La fermeté de la reine Anne d'Autriche lors de la Journée des Barricades « Sur les sept ou huit heures du soir, on vint dire à la reine que le peuple paraissait vouloir se taire; ce qui l'obligea de songer à se mettre au lit. Elle avait besoin de se reposer des fatigues et des cruelles inquiétudes qu'elle avait senties, malgré sa tranquillité ordinaire. Elle était à peine assise à sa toilette pour se déshabiller que le bruit de la rue Saint-Antoine, qui était répandu par Paris, recommença tout de nouveau dans la rue Saint-Honoré, avec beaucoup plus de frayeur pour la cour que celle du jour; car la nuit les choses paraissent plus fâcheuses et donnent beaucoup plus d'inquiétudes. Il y avait eu des gens assez méchants pour jeter des billets par les rues et dans les places publiques, qui conseillaient aux bourgeois de prendre les armes, et qui les avertissaient charitablement qu'il y avait des troupes aux environs de Paris, avec avis certain que la reine voulait enlever le roi, ensuite les faire saccager pour les punir de leurs révoltes. L'alarme fut plus grande parmi le peuple, et le Palais-Royal en eut sa part. On vint dire à la reine tout librement qu'elle n'était plus en sûreté dans cette maison, sans fossés, ni sans gardes. On lui apprit qu'il y avait des troupes de bourgeois mêlés de canaille qui disaient tout haut qu'ils voulaient le roi; que leur résolution était de l'avoir entre leurs mains pour le garder eux-mêmes à l'hôtel de ville; qu'ils voulaient les clefs des portes de la ville, de peur qu'on ne l'enlevât; que, lui hors du Palais-Royal, ils ne se souciaient guère du reste, et que volontiers ils y mettraient le feu. Sur ces horribles menaces, nous commençâmes tous à craindre pour elle et pour nous, soit pour sa personne, soit pour les nôtres, soit enfin pour nos maisons, qui, étant voisines de la cour, couraient grand risque d'être pillées. Chacun lui apprit alors le péril où elle était et les insolences que le peuple disait contre elle; car on flatte les rois jusqu'à l'extrémité; mais aussi, quand le masque est levé, on ne les épargne pas. Jarzé, nouveau capitaine des gardes, sur ce qu'elle montra quelques regrets d'avoir renvoyé les gardes, lui dit avec ostentation : « Madame, nous sommes ici une poignée de gens qui mourrons à votre porte. » Mais, comme ces offres avaient plus de beauté que de force, elle les reçut plutôt comme des marques du mauvais état où elle était que comme un remède capable de la consoler des maux qu'elle avait sujet de craindre. Il fallut qu'elle en cherchât la guérison dans sa propre fermeté; car M. le Cardinal était si rempli de trouble et d'effroi qu'elle n'en recevait nul secours. Dans cet instant elle connut bien clairement tout ce qui pouvait lui arriver. Elle le sentit, et la rougeur qui lui monta au visage, sur le compliment de Jarzé nous le fit assez connaître. Mais je dois lui rendre ce témoignage, qu'après avoir observé ses paroles, ses sentiments et ses actions, je ne vis en elle nulle marque de faiblesse. Au contraire, elle demeura toujours également constante et ferme et parut dans ce moment très digne de ses grands aïeux, et parler en petite-fille de Charles-Quint, qui joignit par sa dernière retraite la piété à ses héroïques vertus. Elle répondit à ceux qui lui disaient les choses du monde les plus effroyables ces belles paroles, dont il me souviendra toute ma vie : « Ne craignez point. Dieu n'abandonnera pas l'innocence du roi; il faut se confier en lui. » Quand je l'entendis parler ainsi, je fus honteuse, je l'avoue, d'avoir cru que sa tranquillité pouvait être quelquefois causée par l'ignorance du péril. Je l'en avais soupçonnée, parce qu'en effet les rois ne voient jamais leurs maux qu'au travers de mille nuages. La vérité, que les poètes et les peintres représentent nue, est toujours devant eux habillée de mille façons; et jamais mondaine n'a si souvent changé de mode que celle-là en change quand elle va dans les palais des rois. En cette occasion cette grande princesse n'a pu être accusée d'aveuglement. Elle sentit si fortement l'état où elle était qu'elle en fut peu après malade. Mais son âme, plus forte que son corps, la soutint avec tant de fermeté qu'elle aurait eu honte de montrer ce que la nature n'avait pu éviter de lui faire souffrir. Et cette honorable fierté fut si grande en elle qu'elle l'empêcha de donner à ses chagrins d'autres témoins que les horreurs de la nuit. Elle se contenta en notre présence de demander sans trouble des nouvelles de ce qui arrivait de temps en temps, sans rien oublier néanmoins de tout ce que le soin et la prévoyance pouvaient apporter pour remédier à des maux si extraordinaires et si redoutables, dans lesquels elle ne trouvait conseil ni assistance de qui que ce fût, pas même de son ministre, qui crut alors qu'il serait obligé de quitter la France. » (F. de Motteville, Mémoires). |