'Italie et l'Espagne, qui avaient devancé la France dans la production des livres d'heures ornés de gravures, devinrent ainsi ses tributaires. L'initiateur de cette industrie à Paris fut l'imprimeur Jean Dupré, qui publiait dès 1481 des livres avec figures sur bois, et auquel on doit le premier livre en français illustré de vignettes qui soit sorti d'un atelier parisien. Ce fut lui aussi qui, le 4 février 1488 (date du calendrier julien), mit au jour un livre d'heures avec vignettes gravées en relief sur cuivre, procédé qui assurait aux gravures une durée plus longue et une finesse de taille plus grande, et qui fut ensuite adopté par la majorité des éditeurs. Cependant le plus ancien livre d'heures parisien que l'on connaisse, première ébauche bien imparfaite, fut donné par le célèbre éditeur Antoine Vérard, ancien calligraphe et miniaturiste expérimenté. Il fut achevé le 7 juillet 1487, et les vingt-huit planches qui le décorent sont des gravures sur bois imprimées au frotton et coloriées ensuite au patron. Il est encore dépourvu de bordures. Jean Dupré fut l'imprimeur des premiers livres soignés en ce genre sortis de la boutique de Vérard, depuis 1488. En raison de sa profession antérieure, Vérard publia la majeure partie de ses livres à l'imitation des manuscrits. C'est pourquoi les gravures sur bois dont il les ornait n'étaient presque qu'au trait, étant destinées à être converties en miniatures. Le style et l'exécution en sont d'abord assez médiocres, tout en présentant une certaine originalité; elles s'améliorent avec le temps. Celui-ci montra plus de sentiment de l'art que Vérard, son rival. Il s'attacha à apporter plus de fini dans le dessin et dans la gravure des planches de ses livres, de manière à en rendre le coloriage inutile, et il sut mettre infiniment plus de goût, de variété et d'agrément dans les entourages; ce sont eux surtout qui firent la fortune de ses Heures, dont il donna environ trois cents éditions, de 1488 à 1520, et qui furent imitées par ses nombreux concurrents, ou servilement copiées, même par Vérard.
Ces encadrements, par leur originalité, leur charme et leur richesse, tranchent sur les productions analogues de ce temps. De petites vignettes à Sujets y sont heureusement combinées avec de gracieux motifs d'ornementation. Elles forment des suites d'histoires de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament, des interprétations graphiques, des légendes ou des allégories pieuses. Simon Vostre en augmenta successivement le nombre, de même qu'il renouvelait de temps à autre les compositions de certaines planches de ses livres. Parmi ces suites, on remarque surtout la Danse des Morts, hommes et femmes, en soixante-six sujets, à laquelle se rattache une suite analogue : les Accidents de l'homme. A cette figuration pieuse se joignent des épisodes de la vie réelle : des jeux d'enfants, des amusements de jouvenceaux, des bergeries, des chasses à courre, des scènes d'intérieur, tout cela traité avec vérité, esprit et finesse. La partie purement décorative consiste en feuillages et fleurons de convention, au milieu desquels se jouent des êtres fantastiques : des chimères, des marmousets, des griffons, des coquecigrues, etc., ou bien en arabesques qui tantôt rappellent des motifs d'orfèvrerie, tantôt montrent déjà les premières atteintes de l'influence italienne. Les fonds noirs semés de points blancs, dits fonds criblés, y sont souvent employés; ils relèvent vigoureusement les compositions principales et produisent un effet séduisant. Ces bordures, formées de pièces de rapport, se prêtaient à des combinaisons multiples, d'où une variété infinie d'aspects. Le caractère général de l'art dans les livres d'heures de Simon Vostre est expressif et sobre, gracieux sans affectation, original sans recherche. A côté d'un artiste de cette envergure, c'est à peine s'il convient ici de citer ses concurrents, ou plutôt ses imitateurs. Le meilleur était Thielman Kerver (1497-1522), d'origine allemande; derrière lui se placent : Jean Petit (1493-1541), Pierre Regnault (1489-1520), Gilles et Germain Hardouyn (1497-1540), Guillaume Eustace (1497-1520), François Regnault (1500-1522), pour ne parler que des principaux parmi les nombreux libraires parisiens qui exploitaient cette spécialité lucrative. L'influence de I'art allemand, de Martin Schongauer, puis d'Albrecht Dürer, qui est déjà sensible dans les grandes compositions de la dernière manière de Vostre, ne fit que s'accentuer chez les autres, pour céder ensuite la place à l'ascendant de la Renaissance italienne, qui monta à l'assaut de l'art français dès les premières années du règne de François ler.
Le plus brillant producteur de livres d'heures à cette date est Geoffroy Tory, à la fois dessinateur, graveur, libraire et imprimeur. Il avait fait son éducation d'artiste en Italie. Le caractère de l'illustration de ses heures diffère du tout au tout; elle est entièrement gravée au trait et les encadrements n'ont plus rien du Moyen âge français. Ce sont, ou bien des arabesques renaissance, comme dans les Heures dites à l'antique (1525 et 1531), ou bien des bordures de fleurs, de fruits et d'oiseaux, dans le goût flamand, comme dans les Heures dites à la moderne (1527). A la suite de ce grand artiste, il faut placer Simon de Colines, éditeur des premières Heures de Tory, et qui publia, en 1543, de « grandes heures», avec de superbes cadres d'arabesques, tantôt en clair, tantôt en noir sur fond blanc, livre qui constitue l'un des plus beaux spécimens de l'art français de la Renaissance. L'influence italienne implantée en France à titre d'art officiel y étouffa l'originalité native, et les exagérations de l'école dite de Fontainebleau portèrent un coup funeste à la gloire ancienne des livres d'heures français. Il y a cependant dans ce style quelques volumes intéressants : les Heures de Jacques du Puys (1549), celles de Roville, de Lyon (1549), celle des héritiers de Junte, à Lyon (1558), et surtout celles de Léon Cavellat, de Paris (1579). Durant toute la période que nous venons de parcourir, on ne peut citer hors de France que quelques livres de cette catégorie méritant de retenir l'attention. Venise, qui fut le berceau des livres de prières illustrés, tient toujours la première place avec les Heures données par J. Hamman, dit Hertzog (1493) ; avec l'Office de la Vierge, de Bernardo Stagnino (1502-1511), richement décoré par Zoan Andrea; avec les Heures de l'imprimerie aldine (1529), avec l'Office de la Vierge de Fr. Marcolini (1545) et avec Mais l'ère du déclin arrive déjà pour la gravure sur bois, et le règne de la gravure au burin commence. Le même Plantin marque la transition par une association hybride des deux genres, dans un Office de la Vierge (1573), où les encadrements des pages sont gravés sur bois, tandis que les grandes planches sont sur cuivre. Peu de temps après, on ne produit plus en France, et en petit nombre encore, que des Heures ornées de gravures en taille-douce : Office de la Vierge, de J. Mettayer (1584); celui de J. Houzé (1588), avec gravures par Thomas de Leu; celui de Foucault (1611), avec figures de L. Gaultier, Wierix, etc. ; les Heures de la Vierge, de 1657.
Au XVIIe et au XVIIIe siècle, avec la diminution des sentiments religieux, les volumineux livres d'Heures se réduisent à de minces Offices ou Prières de la messe, et l'on ne se donne plus la peine, en général, d'illustrer ce genre de livres. C'est ainsi qu'après les Heures nouvelles, d'environ 1660, entièrement gravées au burin, texte et figures, on ne rencontre rien à signaler jusqu'aux Heures de la Dauphine, publiées à Paris par Théodore de Hansy, en 1745 ou 1746, aussi entièrement gravées et ornées d'images d'après Eustache Le Sueur, Philippe de Champaigne, Coypel, Mignard, etc. Et, postérieurement à cette date, le rôle de l'iconographe cesse entièrement. L'imprimerie, tout en ayant donné satisfaction aux masses au point de vue des manuels de piété, n'avait pas pour cela supprimé les livres de prières manuscrits. Seulement ceux-ci devinrent rares et n'étaient plus exécutés qu'à titre exceptionnel. Parmi ceux de l'école franco-italienne du XVIe siècle, il faut citer les Heures du roi Henri II (à la Bibliothèque nationale), celles de Catherine de Médicis (au musée du Louvre), celles qui appartinrent ensuite à Anne d'Autriche (coll. Ambroise Firmin-Didot, puis Spitzer et Morgand), et celles du grand écuyer de France, Claude Gouffier de Boisy (coll. Didot). Au XVIIe siècle, c'est la calligraphie qui joue le premier rôle à cet égard. Jean le Manient produisit quelques livres de prières au début du règne de Louis XIII. Puis vint le merveilleux calligraphe Nicolas Jarry qui, de 1633 à 1644, exécuta des missels, des offices, etc., en grand format et en tout petit, pour le roi, la reine, les princes du sang et les grands personnages de la cour. Ces volumes étaient quelquefois accompagnés de charmantes miniatures par Petitot, L. Du Guernier, etc., et on les paye aujourd'hui des prix formidables. Les Heures de Louis XIV (à la Bibliothèque nationale), qui sont d'une autre main, n'offrent qu'un exemple de l'art officiel à cette époque. Au XIXe siècle, ce n'est que sous le règne de Louis-Philippe qu'il se produisit quelques nouvelles manifestations à cet égard. H. Delacroix a peint, en 1844, un charmant livre d'Heures, bien moderne, pour l'éditeur Curmer, qui se proposait de le reproduire en chromolithographie, comme livre de mariage de la famille d'Orléans. D'autres éditeurs en publièrent avec des illustrations en couleurs ou gravées, mais ils ne firent que copier ou imiter les Heures manuscrites ou imprimées des siècles passés. (G. Pawlowski).
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